Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du mercredi 28 octobre 2020 à 21h00
Projet de loi de finances pour 2021 — Sport jeunesse et vie associative

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

« Nous n'avons pas de politique à avoir pour la jeunesse », déclarait le Président de la République devant des étudiants, l'an dernier, dans ma ville, Amiens. Cette promesse, il faut le reconnaître, est tenue : vous n'avez pas de politique pour la jeunesse, et c'est encore plus criant par temps de confinement. Après le printemps, voici l'automne, et rebelote : tout le pays va s'enfermer chez lui.

Mais la jeunesse et ses hormones qui bouillonnent, la jeunesse qui cherche son chemin, la jeunesse, cet âge des possibles, des tentatives et des échecs, la jeunesse doit renoncer à ses envies, à ses sorties, et pourquoi ? Pour protéger les plus âgés. C'est bien. Mais quelle récompense reçoit-elle pour son civisme, pour son altruisme ? Aucune. Pire, elle est punie, car c'est elle qui paie principalement le prix de la crise : tandis que les ménages français auront fait cette année 100 milliards d'économies, à commencer par les plus riches, qu'arrive-t-il à la jeunesse ? Pas moins de 40 % des jeunes ont perdu des revenus, et le taux de pauvreté, déjà trois fois plus élevé que la moyenne, va à coup sûr s'aggraver.

Amanda, en master à Lyon et à qui il restait 300 euros par mois après le paiement du loyer, a perdu ses baby-sittings ; elle doit renoncer aux soins pour ses dents et aux allers-retours le week-end chez ses parents.

Sabrina, de Flixecourt, mention bien au bac et prise en BTS management, ne peut trouver d'entreprise l'accueillant en alternance, à cause la situation actuelle ; faute de sous, elle ne peut même pas en profiter pour passer le permis.

Pierrick, intérimaire chez Amazon à Douai, sur le point d'être embauché, se retrouve sans mission et sans un rond.

Arnaud, à Tours, qui ne prend pas de repas, ni le matin ni le midi, renonce aussi à acheter le code civil pour ses études de droit.

Et à eux, que leur offrez-vous ? Une aumône, presque le néant : 150 balles et un mars !

Souvent, notre pays s'est grandi dans les épreuves ; c'est au coeur de la nuit nazie, la plus terrible d'entre elles, que fut conçu et décidé le vaste plan de la sécurité sociale. Jusqu'alors, dans les classes populaires, on vieillissait dans la misère ou aux crochets de ses enfants. Qu'a-t-on fait alors ? Nos ascendants sont passés d'une solidarité familiale à une solidarité sociale et nationale. Et en trente ans, guère plus d'une génération, une malédiction millénaire fut vaincue : grâce aux retraites, la pauvreté chez les personnes âgées fut brisée et passa même sous la moyenne de celle de l'ensemble de la population.

Face à l'urgence, je vous demande d'effectuer le même mouvement : passons d'une solidarité familiale – certaines familles ont les moyens d'aider les enfants, d'autres non – à une solidarité sociale. Le Président de la République confie avoir vécu, à une période de son adolescence, avec environ 1 000 euros par mois, et estime donc savoir ce que signifie boucler une fin de mois difficile. On voit la vision qu'Emmanuel Macron a de la jeunesse difficile… Mais 1 000 euros, c'est un rêve pour bien des jeunes ! Du reste, nous ne vous les demandons même pas. En revanche, puisqu'à 18 ans, un jeune peut voter ou aller en prison, pourquoi le priver des minima sociaux ? La majorité sociale doit coller à la majorité politique et pénale. Nous ne demandons pas l'idéal, juste le minimum !

Mais il ne suffit pas de gagner sa vie ; encore faut-il lui donner un sens par le travail et l'utilité commune. Amanda, Pierrick, Arnaud et Sabrina, comme des millions de jeunes, devront affronter le réchauffement climatique, c'est-à-dire des catastrophes en série dont le covid-19 n'est qu'un des prémices. Voilà la toile de fond tragique de leurs consciences ! Qu'ils aillent manifester en Pologne, leur conseillait le Président ! Défiler tous les vendredis pour dire que la planète brûle est sympathique, mais inutile. Ces jeunes veulent agir. Appuyons-nous donc sur cette épreuve pour nous grandir, profitons de cette crise pour inventer et innover !

Après la crise de 1929, Roosevelt avait créé le Corps civil de protection de l'environnement, lançant des travaux de reboisement contre l'érosion et les inondations, embauchant pour cela des centaines de milliers de chômeurs. C'est la même ambition qui devrait nous habiter pour faire émerger de nouveaux secteurs, faire naître de nouveaux métiers : des ateliers de réparation dans toutes les villes, tous les cantons, tous les quartiers ; des haies à planter partout contre les coulées de boue ; des conciergeries pour les habitants ou les personnes âgées ; de l'agriculture de proximité. Autant de besoins qui existent mais ne seront jamais rentables, jamais satisfaits par la main invisible du marché. Alors créons ces emplois, agissez !

À la place, vous versez des dizaines de milliards à Amazon, Sanofi, Auchan et Carrefour dans l'espoir que cela ruisselle et qu'Amanda, Pierrick, Arnaud et Sabrina soit embauchés. « Je ne vais pas interdire Uber et les VTC, ce serait les renvoyer vendre de la drogue à Stains », prévenait le Président. N'enfermez pas la jeunesse de Stains et d'ailleurs dans la perspective de vos propres oeillères, entre Uber et dealers ! Pour eux, ici et maintenant, en urgence, il faut de la décence et du sens !

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