Or ce principe est déjà inscrit dans la Constitution : la loi s'impose à tous. C'est notre incapacité à faire vivre la ou les règles communes, et à adopter des lois faisant vivre et respectant les valeurs inscrites dans notre Constitution, qui fonderait selon vous cette exigence nouvelle de « respect des règles communes » ; ce serait en quelque sorte un aveu d'impuissance, auquel cette modification constitutionnelle viserait à remédier.
Le doyen Vedel expliquait que la laïcité correspond à l'affirmation que l'État considère la croyance ou l'incroyance comme une affaire privée. Dans le droit fil de ce constat, la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires a consacré le principe de laïcité et introduit l'obligation de neutralité pour les agents publics parce qu'ils incarnent l'État ? en quelque sorte. Sans doute souhaiteriez-vous que ce principe fondamental du fonctionnement du service public, trouve à s'appliquer dans la sphère privée, en particulier au coeur de l'entreprise ? À cela, je réponds modestement deux choses.
La première est que la laïcité doit neutraliser le fait religieux et qu'elle doit le faire dans la sphère publique. Si cela correspond à une nécessité et aux besoins d'une activité privée, le législateur peut examiner la question de la neutralisation dans l'expression du fait religieux, sous les projecteurs de nos valeurs républicaines, et dans le respect du principe de proportionnalité.
J'appelle ensuite à la prudence : l'usager du service public, à juste raison, n'est pas soumis à l'obligation de neutralité qui s'impose à l'agent public. Bien sûr, c'est compliqué. Mais l'article 1er ainsi complété ne changerait rien à la complexité de notre démocratie. Ensemble, assurons la pédagogie de cette complexité, et surtout, ayons le courage politique de veiller à l'application des règles communes, comme le disait hier mon collègue sénateur Patrick Kanner.
Concernant l'article 2, imposer l'exigence de neutralité aux partis politiques revient à mon sens à réduire la portée universelle des valeurs républicaines inscrite dans la Constitution. Ce que cet article 2 veut proscrire est d'ores et déjà interdit par la lecture que nous faisons de la loi fondamentale. Il établit des limites contraires à l'objectif qui nous réunit, à savoir garantir les valeurs républicaines. Nous ne pouvons faire preuve de complaisance à l'égard de ceux qui déconstruisent la République et ses valeurs, auxquelles nous tenons. Cependant, ce n'est pas un manque de clarté de la Constitution qui est à l'origine de situations dissonantes en la matière. Nous devons les dénoncer et, en tant que décideurs publics, apporter des solutions. Cette responsabilité nous incombe, ici en édictant des lois, et sur le terrain, en contrôlant leur application. Il nous faut éviter le piège des amalgames et des ostracismes, et rappeler sans défaillance les obligations qui s'imposent à chacun dans l'espace neutre que nous avons construit.
En conclusion, tout en précisant qu'il partage l'objectif de respect du principe essentiel de laïcité, le groupe Socialistes et apparentés estime que la proposition de loi n'ajoute rien à ce que les constituants ont déjà écrit et n'apporte pas de propositions réellement efficaces pour garantir le respect de la laïcité. C'est pourquoi il ne votera pas cette proposition de loi.