mais simplement qu'elle est très différente et qu'elle s'exprime et vit dans une époque qui ne ressemble à aucune autre. On peut évoquer sans doute un rajeunissement de ces mineurs délinquants et des formes de délinquance nouvelles : notre réponse pénale doit s'adapter à la réalité contemporaine.
Plus précisément, qui sont les enfants qui enfreignent la loi ? Je les ai souvent rencontrés dans ma vie d'avocate et je dois dire que, si tous ont le point commun d'avoir, malgré leur très jeune âge, beaucoup vécu, chacune de leurs histoires est singulière. Il y a ceux qui sont interpellés pour des actes isolés, et dont le passage devant un policier ou un magistrat suffira à stopper net la dérive. Il y a l'adolescent en rupture familiale et scolaire, celui qui fugue le soir, s'en va siphonner de l'essence pour faire des tours en scooter sans casque avant d'aller fumer un peu de cannabis, et auquel ses parents ne parviennent plus à imposer la moindre autorité. Et puis il y a ceux qui se sont inscrits dans un parcours de délinquance, souvent très jeunes, pris notamment dans l'engrenage du trafic de stupéfiants : à 11 ans, guetteurs ; à 14 ans, vendeurs – « charbonneurs » – , pour un avenir des plus incertains, mus par l'appât du gain, la quête d'une reconnaissance ou celle d'un cadre dont ils manquent par ailleurs. Ce qui heurte le plus, c'est que certains s'ancrent dans une forme de nihilisme qui consiste à vivre d'heure en heure, de jour en jour, sans le moindre sens donné à leur existence. Ils intègrent comme une sorte de fatalité le fait qu'ils risquent la prison ou même la mort.
Permettez-moi de partager avec vous un extrait du livre Les Minots, du journaliste marseillais Romain Capdepon, que je vous invite à lire. Il décrit le parcours d'un jeune trafiquant du 14e arrondissement de Marseille, son entrée dans le trafic, banale : « Il traînait dans une cité du 14e. Le réseau fonctionnait sous son nez et l'un de ses amis, âgé de 16 ans, en faisait partie. Yaya aimait se caler avec lui, passer le temps, s'embrumer l'esprit en enchaînant les joints. Et puis, un jour, le gérant a eu besoin d'un guetteur. Yaya avait à peine 13 ans. Le lendemain, le vendeur s'était fait porter pâle. Il enfilait une sacoche pleine de 250 grammes de cannabis. Valeur : 1 500 euros. Yaya, déscolarisé depuis un an, a été aspiré par le Réseau en seulement deux jours. »
Derrière ces actes délictueux ou criminels se trouvent souvent des parcours familiaux et personnels difficiles. Approximativement, deux mineurs sur trois placés en centre éducatif fermé ont été suivis par les services de la protection de l'enfance. Cela n'excuse pas le passage à l'acte, mais permet de comprendre et de travailler pour éviter la réitération. En outre, selon un rapport du Sénat de 2003, un adolescent sur cinq souffrirait de troubles mentaux.
C'est donc à cette diversité de faits, de parcours et de personnalités qu'il faut pouvoir répondre, dans l'intérêt du mineur, mais également dans celui de la société. Pour apporter une réponse, gardons-nous des propositions simplistes et des raisonnements manichéens, dans un sens comme dans l'autre, qui ont sans doute la vertu de contenter une part de l'opinion, mais qui, en réalité, ne résolvent absolument rien. Pour lutter contre la délinquance des mineurs, il nous faut composer avec ce que nous avons.
Nous avons tout d'abord notre héritage de principes qui constituent le socle de l'ordonnance de 1945 : la primauté de l'éducatif sur le répressif, la spécialisation des juridictions pour mineurs et l'atténuation de leur responsabilité pénale ; à cela s'ajoute l'intérêt supérieur de l'enfant, principe protégé par la convention de New-York.
Nous avons ensuite notre conviction qu'il faut concilier l'exigence d'une réponse pénale prompte et certaine et la réponse éducative. Je crois que ce serait un tort de penser que la sanction est contraire à l'éducation : ces deux notions sont complémentaires.
Pour ce faire, nous devons disposer d'une procédure plus lisible, ce que ne permet plus la célèbre ordonnance de 1945. Ce texte, élaboré après la seconde guerre mondiale par le gouvernement du général de Gaulle, est un symbole de progrès dans l'histoire de la justice française. Toutefois, et je crois que nous sommes tous d'accord là-dessus, cette ordonnance, réformée une quarantaine de fois, a perdu sa lisibilité et une partie de sa cohérence.
De nombreux travaux, à l'initiative des gouvernements qui se sont succédé, de gauche comme de droite, ont alimenté la réflexion pour construire une réforme, sans pour autant aller jusqu'au bout de cette entreprise. La représentation nationale a également largement contribué à cette réflexion. Permettez-moi de saluer le travail de nos collègues Cécile Untermaier et Jean Terlier mais également le rapport du sénateur Amiel relatif à la réinsertion des mineurs enfermés.
