Je tiens tout d'abord à rappeler que nous avons célébré au début du mois les soixante-quinze ans de l'ordonnance du 4 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale. La sécurité sociale est le patrimoine de ceux qui n'en ont pas ; elle est le socle sur lequel est bâti le modèle social français.
Bien évidemment, le contexte politique, social et économique a beaucoup changé depuis 1945 : évolution du monde du travail ; transition démographique marquée par le vieillissement général de la population ; transformation des modèles familiaux ; mutation du modèle économique, désormais mondialisé. Toutefois, la crise sanitaire que nous traversons, peut-être la plus grave depuis la grippe espagnole de 1918, a révélé une nouvelle fois l'importance d'un système collectif de protection sociale assurant contre les risques de la vie et jouant le rôle d'amortisseur économique. La sécurité sociale a servi de rempart protégeant non seulement les malades et leurs familles, mais aussi la société tout entière.
Derrière cette institution et à ses côtés, il y a des femmes et des hommes, auxquels nous rendons tous hommage. Dans la tourmente, ils ont su s'organiser et affronter au mieux des difficultés extrêmes, malgré des demandes d'adaptation incessantes et parfois contradictoires. En dépit de leurs efforts, les faiblesses de notre système de santé ont été révélées par la crise. Celle-ci a donc été l'occasion d'une prise de conscience qui a amené de nombreux Français à relativiser la conviction collective selon laquelle notre système de santé serait l'un des plus enviés de la planète.
Par conséquent, le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale doit être au coeur de nos préoccupations. Le PLFSS est toujours un acte fort, qui traduit en chiffres et en dispositions concrètes les orientations politiques du Gouvernement. Celui que nous examinons cette année est d'autant plus important que nous affrontons la crise sanitaire. Autre particularité : à la suite des annonces faites par le Président de la République, le Gouvernement nous invitera en séance publique à y intégrer de nouvelles mesures qui engagent fortement les finances publiques. Si nous pouvions envisager l'année dernière un retour prochain à l'équilibre, le déficit de la sécurité sociale pourrait désormais s'élever à 44,4 milliards d'euros en 2020, niveau jamais atteint depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Non seulement on a procédé à des dépenses exceptionnelles, pour assurer l'accueil dans les hôpitaux, acheter des tests et soigner les malades, mais les recettes ont été considérablement amoindries par la baisse de l'activité. En effet, les comptes de la sécurité sociale sont alimentés notamment par des cotisations assises sur les salaires. En outre, le coût du travail étant un réel enjeu de compétitivité dans notre pays, l'une des premières mesures prises pour sauvegarder notre tissu économique a été une exonération massive de charges sociales.
À la perte de recettes due aux exonérations de charges et au ralentissement brutal de l'activité s'ajoutent donc des dépenses accrues. Le présent texte prévoit de majorer l'ONDAM pour 2020 de 10,1 milliards d'euros, soit une progression de 7,6 % par rapport à 2019. L'ONDAM s'élèvera ainsi à 215 milliards cette année. En 2021, les dépenses continueront à progresser, mais avec une moindre intensité : l'ONDAM pour 2021 est estimé à 224,6 milliards.
Les conséquences du « quoi qu'il en coûte » imposent d'aborder ce PLFSS en toute lucidité, de façon parfaitement réaliste. Le texte suscite légitimement des attentes et de nombreuses questions. Va-t-on tirer toutes les conséquences des constats dressés pendant la crise sanitaire et rompre fondamentalement avec les politiques antérieures ? Va-t-on transformer profondément le système, en cessant de faire peser intégralement la protection sociale sur le travail ? Les mesures proposées m'inspirent, je vous l'avoue, des sentiments partagés.
Premier constat : on n'envisage guère, dans ce PLFSS, la nécessité de rendre le système français de protection sociale soutenable pour les générations futures. Comment ferons-nous pour retrouver un financement pérenne de notre système de santé ? Je pense ici à ce que devront assumer mes enfants et mes petits-enfants. Je regrette que, lors de l'examen du projet de loi relatif à la dette sociale et à l'autonomie, le Gouvernement n'ait pas accepté d'introduire le mécanisme de la règle d'or proposé par nos collègues sénateurs. Pourquoi Bruno Le Maire essaie-t-il avec insistance de faire croire aux Français que les impôts n'augmenteront pas, alors que nous finançons en partie la sécurité sociale par la dette ? La dette d'aujourd'hui, ce sont les impôts de demain !
Second constat : la crise consécutive à la première vague de covid-19 a mis en lumière l'extraordinaire force de nos soignants. Avec l'arrivée du virus, les couloirs de l'hôpital public ont été forcés de se transformer ; certains blocages administratifs ont été levés ; des services se sont mués en unités covid ; des infirmiers et des aides-soignants travaillant d'ordinaire en libéral sont venus renforcer les rangs des hôpitaux les plus touchés. Cependant, dans la perspective d'un retour à une activité plus habituelle, il y a trop de papiers, trop de procédures à l'hôpital ; tous les professionnels s'en plaignent.
Il est absolument crucial de rééquilibrer la balance entre le temps médical et le temps administratif. C'est le principal levier disponible pour optimiser le travail des soignants, revaloriser leur salaire et rendre leur métier plus attractif. Osons faire confiance aux soignants…