La pauvreté n'est pas seulement un phénomène monétaire. Bien sûr cela correspond à un manque de revenus. Mais c'est aussi un phénomène humain, de société. On n'est pas le même quand on vit sans pouvoir manger ni nourrir ses enfants, sans pouvoir se laver, comme c'est le cas dans certains secteurs de la bonne ville de Marseille. On n'est pas le même quand on a froid parce qu'on ne peut pas se chauffer, quand on n'a pas d'électricité pour s'éclairer. Non, on n'est pas le même. Une enfance est ratée, une jeunesse est ratée, une vie est gâchée.
Et que fait-on alors ? On prend place dans une société, la seule qui vous accepte, celle qui est entièrement détruite et qui vous prend dans ses réseaux d'économie parallèle, d'arrangements, de combines de toutes sortes. On ne peut pas jeter la pierre à ceux qui ont trouvé par ce moyen-là une façon de survivre alors qu'ils auraient voulu vivre autrement, vivre dignement, vivre de revenus normaux liés à leur participation à la vie de la société.
On compte 300 000 sans-abri, 4 millions de mal logés, 8 millions de personnes qui ont recours à l'aide alimentaire, 600 000 qui subissent des coupures de gaz et d'électricité pour impayés, et 2 millions de personnes auxquelles on coupe l'eau, une pratique pourtant illégale à laquelle ont recours les compagnies tout en distribuant des gouttelettes pour pouvoir prétendre que le flux continue.
La pauvreté n'est pas le fléau des pauvres mais de toute la société car on ne vit pas innocemment dans une société qui vous place dans un océan de pauvreté. Personne ne peut y vivre autrement que barricadé, en s'éduquant et en éduquant ses enfants à l'indifférence aux autres.
Quand, face à un sans-logis qui gît à terre, votre gamin vous demande ce que l'on peut faire, puisque vous lui avez dit qu'il fallait aider, lui répondez-vous que l'on ne peut rien faire ? Comme je suis content de ne pas avoir à m'occuper de petits enfants à la maison ! Voilà la société qui est en train de se constituer sous nos yeux.
Le lien entre la pauvreté et la propagation du virus, la ville de Marseille vous en parlerait bien mieux que d'autres si elle se référait à son histoire profonde. En effet, le souvenir de la grande peste de 1720 et du Grand-Saint-Antoine est encore là. La moitié de la population a péri parce qu'elle était hors d'état de se protéger. Encore aujourd'hui, c'est au sein de cette pauvreté que, plus qu'ailleurs, le virus va circuler.
Il est temps d'agir. Vite, vite ! Sur 100 milliards d'aide, 800 millions sont alloués à l'entraide. Or il faudrait tout changer, en particulier les critères permettant de se voir attribuer un revenu. Ces 800 millions ne suffisent pas. Je m'arrête là pour ne pas trop dramatiser le tableau.
Monsieur le ministre, vous et moi avons été habitués à connaître des mouvements sociaux structurés et organisés. Cette fois, personne ne peut savoir ce qui se passera quand des dizaines de milliers de commerçants, d'artisans et de restaurateurs se retrouveront au pied du mur de la mort sociale qui leur est promise par la recrudescence du covid-19 et des fermetures d'établissements – je ne discute pas de leur principe.