Intervention de André Chassaigne

Séance en hémicycle du lundi 23 novembre 2020 à 16h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2020 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Je dénoncerai d'abord les conditions déplorables de la première lecture de ce PLFR dans l'hémicycle. Il n'était pas acceptable d'examiner en une seule soirée un texte qui prévoit près de 20 milliards d'euros de soutien aux entreprises. De plus, aucun amendement de l'opposition, que ce soit de gauche ou de droite, n'a été adopté – je tiens à le rappeler. Cette façon de faire confirme le mépris du Gouvernement pour l'Assemblée nationale et jette une lumière crue sur la place que la majorité laisse au débat et à la démocratie.

Sur le fond, nous avions dit lors de la discussion générale que nous serions attentifs aux évolutions du texte au cours de son examen. Puisqu'il n'y en a eu aucune, notre position de vote n'évoluera pas non plus. Je tiens à vous rappeler pourquoi. En Robin des bourges, vous avez instauré un confinement doux pour les grandes entreprises, voire juteux pour certaines, mais particulièrement dur pour les petits commerçants. Ce texte n'y changera pas grand-chose. L'évolution, certes louable, du fonds de solidarité, dont le deuxième volet porte l'aide à 10 000 euros, n'est pas suffisant.

Il aurait fallu se donner les moyens de compenser les pertes de chiffre d'affaires des petits commerces. Pour y parvenir, nous avons proposé plusieurs mesures, notamment la contribution exceptionnelle des assurances, qui n'ont pas été au rendez-vous, ainsi que la taxe exceptionnelle sur les géants du e-commerce. Instaurer une telle taxe relevait pourtant du bon sens : la fermeture des petits commerces et de certains rayons des supermarchés a ouvert un pont d'or aux géants du e-commerce comme Amazon, qui sniffe la plus-value comme de la poudre blanche, et a triplé son bénéfice au troisième trimestre. Cette distorsion considérable entre les petits commerces fermés et les géants du e-commerce aurait pu être corrigée en faisant verser aux seconds une contribution fléchée vers les premiers. Le dogmatisme économique l'a finalement emporté : le torrent gigantesque des profits de quelques nantis ne déversera aucune gouttelette sur les plus petits.

Dans le même esprit, nous avons proposé l'application de la notion d'établissement stable, pour que les géants du numérique paient enfin leur juste part d'impôt. Nos collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste au Sénat avaient également déposé cet amendement ; il a été adopté de manière transpartisane. Finalement, vous l'avez exclu lors de la commission mixte paritaire. En refusant ces propositions qui auraient partiellement rétabli l'équité entre les petits commerces et les grandes entreprises, vous vous privez également des marges nécessaires pour soutenir massivement et largement les premiers. Ce PLFR ne résout donc pas les difficultés en la matière.

L'autre angle mort du texte, que nous avions évoqué lors de la discussion générale en première lecture, est la pauvreté, qui progresse dangereusement dans notre pays. À la fin de l'année, d'après les associations, il y aura 10 millions de pauvres et 300 000 SDF. Les demandes de RSA explosent, sans moyen pour y répondre. De nombreux Français, des jeunes, des travailleurs au chômage partiel, des intérimaires, des indépendants tombent dans la pauvreté et sont contraints de faire appel à la solidarité pour se nourrir. En cette fin d'année, une situation sociale aussi dramatique aurait exigé une réaction forte, massive, dans l'urgence. C'était le sens de l'appel que vous ont récemment adressé 110 maires de villes populaires, car, lorsque la rupture sociale s'accroît, le pacte républicain s'étiole à son tour. Or, en dépit des alertes, vous avez abandonné ces Français à leur sort, ainsi que les maires qui tentent de réagir, mais ne disposent pas des moyens suffisants.

Vous avez refusé des mesures de justice sociale qui s'imposaient. Ouvrir le RSA aux moins de 25 ans, en attendant la création d'une allocation d'autonomie pour les jeunes, était nécessaire. Il fallait créer un fonds pour les associations d'aide aux personnes, qui sont souvent les dernières à maintenir le lien social. Vous auriez aussi dû décréter une année blanche en matière de droits au chômage pour les plus précaires, prolonger les chômeurs arrivant en fin de droit et indemniser à 100 % le chômage partiel jusqu'à deux SMIC, pour qu'aucun salarié ne tombe dans la pauvreté. Comment ne pas faire le constat, une fois de plus, que la pauvreté et la précarité vous importent peu ? Étant donné l'ampleur de la crise, nous avions l'espoir que vous réagiriez enfin, mais vous continuez d'ignorer les raisins de la colère. Devant ce constat, devant le soutien insuffisant apporté aux petits commerces et le maintien de l'iniquité avec les grandes entreprises, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, comme en première lecture, votera contre ce projet de loi de finances rectificative.

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