Nous abordons cette année l'examen des comptes sociaux de la nation dans des conditions inédites, avec une crise sanitaire d'ampleur mondiale et la prise de conscience croissante qu'il va falloir vivre, peut-être longtemps, avec le virus. Au-delà même de l'aspect sanitaire, nous vivons une crise multifactorielle qui affectera durablement le monde. Celle-ci sera globale et nous obligera tous à des adaptations dont certaines transformeront nos modes de vie : réflexions sur les méthodes de travail, les modes de déplacements, nos façons de consommer… Nous devons faire confiance à l'humain et à ses capacités d'adaptation pour que cet « après » que nous sommes en train de construire soit porteur d'espoir et d'améliorations. Mais pour cela, le soutien de l'État et, plus largement, de la nation est indispensable ; il se traduit notamment, mais pas seulement, dans le budget que nous allons examiner.
Il faut le redire et les en remercier encore : durant de longs mois, c'est l'ensemble des personnels de santé et notre système de soins tout entier qui ont été mis à rude épreuve et qui ont tenu bon face au virus. C'est aussi la force de notre protection sociale que d'avoir permis d'amortir ce choc et d'avoir constitué un filet de sécurité sans équivalent. Le programme du Conseil national de la Résistance – CNR – , qui portait en germe la sécurité sociale, s'intitulait « Les jours heureux ». Je ne sais si la période que nous vivons mérite cette qualification, mais ce qui est certain, c'est que, sans cette ambition des résistants, sans leur volonté de créer la sécurité sociale, il y a soixante-quinze ans, les jours actuels seraient beaucoup moins heureux. Alors il est de notre devoir de résister à notre tour, plus modestement, mais avec autant d'ambition pour conserver notre protection sociale qui est si nécessaire en période de crise.
La crise a évidemment des conséquences sur l'équilibre de la sécurité sociale : elle creuse des déficits sans précédents – 44 milliards d'euros cette année, 27 milliards l'an prochain – , mettant en péril la viabilité de notre protection sociale. Il fallait agir vite et prendre toute la mesure de la situation. Le Gouvernement a choisi, de façon responsable, d'en faire porter une partie sur la CADES et de reporter ainsi sa date d'extinction à 2033. Nous avons eu un débat riche à ce sujet cet été ; il se prolongera lors de l'examen de ce PLFSS de rupture, qui prend toute la mesure de cet environnement nouveau.
Le texte comprend des progrès majeurs. Il met d'abord en oeuvre les engagements forts du Ségur de la santé vis-à-vis des personnels des hôpitaux et des EHPAD, soit un effort immédiat de 8,2 milliards d'euros pour reconnaître l'investissement de ceux qui portent notre système de santé à bout de bras. En pratique, ce sont deux fois 90 euros net par mois supplémentaires qui seront versés en deux temps, soit 183 euros l'année prochaine sur la fiche de paie des personnels soignants. Cette avancée sans précédent met fin aux décennies durant lesquelles nous avons voté des ONDAM inférieurs aux besoins, et négligé nos hôpitaux et nos personnels. Nous nous félicitons de cette mesure très attendue par les soignants, qui représente une vraie rupture avec les pratiques du passé.
Le groupe Agir ensemble souligne cependant qu'il est fondamental d'assurer une équité de traitement dans la mise en oeuvre de ces revalorisations historiques. En l'état, plusieurs milliers de soignants en sont exclus, car de nombreuses structures médico-sociales pourtant rattachées à des établissements publics ne font pas partie du champ du décret du 19 septembre dernier. Cette différence de traitement, incomprise des personnels, risque d'entraîner de leur part une désaffection à l'égard des établissements sociaux et médico-sociaux, et des départs vers les EHPAD relevant de la fonction publique hospitalière.
L'absence de revalorisation des carrières des personnels des services d'aide et d'accompagnement à domicile risque d'avoir les mêmes effets : une fuite vers les EHPAD ou un découragement des soignants concernés, déjà très éprouvés par la crise du covid-19. Nous considérons qu'il est impératif de donner des gages pour rassurer l'ensemble des personnels soignants et de nous engager sur une trajectoire de revalorisation qui ne laisse personne sur le bord de la route.
