Ce soir, c'est de pauvreté et de misère dont nous voulons parler. Pauvreté et misère, deux mots qui nous font peur, que nous hésitons souvent à prononcer, comme pour éviter de faire face à une terrible réalité. Nous sommes en 2021 et plus de 10 millions de nos concitoyens vivent désormais en dessous du seuil de pauvreté tandis que 8 millions ont désormais recours à l'aide alimentaire pour survivre et se nourrir. Nous sommes en 2021 et toutes les associations d'aide aux plus démunis nous alertent sur une explosion de leurs bénéficiaires, et ce sont désormais des publics nouveaux qui poussent les portes de ces associations. Ce sont les invisibles de nos économies modernes : les travailleurs indépendants, sans patrimoine, qui ont baissé le rideau depuis plusieurs mois ; les travailleuses qui faisaient le ménage dans trois ou quatre entreprises différentes ; des étudiants qui ont perdu leurs petits boulots. Ce sont nos nouveaux pauvres.
Mesdames et messieurs les députés, nous sommes en 2021 et les travailleurs pauvres n'ont jamais été aussi nombreux. Travailleur et pauvre : deux mots qui, associés l'un à l'autre, disent tout de l'insupportable injustice qui frappe plusieurs millions de nos concitoyens. Le travail permet le salaire, lequel doit permettre la dignité. Sombrer dans la pauvreté alors même que l'on travaille ou que l'on veut travailler, voilà la terrible anomalie qui dit tout de l'insupportable de notre époque.
Ce sont désormais les femmes, les enfants, qui sont les nouvelles victimes d'une crise dont nous ne connaissons aujourd'hui que les premières secousses. Parmi les besoins qui explosent, figurent désormais les produits d'hygiène féminine et infantile. Peut-être nous faut-il être plus clair : nous sommes en 2021, et des femmes manquent de couches pour leur bébé et de serviettes hygiéniques pour elles-mêmes. La misère de 2021 n'est certes plus celle des années 1800 ou 1900, mais elle existe encore. Elle n'a plus le visage de cette femme et de son bébé, morts de froid dans les rues de Paris, au coeur de l'hiver 1954. Elle ne porte plus la colère héroïque de l'abbé Pierre, et la misère de notre siècle n'a plus l'odeur pestilentielle de la décharge de Montfaucon que mentionnait le député Hugo à cette tribune dans l'un de ses plus grands discours.
Mais la misère est là et la pauvreté explose. Les rallonges budgétaires et les ajustements sont si faibles face à l'immense gravité de la situation. Lorsqu'un pays compte 10 millions de pauvres, il lui est interdit de dormir paisiblement. Il vous est interdit, mesdames et messieurs les députés de la majorité, de vous autoféliciter.
Les mesures actuelles ne permettent déjà plus de contenir l'explosion de la pauvreté ; on ne lutte pas contre un tsunami avec un empilement de sacs de sable. Aurions-nous abandonné l'idée même d'éradiquer la misère ? Éradiquer la pauvreté ne se nourrit pas d'effets de communication. Cette lutte acharnée se nourrit d'actes, et d'actes forts, comme une ardente exigence morale et démocratique, jusqu'au terme du combat.