Mais cette crise a aussi révélé les fragilités de notre système social. Durant l'année 2020, les inégalités ont explosé, à cause du confinement, mais pas uniquement.
Un récent rapport de France stratégie est à nouveau venu attester de la politique favorable aux ultra-riches que vous menez : il montre que les réformes de l'ISF – impôt de solidarité sur la fortune – et de la flat tax ont fait exploser les revenus des 0,1 % de Français les plus aisés et des actionnaires. La conclusion est sans appel : plus les personnes sont riches, plus leurs revenus ont augmenté rapidement. Dans le même temps, l'extrême pauvreté et le nombre des personnes au chômage ou au RSA – revenu de solidarité active – ont très fortement progressé. Avec cette crise, le pays compte 1 million de pauvres supplémentaires. Rien ne peut endiguer le délitement de la société, qui conduit au pire, si ce n'est la solidarité nationale.
Alors que nous allons voter un nouveau budget pour la sécurité sociale, une politique de redistribution devrait apparaître clairement. Mais c'est le vide total, le néant absolu.
La situation financière de la sécurité sociale est désastreuse, et vous ne faites que l'empirer. « Quoi qu'il en coûte », disait Emmanuel Macron en mars dernier, évoquant même les « Jours heureux » – en bon professionnel de la communication, il n'avait visiblement aucune idée de ce que contenait le programme de l'après-guerre. En réalité, votre politique continue d'affaiblir la sécurité sociale. Pour la première fois de l'histoire, son financement proviendra cette année davantage de l'impôt que des cotisations sociales.
Les économies que vous entendez faire en 2021 sur l'assurance maladie témoignent par ailleurs du fait que vous n'avez tiré aucune leçon de la crise. En effet, si l'on écarte les dépenses directement liées à la covid-19 et à la revalorisation des salaires des soignants, vous entendez économiser 4 milliards d'euros en 2021 ! Eh oui, 4 milliards : comment osez-vous, monsieur Véran ? Chaque année, depuis trois ans, en tant que rapporteur général de la commission des affaires sociales, vous avez obligé l'hôpital public à économiser près de 1 milliard d'euros, malgré l'engorgement des services et la fuite du personnel. Comment osez-vous poursuivre cette logique infernale cette année ?
Certes, fin 2019, le Gouvernement annonçait qu'en trois ans, l'État allait reprendre un tiers de la dette hospitalière. Mais cela n'aura même pas rapporté 100 millions d'euros en 2020 aux établissements de santé, selon la Fédération hospitalière de France. On est très loin des milliards qui leur sont demandés. Et c'est sans compter que seuls les hôpitaux procédant à des licenciements et à des fermetures de services pourront bénéficier de cette reprise de dette.
Cette politique est une privatisation rampante de la santé, qui a d'ailleurs déjà largement commencé : le secteur privé lucratif est en fort développement puisqu'en dix ans, sa part est passée de 25 à 35 % de l'offre de soins. Mais votre souci est ailleurs : libéraliser le secteur du soin et développer la médecine ambulatoire, comme toujours. C'est ainsi que votre projet de loi de financement fait la part belle aux hôtels hospitaliers : les patients se verront ainsi baladés de l'hôpital à leur chambre d'hôtel, et vice versa, compliquant encore davantage la gestion des flux et des lits dans le labyrinthe des couloirs de nos établissements.
Comble de l'indécence, vous communiquez sur une cinquième branche, dédiée à l'autonomie, alors qu'elle ne recevra en réalité que des crédits déjà existants et qu'aucune augmentation n'est prévue pour les personnes âgées ou handicapées.
Les personnes âgées sont encore une fois les grandes oubliées de ce projet de loi : tous mes amendements déposés pour améliorer leur sort ont été censurés au titre de l'article 45 de la Constitution, sous prétexte qu'ils n'avaient pas de rapport avec le texte.
Le personnel des EHPAD continuera sa course infernale d'une chambre à l'autre pour faire les toilettes en cinq minutes chrono sur des corps souvent meurtris. Voici le sort réservé à nos personnes âgées placées en établissement. Détourner le regard comme vous le faites vous rend complice de ces souffrances.
Venons-en, monsieur le ministre des solidarités et de la santé, à votre gestion calamiteuse de la crise de la covid-19. La liste est longue de vos manquements en cette période ; les exemples d'incohérence foisonnent.
Vous n'avez toujours pas décidé de suspendre des jours de carence : pour ne pas perdre d'argent, des salariés sont ainsi incités à se rendre au travail, même s'ils sont porteurs du virus et donc contagieux.
Autre aberration : notre assemblée avait voté l'an dernier que les industriels auraient l'obligation de constituer des stocks de quatre mois pour les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur. Mais qu'apprenait-on le mois dernier ? Vous refusez de mettre en application cette mesure de santé publique ! Les pénuries de médicaments se poursuivent et vous continuez de vous plier aux desiderata des industries pharmaceutiques, pourtant contraires à l'intérêt général.
Aux quatre coins du monde, ces industriels mènent une course effrénée pour trouver un vaccin contre la covid-19 et le commercialiser : cette frénésie devrait inciter les pouvoirs publics à contrôler étroitement les recherches menées et à s'assurer que la population ne sera pas mise en danger par des essais cliniques bâclés et que les prix seront encadrés. C'est l'objet d'une série d'amendements que nous avons déposés mais que votre majorité a rejetés en commission.
Vous pratiquez la politique du laisser-faire, piétinant les engagements que vous aviez pris devant l'Organisation mondiale de la santé en matière de transparence et vous laissant piétiner par les actionnaires de Sanofi et compagnie. Dans la bonne logique libérale, vous vous contentez d'incitations financières totalement inefficaces.
Poursuivons l'examen de votre gestion calamiteuse de la crise. Vous continuez de refuser le remboursement des masques par l'assurance maladie, obligeant ainsi les familles à payer pour se protéger et protéger les autres.
Et que dire des soignants, qui devraient, selon nous, être la priorité de ce projet de loi ? Ils ne veulent plus retourner au front pour soigner les malades de la covid-19 car ils sont épuisés. Ce n'est pas avec un chèque de 183 euros que les choses changeront et que les soignants accepteront de sacrifier leur vie en endossant des responsabilités et un stress énormes. Cette revalorisation salariale, même si elle est à souligner, compensera tout juste le gel des rémunérations des dix années précédentes, sans faire malheureusement le poids devant la baisse des moyens alloués aux hôpitaux, qui se poursuit. Les grèves et les manifestations se multiplient d'ailleurs contre votre Ségur.
Vous avez beau affirmer que nous avons suffisamment de lits, vous savez pertinemment que c'est faux. Pour ouvrir de nouveaux lits, il faut des soignants. Seront-ils au rendez-vous, alors que beaucoup se sont sentis méprisés après la première vague ? Je pense notamment à tous ceux à qui vous avez refusé la prime covid parce qu'ils n'avaient pas le bon statut.
Monsieur le ministre, oui ou non, comptez-vous rembourser 10 milliards de dette des hôpitaux mais seulement en échange d'objectifs de suppressions de lits ? Oui ou non, nos personnels soignants démissionnent-ils de nos EHPAD et de nos hôpitaux ? Oui ou non, gère-t-on en flux tendu des équipements de protection individuelle, notamment les gants ? Oui ou non, nos soignants continuent-ils de porter des surblouses en sacs-poubelle ?