Cicéron disait devant le Sénat de la République romaine que « la justice doit être cultivée pour elle-même ». Vous me permettrez d'ajouter, un peu plus de deux mille ans plus tard, qu'elle doit aussi être cultivée pour les autres, pour la société, parce que le but de la justice est avant tout de nous rendre meilleurs, que les personnes sanctionnées en deviennent plus respectueuses des règles du vivre ensemble. Vous avez raison, monsieur le garde des sceaux, d'avoir rappelé que les incivilités, les petites dégradations du quotidien, sont, hélas, les faits les plus nombreux, juste après les atteintes aux personnes, que traite aujourd'hui la justice pénale. Et ces faits ne sont pas uniquement graves parce qu'ils violent la loi, mais aussi parce qu'ils dégradent le quotidien de nos concitoyens, leur cadre de vie : brûler une poubelle, taguer un mur, souvent d'inscriptions agressives contre la société, détruire le banc sur lequel les mères de famille s'asseyaient ou encore dégrader les aires de jeux pour enfants, cela revient à dégrader la vie quotidienne des Français.
La proposition de loi vise à faciliter la réponse pénale au type de dégradations que je viens d'évoquer. Je vais m'appuyer sur quelques exemples. En tant que députés, nous représentons ici la nation, mais nous ne venons pas de nulle part, nous avons un passé. J'ai ainsi eu l'honneur d'exercer pendant dix ans le mandat de maire de Rixheim, une commune de 14 500 habitants située dans le sud-est de l'agglomération mulhousienne. J'ai constaté assez rapidement que ce qui préoccupait les habitants au quotidien, c'était bien cette petite délinquance, le fait que, dans certains quartiers, les poubelles étaient systématiquement brûlées, les murs systématiquement tagués et les jeux pour enfants systématiquement détruits. Or la réponse trop souvent apportée était le remplacement par la commune elle-même du matériel endommagé.
Les habitants disaient alors : « C'est injuste parce que, finalement, chaque fois que quelque chose est détruit, c'est le contribuable qui sort le chéquier, alors que l'auteur de l'acte ne risque rien ou quasiment, seulement d'être convoqué à la gendarmerie, de s'y faire tirer les oreilles et de recevoir un rappel à la loi parce qu'on sait bien que brûler une poubelle n'entraînera pas six mois de prison. » Nous avons fini par en conclure que ce qui avait été cassé ou endommagé ne serait plus réparé ou remplacé avec l'argent du contribuable, sauf si l'auteur de l'acte se dénonçait et s'engageait à participer aux réparations. Le procureur de la République, à qui j'en avais parlé à l'époque, m'avait répondu qu'il ne disposait pas vraiment d'outils juridiques pour ce faire, mais que, de toute façon, il ne prenait aucun risque, observant : « Si vous pensez que les gamins qui ont commis des dégradations vont venir se dénoncer, monsieur le maire, vous êtes un doux rêveur. »
Un peu de temps a passé, c'est vrai, jusqu'à ce que ces adolescents ou ces jeunes adultes viennent me voir et me disent : « Monsieur le maire, vous savez, on s'est rendu compte que ceux qu'on avait pénalisés, c'étaient avant tout nos propres familles et pas la société. » Les détritus qui traînaient par terre parce qu'il n'y avait plus de poubelles, les mères de famille qui ne pouvaient plus s'asseoir sur les bancs pour regarder jouer les enfants : c'était devenu le vrai problème du quartier, non seulement celui de la société, mais aussi des gens qui y vivent au quotidien. Et ces jeunes ont accepté de réparer parce qu'ils étaient alors prêts à réparer leurs erreurs. « Les jeunes sont là, ils sont prêts à réparer », ai-je annoncé au procureur de la République. Il m'a répondu qu'il allait faire son possible avec les outils juridiques à sa disposition, parce qu'il s'y était engagé. Et ces jeunes ont repeint les murs, reforgé des poubelles au lycée professionnel, réaménagé les bancs et les aires de jeux ; ils ont réparé leur propre quartier.
Ensuite, non seulement ils ont respecté ce qu'ils avaient réparé parce qu'ils en avaient bavé à le faire, mais ils ont aussi exigé le même respect des autres. Voilà ce que notre groupe Agir ensemble entend promouvoir : des sanctions éducatives comme réponses aux actes de petite délinquance. Cela suppose évidemment que leurs auteurs soient identifiés. C'est la raison pour laquelle nous avons voté cette semaine la proposition de loi relative à la sécurité globale, qui renforce les pouvoirs des polices municipales et leur coordination avec la police nationale et la gendarmerie, ce qui permet ainsi de les appréhender plus facilement. Mais ensuite, il faut aller vers la réparation, vers ce que mon collègue Pierre-Yves Bournazel proposait pour les Parisiens lors de sa campagne aux élections municipales : « Tu casses, tu répares. Tu salis, tu nettoies. »