Intervention de Vincent Ledoux

Séance en hémicycle du mercredi 13 janvier 2021 à 15h00
Délais de paiement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVincent Ledoux :

Merci au groupe Dem d'avoir inscrit à l'ordre du jour la question essentielle dont nous avons à traiter aujourd'hui : l'augmentation des délais de paiement, aggravée par la crise actuelle.

Malgré les mesures d'accompagnement de l'État, tous les acteurs économiques, notamment les tribunaux de commerce et les conseils de prud'hommes, évoquent, en cette période de rentrée propice aux échanges de voeux, le scénario macabre des retards de paiement et de l'assèchement progressif de la trésorerie, qui entraînent la cessation de paiement puis, hélas, la fermeture définitive. Les plus fragiles ne sont pas les grands groupes, capables de faire le gros dos face aux vents mauvais, mais plutôt le tissu des petites et moyennes entreprises.

On me signale des retards de paiement de 18,6 jours en moyenne, ce qui signifie que le paiement intervient 48 jours après la prestation, soit une semaine supplémentaire par rapport à 2019. C'est une véritable déflagration, qui met en danger la santé de nos PME et pèse sur leur espérance de vie : l'observatoire des délais de paiement de la Banque de France considère, dans son rapport de 2019, que les risques de défaillance augmentent de plus de 40 % en cas de dépassement significativement élevé. Ces retards de paiement, ce sont aussi des sommes d'argent qui font défaut au moment où nous devons réinventer et relancer l'activité avec un modèle économique adapté.

S'ils s'expliquent dans de nombreux cas par l'incapacité réelle dans laquelle se trouve le client d'honorer ses factures, ils résultent aussi parfois d'une volonté délibérée de se constituer des réserves, c'est-à-dire une trésorerie de précaution, sur le dos des petits fournisseurs. Ce « syndrome du stock de pâtes », comme on dit, est tout le contraire de la nécessaire solidarité économique qui devrait pourtant prévaloir en ces rudes temps de crise. À côté de leurs plans de continuité de la production, les grandes entreprises seraient donc inspirées de déployer des plans de continuité de paiement ; c'est une question de morale économique et de civisme patriotique. Certes, les PGE et les prêts participatifs ont joué leur rôle d'amortisseurs, mais le virus est toujours là, si j'ose cette métaphore.

Le délai de paiement consenti par les entreprises à leurs clients dans une perspective circulaire est un pilier de notre économie. C'est pourquoi l'État a choisi d'avoir recours au name and shame, pratique certes moins violente que le pilori médiéval, qui consiste à afficher sur le site de la DGCCRF – direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – le nom des entreprises qui payent son retard, ces dernières devant également, depuis la loi PACTE, publier à leurs frais la sanction dans la presse locale et nationale.

Cela reste toutefois insuffisant. Il faut passer un cran au-dessus, avec des mesures fortes, comme la création d'une agence de notation des délais de paiement, qui, sur le modèle des agences de notation classiques, attribuerait à chaque entreprise, après avoir évalué le risque de non-remboursement, une note publique fonction de la rapidité avec laquelle elle règle ses factures. Cette agence présenterait l'avantage d'assurer en amont une plus grande transparence sur les pratiques des entreprises qui, bien que solvables, ne respectent pas les délais de paiement, en compliquant leur accès au crédit. À l'inverse, cela valoriserait la réputation et l'image de celles qui jouent le jeu de la RSE – responsabilité sociale des entreprises. Cette agence semble recueillir l'assentiment du Gouvernement dans son agenda post-covid.

Néanmoins, ne nous leurrons pas : toutes les solutions ne sont pas entre nos mains ni même dans celles de l'État ; c'est aussi aux entreprises et aux acteurs d'agir. À l'époque où je n'étais que le modeste maire de Roncq, j'étais ainsi parvenu à faire chuter de quarante-cinq à vingt jours les délais de paiement de la mairie, en challengeant mes équipes et en ayant recours à des outils digitaux dédiés permettant de fluidifier le processus de facturation.

En France, on estime à cinquante-neuf jours le délai moyen nécessaire pour convertir en trésorerie une facture émise, contre cinquante et un jours en moyenne en Europe. Le temps de traitement administratif est en moyenne de deux semaines, sachant que le développement du télétravail a largement perturbé les processus de recouvrement des factures dans les environnements les moins optimisés.

La crise actuelle oblige donc les directions financières des entreprises non seulement à faire « performer » leurs équipes mais aussi à faire émerger une culture de la trésorerie : chaque acteur de la chaîne de valeur, de la réception de la commande au bon de paiement de la facture, doit prendre la mesure de l'impact de la privation de trésorerie et agir à son niveau pour réduire les délais de paiement. L'État dispose d'un certain nombre de leviers pour aider les entreprises mais rien ne se fera sans cette culture de la trésorerie qu'il convient de faire émerger.

En conclusion, s'il faut donc que l'État agisse plus et mieux pour juguler le fléau des délais de paiement et sanctionner autant que de besoin, chaque entreprise doit s'imprégner de la culture du cash pour se donner ses propres moyens d'agir ; c'est une question de volonté collective et de digitalisation, une véritable transition culturelle que l'État se doit d'accompagner massivement.

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