Intervention de Adrien Quatennens

Séance en hémicycle du jeudi 26 novembre 2020 à 9h00
Débat public sur le socle citoyen — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAdrien Quatennens :

Sixième puissance économique mondiale, la France est un pays riche. Depuis cet été, elle compte même quatre-vingt-quinze milliardaires, soit trois fois plus qu'il y a dix ans. Sous l'effet des réformes budgétaires d'Emmanuel Macron, comme la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune, les 0,1 % les plus riches ont vu leur fortune augmenter d'un quart encore en un an : ce sont les grands gagnants de la politique du « président des riches ».

Dans le même temps, la pauvreté dans notre pays atteint des records jamais égalés depuis la Seconde guerre mondiale : 10 millions de pauvres en France, et de plus en plus de situations dignes du quart-monde. D'aucuns s'en émeuvent, clamant qu'ils n'ont pas de problème avec les riches mais que la pauvreté est insupportable. Problème : il y a bien un lien entre l'accumulation sans bornes, entre quelques mains, de la richesse produite, et l'extension de la pauvreté. Victor Hugo écrivait d'ailleurs : « C'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches. »

L'urgence est donc au partage des richesses, car les fruits du travail humain sont très mal répartis : en effet, si la productivité a considérablement augmenté ces dernières décennies, il y a longtemps que les travailleurs n'en profitent plus, ni par le mouvement historique de diminution du temps de travail – que ce soit dans la journée, dans la semaine ou dans la vie ! – , ni par de véritables augmentations de salaires. Pourquoi ? Parce que s'opère une prédation exceptionnelle, un véritable vampirisme du capital sur le travail humain. En dix ans, les dividendes versés aux actionnaires ont augmenté de 70 %, alors que le salaire minimum n'a augmenté que de 12 % et que les investissements productifs ont reculé de 5 %.

Vous voulez ouvrir le débat : très bien. Mais quel sera son débouché ? Contrairement à ce qui se passerait avec un référendum d'initiative citoyenne ou à un référendum d'initiative partagée, par exemple, nous ne le savons pas. Plus, donc, que sur les modalités du débat, c'est sur le contenu de votre proposition que je concentrerai mon propos.

Vous y défendez votre version de ce qu'il conviendrait d'appeler un revenu universel, et que vous nommez le socle citoyen. Si je précise « votre version », c'est qu'il existe presque autant de versions du revenu universel que de personnes le proposant. L'idée selon laquelle le revenu universel serait toujours une mesure sociale est donc trompeuse. En effet, qu'y a-t-il de commun, par exemple, entre un revenu universel consistant à fusionner et remplacer les aides sociales – et donc à puiser dans une poche pour remplir l'autre – et, à l'autre bout du nuancier, l'institution d'un salaire à vie ?

Premier différend sur le diagnostic : nous ne sommes pas d'accord pour considérer la précarisation du marché du travail comme une fatalité, ni que les gains de productivité conduiraient, à terme, à la fin du travail. Par exemple, un programme comme celui que nous défendons, « l'Avenir en commun », qui prévoit la planification de la bifurcation écologique, un protectionnisme solidaire et la diminution du temps de travail – travailler moins, travailler mieux, travailler tous – , permettrait, s'il était appliqué, la création d'emplois en telle quantité que le problème, lorsque nous gouvernerons le pays, ne sera pas d'avoir suffisamment de travail mais d'avoir assez de main-d'oeuvre pour mener à bien toutes les tâches à accomplir.

Votre socle citoyen combine réforme fiscale et réforme des prestations sociales. Mais quelle réforme fiscale ? Vous ne le dites pas. Vous parlez de proportionnalité, mais où est donc passée la nécessaire progressivité ? La France insoumise est plus favorable à une grande réforme fiscale visant à passer des cinq tranches actuelles à quatorze tranches d'impôt, ce qui permettrait d'assurer une meilleure progressivité et donc une véritable répartition de l'effort entre tous. Avec le système que nous proposons, celles et ceux qui gagnent moins de 4 000 euros par mois paieraient moins d'impôts qu'aujourd'hui.

En matière de prestations sociales, votre objectif est moins confus que le reste de la proposition. Vous l'écrivez, d'ailleurs : il ne s'agit pas de les augmenter, mais de les simplifier. Vous parlez même d'une « bascule » vers le système de socle citoyen. D'ailleurs, et même si vous dites réserver sa détermination à la future discussion, tous les exemples que vous citez sont fondés sur le montant, pourtant ridicule, du RSA.

Vous parlez également – et c'est le plus inquiétant – de coûts constants. Mais qui peut croire, chère madame Petit, que la pauvreté pourrait être éradiquée à coût constant ? Nous voulons une garantie dignité, en rehaussant les minima sociaux pour les porter à 1 000 euros, car personne, en France, ne devrait vivre sous le seuil de pauvreté. Nous plaidons également pour la gratuité de plusieurs biens communs – comme les premiers mètres cubes d'eau – , pour une meilleure répartition de l'impôt et pour le partage des richesses produites par le travail.

En conclusion, votre proposition, telle qu'elle est formulée, ne garantit rien d'une amélioration des niveaux de vie : elle détourne surtout volontairement le regard. Vous voulez rendre anachronique la bataille, pourtant essentielle à nos yeux, du partage des richesses et de la meilleure répartition entre le travail et le capital. Pour toutes ces raisons, nous nous opposerons à votre proposition.

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