La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
L'ordre du jour appelle la prestation de serment devant l'Assemblée nationale d'un juge titulaire et de deux juges suppléants de la Cour de justice de la République.
Aux termes de l'article 2 de la loi organique sur la Cour de justice de la République, les juges parlementaires « jurent et promettent de bien et fidèlement remplir leurs fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes et de se conduire en tout comme dignes et loyaux magistrats ».
Je prie MM. les juges de bien vouloir se lever à l'appel de leur nom et, levant la main droite, de répondre par les mots : « Je le jure ».
J'appelle M. Didier Paris, juge titulaire.
M. Didier Paris se lève et lève la main droite.
M. François Jolivet se lève et lève la main droite.
M. Jean-Michel Mis se lève et lève la main droite.
Acte est donc donné par l'Assemblée nationale des serments qui viennent d'être prêtés devant elle.
L'ordre du jour appelle le débat sur l'allongement des délais de paiement et les mesures pour y remédier en temps de crise.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes puis le Gouvernement ; nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
La parole est à Mme Marguerite Deprez-Audebert.
Le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés a souhaité inscrire à l'ordre du jour, lors de la semaine de contrôle de l'Assemblée nationale, un débat sur l'allongement des délais de paiement et les mesures pour y remédier en temps de crise, tant ils ont de multiples incidences sur le financement et la trésorerie des PME et TPE.
La trésorerie, chacun le sait, est le nerf de la guerre pour toute entreprise. La gestion de celle-ci est donc cruciale. Ce qui a été perçu pendant longtemps comme un certain laisser-aller en France dans le règlement des factures, mais qui était en réalité plutôt une volonté d'accroître la trésorerie en allongeant les délais de règlement, a finalement débouché sur de réelles difficultés pour les fournisseurs. Les conditions d'achat des plus gros donneurs d'ordres prévalaient en effet souvent sur les conditions de vente des plus petites sociétés ou des sous-traitants.
C'est la raison pour laquelle la loi de modernisation de l'économie, dite « loi LME », a instauré un délai de règlement plafonné à soixante jours pour les transactions entre entreprises. Les délais moyens de paiement ont alors baissé : le délai client est ainsi tombé de cinquante et un à quarante-quatre jours, et le délai fournisseur de soixante-deux à cinquante et un jours.
Toutefois, si la situation s'est améliorée juste après l'application de la loi, elle s'est malheureusement de nouveau dégradée ensuite, parfois très fortement, les délais passant à une centaine de jours pour certaines PME, avec pour conséquence la fragilisation du tissu de PME et même le dépôt de bilan de nombreuses entreprises initialement en bonne santé mais obligées de mettre la clé sous la porte en raison d'un manque de trésorerie.
Une analyse des retards de paiement des entreprises en Europe nous permet de constater une grande disparité de situations entre nos voisins. Sur la période allant de 2017 à 2019, le délai s'établit à environ treize jours en moyenne dans les pays de l'Union européenne, mais à seulement sept jours en Allemagne, contre vingt-cinq au Portugal. Précisons également que, dans la directive européenne du 16 février 2011, la règle est de trente jours dans le silence du contrat, alors que le délai est de soixante en France.
Signe que la situation est particulièrement compliquée pour nos entreprises, la charge du crédit interentreprises s'élevait à onze jours de chiffre d'affaires en moyenne en 2018. Le solde du crédit interentreprises constitue un indicateur significatif de la solidité et de la santé des entreprises : exprimé en jours de chiffre d'affaires, il reflète leur situation, prêteuse ou emprunteuse, vis-à-vis de leurs partenaires commerciaux. Lorsqu'il est positif, l'entreprise finance ses partenaires par le biais du crédit interentreprises ; dans le cas inverse, ses partenaires la financent. Or, si ce ratio a globalement baissé jusqu'en 2019, il présente toutefois des disparités en fonction de la taille des entreprises et des secteurs d'activité.
Le secteur du conseil aux entreprises, par exemple, souffre de délais clients très élevés, de soixante-quinze jours, alors que les fournisseurs doivent être payés plus rapidement, si bien que le solde de crédit interentreprises y est de quarante-cinq jours de chiffre d'affaires en moyenne. De même, les imprimeurs de magazine doivent régler leurs fournisseurs papier comptant dans les trente jours, alors qu'ils ne sont payés par leurs clients éditeurs que lorsque ceux-ci sont eux-mêmes payés par les messageries de distribution, parfois à cent-vingt jours.
Ce contexte général récent étant rappelé, j'en viens à l'objet du débat : l'impact de la crise sanitaire sur les délais de paiement des entreprises françaises.
Depuis le mois de mars, plusieurs alertes sont remontées au ministère de l'économie, des finances et de la relance sur la tendance de certaines grandes entreprises à se constituer une trésorerie de précaution, sur le dos de leurs petits fournisseurs, en allongeant les délais de paiement. Cette démarche de stock est compréhensible lorsque l'on sait qu'un quart des entreprises pourrait connaître une crise de trésorerie l'année prochaine. La situation sera alors d'autant plus critique qu'il faudra commencer à rembourser les emprunts, dont les PGE – prêts garantis par l'État – , et à payer les décalages de charges.
Bien que nous puissions en comprendre les motivations, il s'agit toutefois d'attitudes dangereuses qui fragilisent tout le tissu économique. Permettez-moi d'ailleurs de saluer le rôle des quatre-vingts médiateurs, dont de nombreux bénévoles, qui ont répondu aux très nombreuses sollicitations des petites et moyennes entreprises en difficulté. Ils ont procédé à plus de 5 000 interventions en 2020, contre 500 en 2019.
En raison de la détérioration de la trésorerie des entreprises due à la crise et du blocage délibéré des factures par les grandes entreprises, les retards de paiement en France ont augmenté, pour atteindre treize jours, avec un record de dix-huit jours en moyenne pour les PME et TPE, soit seize jours de plus que l'année précédente, alors que ces entreprises sont évidemment les plus fragiles, de par leur taille et la faiblesse de leur capitalisation.
L'ensemble du système des flux entre les entreprises s'est ainsi ralenti. Tout comportement de paiement non exemplaire a des conséquences en chaîne que l'on connaît : le ruissellement effréné, jusqu'au tarissement.
L'enjeu principal est donc la confiance. À l'instar de la précédente crise financière, lors de laquelle les banques refusaient de se prêter entre elles par crainte de ne pas être remboursées, les entreprises utilisent désormais leurs paiements pour se constituer une réserve destinée à pallier leur absence de confiance en l'avenir.
Au nom de mon groupe, j'appelle l'État à incarner un rôle de créateur de confiance. D'ailleurs, le Gouvernement a d'ores et déjà engagé plusieurs actions.
Je pense par exemple à la création d'un système de notation des délais de paiement des entreprises, calqué sur le modèle des agences de notation financière.
Rappelons également les dispositions votées dans les dernières lois de finances.
D'une part, les entreprises ont été obligées à dématérialiser l'ensemble de leurs factures à l'horizon 2025. Il devrait en résulter un gain de temps de traitement, donc mécaniquement un paiement plus rapide.
D'autre part, l'État a été autorisé à octroyer sa garantie à des créances professionnelles et donc à créer un soutien à la trésorerie immédiate. Le versement de trésorerie à une entreprise sera ainsi anticipé, avant même l'émission de la facture. Cette mesure a elle aussi pour objectif de renforcer la confiance entre entreprises et de soutenir la reprise, pour un coût relativement faible pour l'État.
Signalons enfin la généralisation de l'outil Chorus Pro, destiné à dynamiser le traitement des factures, depuis le 1er janvier. Il s'agit là d'une heureuse initiative instaurant un point d'entrée unique et gratuit de réception et de transmission des factures.
Espérons que, grâce à ces initiatives, nous ne serons pas contraints à déplafonner le montant des amendes en cas de récidive, comme le propose la CPME – Confédération des petites et moyennes entreprises.
Rappelons également que la commande publique joue un rôle important dans cette période critique. La réduction des délais de paiement de l'État a été définie très tôt comme une priorité, ce qui a résulté en une baisse du délai de paiement de quarante-cinq à dix-neuf jours pour l'ensemble de la commande publique, preuve s'il en est que les actions menées et la volonté politique dont elles découlent sont efficaces.
Les services de paiement des factures ont également été réorganisés en centres uniques de traitement et de paiement des factures, placés auprès du comptable public. Nommés SFACT – service facturier – , ils oeuvrent désormais pour les administrations centrales et déconcentrées.
Enfin, face aux tensions de trésorerie récemment aggravées par la crise, mon groupe, sur la proposition de son président, Patrick Mignola, a suscité l'inscription du principe de l'affacturage inversé dans la loi PACTE – relative à la croissance et la transformation des entreprises. Ce nouvel outil permet de corriger les défauts de l'affacturage classique, dont les PME critiquaient les difficultés de gestion et le rôle dans la diminution de leurs marges.
À la différence de l'affacturage classique, l'affacturage inversé est mis en place par le client et non par le fournisseur. Il responsabilise ainsi davantage les donneurs d'ordres, en leur confiant la décision de donner l'ordre à un tiers de payer son prestataire au plus vite et à sa place. La commission est alors partagée, ce qui est plus équitable.
L'affacturage inversé complétera ainsi utilement la palette d'outil actuelle, dont le fonctionnement a d'abord été pensé pour aider les acheteurs publics. Ceux-ci donnant l'exemple, le dispositif pourra ensuite bénéficier d'une promotion indirecte auprès des acheteurs privés.
Côté public, nombreuses sont les collectivités qui ont fait des efforts et qui n'auront pas besoin d'y recourir. Par exemple, la région des Hauts-de-France règle désormais ses fournisseurs à trente jours. Mais toutes n'ont pas la même volonté ou les mêmes moyens.
Côté privé, pratiqué par gros acheteurs – je pense entre autres au secteur de la grande distribution – , l'affacturage inversé pourra être un excellent outil de sortie de crise, car gagnant-gagnant pour la relance de notre économie.
Signalons qu'un club d'entreprises labellisées adeptes de ce moyen de paiement est en cours de constitution. Cet affacturage inversé de type collaboratif, concrétisé récemment par le Gouvernement, réduira les délais de paiement, actuellement à l'origine de 25 % des défaillances d'entreprise. Il représentera un levier potentiel de 12 milliards à 14 milliards d'euros.
Cet outil de confiance destiné à répondre aux besoins grandissants de trésorerie des TPE-PME, tout comme les autres mesures adoptées par le Gouvernement, sera particulièrement utile à ces entreprises dans la crise actuelle.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, LaREM et Agir ens.
Le groupe Dem nous invite à débattre cet après-midi de l'allongement des délais de paiement et des mesures pour y remédier en temps de crise. Notre groupe avait travaillé sur cette question dans le cadre de la loi PACTE et formulé alors un certain nombre de propositions. Parmi celles-ci, figurait le renforcement des intérêts moratoires, notamment pour les personnes publiques, afin d'inciter au respect de ces délais. Nous proposions également une modification de l'ordre des créanciers privilégiés afin, au stade des procédures collectives, de favoriser les créances détenues par les TPE-PME, aux trésoreries plus fragiles. À l'époque, nos propositions n'avaient pas retenu votre intérêt mais, puisque vous nous proposez d'en débattre à nouveau, nous saisissons la balle au bond.
Avant même d'évoquer la situation actuelle, marquée par l'épidémie de covid-19, on peut identifier deux dynamiques opposées dans l'évolution des délais de paiement en 2019. Les délais de paiement des entreprises françaises restent au niveau observé depuis 2015 : les délais fournisseurs se maintenant à cinquante et un jours d'achat pour la troisième année consécutive et les délais clients représentant quarante-quatre jours de chiffre d'affaires, durée inchangée depuis 2014. Depuis l'entrée en vigueur de la loi de modernisation de l'économie, ces délais ont diminué de deux jours en moyenne pour les TPE-PME et les entreprises de taille intermédiaire, tandis qu'ils ont augmenté d'une journée pour les grandes entreprises. Corrélativement, moins de la moitié des grandes entreprises règlent leurs fournisseurs sans retard, alors que plus de 70 % des PME respectent le plafond réglementaire.
Ces données fondées sur la taille des entreprises cachent néanmoins d'importantes disparités entre secteurs d'activité : les délais s'étendaient, en 2018, de six jours de chiffre d'affaires pour le secteur de l'hébergement et de la restauration à soixante-dix-huit jours pour le secteur de l'information et de la communication.
Si, depuis quinze ans, les délais de paiement ont diminué en moyenne de dix à quinze jours selon les secteurs, plusieurs d'entre eux présentent encore des délais de paiement moyen supérieur au délai légal de soixante jours. Dans le secteur des transports, qui comporte certes un délai dérogatoire de trente jours pour certaines activités, les délais effectifs sont ainsi très supérieurs à cinquante-cinq jours.
S'agissant des donneurs d'ordres publics, les délais sont tombés, en moyenne nationale, de 36 jours en 2011 à 14,9 jours en 2019 – année de bascule complète des dépenses de l'État dans le progiciel Chorus Pro – pour l'ensemble des dépenses, et de 45,1 à 19,4 jours pour la commande publique.
Toutes catégories de collectivités et d'établissements publics locaux et hospitaliers confondus, le délai de paiement moyen c'est très légèrement détérioré, de 0,6 jour. Le délai de paiement moyen des communes a très légèrement augmenté entre 2018 et 2019, de 20 à 20,2 jours ; le délai de paiement des départements est passé, dans le même temps, de 23 à 23,1 jours.
Cette dynamique de hausse, certes limitée, nous inquiète néanmoins, au regard de la forte diminution des ressources de ces collectivités, notamment des départements, en 2020. Les remontées des comptables publics sur le terrain montrent une dégradation des délais de paiement consécutive à l'assèchement de la trésorerie des collectivités. Durant l'examen du PLF pour 2021, nous avions alerté la majorité sur les conséquences de l'absence de compensation effective des pertes de recettes des collectivités locales : outre les conséquences inquiétantes sur l'investissement, cette dégradation de trésorerie aura une incidence évidente sur les délais de paiement et la situation des entreprises – nous devrons malheureusement attendre encore quelques mois avant d'en mesurer la magnitude. Monsieur le secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques, en temps de crise – puisque tel est l'objet de notre débat – , l'État doit pourtant préserver la trésorerie des acteurs économiques et des donneurs d'ordres publics locaux afin d'éviter les défauts en cascade.