Je suis convaincue que le Ségur de la santé a été un succès, à tout point de vue, pour l'hôpital public, que les politiques publiques successives avaient laissé à l'abandon depuis trop longtemps. Les accords du Ségur permettront de revaloriser les métiers de la santé tout en réformant l'organisation d'un hôpital public à bout de souffle. La reprise de 13 milliards d'euros de dette hospitalière est une excellente mesure, saluée par les acteurs, qui permettra de relancer l'investissement courant dans les hôpitaux et d'assainir leur situation financière.
Permettez-moi néanmoins une remarque : le Ségur de la santé a laissé de côté la médecine libérale, qui est la grande oubliée de ces accords. Nous considérons qu'il est indispensable d'organiser sans tarder un Ségur de la santé libérale, sur le modèle du Ségur de la santé qui s'est conclu en juillet dernier. L'ensemble des députés du groupe Agir ensemble avaient formulé cette exigence dans le cadre de leurs propositions au Gouvernement pour le plan de relance.
Nous avons besoin d'un nouveau contrat entre la société et les professionnels de santé libéraux, qui n'ont pas démérité durant la crise. Au moment où nous faisons face à une deuxième vague de l'épidémie, le report de la négociation conventionnelle à 2023 a sa pertinence, mais il laisse en suspens la question de la revalorisation des actes, essentielle pour ces professionnels.
Lors de l'examen du texte en commission, tous les groupes, dont le nôtre, se sont émus de l'absence de mesures fortes en faveur des services d'aide et d'accompagnement à domicile – SAAD – , eux aussi absents du Ségur de la santé et de ce PLFSS. Il est pourtant urgent d'agir, car le secteur connaît une grande pénurie de vocations, encore accentuée par la crise sanitaire.
C'est pourquoi notre groupe regrette la suppression des 50 millions d'euros prévus pour l'expérimentation d'un nouveau modèle de financement des SAAD. La somme a été réaffectée au financement d'une prime exceptionnelle accordée aux agents de ces services, l'État accompagnant à hauteur de 80 millions d'euros l'effort des départements à cette fin. Il convient de saluer l'attribution de cette prime, mesure de justice que notre groupe avait demandée. Il s'agit d'une bonne cause, mais il est dommage de revenir sur l'engagement de mener à bien l'expérimentation que j'ai mentionnée, certains SAAD ayant conclu un contrat pour deux ans dans ce cadre. Au demeurant, les décrets d'application relatifs à l'expérimentation avaient été publiés trop tard au cours de l'année 2019, ce qui avait rendu illusoire une mise une oeuvre rapide.
Néanmoins, le Gouvernement, dont je salue l'écoute, a déposé en séance publique un amendement visant à renforcer l'attractivité des métiers du secteur de l'aide à domicile : 150 millions d'euros sont prévus à ce titre pour 2021, et 200 millions pour 2022. C'est une avancée significative, même s'il faudra faire bien davantage – je sais que le Gouvernement est pleinement mobilisé à ce sujet.
Nous avons besoin non seulement d'un Ségur de la médecine libérale, mais aussi d'un Laroque de l'autonomie, lequel se tiendra prochainement. La création, qui était très attendue, d'une nouvelle branche de la sécurité sociale permettra enfin de prendre à bras-le-corps le défi de la prise en charge de l'autonomie. C'est une avancée historique vient compléter le champ des protections offert par notre sécurité sociale. Quinze ans après la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement, nous faisons un nouveau pas en avant.
Cependant, de nombreuses questions restent en suspens. L'inclusion de l'AEEH dans la branche famille a sa légitimité et constituera une simplification pour les personnes handicapées. Mais, outre qu'il est un peu unilatéral, ce transfert signifie-t-il qu'il est également prévu d'inclure l'AAH, l'allocation aux adultes handicapés, dans la nouvelle branche ? Une discussion approfondie avec l'ensemble des acteurs concernés est nécessaire, en amont de la future loi relative au grand âge. En outre, la création de la branche autonomie devra être concrétisée très rapidement par l'adossement de financements nouveaux.