Nicole Belloubet a eu le courage de proposer en 2019 la consécration d'un code de la justice pénale des mineurs. Elle a mené une très large concertation et créé un groupe de contact en invitant des parlementaires des différentes formations politiques pour concourir à ce travail de construction. Ce projet de code est donc un aboutissement, qui a été enrichi lors des débats en commission des lois, il est important de le souligner. Ses objectifs sont de donner plus de sens à la réponse pénale judiciaire, de rendre plus lisible la procédure, de placer l'éducatif en son coeur et de mieux prendre en compte les victimes. C'est un projet de code de la justice pénale des mineurs qui redonne du sens, donc.
Comme le rappelait le pédopsychiatre Jean Chambry, une réponse pénale doit intervenir rapidement, dans la temporalité de la vie psychique de l'adolescent, ancré dans l'instant présent. Personne ne peut se satisfaire du délai actuel moyen, qui est de dix-huit mois. La nouvelle procédure concilie donc le temps de la réponse pénale et le temps éducatif, qui répondent, c'est vrai, à des temporalités différentes.
La procédure de principe est la mise à l'épreuve éducative, en plusieurs temps. Une première audience permet de statuer sur l'innocence ou la culpabilité du mineur ; elle permet aussi de statuer sur les demandes des victimes. Puis vient un temps de suivi éducatif, de six à neuf mois, qui permet d'évaluer le jeune et de l'impliquer dans un parcours éducatif. Il est plus facile d'effectuer un suivi éducatif une fois que la culpabilité est reconnue par la justice parce que dans la pratique, avant cette décision, il peut être délicat de concilier les droits de la défense, notamment la présomption d'innocence, qui permet de contester les faits, et un travail éducatif qui implique en général la reconnaissance des faits. Enfin a lieu une dernière audience sur la sanction qui sera spécifiquement adaptée aux mineurs et qui permettra aussi de pérenniser les mesures éducatives.
Le souci de redonner du sens amène ensuite à restreindre le recours à la détention provisoire. Quatre-vingt-quatre pour cent des mineurs incarcérés le sont à titre provisoire, alors même qu'ils n'ont pas été reconnus coupables. Dans de nombreux cas, ils auront déjà effectué leur peine avant d'avoir été jugés. Cet état de fait va à rebours des intérêts du mineur et de la société, car la peine perd de sa signification. C'est la raison pour laquelle la détention provisoire sera mieux encadrée.
Ce projet de code prévoit également une procédure plus lisible et cohérente. Une de ses innovations est l'insertion d'une présomption simple de non-discernement avant 13 ans : cela va clarifier le débat. Il s'agit d'une solution d'équilibre, permettant à la fois de nous conformer à nos engagements internationaux et d'éviter les effets couperet. En pratique la question du discernement du mineur est rarement abordée. Si ce projet est adopté, le mineur de moins de 13 ans sera présumé non discernant sauf si le procureur démontre le contraire, et inversement après 13 ans.
Ce projet de code place l'éducatif au coeur de la procédure. Il prévoit une mesure éducative judiciaire unique que le juge pourra prononcer et adapter, seule ou en complément d'une peine. Il disposera pour cela de toute une gamme de modules qu'il pourra assortir en fonction des spécificités du mineur et des faits : un module réparation, un travail d'intérêt général ou un module santé par exemple. Pour garantir le suivi éducatif le projet entend également donner aux parents ou autres responsables légaux toute leur place dans le processus.
Ce projet donne aussi une véritable place aux victimes, et c'est important. Le parcours des victimes, dont certaines sont parfois des mineurs, il ne faut pas l'oublier, est décrit souvent, et à juste titre, comme un parcours du combattant. Il faut donc leur permettre d'obtenir une décision qui statue sur la culpabilité et sur les intérêts civils dans un délai raisonnable, entre dix jours et trois mois.
Ce projet de code de la justice pénale des mineurs pose enfin, et c'est important, les premiers jalons, en tout cas je l'espère, d'un futur code de la justice des mineurs. Un travail de fond a été fait et je dois dire, en tant que praticienne, qu'il y avait urgence à réformer cette ordonnance de 1945.
Je finirai par les mots de Robert Badinter, votre illustre prédécesseur, monsieur le ministre, qui expliquent parfaitement la philosophie de la justice pénale des mineurs et qui, à mon sens, doivent faire écho aujourd'hui : « Un mineur, c'est un être en devenir. [… ] Il faut absolument conserver la philosophie de l'ordonnance de 1945, d'abord et toujours éduquer, former, prévenir. L'objectif premier de la justice des mineurs, c'est de les intégrer ou de les réinsérer dans la société. »