S'agissant des relations entre entreprises elles-mêmes, nous constatons que les délais se dégradent, en particulier pour les plus importantes, avec un effet boule de neige tout au long de la chaîne de valeur. La situation des TPE-PME se retrouve d'autant plus incertaine qu'elles sont également les premières à se voir confrontées aux difficultés de paiement des particuliers. Monsieur le secrétaire d'État, quelles mesures entendez-vous prendre pour préserver la trésorerie de ces entreprises et éviter ainsi des cessions d'activités en cascade ?
Enfin, pour les entreprises qui se retrouveraient en procédure collective, le Gouvernement est-il désormais ouvert à une réforme de l'ordre des créanciers privilégiés, de manière à ce que les acteurs économiques les plus fragiles ne soient pas les plus pénalisés par la crise ?
Merci au groupe Dem d'avoir inscrit à l'ordre du jour la question essentielle dont nous avons à traiter aujourd'hui : l'augmentation des délais de paiement, aggravée par la crise actuelle.
Malgré les mesures d'accompagnement de l'État, tous les acteurs économiques, notamment les tribunaux de commerce et les conseils de prud'hommes, évoquent, en cette période de rentrée propice aux échanges de voeux, le scénario macabre des retards de paiement et de l'assèchement progressif de la trésorerie, qui entraînent la cessation de paiement puis, hélas, la fermeture définitive. Les plus fragiles ne sont pas les grands groupes, capables de faire le gros dos face aux vents mauvais, mais plutôt le tissu des petites et moyennes entreprises.
On me signale des retards de paiement de 18,6 jours en moyenne, ce qui signifie que le paiement intervient 48 jours après la prestation, soit une semaine supplémentaire par rapport à 2019. C'est une véritable déflagration, qui met en danger la santé de nos PME et pèse sur leur espérance de vie : l'observatoire des délais de paiement de la Banque de France considère, dans son rapport de 2019, que les risques de défaillance augmentent de plus de 40 % en cas de dépassement significativement élevé. Ces retards de paiement, ce sont aussi des sommes d'argent qui font défaut au moment où nous devons réinventer et relancer l'activité avec un modèle économique adapté.
S'ils s'expliquent dans de nombreux cas par l'incapacité réelle dans laquelle se trouve le client d'honorer ses factures, ils résultent aussi parfois d'une volonté délibérée de se constituer des réserves, c'est-à-dire une trésorerie de précaution, sur le dos des petits fournisseurs. Ce « syndrome du stock de pâtes », comme on dit, est tout le contraire de la nécessaire solidarité économique qui devrait pourtant prévaloir en ces rudes temps de crise. À côté de leurs plans de continuité de la production, les grandes entreprises seraient donc inspirées de déployer des plans de continuité de paiement ; c'est une question de morale économique et de civisme patriotique. Certes, les PGE et les prêts participatifs ont joué leur rôle d'amortisseurs, mais le virus est toujours là, si j'ose cette métaphore.
Le délai de paiement consenti par les entreprises à leurs clients dans une perspective circulaire est un pilier de notre économie. C'est pourquoi l'État a choisi d'avoir recours au name and shame, pratique certes moins violente que le pilori médiéval, qui consiste à afficher sur le site de la DGCCRF – direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – le nom des entreprises qui payent son retard, ces dernières devant également, depuis la loi PACTE, publier à leurs frais la sanction dans la presse locale et nationale.
Cela reste toutefois insuffisant. Il faut passer un cran au-dessus, avec des mesures fortes, comme la création d'une agence de notation des délais de paiement, qui, sur le modèle des agences de notation classiques, attribuerait à chaque entreprise, après avoir évalué le risque de non-remboursement, une note publique fonction de la rapidité avec laquelle elle règle ses factures. Cette agence présenterait l'avantage d'assurer en amont une plus grande transparence sur les pratiques des entreprises qui, bien que solvables, ne respectent pas les délais de paiement, en compliquant leur accès au crédit. À l'inverse, cela valoriserait la réputation et l'image de celles qui jouent le jeu de la RSE – responsabilité sociale des entreprises. Cette agence semble recueillir l'assentiment du Gouvernement dans son agenda post-covid.
Néanmoins, ne nous leurrons pas : toutes les solutions ne sont pas entre nos mains ni même dans celles de l'État ; c'est aussi aux entreprises et aux acteurs d'agir. À l'époque où je n'étais que le modeste maire de Roncq, j'étais ainsi parvenu à faire chuter de quarante-cinq à vingt jours les délais de paiement de la mairie, en challengeant mes équipes et en ayant recours à des outils digitaux dédiés permettant de fluidifier le processus de facturation.
En France, on estime à cinquante-neuf jours le délai moyen nécessaire pour convertir en trésorerie une facture émise, contre cinquante et un jours en moyenne en Europe. Le temps de traitement administratif est en moyenne de deux semaines, sachant que le développement du télétravail a largement perturbé les processus de recouvrement des factures dans les environnements les moins optimisés.
La crise actuelle oblige donc les directions financières des entreprises non seulement à faire « performer » leurs équipes mais aussi à faire émerger une culture de la trésorerie : chaque acteur de la chaîne de valeur, de la réception de la commande au bon de paiement de la facture, doit prendre la mesure de l'impact de la privation de trésorerie et agir à son niveau pour réduire les délais de paiement. L'État dispose d'un certain nombre de leviers pour aider les entreprises mais rien ne se fera sans cette culture de la trésorerie qu'il convient de faire émerger.
En conclusion, s'il faut donc que l'État agisse plus et mieux pour juguler le fléau des délais de paiement et sanctionner autant que de besoin, chaque entreprise doit s'imprégner de la culture du cash pour se donner ses propres moyens d'agir ; c'est une question de volonté collective et de digitalisation, une véritable transition culturelle que l'État se doit d'accompagner massivement.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
La crise sanitaire a eu de nombreux effets néfastes sur les entreprises. Parmi eux, on a noté une nette augmentation des retards de paiement, créant des tensions importantes sur les trésoreries.
Touchant particulièrement les petites entreprises, plus fragiles que les grands groupes, les retards de paiements des PME s'élèvent désormais à 18,6 jours en moyenne, ce qui veut dire que le paiement intervient 48 jours après la prestation ; c'est une semaine de plus qu'en 2019.
Or allonger les délais de paiement revient de facto à fragiliser les fournisseurs, qui font vivre localement nos salariés et notre économie nationale. C'est non seulement inquiétant mais même choquant lorsque ces retards de paiement proviennent de blocages délibérés, sans justification, de la part de sociétés qui pourraient payer mais préfèrent garder des réserves. Il y a de quoi être encore plus indigné quand on sait que les grandes entreprises sont plus nombreuses à régler leurs fournisseurs avec retard que les entreprises de taille modeste.
La loi plafonne ces délais à trente jours, ou à soixante jours en cas d'accord entre les parties, à compter de la date démission de la facture, sous peine d'amende si les délais ne sont pas respectés. Selon le médiateur des entreprises, chaque jour, près de quarante PME mettent la clef sous la porte en raison de retards de paiement.
Pour sauvegarder la trésorerie des entreprises, il faut donc impérativement réduire les retards de paiement. Afin de mettre la pression sur les mauvais payeurs, l'État a développé, depuis plusieurs années, la pratique du name and shame, en affichant sur le site de la DGCCRF le nom des entreprises ayant écopé d'amendes pour ne pas avoir payé leurs factures à temps. Depuis l'année dernière, ces entreprises sont également obligées de publier, à leurs frais, l'avis de sanction dans la presse locale.
Mais force est de constater que l'État lui-même est loin de se montrer exemplaire puisque le problème se pose également dans le secteur public.
Le constat est déplorable : près d'une entreprise sur deux refuse désormais de répondre à des appels d'offres publics par crainte d'impayés ou de délais de paiement trop longs.
En 2019, tout en demeurant en moyenne dans les délais réglementaires, les collectivités locales et les établissements publics locaux et hospitaliers sont passés à 27,4 jours de retard. C'est encore plus frappant pour les collectivités de grande taille : un quart voire près de la moitié d'entre elles effectuent des paiements au-delà du délai réglementaire de trente jours.
Cet état de fait est d'autant plus regrettable qu'avec le plan de relance, les appels d'offres publics vont se chiffrer en milliards d'euros dans les prochains mois. Mais le manque à gagner pour les TPE-PME françaises, trop inquiètes pour y candidater, sera considérable. Il est donc impératif de leur envoyer un signal fort de nature à les rassurer et à les encourager à saisir cette chance.
Obligatoire pour toutes les entreprises à compter de 2023, la facturation électronique pourrait permettre, selon le ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises, de gagner trois à quatre jours dans les délais de paiement. Pourquoi, monsieur le secrétaire d'État, ne pas la rendre obligatoire dès maintenant dans le secteur public ? Cela permettrait de donner l'exemple et de redonner de l'attractivité aux marchés publics.
J'attends de ce débat, monsieur le secrétaire d'État, que vous détailliez les mesures d'urgence que vous comptez prendre afin que l'État et les administrations publiques, qui doivent impérativement montrer l'exemple, respectent scrupuleusement les délais de paiement. Nous avions déposé sur le sujet un amendement qui a été rejeté par le Gouvernement. Si vous voulez vraiment envoyer un signal positif aux entreprises et aux fournisseurs, acceptez donc que l'État ne soit plus prioritaire lors des liquidations d'entreprise et que les fournisseurs puissent être payés en premier. C'est important pour leur trésorerie. Vous ne pouvez pas demander sans cesse aux entreprises, grandes et petites, de faire des efforts et des concessions, sans que l'État en fasse également.
Je commencerai par la question des délais de paiement dans le secteur public. Comme cela m'arrive parfois, je vous parlerai de mon ancienne vie.
Sourires.
Pas si souvent quand même ! Mon précédent métier, au ministère de l'intérieur, était celui de chef de plateforme Chorus. Nous avons déjà beaucoup évoqué Chorus s'agissant de la dématérialisation des factures, dite « SFACTisation », que j'ai connue juste avant d'être élu : les factures arrivent directement chez le contact public, ce qui fait gagner deux à trois jours de délais de paiement. Dans mon cas, il y a eu un retour en arrière concernant le service facturier : nous avions commencé à transférer les factures à la direction régionale des finances publiques, puis nous sommes revenus en arrière parce que le délai de paiement s'était allongé et que cela conduisait à payer davantage d'intérêts moratoires chaque année. Vous conviendrez avec moi que ce n'était pas terrible pour les deniers publics, mais Bercy voulait absolument passer en service facturier pour diminuer les délais de paiement.
Je veux alerter sur un point. Oui, je suis d'accord sur le principe théorique consistant à transférer cette compétence à la direction régionale des finances publiques, pour diminuer les étapes qui ne servent à rien ; je n'ai pas de problème avec cela. Mais il faut y mettre les moyens : de l'autre côté, les agents des directions régionales des services des finances publiques doivent être suffisamment nombreux pour pouvoir traiter le flux de factures !
C'est bien gentil de dire qu'il y a trop de fonctionnaires, trop d'administrations. Mais qui s'occupe de payer les factures ? Pour le faire, il ne suffit pas de mettre un tampon et de faire le chèque – il n'y en plus, d'ailleurs – ou le virement. Voici le vrai sujet : avant de régler une facture, vous vérifiez sa réalité avec le service accompli, vous vérifiez qu'il s'agit du bon montant, parce que vous êtes garant des deniers publics. J'aimerais que l'on cesse de raconter n'importe quoi sur le secteur public.
Et je vous demande de distinguer les collectivités territoriales de l'État. Les chiffres ont été donnés : l'État, pour le coup, est devenu un payeur qui n'est pas trop mauvais.
C'est le cas, il faut le reconnaître. Je veux bien que l'on fasse certains procès, mais pas celui-là. Pour les collectivités territoriales, c'est autre chose : nous pourrions débattre à nouveau de la réorganisation des services comptables des communes.
Encore une fois, on supprime des fonctionnaires ici ou là puis on se rend compte qu'il faut plus de temps pour payer ! Ma foi, peut-être faut-il faire le contraire…
Concernant le secteur privé, je suis désolé mais le problème ne tient pas aux délais de paiement. Vouloir régler la crise du covid-19 et de la trésorerie des entreprises en payant les factures plus rapidement, c'est une vue de l'esprit ! La dette privée a augmenté de 175 milliards d'euros à la suite du premier confinement, alors qu'elle atteignait déjà 1 600 milliards d'euros. J'insiste sur ce montant : 1 600 milliards d'euros. Comme on a plutôt l'habitude d'énoncer celui de la dette publique, je me permets de parler avec un peu d'emphase de la dette privée, vous le comprendrez…
Plus sérieusement, s'agissant des prêts garantis par l'État, croyez-vous que c'est en payant plus vite les factures que la situation va s'améliorer ? Non ! Ce qui devrait être payé aujourd'hui devra toujours l'être demain et après-demain ! Les prêts garantis par l'État vont arriver à échéance car ce ne sont pas des subventions mais des prêts à rembourser. Comment va-t-on faire ?
Les premiers prêts vont arriver à échéance vers mars 2022.
Alors le prochain gouvernement aura quelques difficultés sur ce point dès son arrivée.
Non, je ne serai pas ministre des finances, cher collègue ; je m'occuperai d'autres choses…
Quoi qu'il en soit, la dette privée ne pourra pas être remboursée intégralement !
Penser, en bon schumpeterien, que la destruction créatrice va faire son oeuvre et que tout va s'équilibrer… Tout de même, on parle ici de destruction d'emplois, de vies, d'outils de travail, de gens qui ont mis toute leur vie au service de leur petite entreprise, de leur artisanat, de leur bar, de leur restaurant, etc. Il faut distinguer la théorie de la pratique, du concret.
J'interroge donc le Gouvernement : qu'avez-vous prévu pour affronter cette dette privée ? avez-vous prévu d'annuler une partie de la dette en la faisant remonter au niveau de l'État ? C'est la première étape. La deuxième étape consiste à négocier une annulation progressive de la dette avec la Banque centrale européenne, en mesure de racheter les titres de dette de l'État et d'instaurer ce qu'on appelle une « monnaie hélicoptère » ou une « dette perpétuelle », options de plus en plus mises en avant par des économistes qui ne sont ni marxistes ni particulièrement révolutionnaires, mais qui regardent les faits : on va au-devant d'une catastrophe.
Tant mieux si les délais de paiement s'améliorent, mais si en plus on pouvait éviter les faillites en cascade et les effets systémiques qui vont avec, ce serait encore plus intéressant.
