Intervention de Sabine Rubin

Séance en hémicycle du mardi 17 novembre 2020 à 15h00
Programmation de la recherche — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabine Rubin :

En septembre, je n'ai pas eu l'occasion de débattre point par point de ce projet de loi qui prétend guérir le mal par le mal, en l'occurrence celui que vit le monde de la recherche. Pour reprendre l'expression du Conseil économique, social et environnemental – CESE – , je me demande si on peut « soigner un système avec les outils qui l'ont rendu malade ». Je n'aurai malheureusement que cinq minutes pour répondre à cette interrogation et me faire l'écho de la légitime colère d'une grande partie du monde universitaire et de la recherche.

Certes, madame la ministre, vous avez consulté ce dernier pour poser un diagnostic sur l'état déplorable de la recherche. Le constat est maintenant largement connu et partagé par toute la communauté scientifique. La recherche souffre d'un sous-investissement chronique, qui ne dépasse pas 2,2 % du PIB et qui situe la France sous la moyenne des pays de l'OCDE, des très faibles rémunérations des personnels, de la précarité des doctorants et des post-doctorants, de la baisse des effectifs sous plafond des établissements d'enseignement supérieur et de recherche, de la baisse des doctorats et de la dégradation des conditions de travail des chercheurs, soumis aux aléas des appels à projet de l'ANR et à sa bureaucratie, qui représente 50 % du coût du projet, soit 2,4 milliards d'euros.

Vous avez cessé toute consultation quand il s'est agi de trouver des solutions à ce délabrement, bravant d'ailleurs le code de la recherche, qui dispose qu'il faut arrêter les choix en matière de programmation et d'orientation des actions de recherche après une concertation étroite avec la communauté scientifique et les partenaires sociaux et économiques. Ainsi, comme vos collègues de la santé et de l'éducation, vous voilà contrainte, vous l'ex-universitaire, à suivre la feuille de route de M. Macron, pour qui une augmentation des subventions publiques serait inutile, la priorité étant d'accompagner les transformations profondes dans l'organisation et la gestion de la recherche. J'ai entendu la même chanson à propos des hôpitaux, qui seraient malades de leur organisation, comme j'ai entendu parler de la non-rentabilité des enseignants.

Plus qu'une loi de programmation de la recherche, il s'agit d'un texte qui organise son démantèlement et qui la soumet à cette autre loi, pourtant bien mystérieuse, de la rentabilité et de la valorisation économique des savoirs. Ainsi, les moyens proposés pour la recherche publique sont notoirement insuffisants : à peine 500 millions d'euros pour la décennie 2021-2030, quand il en faudrait le double pour arrêter le décrochage en cours.

Le projet de loi s'obstine à donner la priorité à la recherche publique financée par le crédit d'impôt recherche, connu et reconnu pour favoriser l'optimisation fiscale plus que la recherche. Le financement par projet reste privilégié et, avec lui, la compétition entre laboratoires, la bureaucratie, l'incertitude, le temps court et la précarisation. En guide de réponse à cette dernière, voilà que sont imaginés de nouveaux types de contrat – CDI de mission scientifique, CDI de retour à l'étranger – , eux aussi précaires. Sont également conçus des « tenure tracks », véritables parcours de titularisation aux chaires de professeur ou de chercheur, préférés à l'augmentation du nombre de places aux concours. Actuellement, seuls 13,8 % des candidats au concours de maître de conférences sont reçus.

Ce texte contient également des promesses improbables : à quoi bon augmenter les plafonds d'emplois si les budgets afférents ne sont pas débloqués ? Ainsi, en 2020, le CNRS a dû supprimer 72 équivalents temps plein. Promesse mensongère également sur le financement des contrats doctorants, pour lequel vous ne donnez pas de calendrier.

Pour finir, c'est par surprise et dans le dos du monde universitaire, que l'on assène, comme un coup de poignard, trois blessures supplémentaires à la recherche. Tout d'abord, vous balayez le rôle du CNU comme garant de qualité et d'équité nationales, avec la localisation des recrutements pour des postes de professeur. Ensuite, vous muselez les mobilisations et les contestations étudiantes, alors que l'université devrait être le temple de l'esprit critique. Enfin, vous privatisez l'enseignement vétérinaire sur fond de conflit d'intérêts et réduisez à néant l'égalité d'accès à la filière.

Pour conclure, j'aimerais partager avec vous cette fable sur Newton qu'un chercheur m'a un jour contée, car elle illustre parfaitement ce qu'est la recherche : un après-midi, en faisant la sieste sous un arbre, Newton a compris la notion fondamentale de la gravité en recevant une pomme sur la tête. Il serait heureux que cette fable puisse vous faire comprendre, chers collègues, que les conditions de la recherche nécessitent un temps sans pression, long et patient. Les moyens de ce temps, comme vous l'avez mentionné madame la ministre, sont souvent ceux de la recherche sans calcul, notamment de rentabilité immédiate, d'où surgit parfois une découverte fondamentale, qui précède l'innovation. Il serait bienvenu que cette fable vous éclaire sur l'absurdité de ce projet de loi, qui, malgré votre communication, crée les conditions inverses aux besoins de tout travail de recherche. C'est pourquoi le groupe La France insoumise votera contre ce texte.

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