Intervention de Josiane Corneloup

Séance en hémicycle du jeudi 3 décembre 2020 à 15h00
Carte vitale biométrique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJosiane Corneloup :

Selon le récent rapport de la commission d'enquête présidée par notre rapporteur, le montant de la fraude aux cotisations sociales se situe entre 7 et 25 milliards d'euros. Bien que nous peinions à comptabiliser les fraudeurs à la carte Vitale, leur existence indéniable constitue une atteinte à l'équilibre de notre pacte républicain et contribue à miner la confiance de nos concitoyens dans l'équité de notre système de santé. Il s'agit d'un enjeu budgétaire, bien sûr, mais aussi d'un enjeu de cohésion sociale. Alors que de nombreux Français repoussent leurs consultations médicales, il est intolérable que des fraudeurs puissent passer entre les mailles du filet pour bénéficier indûment de soins.

Si le recours à une carte Vitale biométrique peut poser des difficultés techniques, aucune piste ne doit aujourd'hui être écartée pour lutter contre la fraude sociale, d'autant plus en cette année où la crise du covid-19 a historiquement aggravé le déficit de nos comptes sociaux.

Le déficit de la sécurité sociale devrait dépasser les 50 milliards d'euros en 2020, et celui de la branche maladie sera sans doute supérieur à 30 milliards. Selon les estimations de la CNAM, les fraudes détectées ont presque atteint 300 millions d'euros en 2019, alors que, selon les estimations de la Cour des comptes, le montant total des fraudes aux prestations sociales aurait été, au minimum, de 2 milliards d'euros en 2010. Nous voyons bien le flou total dans lequel nous évoluons concernant les fraudes aux prestations sociales. C'est alarmant.

Alors que la proposition de loi initiale prévoyait de remplacer l'ensemble des cartes Vitale par des cartes Vitale biométriques, le dispositif issu du Sénat est moins contraignant puisqu'il s'agit d'une expérimentation. Par rapport à une mesure générale, le choix de l'expérimentation réduira le coût et la complexité du dispositif, qui ont été évoqués. L'expérimentation, d'une durée de douze mois, autorisera des organismes gestionnaires de l'assurance maladie désignés par décret à délivrer une carte Vitale biométrique aux bénéficiaires qui leur sont rattachés. Elle permettra non seulement de tester la faisabilité technique et financière de cet outil, mais aussi de mesurer son impact sur la lutte contre la fraude au regard de l'utilisation de la carte traditionnelle. Ses résultats pourront en outre être confrontés à ceux de l'expérimentation en cours concernant la carte Vitale dématérialisée.

Visant donc à l'expérimentation d'une carte Vitale biométrique dont le pilotage, le suivi et l'évaluation seraient confiés aux organismes d'assurance maladie ainsi qu'au groupement d'intérêt économique GIE Sesam-Vitale, cette proposition de loi a été rejetée en commission des affaires sociales par la majorité, la semaine dernière, au motif qu'une expérimentation d'une carte Vitale dématérialisée est déjà en cours. Or il me semble que ces deux dispositifs sont très complémentaires. Certes, la carte Vitale dématérialisée fait intervenir l'élément biométrique, mais au seul moment de l'enrôlement : le bénéficiaire est invité et non contraint à une identification biométrique lors de l'attribution de la carte, dont l'usage sera par la suite simplement conditionné par la présentation de son téléphone portable. Voilà qui ne garantira pas une stricte identification !

L'attribution de cette carte fondée sur le volontariat et sa distribution limitée aux seuls bénéficiaires équipés d'un support mobile font qu'elle manque indubitablement la cible que notre proposition de loi a identifiée, car les fraudeurs sont bel et bien ceux qu'il est urgent de viser en recourant à la biométrie.

Dans tous les cas, l'expérimentation proposée sera l'occasion d'avoir définitivement une idée plus précise de l'ampleur de la fraude à la carte Vitale. Comme le mentionne le rapport, celle-ci s'inscrit dans le vaste contexte de la fraude à l'assurance maladie. Si la fraude à la carte Vitale n'est pas la plus significative sur le plan financier, elle est la plus fréquente et celle qui porte le plus visiblement atteinte au pacte républicain qui fonde la solidarité nationale.

