En mars dernier, à la France insoumise, comme beaucoup de gens dans le pays, nous étions déjà inquiets. Nous le sommes toujours ; nous le sommes de plus en plus. Inquiets pour la santé de nos proches ; inquiets pour celle de nos concitoyennes et concitoyens ; inquiets de l'ampleur de l'épidémie et de ne pas voir de porte de sortie ; inquiets aussi des conséquences du confinement sur la population, sur l'emploi, sur les liens humains, sur les libertés individuelles et publiques, mais surtout sur la misère et sur la faim. Je l'ai déjà dit dans cette assemblée, mais je ne cesserai de le répéter tant que vos réactions et surtout vos décisions ne seront pas à la hauteur.
Dans ma circonscription, en Seine-Saint-Denis, le préfet en personne s'était inquiété d'un risque d'émeutes de la faim. Depuis des mois, il faisait état de 15 000 à 20 000 personnes risquant la famine rien que dans ce département. Depuis le mois de mars, encore plus que d'habitude, ce sont les collectifs de citoyens et les associations qui suppléent très largement l'État, à bout de bras, avec des moyens dérisoires au regard de la gravité de la situation. Ce matin encore, on me rapportait que dans la seule cité des Francs Moisins, à Saint-Denis, la demande d'aide alimentaire est si importante que le collectif chargé des distributions est désormais contraint de sélectionner les cas prioritaires. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce que ce constat implique, chers collègues, si vous vous rendez compte de l'ampleur du problème dont je parle, si vous vous rendez compte de ce qu'il faut de courage à des parents pour se lever le matin en ne sachant pas s'ils pourront nourrir leurs enfants le soir, au point pour certains de préférer se sacrifier et ne pas manger pendant des jours pour sauver la mise de leurs enfants, comme nous l'avait raconté l'association Villejuifois solidaires lors d'une audition.
Je ne sais pas si vous vous rendez compte que ce dont je vous parle a lieu en France, dans les foyers des citoyens dont vous êtes la représentation nationale. Quelles réponses nos gouvernants apportent-ils à la banalisation de ces situations, de l'extrême pauvreté et de la faim en France ? Que faites-vous, messieurs les ministres, pour éradiquer la misère à l'heure où plus de 10 millions de Français – soit, selon l'INSEE, 2 millions de plus qu'au début de la crise – sont désormais sous le seuil de pauvreté ? Certes, monsieur le rapporteur général, il ne s'agit pas de tous les Français, mais vous admettrez avec moi que c'est beaucoup, beaucoup trop.
D'une main, dans le PLF, vous continuez les coupes indécentes, notamment dans le budget du ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion, dans celui de la transition écologique ou dans celui de l'économie, des finances et de la relance, mais aussi dans les dépenses structurelles de santé du PLFSS, le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Vous allez même jusqu'à diminuer sans gêne de 8 millions d'euros le montant de l'aide alimentaire, et ce dans la situation que je viens de décrire.
De l'autre main, vous avancez, avec ce énième PLFR, une nouvelle preuve de l'échec de votre stratégie et de l'absence de planification, en distribuant des miettes de fin d'année, avec votre aide exceptionnelle de peu de chose. Alors que tout le monde attend l'ouverture du RSA – revenu de solidarité active – aux moins de vingt-cinq ans, vous n'avez rien de mieux à offrir qu'un versement unique de 150 euros. C'est sûr, ça sonne bien, ça aide toujours plus que l'enveloppe de zéro euro des dix derniers mois, mais sur dix mois de crise, cela représente à peine 50 centimes par jour. Il vous aurait fallu à chacun l'équivalent de quarante jours de cette aide pour payer ne serait-ce que votre déjeuner au restaurant de l'Assemblée.
Pendant ce temps, lorsque nous vous interpellons en vous demandant d'ouvrir le RSA aux jeunes, vous répondez, depuis le banc du Gouvernement, que ce serait un fort mauvais message à leur adresser et que ce n'est pas ainsi que vous voyez leur avenir. Vous estimez que les 330 millions d'euros consacrés aux dispositifs de retour à l'emploi, d'insertion par l'activité économique et de je ne sais quel prolongement de l'apprentissage vendu désormais comme un emploi seraient la solution, comme si les jeunes sans emploi n'ayant pas ou plus droit au chômage pouvaient s'en satisfaire et avaient besoin d'une bonne leçon de misère pour aspirer à travailler.
Cette réponse moins pertinente que jamais, compte tenu de la situation que nous connaissons, c'est celle du mépris de classe et du déni de responsabilité : elle consiste à prétendre que quand les jeunes crèvent de faim, c'est parce qu'ils n'ont pas assez cherché de travail, et qu'au final, ça leur apprendra la vie.