… pas d'avantage que par vous, qui disposiez déjà de la faculté d'influencer les décisions.
Au coeur de la crise, vous décidez de créer une cinquième branche de la sécurité sociale, censée financer la dépendance, ce qui serait bien sûr historique. Mais ce que l'histoire retiendra, c'est votre incapacité à mobiliser, pour cette importante question, des recettes viables et pérennes, celles de la CRDS étant désormais indisponibles jusqu'en 2033 et même sûrement 2043.
Égrener ainsi ce qui serait historique et ce qui ne le serait pas ne présente, vous le voyez bien, aucun intérêt ; pour juger de l'histoire, il faut prendre du recul et travailler sur du temps long. Sortez donc de votre enfermement et dites-nous plutôt ce qu'est votre vision pour la santé : comment vous voyez les évolutions incontournables et nécessaires de notre système de santé dans les cinq ou les dix prochaines années ? quelles sont les adaptations qu'il nous faut anticiper ? comment pérennisera-t-on le financement de cet ensemble à rebâtir ? Voilà quelques questions qui, si elles avaient trouvé des réponses dans vos discours et un commencement d'exécution dans votre PLFSS, auraient peut-être pu vous faire entrer dans l'histoire comme étant l'un des rares ministres de la santé depuis vingt-cinq ans à vous les être posées.
Je vais vous faire un aveu : pas plus que vous, je ne crois, en matière de santé, à quelque vérité révélée que ce soit. La matière est trop complexe et les enjeux trop importants pour que quiconque se déclare détenteur de toutes les solutions. La santé doit redevenir le premier des sujets politiques, parce qu'elle est, plus que jamais, la première préoccupation des Français.
Alors, sur la question de l'avenir de notre système de santé et de son financement, ouvrez un vrai débat politique, pas un débat de techniciens ! Invitez tous ceux qui réfléchissent à cette question à y contribuer ! Proposez – soyons fous – que le commissariat général au plan s'en saisisse et recueille des propositions !
Le président Obama avait coutume de dire qu'il ne faut pas gâcher une crise, au sens où il faut en tirer les meilleures leçons. Convenez avec moi que c'est le bon moment pour cela et qu'il est plus que temps de sortir de la logique comptable dans laquelle est enfermé depuis des lustres tout débat sur la santé.
Regardez-le avec objectivité, monsieur le ministre, hors des mesures conjoncturelles, en quoi votre PLFSS diffère-t-il des vingt-cinq qui l'ont précédé ? La Cour des comptes, en pleine crise sanitaire, à contretemps, estime encore que la santé des Français coûte trop cher et qu'il faut continuer à faire entrer notre système de santé dans un entonnoir budgétaire dont chacun sait combien il est mortifère.
Que proposez-vous de différent ? Les économies demandées aux filières du médicament et du dispositif médical sont certes moins importantes que les années précédentes, mais croyez-vous sincèrement qu'elles permettront de ramener vers la France, les productions de médicaments parties en Asie du Sud-Est ou qu'elles favoriseront l'innovation thérapeutique au bénéfice des patients français ?
Vous prévoyez une reprise de la dette des hôpitaux, et je vous rejoins sur l'analyse selon laquelle redonner de l'air aux finances hospitalières présente de l'intérêt. Néanmoins, outre que cette reprise va s'effectuer sur un temps, cette fois, excessivement long et ne créera donc pas la dynamique attendue, c'est une mesure qui ne prendra toute sa force que si les ONDAM futurs sont suffisamment élevés pour ne pas pousser à nouveau les hôpitaux vers un endettement excessif. Or, et c'est là que le bât blesse, faute d'engager une vraie réflexion sur l'avenir de la santé, vous prenez le risque d'annihiler, dès l'entrée en vigueur de la prochaine loi de financement de la sécurité sociale, les effets de cette bonne idée de reprise de la dette, et vous ne pourrez qu'être d'accord avec moi pour admettre que les efforts budgétaires consentis dans le présent PLFSS ne vaudront que pour une année, la dette de l'assurance maladie nous contraignant ensuite à une disette sévère et durable.
Monsieur le ministre, chacun le sait sur ces bancs, vous rêviez depuis longtemps de ce portefeuille, et vous n'êtes pas parvenu à l'obtenir dans les meilleures circonstances, c'est le moins que l'on puisse dire. C'est la raison pour laquelle je ne joindrai pas ma voix à toutes celles qui, depuis des mois, s'improvisent expertes et dispensent, à longueur d'interviews ou de discours, des conseils sur la gestion de la crise, le plus souvent mal avisés. Je n'hésite d'ailleurs pas à affirmer ici que la gestion de la crise serait sans nul doute plus sereine, pour vous comme pour les Français, si tous les médecins qui défilent sur les plateaux de télévision retournaient dans leur service et se consacraient exclusivement à leurs patients.