Les fermetures administratives et l'application de protocoles sanitaires ont très fortement affecté les entreprises depuis près d'un an, on le sait. Cela a entraîné une autre menace pour notre économie et sa viabilité : l'allongement des délais de paiement entre entreprises, ce qui est, si j'ai bien compris, le sujet du jour.
Ces retards frappent la trésorerie des fournisseurs, qui peuvent à leur tour être incités à reporter le règlement de leurs factures et alimenter ainsi un dangereux cercle vicieux. Les conséquences sont négatives sur l'ensemble des filières : pertes d'emplois, déficit de compétitivité et d'innovation, risque de faillite pour les entreprises les plus fragiles. Alors que le crédit interentreprises atteignait déjà plus de 700 milliards d'euros en France avant le déclenchement de la crise du covid-19, il a encore gagné du terrain l'an dernier, au point de devenir une menace pour la pérennité de beaucoup de petites structures.
Le risque de défaillances en série est réel. Les délais de paiement, qui étaient en moyenne de onze jours sur les trois dernières années, sont ainsi passés à quatorze jours et demi fin septembre 2020, selon une étude de KPMG. Ce phénomène fragilise d'autant plus ces entreprises qu'il touche particulièrement des secteurs d'activité déjà fortement affectés par la crise, notamment la restauration et les cafés, on le sait. Face au risque d'effet domino, il faut mettre fin au cercle vicieux de l'allongement des délais.
Le groupe Libertés et territoires salue la réactivité du ministère de l'économie, des finances et de la relance, qui a adopté, depuis mars dernier, une démarche de sensibilisation des grands donneurs d'ordres, afin de les inciter à payer leurs sous-traitants et fournisseurs dans les délais. Certains donneurs d'ordres, à l'instar d'Action logement, RTE ou Michelin, mettent en place un paiement accéléré de leurs fournisseurs.
Par ailleurs, le Gouvernement a permis aux petites entreprises subissant des problèmes de trésorerie d'étaler leurs charges sur douze, vingt-quatre voire trente-six mois. L'objectif poursuivi est de redonner des liquidités à bon nombre d'entre elles, actuellement à court de trésorerie et attendant d'être payées par d'autres entreprises, elles aussi en difficulté.
Ces mesures s'avèrent d'autant plus nécessaires que les retards de paiement touchent toutes les catégories d'entreprises. Le retard moyen de paiement des PME a ainsi bondi de près de dix jours à près de dix-neuf jours, alors qu'en 2019, les délais de paiement étaient globalement d'autant plus élevés que les entreprises étaient de taille importante, selon le rapport annuel de l'observatoire des délais de paiement.
Si les mesures prises vont dans le bon sens, le groupe Libertés et territoires tient à rappeler que la France reste le seul pays européen à présenter des délais de paiement supérieurs à leurs niveaux pré-pandémiques, avec une hausse de 17 % depuis la mi-mars.
Par ailleurs, si la crise a amplifié les retards de paiement entre entreprises, n'oublions pas que ce cercle vicieux menaçait déjà avant l'épidémie. Depuis quelques années, ces retards ne se résorbaient pas et une légère hausse avait même été constatée en 2019. L'accompagnement des artisans et des dirigeants de TPE-PME reste essentiel : une meilleure compréhension de la réglementation et des solutions de financement leur permettrait de renforcer leur trésorerie et de ne pas être pénalisés par un déficit d'information.
En outre, nous appelons également à l'exemplarité de la sphère publique en matière de respect des délais de paiement. Nous soutenons ainsi la proposition de la CPME, qui demande à l'ensemble des ministères de signer la charte « Relations fournisseurs responsables » et d'adopter une stratégie en faveur de l'obtention du label relations fournisseurs et achats responsables.
N'oublions pas que les retards de paiement sont indissociables de l'endettement de nombreuses TPE-PME. La crise a en effet accentué la tendance de ces dernières années des entreprises à recourir au crédit pour financer leur trésorerie, en raison de taux d'intérêt très bas, plutôt que de chercher à générer de la trésorerie, puis à réduire les délais de paiement. Le prix garanti par l'État participe à cette logique qui n'est pas très saine sur le fond.
Enfin, les experts s'accordent à dire que l'amélioration de la situation économique attendue pour l'an prochain – nous l'espérons – ne va pas forcément réduire, à court terme, les retards de paiement. En effet, lors d'une reprise de l'activité, les besoins en trésorerie remontent, du fait des tensions liées aux besoins en fonds de roulement. Or, pour certaines entreprises, vont arriver les premières échéances de remboursement des PGE, cela vient d'être dit, ainsi que celles des reports de charges sociales et fiscales. Nous espérons, pour notre part, que les négociations du Gouvernement avec les banques pour un nouveau délai de remboursement des PGE aboutiront.
Ce débat, sur un sujet important, était nécessaire. Comme cela a été rappelé, la Banque de France a constaté, fin 2020, un encours d'endettement des sociétés non financières dépassant les 1 800 milliards d'euros. De même, les retards de paiement bondissent, atteignant un délai de retard de plus de dix-huit jours.
Les TPE-PME, bien sûr, sont les plus touchées par cette situation, parce que ce sont elles dont les trésoreries sont les plus faibles. Celles d'entre elles qui sont fermées administrativement, tout comme celles qui se trouvent en amont des secteurs à l'arrêt, sont particulièrement fragilisées. Puisque toutes ces entreprises sont liées par des dettes et des créances dont les délais tendent à s'accroître, il est essentiel de cibler le soutien public sur ces petites entreprises et d'imaginer de nouveaux outils dans l'urgence.
Pour éviter une cascade en faillite, avec, bien évidemment, les enjeux d'emploi qui leur seraient liés, il semble essentiel que l'État agisse sur les dettes sur lesquelles il a la main, en premier lieu les PGE, en transformant ces prêts en quasi-fonds propres afin de renforcer les entreprises sans compromettre leur avenir.
Pour autant, malgré l'importance de ce sujet, le groupe GDR souhaite décentrer, voire inverser l'angle de ce débat, en évoquant une problématique dont on ne parle presque jamais : les délais de paiement des ménages. Je parle du paiement de toutes les dépenses automatiques du début du mois, qui deviennent rapidement un poids lorsque la situation économique se dégrade. On a beaucoup entendu qu'à la faveur de la crise et du confinement, les Français avaient pu épargner près de 46 milliards d'euros, voire beaucoup plus, me semble-t-il. Pour autant, ce montant est particulièrement trompeur et marqué par de fortes disparités. Le Conseil d'analyse économique a fait notamment remarquer que les ménages des deux premiers déciles, c'est-à-dire les 20 % des ménages les plus modestes, avaient dû, lors de la crise, désépargner, voire s'endetter pour faire face aux dépenses.
De nombreux signes ne trompent pas. Des fournisseurs d'électricité font état d'une hausse des retards et des impayés, sans donner, à ce stade, de chiffres précis ; ils notent malgré tout que les trois quarts des impayés proviennent actuellement de clients habituellement non précaires. Côté logement, selon les établissements d'assurance, les impayés et les retards de versement de loyers ont augmenté de 30 % pendant la crise sanitaire, et près de 50 % des détenteurs de crédits immobiliers comptent demander un report de mensualité auprès de leur banque. Le constat est similaire pour les autres crédits, comme les crédits automobiles ou les crédits à la consommation, ces fameux crédits plébiscités par les banques pour leur forte rentabilité, donnant lieu à des publicités pousse-au-crime : ils constituent de véritables bombes à retardement pour les budgets des ménages. L'UFC-Que choisir, dans une étude publiée en décembre dernier, a fait état de la forte hausse de ces crédits en 2020 ; avec cette flambée, les risques d'impayés devraient croître sensiblement en 2021, à hauteur de 40 %.
Or nous n'entendons jamais parler des délais de paiement des ménages modestes. Certes, la problématique soulevée par le débat inscrit à l'ordre du jour ne nous amène absolument pas à remettre en cause les aides aux entreprises, dès lors qu'elles sont utiles et encadrées ; nous intervenons d'ailleurs régulièrement sur ce point, essentiel dans la période que nous vivons. Mais votre tropisme vis-à-vis des entreprises est une nouvelle fois à l'oeuvre : le soutien aux ménages s'est limité à quelques aides ponctuelles ; vous n'avez pas annoncé de dispositif pour que les banques, les assurances, les fournisseurs d'énergie et de prestations de première nécessité relâchent la pression sur les ménages endettés. On aurait pu, par exemple, décider de suspendre toute mensualité de crédit en cas de diminution des revenus.
La Banque de France s'attend à un rebond des procédures de surendettement. Monsieur le secrétaire d'État, quelles mesures comptez-vous prendre pour empêcher une spirale de surendettement des ménages, ce qui constitue également un enjeu de la reprise économique ?
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.
Tous ceux qui connaissent le monde de l'entreprise le savent et le déplorent : les délais de paiement sont une spécialité française dont on se passerait bien volontiers. Le groupe La République en marche remercie le groupe Dem d'avoir demandé l'inscription de ce sujet à l'ordre du jour de cette après-midi. En effet, s'il peut paraître trivial, certains de ses aspects sont décisifs pour la compétitivité des entreprises françaises.
Avec la meilleure volonté du monde, les gouvernements successifs ont tenté de résorber ces périodes de latence, dont l'accumulation, qui produit un effet boule de neige, atrophie les trésoreries. Pire, elles pénalisent doublement les petites et moyennes entreprises. C'est David contre Goliath : elles subissent des retards, imposées par le rapport de forces avec les grandes entreprises qui sont leurs partenaires. Une grande entreprise sur deux ne respecte pas les délais de paiement. Nos PME accusent le coup à chaque retard et s'en trouvent fragilisées.
Depuis la crise financière de 2008, les délais de paiement stagnent, après une amélioration au cours des années 2000 ; ils atteignent onze jours en moyenne, contre sept en Allemagne et quatre aux Pays-Bas. Loin d'être anodine, cette situation a des répercussions pénibles et profondes, non seulement sur la santé de nos PME et ETI – entreprises de taille intermédiaire – , mais aussi sur la philosophie de l'entreprise en France – sur ce que le haut-commissaire au plan appelle notre « esprit de conquête ».
En tant que femme d'entreprise, cofondatrice il y a vingt-cinq ans d'une PME familiale, je rejoins volontiers les rangs du cortège de responsables politiques et d'économistes qui appellent de leurs voeux l'émergence d'un Mittelstand français. Ce tissu d'entreprises familiales interdépendantes, spécialisées et en pointe dans leurs domaines respectifs, est une réalité outre-Rhin mais fait office de chimère en France. Or, comment voulez-vous que s'installent le climat de confiance en l'avenir, la coopération entre dirigeants d'entreprises et la sérénité nécessaires pour s'épanouir et prendre des risques, lorsque renflouer sa trésorerie avec ce qui est dû relève parfois du parcours du combattant ?
Conscients d'un problème structurel que la crise n'a fait qu'exacerber, plusieurs députés de la majorité, dont je fais partie, ont constitué, à l'été 2020, un groupe de travail sur les adaptations et simplification réglementaires. Les délais de paiement en sont ressortis comme un chantier prioritaire dans un contexte de crise et de relance, on l'avait constaté en 2008, et, malheureusement, on le vérifiera probablement avec 2020 : la crise favorise les retards, matériellement et psychologiquement, car grande est la tentation de conserver un matelas de sécurité lorsque la seule préoccupation est de survivre.
Afin d'identifier les cas urgents et d'éviter les défaillances en cascade, un comité de crise sur les délais de paiement a été créé dès le 23 mars et s'est réuni fréquemment. Bercy a rempli son rôle de gendarme quand il le fallait, en sanctionnant les donneurs d'ordres qui ne jouaient pas le jeu de la solidarité. Néanmoins, de nombreux indicateurs, qui témoignent d'une aggravation nette en 2020, conduisent à sonner l'alarme. Les indicateurs préliminaires dont on dispose mettent en lumière une augmentation importante des délais à l'été 2020 : la France serait le seul pays européen à ne pas avoir retrouvé son niveau d'avant-crise.
La reprise économique est une condition nécessaire de l'amélioration mais elle n'est pas suffisante. La visibilité et la confiance seront indispensables pour apaiser les relations entre clients et fournisseurs. Le cap est clair : le plan de relance remettra de l'huile dans la machine grippée par la baisse du PIB, afin de tenter de faire passer, avant la fin de l'année, le retard moyen de paiement sous la barre des dix jours. Il est urgent d'impulser une cadence régulière et d'encourager une véritable culture de la diligence dans nos relations commerciales.
La numérisation et la dématérialisation des factures constituent un passage incontournable de cette démarche, …
… tout comme la création d'une agence de notation des paiements.
Je terminerai en insistant sur le rôle incontournable de la puissance publique. Il va sans dire que celle-ci doit faire preuve de l'exemplarité la plus rigoureuse en la matière. Les efforts en ce sens sont visibles et produisent déjà leurs effets ; l'État doit et peut devenir la locomotive qui entraîne l'économie tout entière à adopter le réflexe du règlement des factures à l'heure. Les mois qui s'annoncent se caractériseront, grâce au plan de relance, par d'importants versements aux entreprises, au travers d'aides, de subventions, d'appels à projets ; il faut entériner la célérité de ces mesures et ainsi donner une dimension concrète à un changement de mentalité.
Avant même le début de la crise, la France faisait face à des délais de paiement de plus en plus importants. Alors que la proportion nationale moyenne des entreprises exposées à des retards de paiement a atteint 10,9 % en 2019, elles sont de plus en plus nombreuses à se voir confrontées à cette réalité. Les petites et moyennes entreprises, cela a été dit, sont particulièrement touchées, alors même qu'elles sont les plus fragiles.
Comme vous le savez, cela affecte durement leur trésorerie, conduisant certaines à la cessation de paiement.
Pourtant, les petites et moyennes entreprises sont les poumons économiques de notre pays : elles emploient 6,3 millions de Français et produisent 43 % de la valeur ajoutée. Nous devons donc les soutenir fortement.
Or la crise sanitaire actuelle ne fait qu'amplifier le phénomène des retards de paiement des PME, qui s'élèvent, comme cela a été dit, à 18,6 jours en moyenne, soit des versements intervenant 48 jours après la prestation. Ce retard a pour effet d'amputer de 19 milliards d'euros la trésorerie de nos entreprises !
