Je me concentrerai sur les trois articles du projet de loi au sujet desquels la commission des affaires culturelles et de l'éducation a été saisie pour avis. Deux d'entre eux sont le fruit d'amendements du Gouvernement présentés en séance, au Sénat, le 8 juillet 2020. Ils visent à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour transposer des directives européennes. Le contenu de ces articles recouvre en réalité une bonne partie des dispositions prévues dans le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique, abandonné au printemps. Loin de faire consensus, ces dispositions ont été débattues et amendées par tous les groupes politiques. Des débats ont même eu lieu au sein de la majorité entre les rapporteurs et le Gouvernement. En légiférant par ordonnance dans un domaine aussi important, le Gouvernement prive une nouvelle fois le Parlement de ses droits, et remet délibérément en cause le fonctionnement normal de notre démocratie.
Prenons, par exemple, l'article 24 bis visant à habiliter le Gouvernement à prendre des ordonnances pour transposer la directive sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique : il correspond en tout point aux articles 16 et 17 du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle. Il instaure en effet le principe selon lequel les plateformes de partage de contenus deviennent responsables desdits contenus. Lors du débat sur le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle, le groupe La France insoumise s'est fait le porte-parole de diverses associations, comme La quadrature du net, pour s'opposer aux conséquences de cette mesure : selon nous, elle revient à rendre obligatoires des outils de filtrage au téléchargement et au téléversement. Il en résulterait un système de surveillance généralisée des internautes ainsi que des suppressions abusives de contenus.
Lors de l'examen du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle, nous avions débattu des amendements proposés par le groupe La France insoumise, visant à instaurer l'interopérabilité. Cette dernière préserverait la liberté des utilisateurs, en permettant de quitter une plateforme sans que les liens interpersonnels qu'ils y ont tissés avec les autres utilisateurs ne soient rompus. En d'autres termes, nous pourrions quitter Facebook pour une autre plateforme en conservant nos contacts. Pour le moment, ce n'est pas possible techniquement, ce qui octroie aux entreprises comme YouTube, Facebook et Twitter un pouvoir disproportionné. Grâce à leur immense nombre d'utilisateurs et à l'absence d'interopérabilité, ces géants d'internet nous ont rendus captifs et nous imposent une surveillance constante à des fins publicitaires.
En résumé, si cette directive s'attache à défendre des droits d'auteur et condamne le piratage, elle ne s'attaque pas au monopole des plateformes ni à l'illégalité de leurs revenus, fondés sur une publicité non consentie par les utilisateurs.
Un tel enjeu appelle un débat en profondeur de la représentation nationale ; or celle-ci est empêchée par une méthode faisant prévaloir les ordonnances. J'ai souhaité déposer un amendement proposant la rédaction d'un rapport d'information sur les modalités de mise en oeuvre d'une obligation d'interopérabilité pour les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne. Il a été jugé irrecevable, ce qui a empêché toute discussion et évincé, une fois encore, les représentants de la nation que nous sommes.
Prenons maintenant l'article 24 ter visant à habiliter le Gouvernement à prendre des ordonnances pour transposer la directive SMA. Là encore, le Parlement est privé de débat. Pourtant, le Gouvernement nous pousse à voter cette disposition en précisant, dans l'exposé sommaire de l'amendement à l'origine de l'article, que « les États membre doivent [… ] se conformer à la directive au plus tard le 19 septembre 2020 », et qu'« en cas de non-respect de cette échéance, la France pourrait faire l'objet d'un recours en manquement par la Commission européenne devant la Cour de justice de l'Union européenne ». La menace de sanctions européennes ne justifie en rien les obstacles au débat parlementaire ; elle ne justifie pas que les modalités de contribution des services de médias audiovisuels, ainsi que des plateformes de vidéo par abonnement, à la production d'oeuvres soient décidées par décret. Une telle procédure nous empêche également de dénoncer l'amendement permettant que les dépenses réalisées en faveur des établissements d'enseignement supérieur de la création artistique dans les domaines du cinéma et de la communication audiovisuelle soit prises en compte dans le calcul des dépenses éligibles à la contribution au développement de la production. Ainsi, le Gouvernement peut répondre aux injonctions de Disney+, sans que les députés aient leur mot à dire ! Grâce à vous, Disney pourra former ses cadres à l'École de l'image des Gobelins, tout en s'émancipant de ses obligations de financement de la production indépendante ou en langue française.