Nous examinons l'article 31 du projet de loi de finances pour 2021, qui évalue le prélèvement sur recettes de l'État au profit du budget de l'Union européenne. Cette année, celui-ci mérite que l'on s'y attarde sans doute encore davantage que lors des précédents exercices car il intervient dans un contexte très particulier, je le fais observer à mon tour : l'année 2021 est la première du nouveau cadre financier pluriannuel, qui traduit les ambitions politiques croissantes d'une Union européenne dont la géographie rétrécit, hélas, pour la première fois de son histoire. L'augmentation significative de ce prélèvement dans le cadre du prochain CFP est la matérialisation du Brexit et de la réponse européenne à la crise sanitaire et économique. Au-delà de l'année 2021, une tendance se dessine pour les sept prochaines années, dans la continuité des orientations âprement négociées lors du Conseil européen de juillet dernier, qui a permis à l'Union d'effectuer un saut tant qualitatif que quantitatif.
Le projet de loi de finances évalue le montant du prélèvement à 26,9 milliards d'euros, soit une hausse de 25 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2020. Cette augmentation s'explique par plusieurs raisons : augmentation des crédits du budget de l'Union européenne ; compensation du départ du Royaume-Uni ; changement des règles de calcul des contributions nationales, avec notamment l'augmentation des rabais et l'introduction d'une taxe sur les emballages plastiques non recyclés ; conséquences de la crise économique de la covid-19 sur les ressources propres traditionnelles de l'Union européenne. En moyenne, entre 2021 et 2027, le PSR est estimé à 28 milliards d'euros par an, soit un ressaut moyen de 8 milliards par rapport au précédent cadre financier pluriannuel.
Encore plus que les années précédentes, cette prévision est soumise à de nombreuses incertitudes.
D'abord, les négociations interinstitutionnelles portent cette année sur un paquet budgétaire aux enjeux majeurs composé du nouveau CFP, du plan de relance et des ressources propres, question fondamentale, ce qui les rend particulièrement délicates.
Ensuite, l'Union européenne fait face à deux crises majeures.
Premièrement, la crise sanitaire a entraîné une crise économique dont on ne mesure évidemment pas encore l'ampleur : selon l'Office statistique de l'Union européenne, la zone euro a enregistré, entre avril et juin, un plongeon sans précédent de 12,1 % de son PIB, en raison des mesures drastiques mises en oeuvre pour freiner l'épidémie de coronavirus.
Deuxièmement, la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne fait peser de nombreuses incertitudes sur les conditions dans lesquelles elle se fera et sur ses conséquences économiques pour la France et les autres pays membres.
L'année 2021 marque donc le début d'une nouvelle ère qui imposera de se réinventer pour tirer les conséquences de ces deux crises. Dans la lignée de l'initiative franco-allemande de mai 2020, la réponse du Conseil européen de juillet 2020 marque un tournant politique et budgétaire pour l'Union, qui repose sur trois piliers aux étroites imbrications : le cadre financier pluriannuel 2021-2027, le plan de relance et les ressources propres.
S'agissant du plan de relance, la proposition d'emprunter 750 milliards d'euros sur les marchés au nom de l'Union européenne afin de soutenir les régions et les secteurs les plus touchés par la crise, dans le respect des politiques européennes, constitue une étape majeure dans le renforcement de l'intégration européenne. Cet effort financier se traduit par un relèvement significatif du budget pluriannuel, que le Conseil européen a porté, le 21 juillet, à 1,8 % du RNB de l'Union, contre 1,02 % auparavant.
Les objectifs principaux que les plans nationaux des États membres devront respecter pour bénéficier du plan de relance – la transition verte et le numérique – correspondent aux priorités françaises. Les critères retenus pour définir la répartition des fonds entre États membres, parmi lesquels le taux de chômage des dernières années et les conséquences de la crise sanitaire sur le PIB, devraient faire de la France le troisième bénéficiaire du plan de relance après l'Italie et l'Espagne : au titre du plan de relance, notre pays devrait bénéficier d'un montant total d'environ 45,8 milliards d'euros.