Dans certains secteurs, les clients qui paient hors délais sont eux-mêmes en grande difficulté, à cause de l'arrêt temporaire de leur activité, ordonnée par l'État, comme c'est malheureusement le cas des restaurants et des bars, ou à en raison d'une baisse notable d'activité, comme pour les grossistes en boissons ou les hôtels.
J'appelle votre attention sur un autre fait : force est de constater, en échangeant avec les entreprises de nos territoires, que l'État doit lui aussi tout faire pour régler ses propres échéances dans les délais impartis, ce qui n'est pas toujours le cas.
Le Gouvernements a certes créé le PGE, mais celui-ci ne résout le problème que pour une durée limitée : s'il est vrai que des entreprises ont évité la cessation de paiement en 2020 grâce aux différentes aides, ces dernières ne pourront durer éternellement, vous le savez très bien, monsieur le secrétaire d'État. Dans ce contexte, les délais de paiement pourraient s'aggraver encore si aucune action durable de l'État n'est menée.
Aussi le Gouvernement se doit-il de réagir. Deux solutions peuvent être envisagées.
D'abord, je le dis haut et fort, il semble impératif d'annuler pour l'année 2020 toutes les charges sociales et fiscales qui pèsent sur les TPE et PME. Une telle mesure libérerait une partie de leur trésorerie, précieuse pour surmonter la crise et la baisse d'activité.
J'appelle tout particulièrement votre attention sur la seconde solution. Les banques et les assurances peuvent s'avérer des alliés importants dans cette crise, en jouant un rôle de relais entre l'entreprise créditrice et l'entreprise débitrice. Elles pourraient ainsi soutenir les entreprises en difficulté, grâce au mécanisme d'affacturage, un outil souple au service des entreprises, vous le savez : l'affacturage consiste à faire régler immédiatement les factures en attente de paiement par un affactureur, à condition que le débiteur ait une bonne cotation auprès des assurances crédit des entreprises, et moyennant, malheureusement, un coût.
Monsieur le secrétaire d'État, cette technique mériterait d'être développée. L'État pourrait agir concrètement en assouplissant les critères relatifs à la cotation des entreprises, en particulier pour les petites entreprises, ou en agissant sur le taux des commissions. L'État pourrait prendre à sa charge une partie des taux, afin de rendre ce mécanisme accessible à davantage d'acteurs économiques de nos territoires. Les affactureurs garantiraient ainsi l'avance tout en s'assurant du recouvrement des sommes avancées aux entreprises débitrices. Bien évidemment, la pérennité de cette seconde solution suppose l'accord des organismes d'affacturage.
Quoi qu'il en soit, l'année 2021 sera cruciale pour l'ensemble du tissu économique français.
En allant chaque semaine au contact des entreprises sur nos territoires, nous constatons l'extrême fragilité de certains acteurs économiques pourtant indispensables au développement et à l'attractivité de notre pays. Nous ne pouvons pas les laisser tomber. Il convient donc de continuer à soutenir très fortement nos entreprises et de les aider à sortir de la crise. À cet effet, l'État doit continuellement adapter les dispositifs d'aide et proposer des mesures concrètes proactives.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
Les retards de paiement affaiblissent nos entreprises, en premier lieu les plus petites, les plus vulnérables et les plus fragiles d'entre elles. En effet, ils déséquilibrent les trésoreries des TPE-PME, les contraignant à recourir à des financements de court terme auprès de leur banque. Ces retards peuvent, dans les cas les plus graves, conduire à des défaillances d'entreprises pourtant viables. Enfin, ils comportent un risque de contagion des difficultés de trésorerie entre entreprises : lorsqu'elles ne sont pas financièrement capables d'assumer les retards de leurs clients, elles sont tentées de les reporter sur leurs fournisseurs, D'après les chiffres du dernier rapport de l'observatoire des délais de paiement, en l'absence de retards, les PME bénéficieraient de 19 milliards d'euros de trésorerie supplémentaire, et les ETI de 7 milliards.
Pour toutes ces raisons, ces retards sont tout simplement inacceptables, surtout quand ils sont le fruit de pratiques délibérées, mais également quand ils sont liés à une absence manifeste de soin apporté au fait de payer ses partenaires dans les temps.
L'État est donc mobilisé pour garantir le respect des délais de paiement, en tant que payeur ainsi qu'en effectuant des contrôles et en proposant un accompagnement adapté.
Plusieurs parlementaires ont évoqué les retards de l'État. Or il a pris ses responsabilités en tant que payeur. En l'espèce, je confirme mon accord avec les propos de M. Bernalicis.
Je le confirme : nous constatons une convergence inattendue de nos propos dans ce débat…
En effet : si l'on regarde les chiffres dans le détail, contrairement à certaines idées reçues qui ont la vie dure, on s'aperçoit que, depuis une dizaine d'années, les délais de paiement des services de l'État se sont considérablement améliorés : de 2011 à 2019 – ce qui recouvre plusieurs majorités – , au niveau national, le délai global de paiement en matière de commande publique est tombé de quarante-cinq à dix-neuf jours ; et, selon le dernier rapport de l'observatoire des délais de paiement, ils se sont encore améliorés de deux jours entre 2018 et 2019. Cette dynamique est le résultat d'une vraie prise de conscience et d'une amélioration des procédures de traitement des factures, en particulier par la numérisation.
Néanmoins, ces chiffres cachent des disparités fortes au sein du secteur public – là encore, je vous renvoie à l'intervention de M. Bernalicis – , et des retards importants demeurent dans certaines collectivités, notamment de grande taille. Cette situation n'est pas acceptable et appelle une correction car la puissance publique doit être irréprochable.
Depuis l'adoption de la loi de modernisation de l'économie de 2008, plusieurs réformes ont été engagées pour assurer un contrôle plus strict des délais de paiement et lutter contre les retards. Les contrôles de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sont toujours mieux ciblés. Les sanctions ont été renforcées et peuvent désormais dépasser 1 million d'euros dans les cas les plus graves. Elles sont par ailleurs systématiquement publiées. Voici d'autres chiffres : en 2019, la DGCCRF a contrôlé plus de 1 500 établissements ; à l'issue des contrôles, 271 procédures d'amende administrative, représentant au total 34 millions d'euros, ont été lancées ; depuis 2014, 1 186 amendes administratives, représentant au total 65 millions d'euros, ont été prononcées.
Au-delà des contrôles de la DGCCRF, le médiateur des entreprises apporte un soutien aux entreprises pour trouver des solutions amiables aux contentieux, en particulier à ceux qui portent sur les délais de paiement. Son action permet de rétablir et de faciliter le dialogue entre les entreprises. Les deux parties présentes lors de la médiation prennent un engagement juridique réciproque, aux conditions dont elles conviennent. Du fait de cet accord commun, dont les termes sont construits par les deux parties, l'accord est respecté dans la quasi-totalité des cas. Le médiateur des entreprises est saisi chaque mois de plus d'une soixantaine de demandes de médiation relatives à ces questions.
De toute évidence, la crise sanitaire, devenue économique, a eu un impact conjoncturel important sur les délais de paiement, pour trois raisons, dont la contribution a été plus ou moins équivalente : premièrement, la désorganisation de la chaîne de paiement, du fait du confinement et du télétravail, surtout au printemps dernier, car les entreprises n'étaient alors pas prêtes pour dématérialiser ces procédures et les traiter à distance ; deuxièmement, les difficultés financières de certaines entreprises qui ne pouvaient tout simplement pas payer leurs factures ; troisièmement, les pratiques délibérées de certaines entreprises qui souhaitaient anticiper et préserver leur trésorerie.
Pour éviter une dégradation des délais de paiement, nous avons pris des mesures fortes dès les premiers jours de la crise. La priorité a évidemment été d'aider financièrement les entreprises directement touchées par la crise, ce qui a contribué à éviter des retards de paiement trop importants. Il s'agit notamment des mesures permettant de soulager la trésorerie des entreprises.
Nous avons d'abord instauré les prêts garantis par l'État : plus de 130 milliards d'euros de prêts ont été contractés par les entreprises touchées. Nous avons constitué un Fonds de solidarité pour les entreprises des secteurs les plus touchés : près de 12 milliards d'euros leur ont ainsi été versés. Enfin, nous avons créé des dispositifs d'activité partielle, d'exonération et de report de charges.
Concernant plus particulièrement la question des délais de paiement, nous avons installé un comité de crise, présidé par les médiateurs des entreprises et du crédit. Depuis le mois de mars dernier, ce comité réunit régulièrement les organisations professionnelles, les chambres consulaires et la DGCCRF afin de détecter les signaux faibles et de les traiter. Ce comité de crise a permis de faire remonter les pratiques d'une quarantaine de grandes entreprises ou d'ETI qui ont délibérément ralenti les délais de paiement. Après l'intervention du médiateur des entreprises, les pratiques se sont normalisées. Dans le même temps, le comité de crise a valorisé l'action de seize grandes entreprises et ETI qui ont décidé, à l'inverse, d'accélérer les paiements pour préserver la trésorerie de leurs fournisseurs. Depuis plusieurs mois, le comité ne reçoit heureusement plus de signalements.
Ainsi, les différentes mesures prises par le Gouvernement ont permis de contenir l'impact sur les délais de paiement et d'éviter une dégradation trop brutale. Si la situation a été très tendue au deuxième trimestre, elle s'est plus ou moins normalisée au cours des derniers mois. En effet, après une multiplication par dix des demandes de médiation au cours du deuxième trimestre, les chiffres du quatrième trimestre montrent un retour à la normale. S'agissant des retards de paiement, les chiffres semblent suivre la même évolution : la situation tend à s'améliorer.
Cependant, au cours des derniers mois, le retard moyen s'est allongé de deux jours par rapport à l'avant-crise, effaçant les gains obtenus ces dernières années. Ces retards se sont notamment accrus dans les secteurs les plus touchés par les mesures prises pour limiter la circulation du virus.
Quant aux délais de paiement publics, ils ne semblent pas s'être allongés du fait de la crise. En effet, le nombre de cas signalés au médiateur des entreprises pour des problèmes de paiement d'organismes publics n'a pas évolué en valeur absolue au cours des derniers mois par rapport à l'année dernière. Ces données doivent encore être consolidées, notamment dans le prochain rapport de l'observatoire des délais de paiement, qui sera publié en mars prochain.
Au-delà des actions de l'État, une partie de la solution demeure entre les mains des entreprises, en particulier des plus grandes d'entre elles. Il faut en appeler à la responsabilité de chacun, en particulier à celle des grands donneurs d'ordres. Il n'est évidemment pas question que la crise devienne une excuse pour repousser des paiements et induire des retards risquant d'être fatals pour nos PME.
Nous sommes vigilants face à ce type de pratiques. Nous avons d'ailleurs demandé à la DGCCRF de poursuivre ses contrôles et de s'assurer qu'il n'y a eu aucun comportement inacceptable de rétention volontaire des paiements pendant la crise. Au cours des prochains mois, les grandes entreprises et les ETI ayant bénéficié d'un PGE seront ciblées dans le cadre du contrôle des délais de paiement, afin de vérifier que l'aide apportée par l'État a bien été utilisée pour payer les fournisseurs.
Lorsque la crise sera passée, il est capital que nous puissions retrouver très rapidement le niveau des retards de paiement observé en 2019, à savoir onze jours environ. Mais, au-delà, nous devons reprendre une dynamique de réduction de ces retards de paiement, pour passer, à l'horizon 2021, sous les dix jours.
Aux Pays-Bas, je le rappelle, les retards sont en moyenne de quatre jours ; en Allemagne, de sept jours. Même si la France fait désormais partie des bons élèves européens en la matière, les retards de paiement qui y sont pratiqués ne sont pas une fatalité. Il faut que le respect des délais de paiement devienne une véritable culture et « percole » au sein même des organisations.
La politique de publication du nom des entreprises faisant l'objet de sanctions en matière de délais de paiement, engagée en 2015, visait à sensibiliser les dirigeants des entreprises à cette question. Il faut maintenant que cette sensibilisation, cette culture du paiement dans les temps, imprègne toutes les strates de la chaîne de paiement. La dématérialisation du traitement des factures sera un levier complémentaire pour parvenir à une baisse des délais.
Je prendrai maintenant le temps de répondre à quelques questions qui m'ont été posées.
S'agissant des ménages, monsieur Wulfranc, …
… sans nier l'importance du surendettement pendant la crise, je vous renvoie à une éventuelle discussion ultérieure, car le débat du jour porte sur les entreprises.
Monsieur Bernalicis, je vous confirme que nous n'avons pas prévu d'annuler la dette, ni la dette détenue par la BCE ni la dette privée. J'ai déjà participé à un débat à ce sujet dans cet hémicycle il y a quelques mois. C'est d'ailleurs une question qui divise les économistes, par-delà les sensibilités politiques.
En effet, certains économistes situés traditionnellement à l'extrême gauche, s'opposent à une annulation de la dette, tandis que des économistes plus libéraux la soutiennent.
Le débat transcende dons les partis politiques. En tout état de cause, je suggère que nous ne le relancions pas à cet instant et je vous confirme, je le répète, que le Gouvernement n'a le projet d'annuler ni la dette privée ni la dette publique.
Madame Pires Beaune, il faut être conscient que toute modification de l'ordre des créanciers prioritaires dans le cadre des procédures collectives aurait des conséquences très importantes sur le financement de l'économie, les relations inter-entreprises et l'économie réelle. Le Gouvernement ne projette pas de modifier cet ordre.
Bruno Le Maire, Alain Griset et moi sommes particulièrement attentifs à la question des délais de paiement et attendons un sursaut des entreprises. L'évolution des délais de paiement sera suivie scrupuleusement. Si cela ne suffit pas, nous n'excluons pas de mettre en place des outils plus contraignants à l'avenir, après la sortie de la crise.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée des questions et celle des réponses sont limitées à deux minutes et qu'il n'y a pas de droit de réplique.
La parole est à M. David Corceiro.
Monsieur le secrétaire d'État, je vous pose cette question au nom de mon collègue Philippe Bolo, nommée rapporteur de la commission des affaires économiques pour l'audition de Mme Laure de La Raudière, qui se déroule en ce moment.
La crise que nous traversons actuellement augmente considérablement la vulnérabilité des entreprises. Dès lors, nous devons être d'autant plus vigilants quant à l'allongement des délais de paiement. Depuis le début de la législature, nous avons à plusieurs reprises adopté des dispositions qui permettent de lutter contre cette dérive. Tel fut notamment le cas avec la loi PACTE : sous l'impulsion du président Mignola, nous avons voté un aménagement de l'affacturage inversé.
