Je me trouve quelque peu dépité et orphelin au moment de prendre la parole sur cet article, car notre groupe souhaitait défendre un amendement qui aurait pu faire date. Il aurait en effet consolidé et précisé, plus qu'il ne l'aurait corrigée, la loi de 2017 relative au droit de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordres. Celle-ci a permis de lever l'obstacle d'extraterritorialité, ce voile juridique qui séparait les sociétés, en conférant aux donneurs d'ordres la responsabilité de leurs actes au sein de leurs sous-traitants et filiales. Cette loi, que beaucoup considèrent comme un jalon historique de l'entreprise de moralisation du capitalisme et de la mondialisation, a subi quelques bégaiements lors de ses premières applications du fait des hésitations de la puissance judiciaire. En tant que législateur et rapporteur de cette loi, je crois pour ma part qu'elle n'était porteuse d'aucune ambiguïté – un avis partagé par de nombreux experts. Il n'en demeure pas moins qu'à l'usage, le doute s'est installé quant à la juridiction compétente.
Sur proposition d'ONG spécialisées qui avaient soutenu cette loi avec beaucoup de force, nous avons eu l'idée, avec le groupe Socialistes et apparentés, ainsi qu'avec Matthieu Orphelin et certains de ses collègues, de conférer aux juridictions spécialisées en matière d'environnement la compétence pour connaître des actions relatives au devoir de vigilance. En commission, le plaidoyer de mon collègue Orphelin a permis d'ouvrir un dialogue de grande qualité dont je vous remercie, monsieur le ministre. Vous nous avez conduits plus loin que là où nous pensions aller. C'est à la fois rare et peut-être paradoxal, mais je tiens à souligner que ce débat fut un grand moment parlementaire de dialogue avec l'exécutif. Il nous a été indiqué qu'une juridiction nationale et spécialisée, quelle qu'elle soit – nous avons évoqué plusieurs tribunaux – , par son expertise et son savoir, pourrait trancher cette question et consolider un élan qui est désormais européen.
En effet, à l'invitation du commissaire européen à la justice, les parlementaires européens instruisent actuellement une directive européenne sur le devoir de vigilance qui fait débat dans le cadre d'un trilogue. Or la France est souvent sollicitée pour son expertise législative en ce domaine. Nous aurions aimé apporter la preuve que l'application de la loi du 27 mars 2017, qui touche aux droits humains et aux écocides, relève définitivement des juridictions civiles et non des tribunaux de commerce – du moins, dans leur acception française.
Nous avons donc déposé un amendement sur le sujet, mais il a été jugé irrecevable. C'est un rendez-vous raté. Après y avoir beaucoup réfléchi, nous sommes pourtant convaincus que la spécialisation des juridictions est la solution. Il n'existe pas de dégât causé à l'environnement qui n'ait de conséquences humaines : tout a partie liée. La science et l'expérience démontrent que droits humains et droits de l'environnement sont liés.
Après ce rendez-vous raté, je voudrais que nous nous engagions, au moins moralement, à saisir tout véhicule législatif qui permettrait à la France de rester pionnière dans ce domaine.