L'exposé des motifs de votre proposition de loi, madame Petit, explique que « pour faire face à l'urgence sociale inédite et "rapiécer notre couverture sociale", le Gouvernement a dû mettre en place un véritable arsenal de protection et de sauvegarde des revenus des Français : fonds de solidarité pour les indépendants, soutien aux ménages et aux jeunes précaires, financement de l'activité partielle [… ]. » Vous ajoutez : « Cette réponse à la crise était nécessaire. Nous n'en avions pas d'autre à notre disposition. Mais elle n'est pas durable, et surtout, elle nous invite à réfléchir et concevoir dès à présent un mécanisme plus efficace et pérenne pour répondre aux crises futures et au risque de pauvreté et de précarité qui les accompagnent. »
Pour ce faire, vous proposez de mettre en place un mécanisme de solidarité universelle qui assurerait à chacun un filet de sécurité, dites-vous, de quoi tenir pour rebondir en cas de choc et l'assurance d'être à l'abri, quoi qu'il arrive – bref, une aide directe et unique, automatique et universelle. L'intention est évidemment louable et la protection des plus faibles de notre société, une nécessité. Une question se pose néanmoins : un revenu universel est-il la solution et apportera-t-il la garantie d'un avenir meilleur aux personnes en situation de précarité ?
J'ai bien noté que vous n'aviez pas l'intention de décider aujourd'hui – c'est heureux – ni du mode de calcul ni du montant de ce revenu universel. Vous nous donnez pourtant quelques éléments concrets en indiquant notamment qu'il pourrait se fonder sur l'actuel RSA, qui s'établit à 564 euros pour une personne seule sans enfant – loin, très loin du seuil de pauvreté évalué par l'INSEE à un peu plus de 1 000 euros par mois.
Soyons honnêtes, nous ne sommes pas le seul pays à réfléchir à cette question et les conséquences économiques de la crise sanitaire ont encore accéléré l'urgence de la réflexion. D'autres pays européens ont d'ailleurs déjà mis en place des expérimentations, dont les résultats parfois mitigés invitent à réfléchir. La Finlande, que vous avez citée, a mené une expérimentation à grande échelle de juin 2017 à fin 2018 auprès des chômeurs. Les conclusions de l'étude se sont malheureusement révélées quelque peu décevantes : malgré une amélioration du bien-être des citoyens qui avaient bénéficié de l'expérimentation, l'effet sur l'emploi, quant à lui, fut inexistant. Vous savez que l'Allemagne vient à son tour de décider de mener une expérimentation similaire : dès février 2021, 120 citoyens allemands recevront ainsi un revenu de base de 1 200 euros mensuels – une somme bien éloignée du RSA français – durant trois années. Dans le même esprit, le patron de Twitter, Jack Dorsey, a annoncé – dans un tweet, évidemment – qu'il allait donner 3 millions de dollars pour permettre aux maires de plusieurs villes des États-Unis d'expérimenter la mise en place d'un revenu universel.
L'idée fait donc son chemin mais elle se heurte toujours aux mêmes réticences. Outre le coût faramineux d'une telle mesure pour les caisses de l'État – même si j'ai bien compris qu'aujourd'hui une telle considération était devenue secondaire chez nous – , certains craignent qu'une telle mesure n'incite les actifs à quitter leur emploi et les chômeurs à délaisser leurs recherches. L'expérience allemande confirme d'ailleurs ces craintes, puisque ce sont plus de 1,6 million de personnes majeures qui se sont portées volontaires pour y participer. Aujourd'hui, les candidatures sont désormais arrêtées et 1 500 Allemands ont finalement été sélectionnés : 120 participants seront ainsi appariés à 1 380 jumeaux statistiques, et tous devront répondre à des questions au fil des mois.
Enfin, je voudrais évoquer un risque auquel vous ne pouvez qu'être sensibles, puisque vous vous dites soucieux des droits des femmes. L'instauration d'un revenu universel pourrait induire un effet pervers, consistant à renvoyer les femmes à la maison