Si l'allongement des délais de paiement concerne principalement quelques grands groupes publics, champion des économies hors la loi consistant à faire de l'argent sur le dos des PME, l'État est également concerné par ce fléau.
La responsabilité de l'État est particulièrement visible dans le dispositif MaPrimeRénov', qui comprend plusieurs étapes : constitution du dossier ; devis ; réalisation des travaux ; émission d'une facture ; règlement de la facture après demande de paiement par le particulier ; enfin, règlement de l'entreprise. Un tel enchaînement d'étapes ne garantit aucunement que l'entreprise obtienne un paiement rapide après les travaux.
C'est pourquoi mon collègue Philippe Bolo souhaite vous interroger sur la cohérence des aides publiques, monsieur le secrétaire d'État. Comment l'État vérifie-t-il que les procédures d'attribution des aides ne contribuent pas à l'allongement des délais de paiement ? Par ailleurs, dans le cadre de la loi PACTE, le Gouvernement a défendu le principe d'une base de données publique accessible aux entreprises, permettant à chacune d'entre elles de connaître, avant de s'engager, le délai de paiement pratiqué par le donneur d'ordres public. Malheureusement, cette base n'a jamais vu le jour sous cette forme. Dès lors, comment le Gouvernement entend-il concrétiser les lois et les règlements visant à réduire les délais de paiement ?
Comme vous l'avez indiqué, monsieur Corceiro, la loi PACTE comprend plusieurs dispositions qui permettent d'améliorer les délais de paiement, qui portent tant sur l'affacturage inversé que sur la transparence des délais de paiement publics. Nous travaillons pour donner une traduction concrète à ces dispositions, mais, vous en conviendrez, l'année 2020 a été un peu particulière et a pu ralentir certains projets, notamment celui de la base de données des délais de paiement des collectivités territoriales.
Les services du médiateur des entreprises sont mobilisés pour progresser en matière d'affacturage inversé et faire de la pédagogie à propos de cette solution, qui peut s'avérer gagnant-gagnant pour les entreprises. Sachez que le comité de mise en oeuvre du paiement fournisseurs anticipé s'est réuni le 22 décembre dernier et a adopté un plan de travail ambitieux.
Votre question relative au paiement de MaPrimeRénov' a trait non pas au délai de paiement, mais, de manière plus générale, à la rapidité d'attribution des aides. L'État veille toujours à l'efficacité des dispositifs qu'il instaure, et il faut toujours trouver un équilibre entre ciblage et simplicité, entre contrôle pour éviter les fraudes et rapidité d'exécution. D'ailleurs, les dispositifs d'aide que nous avons mis en place pendant la crise sanitaire sont plutôt des modèles de simplicité et de rapidité. Rappelons que le dispositif MaPrimeRénov' permet aux ménages de toucher plus rapidement les aides puisqu'il remplace un crédit d'impôt. Si le système a pu rencontrer des retards, dus notamment à la crise sanitaire, il va effectivement faciliter, raccourcir et simplifier les procédures. Pour un échange plus approfondi sur la question, je vous invite à prendre contact avec le ministère chargé du logement, qui publiera dans les prochaines semaines un bilan du fonctionnement du dispositif pour l'année 2020.
Il y a un an, nous observions avec incrédulité la situation à Wuhan, supposément lointaine. Aujourd'hui, hélas, la crise sanitaire est encore présente au plus près de nous et ne cesse d'inquiéter. Parallèlement à ces préoccupations pour la santé de nos concitoyens, la santé de notre économie en général et celle d'un grand nombre d'entreprises en particulier sont préoccupantes.
Parmi les conséquences économiques et sociales qui risquent malheureusement de s'amplifier dans les mois à venir, la question des délais de paiement devient aiguë, plusieurs orateurs l'ont signalé. Alors que l'observatoire des délais de paiement de la Banque de France notait dans ses derniers rapports annuels une amélioration de la situation, tant pour les entreprises que pour les organismes publics, la covid-19 va, hélas, causer des ravages en cette matière aussi.
Pourtant, de plan de relance en collectif budgétaire, des sommes importantes ont été injectées dans l'économie afin de limiter les effets de la crise. Force est de constater que cela ne suffit pas et que bon nombre d'entreprises de nos territoires se heurtent à des difficultés extrêmes. Il semble donc urgent de trouver des solutions pour éviter que d'éventuelles faillites ne se propagent et ne créent un véritable tsunami de dépôts de bilan, lorsque les URSSAF, l'administration fiscale et les banques se rappelleront au bon souvenir des entreprises.
À cet effet, le groupe Socialistes et apparentés a proposé à plusieurs reprises, notamment lors de l'examen du projet de loi PACTE, de revenir sur le principe des créanciers privilégiés, dont bénéficient notamment l'État et les organismes sociaux. Dans la situation de crise historique que nous traversons, monsieur le secrétaire d'État, ne pourrait-on pas imaginer une expérimentation temporaire consistant à mettre ce principe entre parenthèses, de sorte que l'on évite une propagation galopante des défauts de paiement ?
Vous évoquez une crainte, partagée par l'ensemble des pouvoirs publics, celle des défaillances d'entreprises en raison de la crise. La vérité oblige à dire que pour le moment, et après que des indicateurs aient démontré qu'il y a eu un problème lors du premier confinement, notamment en matière de délais de paiement, les choses semblent – je dis bien « semblent » – à peu près sous contrôle.
Pour connaître avec exactitude la situation macroéconomique, il faut attendre la publication, en mars, du rapport de l'observatoire des délais de paiement. Mais les indicateurs dont nous disposons laissent penser que compte tenu de l'intervention massive de l'État dans l'économie, avec les prêts garantis, le Fonds de solidarité ou le chômage partiel, les choses sont, pour le moment, plutôt sous contrôle.
Cela se reflète d'ailleurs très concrètement dans les chiffres de défaillances d'entreprises que nous avons pour 2020 : celles-ci restent très limitées par rapport à ce à quoi nous pourrions nous attendre.
Évidemment, ce qui s'annonce sensible et qui nécessitera d'être géré d'une manière très fine, c'est, au fond, le désengagement progressif de l'État dans l'économie, au fur et à mesure que la crise sanitaire s'allégera et que l'activité repartira. Soyez assurés que Bruno Le Maire, Alain Griset ou encore Agnès Pannier-Runacher portent à cette question une très grande attention, dans la perspective, évoquée par certains parlementaires, du début des remboursements des prêts garantis par l'État, étape qui nous fera sortir d'une forme d'anesthésie générale de l'économie par l'État.
Dans cette optique, nous n'avons à ce jour pas prévu de modifier l'ordre des créanciers privilégiés ou de dégrader le rang de l'État. Une telle mesure aurait un impact considérable. Nous resterons néanmoins attentifs à la situation collective et individuelle des entreprises pour faire en sorte que la sortie de crise se passe le mieux possible.
Ma question porte sur l'attitude des acheteurs publics vis-à-vis de leurs fournisseurs ou prestataires, notamment dans le cadre des marchés publics. Comme l'ont dit fort justement mes collègues avant moi, les retards de paiement sont un fléau qui peut mettre en difficulté de nombreuses entreprises. À cet égard, nous savons que les petites entreprises sont les plus fragiles, surtout dans ce contexte économique dégradé où les niveaux de trésorerie peuvent fondre très rapidement.
Certes, un panel de sanctions existe pour dissuader les mauvais payeurs d'accumuler les retards de paiement aux dépens de leurs fournisseurs. L'application de ces sanctions administratives et leur publication vont dans le bon sens.
La crise sanitaire et économique que nous connaissons met en difficulté de nombreuses entreprises. Je tiens à saluer la réactivité du Gouvernement qui, dès le début du premier confinement, a instauré un comité de crise sur la dégradation des délais de paiement. Mon collègue Vincent Ledoux l'a rappelé dans son propos, des pistes de réflexion sont à l'étude pour améliorer la situation, comme la création d'une agence de notation des délais de paiement.
Il est également indispensable que les acteurs publics – collectivités territoriales, État, établissements publics – donnent l'exemple. Je pense notamment au secteur des travaux publics, où les retards de paiement sont plus importants qu'ailleurs.
Monsieur le secrétaire d'État, envisagez-vous également des mesures concrètes pour réduire les retards de paiement d'acheteurs publics que l'on présente souvent, à tort ou à raison, comme de mauvais payeurs ? Plus généralement, avez-vous des données à nous communiquer sur les retards de paiement dans les marchés publics ?
Nous l'avons évoqué il y a quelques minutes, contrairement à la perception que l'on pourrait parfois avoir, les délais de paiement de la sphère publique sont globalement bons – du moins sont-ils en très nette amélioration depuis plusieurs années ; c'est ce que nous disent les indicateurs. Je rappelle les chiffres : s'agissant de la commande publique, le délai global de paiement des services de l'État – je parle bien de l'État, et non des collectivités territoriales – est passé, entre 2011 et 2019, de quarante-cinq à dix-neuf jours. Avant que la crise ne surgisse, ce délai avait même baissé de deux jours en deux ans.
Je le disais, depuis le début de la crise, les délais de paiement des acheteurs publics ne semblent globalement pas avoir été allongés. En effet, le nombre de cas remontés au médiateur des entreprises pour des problèmes de paiement d'organismes publics reste stable. Le rapport de l'observatoire des délais de paiement, qui sera publié en mars prochain, permettra de confirmer cette estimation avec des chiffres clairs et détaillés.
Je l'ai également dit, cette amélioration est le fruit d'une prise d'une conscience de l'État de l'importance d'être exemplaire dans ce domaine, compte tenu de l'importance des délais de paiement dans l'économie. Plus concrètement, ce progrès est dû à l'amélioration du processus de paiement menée à bien par l'État, avec notamment la dématérialisation de la facturation et une réorganisation de la chaîne de paiement.
Toutefois, derrière ces chiffres se cachent encore de fortes disparités et des délais importants sont encore observés dans certaines collectivités, notamment celles de très grande taille, et chez certains acteurs du secteur hospitalier. Il convient que les organismes publics dans leur ensemble progressent encore, car ils doivent être irréprochables. Cela passera notamment par une meilleure transparence sur leurs délais de paiement.
À cet égard, vous aviez voté, monsieur le député, dans le cadre de la loi PACTE – plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises – , en faveur d'une publication en open data des délais de paiement des collectivités. Compte tenu de la crise du coronavirus, un retard a été pris dans l'application de cette disposition, mais je vous confirme que, dans les mois à venir, le Gouvernement compte bien faire la transparence sur les délais de paiement des différents organismes publics. C'est indispensable pour que nous progressions tous ensemble.
Certaines enquêtes d'opinion, qui ont été évoquées, indiquent que certaines entreprises hésitent à répondre à des appels d'offres publics par crainte de subir des délais de paiement trop longs. Cela démontre que nous avons encore à la fois des progrès et de la pédagogie à faire. De toute évidence, fournir cet effort est encore plus indispensable dans le cadre du plan de relance.
Depuis l'instauration du second confinement, des dispositifs d'aide ont été annoncés pour soutenir la trésorerie des entreprises, notamment l'extension du Fonds de solidarité, qui compense désormais 20 % de leurs pertes de chiffre d'affaires.
La montée en puissance du Fonds de solidarité a tardé, alors même que nos petites entreprises ne disposaient que d'une trésorerie limitée pour tenir. Une fois officialisées, il convenait d'appliquer ces mesures rapidement et de faire en sorte que ces aides parviennent aux entreprises dans des délais très courts. En effet, une aide décidée en novembre 2020 mais versée en janvier 2021 n'aurait qu'une utilité limitée, puisque beaucoup d'entreprises ne pourraient tenir jusque-là.
C'est pourtant ce qui arrive à de nombreuses TPE – très petites entreprises. J'ai le cas d'un restaurateur de ma circonscription qui vient juste d'obtenir, il y a quelques jours, le versement de l'aide du mois de novembre du Fonds de solidarité. Devant de tels délais, il avait écrit à la DGFIP – direction générale des finances publiques – de Clermont-Ferrand, et voici la réponse lacunaire de celle-ci : « Le traitement de certaines demandes est actuellement affecté par un dysfonctionnement identifié au plan national. Cela concerne malheureusement de très nombreuses demandes comme la vôtre. Je conçois très bien votre impatience légitime, mais le service n'a aucun moyen de débloquer votre situation dans l'immédiat et vous invite à patienter. »
Vous comprendrez, monsieur le secrétaire d'État, que ce n'est pas d'une impatience ou d'un caprice qu'il s'agit, mais bien de la survie de ce restaurant, ainsi que de tous ses fournisseurs, qu'il doit payer. Il s'agit d'éviter des faillites en cascade.
Il semblerait donc que, passé les grandes annonces, le Gouvernement ait tendance à faire les choses lentement, ce qui vaut d'ailleurs pour un certain nombre de sujets. Ma question est donc simple : quelles mesures envisagez-vous pour réduire les délais de paiement des nombreuses aides essentielles qui ont été promises, mais qui peinent tant à être effectives ?
Pour vous répondre le plus clairement possible, je crois que nous nous rejoignons sur un point : la réponse de la DGFIP de Clermont-Ferrand à ce restaurateur n'est pas acceptable. Elle ne l'est pas, parce que l'efficacité des dispositifs décidés par l'État ne repose pas sur leur annonce, mais, vous l'avez dit, sur leur application effective, sur le décaissement des sommes et le fait qu'elles arrivent sur le compte des entreprises qui en ont besoin.
C'est ce qui a guidé l'ensemble de la politique conduite par le Gouvernement au cours de la crise et, hormis quelques exceptions, je crois pouvoir dire qu'en règle générale, il y a eu une grande rapidité dans le versement des aides, aussi bien par les services de Bercy que par les URSSAF – unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales. Mon impression, et c'est ce qui nous remonte du terrain de manière quantitative, est que nous avons été très rapides pour verser les allocations du chômage partiel ou encore pour décaisser le Fonds de solidarité. L'administration française dans son ensemble a fait preuve d'une grande rapidité pour réagir à la crise.
Il n'empêche qu'il peut y avoir quelques problèmes locaux. Je prends bonne note de ce que vous nous signalez. Je le communiquerai à Olivier Dussopt et Bruno Le Maire. Je vous invite d'ailleurs à nous transmettre ces éléments pour que nous puissions corriger les choses si elles peuvent l'être.
