La proposition de résolution débattue aujourd'hui suggère le lancement d'un débat public sur la création d'un mécanisme de revenu universel appelé « socle citoyen ». J'ai été très attentive aux interventions qui ont précédé, toutes d'une grande qualité et témoignant de l'intérêt porté par la représentation nationale au nécessaire soutien des plus fragiles, à plus forte raison en période de crise, mais montrant aussi qu'il existe différentes approches de la notion même d'universalité autour d'un revenu. J'avais moi-même défendu à titre personnel, dans le cadre d'un rapport parlementaire, l'idée d'un revenu universel pour des jeunes de moins de vingt-cinq ans sortant de l'aide sociale à l'enfance – ASE – à titre expérimental, sur une cohorte bien définie.
La mise en place d'un revenu-socle peut paraître intéressante de prime abord. Le système proposé est simple, ce qui permettrait notamment de lutter contre le non-recours au RSA. Il permettrait également d'assurer que le travail paye pour tous et de la même façon. Toutefois, il me semble important d'éclairer ce débat sur plusieurs points. Tout d'abord, la proposition de résolution se fonde sur l'hypothèse que les différents versements d'aide exceptionnelle de solidarité durant la crise traduiraient une faiblesse de notre système social. Pourtant, nous avons pu déployer ces mesures exceptionnelles en nous appuyant sur le filet de protection sociale existant, que nous avons simplement adapté aux circonstances exceptionnelles de la crise ayant conduit à une baisse soudaine des revenus des ménages, notamment les plus précaires.
Par ailleurs, le système de revenu-socle proposé aujourd'hui, fondé sur le montant du RSA, n'aurait pas permis d'éviter la nécessité de mettre en oeuvre des primes exceptionnelles face à la crise. Notre système de protection sociale est fort, il laisse la place à la réactivité et à la souplesse et nous a ainsi permis de faire face collectivement aux différentes épreuves de l'histoire, ce dont nous pouvons être fiers.
La proposition de résolution mentionne les politiques de distribution de revenus mises en oeuvre aux États-Unis, en Allemagne ou encore en Espagne à la suite de la crise. Cependant, il me semble qu'on ne peut mentionner des pays sans prendre un peu de recul : il nous appartient d'étudier les prestations sociales de nos voisins et de les comparer aux nôtres – en somme, d'analyser les faits. Ainsi, le récent revenu minimum vital espagnol consiste en une aide monétaire de 462 euros pour une personne seule, destinée à 850 000 ménages en situation de très grande pauvreté. Ce système revient donc, peu ou prou, à la mise en place d'un RSA en Espagne, c'est-à-dire à ce qui existe en France depuis 1988 avec le revenu minimum d'insertion – RMI. Notre filet de protection sociale continue donc d'être un modèle qui s'exporte, tout en faisant preuve de sa résilience durant la crise.
Cela dit, mon propos n'a pas pour objet de revenir sur un constat que je partage pleinement : le sujet essentiel demeure le non-recours aux droits. Les réponses actuelles, je pense notamment aux rendez-vous des droits organisés par les caisses d'allocations familiales – CAF – , ont montré une réelle efficacité, mais sont évidemment encore insuffisantes. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a émis un avis favorable à un amendement de Mme la députée Christine Cloarec dans le cadre du dernier PLFSS, qui étend les missions des organismes de sécurité sociale à la lutte contre le non-recours aux droits. Les échanges d'informations entre les organismes, y compris au-delà de la sphère sociale, seront autorisés pour détecter, grâce à des analyses automatisées de données, les personnes éligibles aux différentes prestations et les informer de leurs droits potentiels : c'est une avancée majeure. De même, le déploiement du dispositif des ressources mensuelles permettra le préremplissage automatique de la rubrique des ressources des demandeurs d'allocations. Ce système, qui doit débuter avec l'aide personnalisée au logement – APL – , sera progressivement étendu à toutes les prestations, notamment le RSA et la prime d'activité.
Pour en revenir à la proposition de résolution, elle me semble aussi faire l'impasse sur certaines difficultés et écueils du revenu-socle qui sont identifiés de longue date. Premièrement, en étant individualisé, le revenu socle ne permettrait pas de prendre en compte le niveau de vie du foyer, à la différence du RSA. Attribué de manière automatique, il ne prendrait notamment pas en compte les ressources du conjoint ni les revenus du patrimoine, ce qui pourrait donner lieu à des situations fortement inéquitables.
Deuxièmement, l'expérimentation faite par l'Assemblée de Corse d'un dispositif semblable a mis en évidence que ce ne sont pas les plus fragiles économiquement qui bénéficieraient de cette réforme. En effet, le gain monétaire est concentré sur les troisièmes à sixièmes déciles, qui gagnent respectivement deux et cinq fois plus avec la mise en place d'un tel revenu-socle que les 20 % les plus humbles. Un tel système ne permettrait donc pas nécessairement d'améliorer le quotidien des plus démunis, particulièrement fragilisés en cette période.
Troisièmement, cette proposition poserait nécessairement la question du devenir des dispositifs d'accompagnement des bénéficiaires du RSA. Comme vous le savez, depuis le début du quinquennat, le Gouvernement s'est efforcé de renforcer cet accompagnement vers le retour à l'activité. Enfin, le projet proposé ne permettrait pas de mieux articuler les différentes aides sous conditions de ressources, en particulier les allocations logement ou l'allocation aux adultes handicapés – AAH.
Toutes ces questions complexes nécessitent une réflexion de fond, et des travaux sur une réforme répondant à ces divers enjeux sont déjà engagés. Conformément à l'engagement du Président de la République, des travaux ont été lancés sur la création d'un revenu universel d'activité qui, en certains de ses aspects, rejoint ceux de la proposition faite aujourd'hui. Il s'agirait en effet de refondre le système de soutien monétaire aux plus précaires afin de le rendre plus lisible, plus équitable, tout en luttant efficacement contre le non-recours.
Menés par la délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté, ces travaux ont donné lieu à une vaste consultation publique et institutionnelle qui a rassemblé plus de 80 000 participations citoyennes en ligne et près de 11 000 propositions sujettes à des ateliers citoyens partout sur le territoire. Les participations citoyennes sont consultables en ligne, le Gouvernement ayant pris des engagements en matière de transparence. Des travaux techniques ont été engagés par la suite, impliquant une trentaine d'administrations publiques du fait de l'ampleur de la réforme. Comme vous le savez, ces travaux ont toutefois dû être stoppés du fait de la crise sanitaire. Le Premier ministre a récemment annoncé le redémarrage des travaux sur le revenu universel d'activité, nous allons reprendre ces travaux techniques là où nous les avions laissés afin de donner corps à ce dispositif de soutien, tant sur le plan financier qu'en matière d'accompagnement. Ils seront finalisés au cours de l'année 2021.