Intervention de Ugo Bernalicis

Séance en hémicycle du mardi 8 décembre 2020 à 15h00
Parquet européen et justice pénale spécialisée — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis :

Certains ont dit que le parquet européen serait en fait un objet juridique non identifié, parce qu'on vient créer un chapitre particulier dans notre droit, parce que notre construction judiciaire actuelle ne correspond pas aux attendus de ce futur parquet européen. On va donner spécifiquement au procureur délégué à la fois les pouvoirs de procureur de la République et de juge d'instruction, et il pourra passer d'un cadre d'enquête à l'autre lorsqu'il le décidera, au vu de l'analyse qu'il fait du dossier.

On nous dit que c'est un modèle d'indépendance. Je retiens tout de même que, cette fois, vous ne trouvez pas étrange qu'on supprime les remontées d'informations et le fait qu'il n'y ait pas de soumission à un procureur général et à une politique pénale. J'insiste sur ce point, sur lequel je reviendrai lorsque nous aborderons la nécessaire réforme du parquet.

Quelle position administrative auront les procureurs européens délégués ? Ils seront en position de détachement. Ce n'est pas une nouveauté : il existe des précédents. Il y a déjà à l'heure actuelle, dans notre droit, des magistrats qui sont en détachement dans des juridictions. Je pense notamment – j'imagine que vous me voyez venir – à Monaco. Qu'est-il arrivé au magistrat qui y était en détachement ? On l'a remercié, parce qu'il n'y a pas d'inamovibilité pour le magistrat en détachement comme il peut y en avoir pour le juge d'instruction ou le magistrat du siège dans notre droit français. Ce texte ne prévoit donc pas de garanties statutaires d'indépendance. Il y a des garanties d'indépendance, mais elles ne sont pas d'ordre statutaire.

J'ai compris que le Parquet européen ne nous prendrait pas beaucoup d'effectifs puisqu'il n'y aura, au début, que quatre procureurs délégués. Il n'empêche que ces quatre postes vont nous manquer pour ce que nous avons besoin de faire dans notre pays. D'ailleurs, qui n'était pas déjà poursuivi et le sera demain par les procureurs délégués européens ? Cette question apporte peut-être des réponses particulières dans d'autres pays européens qui vont adhérer au dispositif, mais s'agissant de la France, l'étude d'impact montre que ce sont des enquêtes déjà confiées à des juridictions qui seront données à un procureur délégué européen. Je rappelle que la conduite de l'enquête et la politique pénale seront du ressort du bureau central des vingt-deux procureurs.

C'est dans ce même texte qu'on vient créer nos histoires de conventions judiciaires d'intérêt public – CJIP– en matière environnementale. Je réaffirme ici notre opposition aux conventions judiciaires d'intérêt public en toutes matières, y compris fiscale. On nous donne comme argument massue, imparable et inévitable, les rentrées d'argent qu'ont permis ces conventions. Je donnerai juste un exemple d'une saisine qui n'a pas été homologuée et dans lequel on est allé au jugement : la procédure concernant UBS. La condamnation en première instance a été de 3,7 milliards, là où le montant de la CJIP n'était même pas de 2 milliards. Dire que la saisine rapporte davantage que le jugement n'est donc pas vrai. Le seul argument que je veux bien entendre est celui de la célérité. Mais s'il est sûr que c'est plus rapide, il n'y a pas de reconnaissance de culpabilité. Ceux qui sont un peu de mauvaise foi diront que comme la justice classique est trop longue, il faut faire des CJIP. D'autres diront que dès lors que les affaires dépassent les frontières, la CJIP, cette méthode transactionnelle, nous permet de nous synchroniser avec les pays anglo-saxons, qui ont ces méthodes traditionnelles. C'est ce qu'on a fait avec Airbus : on s'est partagé le gâteau de l'amende à trois, dans une convention judiciaire d'intérêt public cosignée en même temps dans les trois pays. Je ne dis pas que je suis pour ou contre à ce stade de l'argumentation, mais cela pose des questions de souveraineté.

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