Je considère qu'ils ne polluent pas nos débats mais que ce sont les projections nauséabondes que l'on fait sur eux qui polluent leur vie. Ils sont les premiers concernés par les mesures expéditives. Leur particulière vulnérabilité aurait dû les placer au centre des préoccupations d'un code en direction des enfants. Une note de vos services en date du 5 septembre 2018 indiquait qu'il fallait garantir à ces enfants « la mise en place d'une protection ou d'un statut, rendu indispensable par leur minorité et leur isolement. » Elle observait également que « ces jeunes sont le plus souvent incarcérés sans représentant légal désigné et sans suivi éducatif d'un conseil départemental ni de la PJJ. »
Nous ne pouvons imaginer un code à ce point taiseux sur ces enfants qui échappent très largement à la règle de la personnalisation de la réponse pénale et qui, plus que les autres, sont incarcérés. Ils représentent parfois jusqu'à 50 % des effectifs des prisons pour mineurs, alors qu'ils ne sont que quelques centaines sur le territoire. Une forme de justice d'exception s'applique à ces enfants dont les parcours de vie s'apparentent parfois à ceux des enfants que l'ordonnance de 1945 entendait protéger. On aurait pu penser que, face à l'arrivée d'enfants fuyant des conflits et des situations traumatiques ou faisant l'objet de trafics, la réforme de la justice des mineurs viserait à mieux prendre en compte ce nouveau public vulnérable. Mais c'est le contraire qui se produit. Le nouveau code s'inspire des mesures d'exception s'appliquant hier aux mineurs isolés et demain à tous les enfants. En contradiction avec la définition d'un mineur, les mineurs non accompagnés font l'objet d'une présomption permanente de culpabilité : coupables d'être migrants, suspects de ne pas être de vrais mineurs, suspects de ne pas présenter leur véritable identité.
C'est le même schéma qui se généralise au travers de votre réforme, où vous préférez d'ailleurs toujours le terme de « mineurs » à celui d'« enfants » – de même que, pour les mineurs non accompagnés, la qualité première d'enfant est occultée par la caractéristique juridique. Les MNA n'apparaissent pas dans ce texte, et nous nous demandons s'il faut y voir une étape de plus dans leur invisibilisation ou, au contraire, le point de départ de ce bouleversement des principes de l'ordonnance de 1945.
Le traitement réservé aux plus vulnérables ne reste jamais à la marge : il constitue un signe, une direction porteuse en soi d'une vision de la société et du traitement des individus qui, à terme, finit toujours par concerner l'ensemble des citoyens. La présente motion a donc également pour objet de permettre d'évaluer les effets des nouvelles procédures sur ces enfants.
L'évaluation que nous vous proposons, comme celles que j'ai citées précédemment, ne peut se faire qu'à l'aune des moyens accordés à la justice des enfants. Là encore, tous les professionnels semblent être unanimes : les mesures les plus orientées vers l'éducatif ne pourront s'appliquer, faute de moyens. Il y a tout juste un an, le défenseur des droits de l'époque, Jacques Toubon, nous alertait en soulignant qu'une telle réforme ne répondrait aux besoins identifiés que si elle s'accompagnait de moyens humains et budgétaires à la hauteur de ces enjeux – ce que nous ne retrouvons pas dans ce texte.
De son côté, la professeure de droit Christine Lazerges précisait que la mise en oeuvre d'une réforme suppose une accélération magistrale des moyens donnés à la justice des mineurs – allez-vous prétendre, mes chers collègues, que c'est le cas de ce texte ? – et affirmait : « il ne faut jamais oublier que l'on ne peut pas attendre de la loi ce qu'elle ne peut pas produire. S'agissant de la justice pénale des mineurs, il faut garder à l'esprit sa pauvreté, en d'autres termes la lourde insuffisance de ses moyens dont aussi bien ses acteurs que les experts ou la presse ne cessent de se faire l'écho. »
C'est pourquoi 120 associations et personnalités, et non des moindres, exhortent le Parlement à exiger que soient déployés des moyens éducatifs permettant qu'un éducateur ne se voie pas confier plus de vingt-cinq jeunes : au-delà, il risque de ne pouvoir en suivre aucun comme il se doit. Ils insistent aussi pour différer l'application de cette réforme procédurale chronophage alors que les juridictions sont exsangues du fait de la pandémie.
Vous l'aurez compris, pour nous ce texte est un renoncement, qui se cale sur le pire et raisonne par la peur. Alors, chers collègues, ne vous dissimulez pas derrière une urgence qui n'est nullement démontrée, et reportez la discussion de ce texte décisif pour des générations d'enfants. Ce texte ne présente pas les garde-fous nécessaires pour garantir la spécificité de la justice des mineurs et pour nous prémunir d'un basculement massif vers le seul registre répressif.
Nous sommes riches de nos enfants, accordons-nous le temps et l'expertise nécessaires à un vote en toute connaissance de cause.