J'estime néanmoins que dans la gestion de la crise, l'administration française s'est montrée très efficace pour décaisser les aides – je dispose d'ailleurs d'exemples d'autres pays européens pour en attester.
Des problèmes peuvent exister dans d'autres secteurs, mais je crois que nous nous rejoignons sur le fait que si l'on veut que la parole publique garde sa crédibilité, il convient de concrétiser ce qui a été décidé et donc, en l'espèce, que les décaissements soient réalisés le plus rapidement possible.
La situation des petites et moyennes entreprises est très fragile en outre-mer. À La Réunion, elles représentent plus de 95 % du tissu économique. Cette fragilité ne date pas d'hier, mais s'est aggravée avec la crise sanitaire. Tout le monde le sait, les chefs d'entreprise ultramarins ne dorment pas sur des matelas de billets. Les situations financières sont tendues et après avoir payé les salaires des employés et procédé au remboursement de dettes, il ne leur reste bien souvent qu'une misère.
La gestion des comptes doit être rigoureuse. Il faut anticiper et prévoir les retards de paiement. Les délais ne sont pas toujours respectés, que ce soit dans le privé ou dans le public. Ajoutez à cela la rigidité des banques et des établissements financiers et vous obtenez le cocktail du dépôt de bilan et des faillites, avec leur lot de chômage.
Non, les banques ne jouent pas le jeu, car même en présentant les bons de commande des marchés publics obtenus, ces établissements ne tolèrent aucun retard et appliquent des mesures sévères : blocage de comptes, agios, saisies de matériel, etc.
Le savoir-faire et l'engagement de ces chefs d'entreprise ne sont plus à démontrer. Il faut donc les accompagner. C'est une question de vie ou de mort pour eux !
Dans ce contexte sanitaire où les finances sont au plus bas, ne faudrait-il pas une intervention ferme de l'État auprès des banques ? Un modèle spécifique d'affacturage inversé dans les DROM – départements et régions d'outre-mer – ne serait-il pas une piste de réflexion ? Pourquoi ne pas installer une cellule de suivi des collectivités locales afin d'accélérer le processus de paiement ? Pourquoi ne pas débloquer des fonds spécifiques auprès de la CDC – Caisse des dépôts et consignations – afin de financer des projets d'investissement, mais aussi des fonds qui pourraient être alloués aux entreprises bénéficiaires de marchés, avec un remboursement à taux zéro, sachant que je regrette que vous refusiez d'annuler la dette privée ?
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Il est évident que la question de l'amortissement de la crise et des délais de paiement est importante, aussi bien dans l'Hexagone qu'en outre-mer, compte tenu de la situation spécifique de certaines entreprises ultramarines dont les niveaux de trésorerie peuvent être beaucoup plus tendus.
Il me semble que pour l'instant, les chiffres montrent que l'intervention de l'État, au travers des prêts garantis ou du Fonds de solidarité, a permis d'amortir la crise. Je ne dis pas qu'il n'y a pas quelques problèmes ici ou là, que certains territoires d'outre-mer ne rencontrent pas des difficultés qui nécessitent un traitement particulier, mais, pour l'avoir entendu à plusieurs reprises en conseil des ministres, sachez que le ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu, est mobilisé sur les enjeux spécifiques aux territoires d'outre-mer.
Pour autant, je ne crois pas, et j'ai eu l'occasion de le dire à votre collègue Ugo Bernalicis, que l'annulation de la dette soit une bonne chose, …
… ne serait-ce que parce qu'une annulation unilatérale de la dette privée, avant même de parler de la dette publique contractée auprès de la BCE – Banque centrale européenne – , aurait un impact massif sur les relations interentreprises et le crédit bancaire, ce qui ne me paraît pas judicieux dans la période actuelle.
S'agissant des différentes options que vous proposez, dont je vous avoue ne pas être véritablement spécialiste, je vous suggère de vous entretenir avec le ministre délégué Olivier Dussopt ou avec le ministre Sébastien Lecornu, de telle manière qu'en cas de problème de délais de paiement spécifique à certains territoires d'outre-mer, nous puissions trouver les solutions correspondantes.
Seize euros : telle est, selon plusieurs journaux, l'augmentation de la facture d'électricité des Français envisagée par la Commission de régulation de l'énergie. Cette somme équivaut à une hausse de 1,73 % par an, tandis que les professionnels pourraient, eux, voir leur facture augmenter de 3,02 %.
Cette augmentation s'ajoute à deux autres déjà annoncées : celle de la taxe transport à compter de cet été et celle des prix du marché de capacité de production électrique. Au total, ce sont donc près de 50 euros supplémentaires en moyenne qui vont venir gonfler les factures d'électricité des Français en 2021.
Plusieurs facteurs expliquent cette augmentation prévue pour le 1er février prochain, notamment l'évolution des coûts de commercialisation due aux effets de la crise sanitaire liée au covid-19. Ainsi, nombreuses sont les entreprises qui ont vu leur trésorerie s'assécher ces derniers mois jusqu'à la cessation de paiement et la fermeture définitive.
Dès lors, les retards de paiement se sont nettement accrus depuis quelques mois, touchant particulièrement les PME, plus fragiles que les grands groupes. Aussi, nous constatons une explosion du nombre de factures d'électricité impayées l'année dernière à cause de la crise, qui concernent près de 17 % des clients professionnels. C'est la preuve que l'allongement des délais de paiement touche d'abord les professionnels, mais se répercute aussi, dans certains cas, directement sur les Français.
Notre groupe rappelle que souvent, les retards de paiement ne sont pas le fait d'une volonté délibérée de l'entreprise. Des mesures incitatives doivent donc être mises en place. Quels dispositifs le Gouvernement entend-il prendre pour aller dans ce sens ?
Par ailleurs, plusieurs outils de financement ont été créés pour permettre aux entreprises de renflouer leur trésorerie via un recours au crédit au lieu d'imposer des retards de paiement à leurs fournisseurs ou sous-traitants. Au regard de la crise actuelle, cette méthode ne peut s'inscrire dans une démarche de long terme : on risquerait de voir exploser le nombre des « entreprises zombies ». Comment le Gouvernement compte-t-il pallier cette situation ?
Votre question comporte plusieurs éléments. Pour être honnête – mais peut-être faut-il creuser le problème – , je ne suis pas certain de percevoir le rapport entre les délais de paiement interentreprises et le défaut de règlement des factures d'électricité à EDF ou aux autres fournisseurs. L'augmentation de ces impayés me semble le symptôme d'une crise économique plus générale, des difficultés qu'ont rencontrées nos entreprises et éventuellement de fermetures administratives. Les imputer au seul allongement des délais de paiement interentreprises me semble à tout le moins réducteur.
Vous évoquez un sujet important : les entreprises zombies. Ce joli nom désigne les entreprises qui, ayant contracté une dette, en acquittent les intérêts sans pouvoir rembourser le capital et, ne pouvant se développer, entrent dans une longue situation de surendettement, ce qui arrive assez régulièrement lors des sorties de crise. Nous surveillerons très précisément ce phénomène lors du paiement des premières échéances des prêts garantis par l'État – c'est alors que le problème risque de se poser – ou lorsque les URSSAF ou les organismes sociaux recommenceront à collecter certaines cotisations, qui ne l'ont pas été pendant la crise. Je tiens à vous assurer que les services d'Olivier Dussopt, d'Agnès Pannier-Runacher et d'Alain Griset – en plus de ceux de Bruno Le Maire – sont mobilisés sur ce problème, qui est encore devant nous.
Alors qu'en France, une entreprise sur quatre fait faillite faute d'être payée à temps, le ministre de l'économie s'est dit favorable à la création d'une notation afin d'identifier les mauvais payeurs. Selon le Gouvernement, un tel système permettrait d'informer les PME, sous-traitants et fournisseurs, sur les entreprises qui pratiquent volontairement ou non des retards de paiement.
La réalité, c'est qu'encore une fois, on a voulu faire une loi générale qui s'applique à tous sans distinction. La loi de modernisation de l'économie de 2008 a raccourci à trente jours les délais de paiement. C'est très bien pour les petits producteurs qui se heurtaient aux pratiques déloyales et abusives des grandes surfaces et des géants de la distribution. Néanmoins, cela ne permet pas de faire la différence entre les grandes entreprises et les TPE-PME qui font face à des difficultés de trésorerie.
La LME a également prévu la possibilité de fixer des délais plus longs par accord interprofessionnel. C'est ainsi que plusieurs secteurs professionnels ont conclu des accords dérogatoires successifs. Cela ne suffit pas, cependant, pour les petits commerçants et les artisans, qui ont besoin de plus de temps. Il conviendrait donc d'ajuster la réglementation, en prenant mieux en compte, par exemple, le chiffre d'affaires ou la masse salariale. Comptez-vous laisser plus de marges de manoeuvre aux petits commerçants pour payer leurs fournisseurs ? Allez-vous affiner la réglementation en matière de délais de paiement ?
Je l'ai dit tout à l'heure, si vous vouliez vraiment protéger les entreprises, il aurait fallu accepter d'accorder aux fournisseurs un statut privilégié dans la hiérarchie des créanciers à rembourser en cas de liquidation judiciaire. Les entreprises auraient pu remonter dans l'ordre de paiement et devenir moins vulnérables en cas de défaillance de leurs clients. Quelles sont vos intentions en la matière ?
Sur les deux questions que vous posez, nous partageons vos priorités : lorsqu'on réduit les délais de paiement, on rend d'abord du crédit ou de la trésorerie aux TPE et aux PME. Mais, en l'espèce, je ne suis pas certain que les deux solutions que vous proposez soient les bonnes. Imaginons que l'on déclare les délais de paiement plus longs pour les petites entreprises que pour les grosses : on amènerait les petites entreprises à ne plus se faire confiance mutuellement. Une petite entreprise aurait en effet intérêt à se fournir auprès d'une grosse entreprise dont elle sait qu'elle sera payée à l'heure. La mesure induirait donc des effets de bord.
J'ajoute qu'à mon sens, votre proposition ne peut pas fonctionner, car, légalement, elle ne pourrait pas s'appliquer seulement de petite entreprise à grande entreprise. Je n'en suis pas certain, mais il me semble que, si l'on peut éventuellement établir une différence en termes de délais de paiement selon la taille des entreprises, on ne peut pas prévoir de distinctions en fonction du client.
Quant à modifier l'ordre des créanciers, la mesure ne saurait s'appliquer de manière rétroactive. Lorsqu'on contracte une créance, …
… on le fait en fonction d'une situation, qui ne peut être modifiée a posteriori. En outre, si l'on commence à rétrograder les banques dans la liste des créanciers, on touche au crédit. Dans une autre vie, j'ai eu l'occasion de travailler sur les entreprises en difficulté. C'est un sujet extrêmement sensible, dont les effets collatéraux sont importants sur le financement de l'économie et les relations entre les entreprises. Les périodes de crise sont le moins bon moment pour le traiter : ce n'est pas dans un tel contexte qu'on peut modifier des éléments en créant de l'incertitude, ce qui priverait certains acteurs d'intervenir dans l'économie. Cela n'empêche pas que la question puisse être posée de manière plus globale.
Moi aussi, je vais vous parler du pire scénario, des factures qui mettent de plus en plus de temps à être réglées, de la trésorerie qui s'assèche petit à petit jusqu'à la cessation de paiement, voire la fermeture définitive. Ce scénario noir, beaucoup d'entreprises le redoutent à juste titre en ce moment, du fait de la crise de la covid-19, mais la vague de faillites annoncée cet automne reste pour l'heure contenue. Selon les greffiers des tribunaux de commerce de France, on a enregistré entre septembre et novembre 2020 l'ouverture d'environ 7 500 procédures collectives, soit une baisse de 37 % par rapport à la même période en 2019. Pendant les douze derniers mois, le nombre de défaillances a chuté d'un tiers dans notre pays. La catastrophe est donc évitée pour l'instant.
Les entreprises ont été soutenues par l'État. Elles en sont très reconnaissantes et nous le disent. Les URSSAF n'assignent plus aucune entreprise au tribunal. Reste que les aides publiques auront une fin. Il faudra rembourser les prêts garantis par l'État. Les entreprises craignent donc une explosion des défaillances en 2022.
Pour les économistes d'Euler Hermes, le moment décisif pourrait intervenir au deuxième trimestre de 2021, lorsque les entreprises françaises paieront les impôts de production et les acomptes trimestriels d'autres taxes. L'allongement des délais de paiement interentreprises dont il est ici question peut constituer un signal faible, annonciateur d'une vague de défaillances. Les CCI – chambres de commerce et d'industrie CCI – sont très sollicitées en ce moment pour des problèmes de paiement de factures. Ce motif, qui représentait 25 % des saisines avant la crise, s'établit désormais autour de 50 %.
Vous avez répondu en partie, en soulignant l'attention particulière que porte le Gouvernement aux délais de paiement, tant en surveillance qu'en action. Pouvez-vous aller plus loin en nous donnant des informations sur vos indicateurs par filières et par secteurs géographiques, et sur vos actions plus spécifiques ?
Vous l'avez dit : si, pour l'instant, la crise n'a pas eu d'impact massif sur les délais de paiement, nous avons déjà perdu le gain des dernières années, à savoir deux jours de délais de paiement en matière générale. L'observatoire des délais de paiement fournit des données de manière régionalisée et par secteurs. Cet indice nous permet de suivre la réalité des délais de paiement dans notre pays et dans notre économie. Nous attendons par conséquent avec impatience la publication de son rapport, qui doit intervenir en mars, pour ajuster ce qui doit l'être.
Dans le cadre des négociations qu'elle mène avec différentes filières, Mme la ministre déléguée Agnès Pannier-Runacher a prévu pour chaque filière des cénacles de discussion particuliers entre les entreprises pour qu'avant même qu'on sollicite le médiateur des entreprises, qui traite les cas très problématiques, on puisse ouvrir une discussion sur les délais de paiement. Soyez assurée que dès lors que nous disposerons d'indicateurs, notamment régionalisés, nous les rendrons publics – ce qui répond à votre souci de territorialiser les données. Compte tenu de l'importance des délais de paiement dans notre économie, nous surveillons les risques de défaillance des entreprises comme le lait sur le feu, ainsi que les délais de paiement réels, notamment des grandes entreprises aux plus petites. Si nécessaire, nous n'hésiterons pas à modifier les choses.
