Cette année, la mission « Défense » verra ses crédits progresser de 1,7 milliard d'euros. Pour la troisième année consécutive, la loi de finances initiale est donc strictement conforme à la loi de programmation militaire – LPM. C'est évidemment une très bonne nouvelle.
L'examen des budgets réalisés donne également satisfaction. Certes, le financement des opérations extérieures – OPEX – pose encore question, mais dans des proportions bien moindres que par le passé. Nul ne saurait nier l'importance de l'effort accompli pour remettre les armées à niveau. Le budget semble solidement lancé sur des rails, tandis que la révision de la LPM, prévue en 2021, pourrait n'être qu'une formalité.
Tous ces éléments positifs devraient nous permettre d'aborder l'avenir avec confiance. Je crois pourtant que nous entrons dans une période de grande difficulté – telle est la situation paradoxale dans laquelle nous nous trouvons. Certes, tout s'est bien passé jusqu'à présent, mais tout indique cependant que les choses pourraient se compliquer rapidement. À cet égard, je voudrais exprimer deux sujets d'inquiétude majeurs : l'un est budgétaire, l'autre concerne notre base industrielle et technologique de défense – BITD.
Sur le plan budgétaire, la LPM franchira une nouvelle marche de 1,7 milliard d'euros en 2022, puis trois marches successives de 3 milliards les années suivantes. Chacun sait qu'une telle évolution était déjà très ambitieuse dans le contexte économique dans lequel elle a été conçue – c'est dire à quel point elle risque d'être irréaliste dans le contexte post-crise sanitaire. Alors que, dans les mois à venir, les priorités sociales et économiques, mais aussi régaliennes, seront plus vives que jamais, le discours appelant au strict respect de la LPM sera-t-il suffisant ? Je dirais même, sera-t-il audible ? Je n'ose envisager la situation lorsque, tôt ou tard, nous repasserons sous la contrainte d'une certaine rigueur budgétaire.
En ce qui concerne le BITD, j'ai bien noté le travail accompli par la Direction générale de l'armement – DGA – pour mieux accompagner les petites et moyennes entreprises pendant la crise. Je veux néanmoins souligner l'extrême fragilité de notre tissu industriel : près de 25 % des entreprises concernées étaient déjà dans le rouge depuis deux ans, preuve que leurs difficultés sont non pas simplement conjoncturelles, mais bien structurelles. Il est certes bienvenu de leur apporter un soutien momentané, mais cela ne répond pas aux facteurs structurels. Une difficulté vitale demeure : la réticence des banques à s'engager derrière ces entreprises, tant pour des raisons de réputation que par crainte de représailles américaines ; pour l'heure, ce problème reste sans solution. De même, la montée en puissance de Definvest – fonds d'investissement dédié aux entreprises stratégiques de la défense – est une bonne initiative, mais les sommes qui lui sont allouées ne sont absolument pas à la hauteur des enjeux. Le cas de Photonis vient de le rappeler, parmi de nombreux autres exemples.
Levons toute ambiguïté : mon intention n'est pas de vous tenir pour responsable de cette situation, madame la ministre, ni de jouer les Cassandre, mais de vous demander quelle sera votre attitude et quelles seront vos priorités pour affronter ces terribles défis qui sont devant nous.
Vous me permettrez, de mon côté, de vous soumettre trois suggestions. La première concerne la communication de votre ministère. Il est légitime – et compréhensible – de vouloir mettre en valeur le redressement en cours. Je pense toutefois qu'il n'est plus opportun d'y procéder dans le contexte actuel, car cela accrédite, dans l'opinion, l'idée fausse que le ministère des armées n'exige plus d'efforts. D'où ma deuxième réflexion : quoi qu'il arrive, le ministère des armées n'échappera pas à un difficile débat sur son budget. Il a tout intérêt à l'ouvrir lui-même, plutôt que de se le laisser imposer par ceux qui veulent réduire ses moyens. Dans cet esprit, tout ce qui vient souligner des carences ou des manques est utile et doit être considéré non pas comme une critique, mais comme un apport au débat, rappelant la nécessité de ne pas interrompre la remise à niveau. C'est ainsi que j'interprète l'intervention du chef d'état-major des armées devant la commission de la défense, en juillet dernier, lorsqu'il s'est interrogé sur notre modèle d'armée et a développé le concept de massification.
Cependant, ce type de débat s'avère compliqué à mener au sein des seules armées. Cela me conduit à ma troisième et ultime réflexion : il existe un lieu naturel pour conduire un tel débat, le Parlement. Si ce dernier n'a pas vocation à relayer les éléments de langage de votre ministère, il n'est pas pour autant son ennemi. Dans les mois à venir, je vous invite à faire davantage confiance à la liberté de parole du Parlement. Vous n'avez pas à la craindre et votre ministère a tout à y gagner.