Intervention de Jean-Michel Clément

Séance en hémicycle du lundi 2 novembre 2020 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2021 — Justice

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Après avoir régulièrement suivi le budget de la justice pendant une dizaine d'années, puis m'en être éloigné ces derniers temps, j'y reviens ce matin au nom de mon groupe pour y porter un regard neuf. Je sais qu'une tradition bien respectée dans cette enceinte, majorité après majorité, consiste à se féliciter des évolutions du budget de son ministère. Monsieur le garde des sceaux, vous n'avez pas failli à cette tradition, vous félicitant en toutes circonstances d'un budget présenté comme historique. Je suis sûr qu'en d'autres temps, de l'autre côté de la barre, vous auriez peut-être été moins enthousiaste, souffrant de la lenteur de l'instruction et de l'audiencement de certaines affaires, ou du rendu des décisions. Qu'à cela ne tienne ; je ne voudrais pas atténuer votre enthousiasme, ni celui de nos rapporteurs pour avis.

Parce que nous avons tous été des auxiliaires de justice, nous savons que la justice continue à souffrir du temps qui s'écoule entre le vote du budget et son exécution, un vice qui la ronge depuis toujours. Ce délai contribue à l'allongement des procédures. Il est vrai que quand les effectifs de magistrats sont enfin au complet, ce sont les greffiers qui viennent à manquer ; c'est ce que la première présidente de la cour d'appel de Poitiers a pu constater lors de son installation il y a quelques jours.

Parfois, c'est le ministère des finances qui s'en mêle pour réserver certains crédits une fois le budget voté. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois devenu garde des sceaux, en avait fait l'amère découverte en arrivant place Vendôme. La fuite en avant – certes obligée – qui marque la pratique budgétaire actuelle nous expose plus que jamais à ce type de risque. Monsieur le garde des sceaux, je vous invite à la vigilance si vous ne voulez pas que votre enthousiasme ne retombe en fin d'année prochaine.

De nombreuses augmentations sont affichées ; elles sont le corollaire de la mise en oeuvre de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Finalement, rien de plus normal que de donner des moyens à une ambition ; l'inverse vous aurait été reproché. De quoi faut-il se réjouir prioritairement ? Tout comme vous, je soutiens les évolutions majeures dans la politique des peines, qui encourage les peines alternatives à l'enfermement et limite les peines privatives de liberté de courte durée, qui sont les plus désocialisantes. Je soutiens également les orientations relatives à la justice de proximité, notamment le recours aux délégués du procureur, que vous prévoyez d'accélérer l'année prochaine.

Ces mesures vont dans la bonne direction. Si la sanction peut apparaître réparatrice pour les victimes, elle ne garantit pas nécessairement l'absence de récidive. En revanche, sa menace est plus souvent dissuasive pour le primo-commettant, surtout s'agissant de faits mineurs.

S'agissant du programme relatif à la protection judiciaire de la jeunesse – un sujet auquel je suis particulièrement sensible – , le ministère a élaboré l'année dernière un plan stratégique national qui devait tenir compte de nombreuses évolutions : la réforme de l'ordonnance de 1945, la loi de programmation, la réforme de l'État et de ses administrations. Je remarque qu'il est parfois bien difficile pour un magistrat de prononcer la sanction appropriée à l'encontre d'un mineur compte tenu des places disponibles dans les structures d'accueil de la région. Ayant récemment visité un établissement pour mineurs, et présidant moi-même une structure du secteur associatif habilité qui gère deux centres éducatifs fermés, l'un dans le sud-ouest et l'autre dans le sud-est, je peux mesurer combien il est difficile de répondre convenablement aux attentes de la justice quand le placement d'un jeune n'est effectué que par défaut. C'est toute l'organisation du centre qui s'en trouve alors bouleversée, conduisant parfois à des jugements de valeur non justifiés sur ce type d'établissements – auxquels, personnellement, je crois. Parce que nous savons que c'est dans les prisons que s'écrivent les malheurs de demain, nous devons porter la plus grande attention à la situation des mineurs délinquants et leur éviter de telles issues.

Je sais, monsieur le ministre, que vous avez fait de la réduction de la population carcérale une priorité de votre politique. Je vous approuve sur ce point – même si cette volonté m'a toujours paru entrer en contradiction avec la construction de nouvelles places de prisons. On peut observer, dans les prisons françaises et plus particulièrement dans les maisons d'arrêt, des situations insupportables, pour les détenus comme pour les personnels pénitentiaires. La mise en oeuvre du programme immobilier pénitentiaire en outre-mer, auquel priorité a été donnée, est une urgence pour la dignité des personnes détenues. Il en va de même pour les structures d'accompagnement vers la sortie, qui sont indispensables pour préparer la réinsertion. Encore faut-il cependant que les juges d'application des peines en mesurent l'importance, ce qui n'est malheureusement pas toujours le cas.

Vous constaterez, monsieur le ministre, que les remarques du groupe Libertés et territoires ne sont pas uniquement d'ordre budgétaire. Elles portent aussi sur le sens qu'il nous faut donner à la justice. Cela étant, l'appréciation que je porte sur les crédits de cette mission est positive et je formule le voeu, en guise de conclusion, que les autorisations d'engagement soient très vite traduites en crédits de paiement.

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