Intervention de Isabelle Santiago

Séance en hémicycle du jeudi 3 décembre 2020 à 15h00
Protection du peuple arménien — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Santiago :

Les circonstances qui nous réunissent aujourd'hui sont graves et l'émotion que nous, députés, avons ressentie dépasse les clivages politiques : je suis certaine qu'elle nous rassemblera au moment du vote de ce texte.

Durant les semaines passées, nous avons tous été témoins de la nouvelle épreuve infligée au peuple arménien, seul face à des agresseurs surarmés, bien décidés à l'effacer de ses terres historiques de l'Artsakh. « Allez-y, détruisez l'Arménie ! Voyez si vous pouvez le faire. Envoyez-les dans le désert. Laissez-les sans pain ni eau. Brûlez leurs maisons et leurs églises. Voyez alors s'ils ne riront pas de nouveau, voyez s'ils ne chanteront ni ne prieront de nouveau. Car il suffirait que deux d'entre eux se rencontrent, n'importe où dans le monde, pour qu'ils créent une nouvelle Arménie. » Voilà ce qu'écrivait William Saroyan du génocide des Arméniens au début du siècle dernier, ce même génocide reconnu par notre représentation nationale, ici même, il y a quelques années.

Cette proposition de résolution, cette convergence politique, a été rendue possible par une obligation morale : celle de refuser que la guerre résolve les différends territoriaux, que les armes remplacent la diplomatie. En tant que parlementaires, il est de notre responsabilité de dénoncer des faits accomplis, mais qui ne peuvent être acceptés. Le recours à la force, le ciblage des populations civiles, l'usage d'armes prohibées par le droit international, le non-respect des droits des prisonniers de guerre, le déplacement de populations forcées d'abandonner toute une vie du jour au lendemain, ne nous mènent pas loin d'un second génocide. Nous ne pouvons ni laisser faire, ni tolérer une telle situation aux portes de l'Europe. Dénoncer, manifester, ne suffit plus.

Je voudrais réitérer ici l'expression de notre soutien sans faille aux chrétiens d'Orient dans leur ensemble, ainsi que celle de notre amitié et de notre soutien à la population arménienne, ciblée, vilipendée, attaquée encore une fois dans le cours de son histoire. Je pense à Aram, le maire d'Ochakan, jumelée à notre Alfortville, la « petite Arménie » ; Aram, parti au front avec ses jeunes concitoyens, n'ayant guère que leur courage et leur désir de liberté à opposer à des drones, à des armes dernier cri. Pour lui, qui aime tant la France, nous nous devons aujourd'hui d'être à la hauteur.

Certes, les armes se sont tues pour l'instant ; mais le cessez-le-feu du 9 novembre n'a rien résolu. Il ne peut tenir lieu de règlement définitif du conflit, alors qu'une seule partie a été satisfaite par l'usage de la force et de la contrainte. Plus inquiétants encore sont les bénéfices géostratégiques des parrains de cet accord, dont les rêves impérialistes, remis au goût du jour, menacent de déstabiliser davantage une région déjà fragile aux portes de l'Europe. Dans ces conditions et avec ces modalités, ce cessez-le-feu ne peut offrir aucune garantie de paix durable. Il échappe à tout contrôle international et n'offre aucune solution aux populations arméniennes. En revanche, il prend acte de l'installation militaire d'un pays tiers et d'un redécoupage territorial qui pérennise la mainmise de puissances étrangères.

Ce que nous voulons aujourd'hui, c'est aider les acteurs locaux à dessiner un avenir pour le Haut-Karabakh et à sauver des vies. En ce moment même, des convois humanitaires, des produits de première nécessité, sont bloqués dans des entrepôts par les douaniers turcs au motif qu'il s'agirait de matériel militaire. Nous parlons ici du minimum vital pour un être humain, de couches pour les bébés, de jouets pour les enfants : ce ne sont pas des armes ! Il est urgent d'agir ; il est urgent, monsieur le ministre, que la France retrouve sa place, sa voix, son rôle de protecteur et d'interlocuteur de premier plan ! Il est urgent de redéfinir les conditions et les règles d'un compromis possible : en tant que coprésidente du groupe de Minsk, la France doit demander le retrait des forces militaires, le retour des frontières à leur tracé précédent. L'Union européenne doit peser de toute sa force dans ce sens et devenir un acteur géostratégique majeur dans ce secteur fondamental.

Plus généralement, notre politique et nos relations diplomatiques dans le Caucase demandent à être entièrement repensées. Ainsi, la reconnaissance de la République du Haut-Karabakh ne constitue pas seulement un symbole, ni même une étape d'un processus diplomatique essentiel à la paix : c'est un soutien au peuple arménien, un devoir dont la France doit s'honorer, comme elle s'honore de protéger et de défendre les peuples qui souffrent. C'est pourquoi le groupe Socialistes et apparentés votera en majorité pour cette proposition de résolution.

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