Le cabinet ARC a publié mardi 20 octobre 2020 la dixième édition de son baromètre, réalisé par l'IFOP, sur la gestion de la crise de la covid-19, la trésorerie et le financement des entreprises, ainsi que les attentes des dirigeants en matière de diminution des retards de paiement.
Selon ce baromètre, l'année 2020 marque une adhésion de la majorité des entreprises au plan de soutien du Gouvernement, mais on a observé une très forte augmentation des délais de paiement pour et par les petites et moyennes entreprises. Le problème n'est pas nouveau. En mars 2020, le ministère avait déjà été alerté sur ce type d'agissements de la part de certaines grandes entreprises. Malheureusement, la crise du coronavirus a provoqué une très forte augmentation, si ce n'est une explosion, des délais de paiement.
Les PME sont davantage concernées par le phénomène. Si de nombreuses entreprises ont pu bénéficier de prêts garantis par l'État, les délais d'obtention de ces prêts ont allongé les délais de paiement. De plus, la crise sanitaire a renforcé la peur de la faillite et poussé davantage les entreprises, notamment les PME, à repousser les paiements afin de conserver de la trésorerie.
Pour contrer cette tendance, des solutions ont été évoquées, dont la notation des délais de paiement, qui permettrait plus de transparence ainsi qu'une identification des mauvais payeurs. Ce système de notation fait écho à la politique du name and shame, déjà développée par l'État, qui consiste à afficher sur le site de la DGCCR les entreprises ayant écopé d'amendes pour ne pas avoir payé leurs factures à temps. La solution ne paraît pas adaptée au contexte de crise actuel, ni à celui de l'après-crise auquel nous serons confrontés dans les mois et les années à venir.
Pouvez-vous nous faire part des mesures concrètes que vous envisagez pour lutter contre l'allongement des délais de paiement dans le cadre de la crise économique que nous traversons, sans pour autant stigmatiser durablement les entreprises ?
Vous évoquez certaines solutions qui sont sur la table. Nonobstant ce que vous avez déclaré, je pense qu'en matière de délais de paiement, la transparence peut être très utile : elle crée une pression sur le mauvais payeur et permet de distinguer bons et mauvais payeurs parmi les entreprises et les collectivités. C'est pourquoi la DGCCRF s'attache à publier les sanctions et le nom des entreprises sanctionnées.
Plusieurs d'entre vous ont mentionné le recours à une agence de notation. La piste, loin d'être triviale, est intéressante. Je rappelle que la DGCCRF met beaucoup de temps avant d'établir le fait qu'une entreprise paie mal.
La procédure est compliquée, notamment quand il s'agit d'une grande entreprise, car il faut prendre en compte un grand nombre de factures et pénétrer dans divers systèmes d'information. Bruno Le Maire est prêt à travailler sur le sujet, qui appelle une instruction plus poussée.
Nous pensons toutefois qu'il existe un problème de transparence sur le paiement des grandes collectivités territoriales – s'agissant de l'État, il est déjà connu. C'est pour cela que vous avez voté dans la loi PACTE la transparence des délais de paiement des collectivités territoriales, qui sera effective dans les prochains mois.
S'agissant des délais de paiement en général, j'ai indiqué, dans ma réponse à Mme Clapot, que les chiffres dont nous disposons – le nombre de saisines du médiateur des entreprises, notamment – n'indiquent pas de dérapages trop importants à ce stade. La solution retenue est donc celle du prêt garanti par l'État, afin de soulager la trésorerie des entreprises ; toutefois, nous n'excluons pas de prendre d'autres mesures si jamais nous constations, lors de la publication du rapport de l'observatoire des délais de paiement, un nombre de dérapages significatif.
Après avoir consulté de nombreuses entreprises de ma circonscription, il s'avère que celles-ci ne connaissent pas nécessairement un allongement des délais de paiement. Au contraire, le PGE a contribué à l'amélioration de la trésorerie et les délais de paiement sont respectés. En revanche, elles me signalent des inquiétudes concernant, d'une part, le remboursement du PGE, qu'il semble indispensable de différer dans la mesure où les effets de la crise se feront davantage sentir en 2021-2022, et, d'autre part, le remboursement des assurances-crédit garanties par l'État, dont les primes ont considérablement augmenté alors que les montants garantis, eux, ont stagné. Les banques et les assurances devraient être des partenaires dans cette crise, me semble-t-il.
La situation est différente pour les commerces, et notamment pour les nombreux commerces alimentaires restés ouverts dont le chiffre d'affaires a connu une baisse importante – de l'ordre d'un tiers, voire de 40 % – et qui ne peuvent prétendre à aucune aide, ces dernières étant conditionnées à une perte minimum de 50 % du chiffre d'affaires. Ces commerçants qui doivent continuer d'assumer le règlement de leurs dépenses courantes, de leurs prêts et de leur loyer sont, eux, en grande difficulté. Il est indispensable de procéder à des exonérations ou à des baisses de charges susceptibles de soulager la trésorerie très tendue de commerces qui doivent en outre, dans certains départements comme le mien, la Saône-et-Loire, composer avec un couvre-feu fixé à dix-huit heures.
La commande publique est régulièrement évoquée. Plusieurs dirigeants de groupes de travaux publics de ma circonscription font état de carnets de commandes vides en raison d'une dégradation marquée de la commande publique, et le volume des appels d'offres reste très en deçà de ce qu'il était en 2019. Les entreprises de travaux publics mettent d'ores et déjà un terme aux contrats d'intérim, et le nombre d'heures travaillées effectuées par leurs salariés est en net recul ; pour l'instant, les effectifs permanents restent stables mais, si les donneurs d'ordres publics, en l'occurrence les collectivités territoriales, ne se mobilisent pas pour enclencher le redémarrage de l'activité, l'année qui vient risque d'être particulièrement difficile et destructrice d'emplois dans le secteur.
Or les communes, les intercommunalités et les départements ont subi des baisses de recettes importantes – notamment une baisse de la DGF, la dotation globale de fonctionnement – en même temps que leurs dépenses étaient majorées par la crise sanitaire. Leur budget sévèrement réduit les accule à un attentisme forcé. Quelles mesures comptez-vous prendre pour rassurer les collectivités territoriales et les encourager à jouer leur rôle essentiel d'agent économique ?
Madame Corneloup, les situations que vous avez évoquées au début de votre intervention confirment ce que nous disions, à savoir qu'il n'y a pas eu, à ce stade, de dérapage majeur et global concernant les délais de paiement. Nous verrons ce qu'il en est dans les statistiques qui seront publiées en mars prochain.
Vous évoquez le cas de certains commerces d'alimentation restés ouverts qui ont connu une baisse de fréquentation. Sauf erreur de ma part, ceux-ci peuvent bénéficier du dispositif du chômage partiel en cas de baisse significative de leur chiffre d'affaires, ce qui est une forme d'aide de l'État, ou du moins des organismes de sécurité sociale. Quoi qu'il en soit, je vous assure que Bruno Le Maire et l'ensemble des ministres de Bercy veillent à ajuster les dispositifs au plus près des besoins de chacune des filières. Le nombre de bénéficiaires du Fonds de solidarité a ainsi été étendu à plusieurs reprises, et les conditions d'éligibilité à ce fonds ont été revues au fur et à mesure de l'évolution de la situation sanitaire. S'il s'avérait qu'il existe un problème dans certaines filières, notamment pour le commerce alimentaire, nous n'hésiterions pas à intervenir.
Il est vrai que les travaux publics ont connu une forte baisse au premier semestre de l'année 2020 ; celle-ci est liée à la crise sanitaire, mais également – il faut le dire, puisque vous connaissez la réalité du terrain – au décalage des élections municipales et à la prise en compte de l'impératif environnemental. En effet, l'exacerbation de la sensibilité environnementale a conduit certains des maires que je connais à décaler leurs projets. La dynamique a repris au second semestre 2020, comme l'indiquent les statistiques présentées ce matin en conseil des ministres, et soyez assurée que nous restons attentifs à la situation du BTP, aux côtés des collectivités territoriales, …
… car, comme on dit en économie : « Quand le BTP va, tout va. »
Nous sommes tous convaincus que les retards de paiement ont des effets délétères sur la trésorerie, sur les comptes de résultat, voire sur la survie des entreprises. Cette réalité n'est pas nouvelle ; elle est simplement amplifiée par la crise actuelle. En temps ordinaire, 25 % des défaillances d'entreprises sont dues à des retards ou à des défauts de paiement : les montants passés en perte pour l'année 2019 représentaient ainsi 56 milliards d'euros. Ces défauts se produisent souvent entre professionnels, c'est-à-dire entre entreprises, et sont davantage le fruit de négligences que d'un manque de solvabilité.
En octobre 2019, avec trente-deux de mes collègues, j'ai donc déposé une proposition de loi prévoyant qu'en l'absence de contestation d'une facture entre deux professionnels, le greffier pourra conférer force exécutoire à la créance afin d'en permettre le recouvrement immédiat par les officiers ministériels. Cela réduira de facto les délais de paiement, qui sont actuellement de l'ordre de quatre à cinq mois, entre l'intervention du juge, la notification par le greffier et le recouvrement final. Monsieur le secrétaire d'État, vous m'accorderez que cette mesure de simplification est plutôt dans l'air du temps. C'est une mesure de soutien à la performance économique et, au fond, une mesure de bon sens. Ma question est donc simple : êtes-vous prêt à étudier la proposition de loi que je tiens à votre disposition ?
Je partage votre avis concernant l'importance des retards de paiement dans l'économie en général. Même si mes chiffres sont différents des vôtres – 19 milliards d'euros, à ma connaissance – , il est vrai que la somme totale est considérable. Vous souhaitez modifier la procédure de recouvrement des créances entre professionnels afin de la rendre plus simple et plus rapide pour les entreprises en difficulté, et j'ai déjà répondu à plusieurs questions sur le sujet, notamment s'agissant de l'ordre des créanciers : il ne m'appartient pas, pour des raisons de périmètre ministériel, de modifier au banc cette procédure, mais je vous propose d'organiser un échange avec Éric Dupond-Moretti et Bruno Le Maire pour étudier vos propositions.
Après les vagues successives de covid-19, c'est à un véritable tsunami de dépôts de bilan d'entreprises que nous devons nous préparer. Une question se pose : comment aider les entreprises à surmonter le mur de dettes accumulées, pour certaines d'entre elles, depuis des mois ? On a beaucoup parlé de l'affacturage, inversé ou non : avez-vous envisagé des mesures fiscales en vue d'encourager les entreprises à y recourir ? Par ailleurs, serait-il possible de prévoir des mesures fiscales incitatives – un allégement de l'impôt sur les sociétés, par exemple – pour les tiers qui, au lieu de racheter des créances, rachèteraient des dettes via les factures ? Elles permettraient aux entreprises débitrices qui n'ont pas les reins assez solides de se libérer d'une dette fournisseur au profit d'une dette financière qu'elles pourront lisser dans le temps sans dégrader la relation à leur fournisseur ni menacer leur activité opérationnelle.
J'ajoute deux autres suggestions. Premièrement, il serait intéressant que les banques acceptent systématiquement les financements sous forme de Dailly pour les commandes et pour les subventions publiques, et tout particulièrement pour les subventions régionales ou européennes qui tardent souvent à arriver – rappelons les trois ans d'attente pour le versement de certaines aides du FEDER, le fonds européen de développement régional.
Ma deuxième suggestion concerne le PGE. Les entreprises commencent à recevoir des courriers de remboursement pour les PGE qu'elles ont souscrits : est-il envisageable de suggérer aux établissements bancaires de prévoir douze mois de carence supplémentaires qui ne généreraient pas d'intérêts bancaires en sus de la garantie de l'État ? En effet, comment les entreprises peuvent-elles se positionner sur la durée amortissable du PGE au vu de l'incertitude économique actuelle ? Les entreprises craignent également que l'amortissement du PGE sur quatre ans maximum soit insuffisant : serait-il envisageable d'allonger sa durée à dix ans ?
Le Gouvernement a montré, lors de l'examen de la loi PACTE, à quel point il était favorable au développement de l'affacturage, inversé ou non, dans le but de financiariser la dette fournisseur ou client des entreprises. Si je comprends bien, le processus que vous suggérez reviendrait à baisser l'impôt sur les sociétés des banques qui prendraient en charge cet affacturage. Je ne suis pas certain que ce dispositif soit adapté dans la situation actuelle. Je rappelle qu'à ce stade, même si nous suivons la situation de près, nous ne constatons pas de dérapage global sur les délais de paiement ; pour cette raison, nous n'avons pas adopté de mesures relatives aux délais de paiement dans le cadre du traitement de la crise sanitaire. Cette position est valable jusqu'à la publication des chiffres par l'observatoire des délais de paiement.
Concernant la deuxième partie de votre question, qui vient de m'échapper…
Exactement ! Vous évoquez une adaptation des prêts garantis par l'État. La discussion sur le remboursement des PGE a évolué au fur et à mesure du développement de la crise sanitaire ; c'est un sujet que tout le monde a en tête. De toute évidence, faire passer la durée d'amortissement de quatre à dix ans aurait des conséquences importantes sur le coût du crédit pour les entreprises. À ce stade, nous estimons que les PGE sont proportionnés aux besoins et qu'ils ont été paramétrés avec justesse, mais nous pourrions envisager une adaptation si le prolongement de la crise la rendait nécessaire.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinq.
L'ordre du jour appelle le débat sur la situation dans les EHPAD à l'issue des deux périodes de confinement de l'année 2020.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
La parole est à Mme Christine Pires Beaune.
C'est en novembre dernier que le groupe Socialistes et apparentés a choisi de débattre, dans le cadre de cette semaine de contrôle, de la situation dans les EHPAD, en particulier à l'issue des deux périodes de confinement que nous venons de connaître. Deux mois plus tard, ce sujet est malheureusement d'une acuité féroce.
Je vais me rendre dans les vingt-cinq EHPAD publics ou privés, territoriaux ou hospitaliers, de ma circonscription. À ce jour, j'en ai visité cinq et je crois pouvoir en tirer sans trop me tromper, madame la ministre déléguée chargée de l'autonomie, quelques conclusions générales que je vais donc vous livrer.
Mais en premier lieu, je voudrais, au nom de l'ensemble de mon groupe, saluer tous les personnels – administratifs, techniques et, bien sûr, soignants – qui, depuis bientôt un an, travaillent très dur, dans des conditions difficiles, voire extrêmes, pour s'occuper de nos aînés. Je le dis sincèrement, et je sais que vous le pensez tous ici, dans l'hémicycle : ils sont admirables – et pas seulement pendant la crise, mais toute l'année.