C'est donc un dommage autant financier que symbolique que cette proposition de loi entend réparer. Les fraudes à la carte Vitale sont en effet plurielles. L'usage de la même carte par plusieurs bénéficiaires des prestations maladie n'est pas acceptable dans un contexte de tension des finances publiques. Et différents travaux parlementaires ont mis en lumière le phénomène inverse, tout aussi générateur de fraude : le nombre de cartes Vitale en activité excède de plusieurs millions le nombre de bénéficiaires couverts par les caisses de sécurité sociale. Sur ces deux dernières années, les estimations du nombre de cartes surnuméraires ont connu pas moins de cinq approximations différentes, ainsi que Patrick Hetzel l'a rappelé en commission, dont deux issues de la même source, à savoir la direction de la sécurité sociale. Les chiffres vont de 609 000 à 2,5 millions de cartes surnuméraires en circulation. Si les derniers chiffrages se resserrent autour du million de cartes en trop, cette méconnaissance ne peut qu'inquiéter quant au degré de motivation des autorités publiques à endiguer la fraude.

La détention de plusieurs cartes Vitale encore valides permet à une personne de bénéficier indûment de prestations et alimente souvent un trafic de revente, notamment de médicaments.

Dans l'esprit du texte initial, il nous a paru important de conserver le caractère obligatoire de l'enrôlement. Au moment de l'enrôlement, les bénéficiaires seront informés de l'existence d'un traitement de données dédié et des modalités d'exercice des droits d'accès et de rectification prévues par la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Nous restons persuadés que l'outil biométrique doit à terme servir à la stricte identification du bénéficiaire pour tout usage de sa carte afin que soient bel et bien anéantis les risques de fraude en obtention de droits. Un enrôlement total permettra ainsi de mettre un terme au problème persistant des cartes surnuméraires.

Aussi l'encadrement de la durée de validité des cartes Vitale est-il primordial. À l'heure actuelle, la durée de validité de la carte Vitale n'est pas systématiquement coordonnée avec la durée des droits de son porteur. Ainsi, un bénéficiaire peut avoir perdu ses droits alors que sa carte Vitale continue de fonctionner. L'article 1er bis précise donc qu'elle est valable pendant la durée des droits et non tout au long de la vie du bénéficiaire. Cet article s'appliquerait aussi aux cartes Vitale actuelles.

La fraude à la carte Vitale s'explique en grande partie par un dispositif lacunaire de contrôle des droits. En effet, les contrôles menés par l'administration ne sont pas suffisants et les soignants considèrent que ce n'est pas leur rôle. L'adhésion des professionnels de santé est indispensable ; or elle est loin d'être acquise et reste particulièrement difficile à obtenir, pour un contrôle qui ne relève pas de leur exercice professionnel. La Caisse nationale d'assurance maladie a quant à elle renforcé la mobilisation de ses agents pour lutter contre cette tendance forte. Toutefois, les failles du système sont immenses.

Face à ce constat et devant le coût élevé que représente la fraude, et parce que chaque euro fraudé est un euro d'argent public non perçu par l'assurance maladie, il est important d'agir. La fraude à l'assurance maladie perdurera tant que l'authentification ne sera pas sécurisée. Tel est l'objet du texte soumis à notre examen : recourir à la biométrie pour améliorer l'authentification des individus dans le cadre du remboursement des frais de santé. L'expérimentation proposée doit permettre de répondre à ces interrogations.

Ce texte a le mérite d'ouvrir le débat sur une évolution nécessaire de la carte Vitale, un outil qui fut, lors de sa mise en place, un véritable progrès. Je vous invite donc au nom du groupe Les Républicains à voter en faveur de l'instauration de cette carte Vitale biométrique afin de préserver nos finances publiques et notre modèle social.

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