J'en viens à la branche famille. L'allongement du congé paternité constitue une réforme sociétale historique, qui correspond aux aspirations profondes de nos concitoyens quant à une meilleure conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. C'est une bonne initiative, qui tend à défendre notre politique familiale tout en favorisant l'égalité entre les hommes et les femmes. Il pourrait être pertinent de porter de quatre à six mois le délai dans lequel doit débuter le congé paternité, afin de permettre son fractionnement, au plus près des besoins des familles. C'était l'objet de l'un de nos amendements, qui n'a pas franchi, hélas, la barrière de l'article 40 de la Constitution, pas plus d'ailleurs que près de 120 autres de nos amendements…
Je me réjouis en outre que la commission des affaires sociales ait voté à l'unanimité le versement de la prime de naissance avant la naissance de l'enfant. Cette mesure, défendue par notre groupe lors de l'examen de précédents PLFSS, avait fait l'objet d'une proposition de loi de notre collègue Gilles Lurton, adoptée en juin dernier. Elle a toute sa place dans ce PLFSS et sera ainsi effective pour les familles dès mars 2021.
Concernant la chaîne du médicament, ce PLFSS amorce une petite rupture, bienvenue, avec la politique d'économies menée depuis dix ans : l'effort demandé aux industries du médicament sera limité à 600 millions d'euros. Ce revirement était nécessaire.
Lors de l'examen du PLFSS pour 2020, nous avions soutenu le renforcement du dispositif de lutte contre les ruptures de stock de médicaments. Néanmoins, il n'était pas cohérent de persister dans le même temps dans une politique de régulation décourageant l'innovation et propice aux délocalisations. Nous proposons de donner à l'ensemble de la chaîne du médicament et des produits de santé davantage de visibilité sur les objectifs d'économie demandés, en les rendant pluriannuels. Un tel dispositif, demandé de manière récurrente par les acteurs du secteur, serait particulièrement bénéfique à l'ensemble de la chaîne et pourrait favoriser la politique de réimplantation de l'activité en France.
Au-delà des enjeux de soutenabilité de la dépense, il est urgent de prendre en considération l'attractivité de notre pays en matière de recherche en santé. Pourquoi ne pas créer, au sein de l'ONDAM, une sous-enveloppe relative au médicament, ce qui permettrait de porter un regard sur la régulation spécifique de ce secteur ?
Notre groupe souhaite également vous alerter sur les difficultés récurrentes rencontrées par les grossistes-répartiteurs, maillon essentiel de la chaîne du médicament. Il est plus que temps de trouver une solution pérenne en la matière. De même, il est essentiel de garder à l'esprit que le dispositif médical est un écosystème particulier composé majoritairement de petites entreprises et qu'il est fortement pénalisé par les mesures d'économie demandées. Or le pénaliser de manière excessive revient à freiner l'innovation et le virage ambulatoire. Nous défendrons plusieurs amendements à ce sujet.
Enfin, notre groupe souhaite appeler l'attention sur la situation des praticiens à diplôme hors Union européenne, les PADHUE, personnels très précieux pour nos hôpitaux. Depuis l'adoption de la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, qu'avait défendue Agnès Buzyn, un processus de régularisation des PADHUE a été engagé. Il doit se poursuivre à l'automne avec l'ouverture du délai de régularisation des dossiers.
Des solutions sont donc en cours d'élaboration pour les PADHUE qui exercent illégalement dans le secteur hospitalier ou les EHPAD. Toutefois, aucune solution ne serait proposée aux PADHUE français qui ne sont pas en exercice. Il y a là une inégalité de traitement regrettable. Notre groupe souhaite la mise en oeuvre d'un plan global en faveur de l'ensemble des PADHUE, qui concilierait cette exigence de justice et l'impératif d'excellence de nos soignants, auquel il ne saurait être question de déroger.
Fidèle à sa démarche constructive, le groupe Agir ensemble aborde l'examen des comptes de la sécurité sociale dans un esprit d'ouverture, même si je regrette, comme nombre de mes collègues, que près de 120 amendements déposés par le groupe aient été déclarés irrecevables. Nous soutiendrons pleinement les mesures fortes prévues par le texte, et serons force de proposition pour l'améliorer.