Le nouveau cadre financier pluriannuel, complété par les fonds du plan de relance, traduit quant à lui l'équilibre entre préservation des politiques dites « traditionnelles » et nouvelles priorités, dont le pacte vert et les objectifs de neutralité climatique en 2050 sont sans doute les plus emblématiques.
La baisse du budget de la PAC, proposée en 2018 par la Commission, était un sujet d'inquiétude majeur pour la France. Nous pouvons nous réjouir que, dans la position du Conseil, le budget de la PAC augmente désormais de 19,6 milliards d'euros, soit une hausse de 1,6 % par rapport au précédent CFP. Néanmoins, je suis opposé à la baisse des crédits du POSEI – programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité – , destinés aux territoires ultramarins, car cette réduction fragilise la compétitivité économique et technologique des filières agricoles ultramarines.
En ce qui concerne les nouvelles priorités, insistons sur le renforcement des objectifs climatiques : le Conseil a porté de 25 à 30 % la part des dépenses totales du CFP et du plan de relance consacrées au climat. Cet effort budgétaire est cohérent avec l'arsenal législatif annoncé par la Commission dans le cadre du pacte vert, dont la colonne vertébrale est la loi climat, qui accroît significativement les ambitions de la trajectoire de réduction des émissions de carbone de l'Union.
Réjouissons-nous également que soit introduit pour la première fois un mécanisme de conditionnalité de l'accès aux crédits européens en fonction du respect de l'État de droit, même si ses modalités font encore l'objet d'âpres négociations entre les institutions européennes.
Toutefois, nous avons deux regrets principaux.
Premièrement, nous regrettons l'ambition moindre du Conseil par rapport à la Commission s'agissant de certains programmes, notamment le programme spatial, qui perd 1 milliard d'euros, et le Fonds européens de la défense, qui se voit privé de 4,4 milliards.
Deuxièmement, alors que le Brexit semblait être l'occasion d'en finir avec les rabais dont bénéficiaient différents pays, ils ont au contraire été renforcés. C'était l'une des conditions imposées par les pays dits « frugaux » pour qu'ils acceptent le plan de relance proposé par la Commission. Lors de la poursuite de la réflexion sur les ressources propres, rendue impérative par les besoins de financement futurs de l'Union, il faudra remettre sur la table la suppression des rabais afin de dépasser la logique du juste retour, dont le plan de relance montre plus que jamais le caractère limité.
À cet égard, si le Conseil européen ne s'est accordé que sur l'introduction, dès 2021, d'une nouvelle ressource propre assise sur la quantité de déchets d'emballages en plastique non recyclés, la reconnaissance de la nécessité de créer de nouvelles ressources propres est une étape significative dans un débat qui semblait bloqué. Ainsi, le Conseil a invité la Commission à formuler, au premier semestre 2021, des propositions visant à introduire un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ainsi qu'une ressource propre fondée sur le numérique, en vue d'une mise en oeuvre le 1er janvier 2023 au plus tard. Ces deux types de ressource semblent en effet les plus mûrs, car ils correspondent aux priorités politiques de l'Union, même si les obstacles politiques et techniques restent nombreux.
À terme, devraient être proposées une révision du système européen d'échange de quotas d'émissions carbone ainsi que la création d'autres ressources propres qui pourraient inclure une taxe sur les transactions financières. De la suite donnée à ces propositions dépendront non seulement l'évolution des contributions nationales au budget européen mais aussi la capacité de l'Europe à progresser sur le plan de l'équité fiscale, puisque ces taxes cibleraient des acteurs qui profitent du marché européen sans y contribuer suffisamment, ou qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes environnementales que les acteurs européens.
De ce point de vue, l'Union souffre d'une grande faiblesse institutionnelle : la règle de l'unanimité en matière fiscale, qui risque de freiner les avancées en la matière.
Alors que le Brexit et la crise ont accru les risques de fragmentation de l'Union, la décision d'emprunter en commun et d'accroître les ressources propres réaffirme un projet partagé, la volonté des États de s'engager solidairement et durablement. C'est la raison pour laquelle la commission des affaires étrangères a adopté l'article 31 du projet de loi de finances, en faveur duquel je vous invite à mon tour à voter.