Après des mois de mobilisation contre ce texte décrié par une large part de la communauté scientifique, voilà où nous en arrivons. L'exécutif et la majorité à l'Assemblée nationale ont décidé que nous examinerions le texte au moment où les universités sont fermées. Comment ne pas y voir une volonté de profiter de cette période suspendue pour aller vite et empêcher toute possibilité de contestation ? Quel meilleur moment pour faire passer les mesures dont vous rêviez ? La droite sénatoriale a osé pour vous, et il ne vous reste plus qu'à applaudir.
Pourtant, vous le savez – vous aussi chers collègues – , les ajouts du Sénat sont graves. À une programmation budgétaire qui relève plus d'un mirage que d'un véritable engagement, et à une précarisation massive des chercheurs, s'ajoutent donc à présent la disparition du Conseil national des universités – CNU – dans le recrutement et la qualification des maîtres de conférences et des professeurs, ainsi que la création d'un délit d'entrave passible de trois ans de prison.
Quel est votre problème ? C'est l'indépendance, l'intelligence mise au service de la société, l'intérêt avant le profit ? Est-ce cela qui vous dérange tant ? Aurait-on peur à ce point des chercheurs qu'on leur retire tous les moyens de mener leurs recherches en toute indépendance ? Parce que c'est bien ce que vous faites avec cette loi. Bien sûr, vous n'êtes pas la première et ce texte se situe en parfaite cohérence avec la loi de Mme Valérie Pecresse de 2007 sur l'autonomisation des universités ; la voie était ouverte.
Mais vous auriez pu par exemple revenir sur la compétition qui s'est exacerbée ces dernières années pour l'obtention des financements. Cette compétition épuise les chercheurs tant elle s'éloigne de l'émulation, leur fait perdre un temps considérable et, surtout, va à l'encontre du principe de collaboration entre équipes de recherche, tant mis en avant ces derniers mois – à juste titre – pour vaincre le virus. Vous avez choisi sciemment de renforcer les crédits concurrentiels plutôt que les dotations de base.
Vous auriez pu également prévoir l'ouverture de 6 000 postes de titulaires pendant cinq ans, comme le préconisait le CESE et comme vous le demandaient les enseignants-chercheurs. Cela aurait permis de lutter contre la crise de précarité qui frappe la recherche en France et qui conduit un grand nombre de chercheurs soit à partir à l'étranger – dans le meilleur des cas, finalement – , soit à abandonner purement et simplement la recherche – les femmes plus que les hommes. Mais, là encore, les principes féroces du néolibéralisme ont pris le dessus dans vos arbitrages et vous avez choisi de multiplier les formes d'emplois précaires, contournant par tous les moyens ce statut de fonctionnaire, si précieux pour le service public et qui semble tant vous déranger – il est vrai qu'en pleine crise économique, alors que le chômage va faire tant de mal, il n'y a pas mieux que de créer des emplois précaires : c'est le bon moment.
Enfin, à l'heure des fake news, des Raoult et des théories du complot les plus folles, la recherche avait grand besoin d'un renforcement des garanties de son indépendance, vis-à-vis des pouvoirs politique et économique. Or vous choisissez de renforcer la porosité entre entreprises industrielles, intérêts privés et recherche, tandis que, sur le plan du pouvoir politique, vous prévoyez que celui qui pilotera l'instance d'évaluation de la recherche en France sera le bras droit du Président de la République sur ces questions.
Madame la ministre, chers collègues, vous l'aurez compris : ce texte nous inspire du dégoût et nous ne sommes pas les seuls. Difficile de ne pas y voir un parallèle avec votre politique pour l'hôpital : alors que nous éprouvons dans la douleur les conséquences du libéralisme sur le service public hospitalier, vous reproduisez exactement le même schéma pour la recherche et l'université. Ce texte est une honte pour notre pays, mais la bataille n'est pas finie.