Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Séance en hémicycle du jeudi 10 décembre 2020 à 9h00
Justice pénale des mineurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva :

D'autant plus qu'aujourd'hui, si on est beaucoup moins victime de violences physiques, on est en revanche beaucoup plus exposé à la violence que par le passé, ce qui peut notamment s'expliquer par le rôle des médias et des réseaux sociaux. S'il nous semble donc nécessaire de déconstruire ce discours alarmiste, c'est aussi pour éviter d'accabler de tous nos maux notre jeunesse. Faire preuve de pédagogie, de compréhension, et essayer de juger les enfants pour ce qu'ils sont, des enfants justement, dans un contexte certes évolutif : voilà l'intérêt de la justice pénale des mineurs du XXIe siècle. Pointer du doigt et réprimer sans volonté de contextualiser et d'éduquer ne fera jamais bonne justice.

Si l'ordonnance de 1945 touchant à la justice des mineurs a pu traverser le temps comme elle l'a fait, c'est parce qu'elle a su poser un principe fondateur : celui de la primauté de l'éducatif dans la réponse pénale à la délinquance des enfants. Il s'agit donc avant tout du regard que l'on pose sur elle et sur l'évolution de la société qui nous amène aujourd'hui à vouloir réviser cette ordonnance dans une logique différente, adaptée à notre environnement actuel.

L'enfance d'aujourd'hui est-elle plus en danger que l'enfance d'hier ? Très certainement, compte tenu des menaces qui pèsent sur elle au travers des développements de phénomènes mentionnés précédemment et que bien des parents ont des difficultés à appréhender. Toutefois, gardons toujours à l'esprit que victimes et auteurs se retrouvent souvent chez les mêmes individus, pour peu que l'héritage social pèse très tôt sur eux. Victimes et auteurs en même temps, parce que, du fait de l'âge, ces enfants ne peuvent pleinement appréhender les rouages dans lesquels ils s'embarquent et le mal qu'ils peuvent causer à la société. C'est ainsi qu'ils peuvent se retrouver malgré eux dans une logique de violence et devoir être complices d'un acte délictueux sans en prendre pour autant pleinement la mesure.

C'est donc en amont du passage à l'acte que tout se joue. La primauté de l'éducatif est essentielle ; elle soulève la question du sens que l'on donne à la sanction éducative et de la prise de conscience des actes commis afin de ne plus les commettre. Le répressif seul ne réglera jamais rien pour les enfants et les adolescents en conflit avec la loi. Ils ne peuvent prendre conscience de leurs actes que si nous les éduquons par le biais des sanctions éducatives qui sont en soi déjà une contrainte pour eux.

La France dispose d'un arsenal répressif des plus importants d'Europe. En 2018, 92,8 % des affaires poursuivables impliquant au moins un mineur ont fait l'objet de poursuites ou de procédures alternatives aux poursuites. L'augmentation du taux de réponse pénale est également accompagnée d'une plus grande sévérité des décisions. Ainsi, le nombre de mineurs placés en détention provisoire a augmenté de 39 % entre le 1er janvier 2015 et le 1er janvier 2019. Aujourd'hui, près de la moitié des sanctions prononcées à l'égard des mineurs sont des peines – travail d'intérêt général, emprisonnement avec ou sans sursis – alors qu'au regard des principes internationaux de la justice des mineurs, les mesures éducatives devraient être majoritaires. En France, des peines de prison peuvent être prononcées dès l'âge de 13 ans. Hormis la Grande-Bretagne, la France est le seul pays qui incarcère le plus les mineurs.

Par ailleurs, l'âge de la responsabilité pénale, autrement dit l'âge en dessous duquel un mineur ne peut être pénalement poursuivi, quoi qu'il ait fait, n'est pas fixé en France. La référence a toujours été le critère de discernement, librement apprécié par les parquets, puis par les juges pour mineurs. C'est ainsi que des enfants de 10 ou 11 ans peuvent faire l'objet de poursuites pénales. Un juge sera saisi et un procès organisé même si, quels que soient les faits commis, seules des mesures éducatives peuvent lui être appliquées.

Cette réforme prévoit de fixer ce seuil de responsabilité pénale à l'âge de 13 ans, ce que nous saluons comme un progrès, tout en regrettant que le juge puisse y déroger. Pour notre groupe Libertés et territoires, la présomption d'irresponsabilité devra être irréfragable en vue de sa pleine effectivité. Nous proposerons, par ailleurs, plusieurs mesures par amendements, dont celle de porter de 10 à 13 ans l'âge à partir duquel peuvent être prononcées les mesures éducatives qui sont de véritables sanctions. Nous demanderons également la suppression de l'article du code qui permet d'exclure l'accusé mineur du bénéfice de l'excuse de minorité, mais également de prévoir que l'âge du mineur à prendre en compte lors de la procédure préalable au jugement est l'âge au moment des faits plutôt que l'âge au jour de la mesure dont il fait objet.

Nous souhaitons également interdire toute possibilité de retenue, à savoir toute mesure de privation de liberté en vue d'une interrogation par la police ou la gendarmerie sous la contrainte d'un enfant de moins de 13 ans, alors que le code l'autorise pour les enfants à partir de 10 ans. Dans la même veine, nous proposerons de limiter la durée de la détention provisoire du mineur, de supprimer les possibilités trop larges de prolongation des gardes à vue et d'éviter le plus possible de renvoyer des enfants devant des cours d'assises. En somme, nous nous opposerons à tout ce qui rapprochera la justice des enfants de la justice des adultes.

Posons-nous la question : faut-il une justice des adultes pour juger des enfants qui se retrouvent malgré eux en conflit avec la loi ? On peut, en effet, regretter l'alignement des mesures et des sanctions qui, mises sur le même plan, traduisent une forte porosité de la frontière entre la justice des mineurs et la justice des majeurs. Que la loi se pose face à des actes délictuels, parfois criminels, est nécessaire mais dans un cadre qui puisse être entendu et compris par ces enfants et ces adolescents.

Les références constantes qui sont faites dans ce texte au code pénal et au code de procédure pénale sont préoccupantes. Un code autonome de l'enfance, réunissant les dispositions de l'enfance en danger et de l'enfance en conflit avec la loi, aurait été évidemment préférable.

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