La crise du covid-19 a été l'occasion de révéler ces personnels, comme si, jusqu'à présent, on les avait cachés – comme ces personnes âgées que l'on ne souhaite pas voir et qu'ils prennent en charge. Elle a également été l'occasion de mettre en évidence les insuffisances en tous genres qui existent depuis longtemps dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées, qui ont payé un lourd tribut à la crise.
Au début de celle-ci, en mars dernier, les morts au sein des EHPAD n'étaient même pas comptabilisés par les autorités. Le professeur Jérôme Salomon, directeur général de la santé, égrenait les décès à l'hôpital, mais ne disait rien des EHPAD.
Il a fallu un mois de protestations, en particulier celles des oppositions politiques, pour qu'enfin, les morts en EHPAD soient comptabilisés et, surtout, visibles aux yeux de la France. Le 27 mars 2020, je signais, avec Valérie Rabault, une tribune demandant au Gouvernement d'être transparent sur le nombre de décès et de personnes contaminées en EHPAD. On a donc pu parler d'une première invisibilisation.
Au 12 janvier 2021 – hier, donc – , 68 802 décès officiellement liés au covid avaient été enregistrés, dont 21 003 au sein d'EHPAD. En outre, de nombreux décès ayant lieu à l'hôpital concernent en réalité des personnes résidant en EHPAD. Quel que soit le nombre exact de résidents décédés, il est donc effrayant. Pour les familles comme pour le personnel, voir disparaître plusieurs résidents en quelques jours – parfois même en quelques heures – a été très difficile, et aurait nécessité la présence de psychologues en nombre suffisant. Ce ne fut hélas pas le cas : vous le savez, madame la ministre déléguée, il n'y a pas suffisamment de psychologues, même à temps partiel, dans la plupart des EHPAD. La détresse psychique des personnels de ces établissements est pourtant palpable, et accepter la disparition de 10 %, voire 20 % des résidents, requiert un soutien exceptionnel.
En mars, au début de la crise, les personnels ne disposaient pas, sauf exception, de matériel de protection – masques, blouses…
… surblouses, gel hydroalcoolique, gants. Il leur a fallu attendre des semaines, alors qu'au regard des risques encourus, il aurait fallu privilégier l'approvisionnement des EHPAD au même titre que celui des services de réanimation. De fait, les personnels que j'ai rencontrés se sont sentis, une nouvelle fois, laissés pour compte.
Puis, après les masques et le matériel de protection, est venue la phase des tests et son lot d'incompréhensions. Afin de sectoriser les malades, il aurait fallu pratiquer un test PCR sur l'ensemble des résidents. Au lieu de cela, faute de tests, il a fallu confiner tout le monde. De l'avis des personnels et des familles, l'isolement individuel, y compris celui des résidents testés négatifs, a été une erreur : combien sont morts non pas du covid, mais de l'isolement forcé ?
Vous le savez, le syndrome du glissement est aujourd'hui bien documenté.
Neuf mois après le début d'une crise sanitaire qui, malheureusement, joue les prolongations, l'état du personnel est préoccupant. Lors du premier confinement, ils ont fait bloc : malgré le stress, lié notamment à la peur de faire entrer le virus dans l'établissement et d'être responsables du décès des résidents, ils ont fait face et n'ont pas compté leur temps. Mais la seconde vague a été beaucoup plus difficile à gérer. Le surcroît de travail, en particulier en raison de l'absence de soignants contaminés, a durement éprouvé les organisations et les personnels, et au-delà de la fatigue physique, c'est la fatigue morale qui inquiète : les personnels sont éreintés et la situation ne s'améliore pas vraiment.
S'il n'y a désormais plus de pénurie de blouses et de masques, si les tests sont réalisés rapidement, il devient très difficile de remplacer le personnel malade ou, tout simplement, de recruter sur des postes vacants : madame la ministre déléguée, il va falloir déployer beaucoup d'ingéniosité et de moyens pour les rendre attractifs. Pourquoi restreindre les budgets dédiés à la formation ? De nombreux aides-soignants souhaitent se former et devenir infirmiers – j'en ai rencontré – , mais les établissements ne disposent pas des budgets nécessaires.
C'est dans ce contexte qu'arrive enfin un vaccin. Permettez-moi de m'arrêter quelques instants sur ce sujet. Je suis surprise du taux minoritaire de personnels disant vouloir se faire vacciner : comment, au pays de Pasteur, une telle défiance à l'égard de la science a-t-elle pu s'installer ? Je crois sincèrement que la gestion erratique de la crise par les autorités et le Gouvernement ont semé le trouble et le doute, et je le regrette sincèrement. Aujourd'hui, la priorité n'est cependant pas à l'établissement des responsabilités, mais à la recherche de solutions : le seul espoir d'en finir avec cette crise étant le vaccin, la priorité est donc bien à la vaccination.
Il existe aussi des établissements n'ayant connu aucun cas de covid, ni parmi le personnel, ni parmi les résidents ; ils n'ont jamais procédé à un confinement, et la vie s'y est poursuivie, si j'ose dire, presque normalement. Seules les visites ont donné lieu à un protocole particulier. Ces exemples positifs devraient être répertoriés et analysés, afin d'identifier les raisons de leur succès – s'il y en a – et, surtout, d'en tirer les conséquences pour l'avenir.
Le modèle actuel des EHPAD a montré ses failles et doit évoluer rapidement. La crise a apporté une mine inhabituelle de données, qu'il faudra exploiter pour mieux comprendre ce qui s'est passé. Pour autant, faut-il attendre la fin de la pandémie pour engager des réformes structurelles en matière de prise en charge de nos aînés ? Je ne le crois pas. Nous pouvons dès à présent agir pour améliorer la situation dans nos EHPAD, tant sur le plan scientifique et médical que sur le plan sociétal et éthique. Pour nous y aider, de nombreux rapports récents avancent des pistes d'amélioration – vous les connaissez : le rapport Libault, le rapport El Khomri, mais aussi des rapports parlementaires, comme celui des députées Caroline Fiat et Monique Iborra.
Je reconnais volontiers que certaines améliorations significatives ont vu le jour ces derniers mois : les accords issus du Ségur de la santé ont permis d'améliorer la rémunération des personnels des EHPAD publics et privés, et ce quel que soit leur statut. C'est une très bonne chose, car la reconnaissance que nous leur devons doit aussi se traduire dans leur salaire. Mais si une revalorisation de 183 euros a bien été perçue, en deux temps, par les personnels des EHPAD de la fonction publique hospitalière, les agents territoriaux restent, eux, toujours en attente du décret. Cette situation suscite des inquiétudes et un sentiment d'injustice : madame la ministre déléguée, pouvez-vous nous rassurer et nous indiquer où en est la rédaction de ce décret ?
En matière de primes, les directeurs d'établissements que j'ai rencontrés m'ont fait part d'une demande qui me semble tout à fait légitime, et qui concerne la prime « Grand âge », créée par le décret du 30 janvier 2020, d'un montant de 118 euros bruts mensuels. Certains agents des services hospitaliers – ASH – font fonction d'aides-soignants, malheureusement sans pouvoir la percevoir : allez-vous, madame la ministre déléguée, corriger cette injustice ?
Ces revalorisations salariales sont, je le répète, les bienvenues. Mais en grande majorité, les soignants demandent avant tout des collègues de travail supplémentaires. En effet, le plus gros problème reste le taux d'encadrement. En octobre 2019, nous avons présenté un plan d'urgence pour l'hôpital et l'autonomie, dans lequel nous proposions notamment une hausse de 25 %, d'ici 2024, du taux d'encadrement en EHPAD par rapport à celui constaté en 2015. Cela représenterait 80 000 emplois supplémentaires auprès des personnes âgées. Il faut engager ce plan de recrutement dès aujourd'hui, madame la ministre déléguée : c'est une question de survie.
Autre point crucial que je souhaite aborder : le bâti. Il existe encore des établissements ne comptant qu'une seule douche pour soixante résidents ; souvent, ce sont des EHPAD relevant du secteur hospitalier. Dans le cadre du plan de relance, des crédits ont été alloués à la réhabilitation de bâtiments du domaine public, mais le secteur médico-social a été oublié : pourquoi ne pas profiter du plan de relance européen pour lancer un grand plan d'investissement dans le secteur hospitalier et médico-social ?
Enfin, je ne peux achever mon propos sans évoquer la transparence due aux familles. Depuis la loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement, un annuaire a été créé à cette fin, ainsi que des comparateurs de prix et de reste à charge ; mais l'on n'y trouve pas de critères qualitatifs. Pourrions-nous réfléchir à un système de labels simple, comme il en existe par exemple dans le secteur du tourisme, afin de permettre aux familles de juger en connaissance de cause ? Il serait possible d'évaluer le niveau d'équipement – téléconsultations, oxygène – , le degré de médicalisation – médecin de garde, infirmière de nuit – , le taux d'accompagnement, le ratio d'encadrement, etc. Je le répète, nous le devons aux familles. Madame la ministre déléguée, y êtes-vous favorable ?
Le début de l'année 2018 ayant été marqué par la crise des EHPAD, le président Emmanuel Macron a annoncé le 13 juin une future loi consacrée au financement de la dépendance, pour répondre à la nouvelle vulnérabilité sociale liée au grand âge. Il a confirmé cette annonce le 9 juillet 2018, à Versailles, devant le Congrès. Ce texte devait aboutir avant fin 2019 ; cette année-là, nous n'avons rien vu venir, si ce n'est une réforme des retraites avortée. En janvier 2020, à l'issue d'un séminaire gouvernemental, le Premier ministre déclarait qu'un projet de loi « grand âge et autonomie » serait déposé à l'été. Le 4 août, le Président de la République promettait de parachever ce texte d'ici à la fin de l'année. L'année 2020 s'est achevée : toujours pas de grande loi sur l'autonomie.
Madame la ministre déléguée, j'ai eu l'occasion de répondre à vos souhaits et de vous présenter mes meilleurs voeux de bonheur et de santé. Parmi ces voeux, il en est un que je renouvelle aujourd'hui : j'espère que vous honorerez les engagements du président Macron, que votre nom restera attaché à une belle loi, à une loi sur l'autonomie qui conforte les dispositifs permettant de bien vieillir et qui donne aux admirables personnels ayant à coeur de s'occuper de nos aînés les moyens matériels et humains ainsi que la reconnaissance qu'ils méritent.
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, LT et GDR.
Nous débattons cet après-midi de la situation dans les EHPAD, près d'un an après le déclenchement de la pandémie. Je tiens avant toute chose à remercier les personnels de ces établissements, ainsi que les aidants et les services de l'État comme des collectivités. C'est leur engagement sans faille sur le terrain qui permet d'accompagner nos anciens, de préserver la vie.
J'ai une pensée toute particulière pour les personnels soignants au chevet de nos EHPAD, dont ils accompagnent au quotidien les résidents depuis les premiers jours de cette épidémie d'une exceptionnelle gravité, entraînant une surmortalité importante. Mme Pires Beaune les a qualifiés d'« admirables » ; j'ajouterai qu'ils sont extraordinaires. Face à ces drames, au fardeau mental et psychologique qui en résulte, le professionnalisme ne fait pas tout. Ils ont entouré les malades avec humanité et bienveillance, permettant à plus de 20 000 de nos concitoyens de s'en aller dans la dignité.
Au fil des progrès de la médecine, la mort a été de plus en plus cachée : elle survient discrètement, dans les EHPAD ou les hôpitaux. Durant l'année 2020, les médias en ont beaucoup parlé ; elle est redevenue visible, sans être acceptée pour autant. Cela ne doit pas nous conduire à sacrifier les principes qui nous lient. J'insiste sur ce point, car, ici et là, des voix se sont élevées pour critiquer le choix de protéger les plus vulnérables, qui aurait été fait au détriment de la société dans son ensemble et de la jeunesse en particulier. Opposer ainsi les générations n'est ni digne, ni responsable. Ce n'est pas la conception de la société, harmonieuse et inclusive, à laquelle j'aspire. Je suis convaincue, au contraire, que c'est dans de tels moments de crise que notre société se grandit et révèle son humanité. La loi du plus fort ne doit pas prévaloir. La protection des uns ne nécessite pas le sacrifice des autres.
Il est vrai que ces longs mois ont représenté une charge mentale inédite pour la plupart d'entre nous, et particulièrement pour les personnes âgées. Les effets pervers des mesures de confinement sur les résidents des EHPAD, le syndrome du glissement, faute de chaleur humaine, ont constitué une importante source d'inquiétude pour les familles ou pour les proches aidants.
Madame la ministre déléguée, vous avez entamé une réflexion sur l'éthique, sujet qui nous a plus que jamais sollicités durant cette période. Pour apporter des réponses à la faveur du futur projet de loi « grand âge et autonomie » que nous espérons tous, il est nécessaire de redonner une visibilité à tout ce qui a été occulté, consciemment ou non. J'ai évoqué la mort, mais le vieillissement du cerveau, le déclin des capacités physiques en raison de l'absence des kinésithérapeutes au sein des EHPAD, les troubles de la mémoire, de la parole, du comportement, sont également préoccupants. Il nous faut absolument écouter ceux qui les éprouvent, qui les vivent : les résidents eux-mêmes, mais aussi tous les acteurs qui partagent leur quotidien. Vos premiers travaux dans le domaine de l'éthique ont-ils déjà ouvert des pistes, notamment en ce qui concerne l'isolement ?
Par ailleurs, le groupe Agir ensemble soutient qu'il est nécessaire d'apprendre à vivre avec le coronavirus. Notre stratégie repose sur le triptyque « tester, isoler, soigner » : tester massivement pour identifier davantage de personnes contaminées et de cas contacts ; isoler plus efficacement pour briser les chaînes de contagion ; soigner pour guérir et empêcher la propagation de l'épidémie. Parallèlement à la stratégie vaccinale, c'est le seul moyen de mettre un terme aux débats sur la pertinence d'un confinement généralisé en vue de protéger les plus vulnérables.
Nous avons bien conscience des difficultés logistiques soulevées par l'organisation d'une campagne de vaccination de cette ampleur. Les critiques sont faciles, alors que le Gouvernement met tout en oeuvre pour atteindre ses objectifs. L'accélération de la stratégie vaccinale suscite cependant des interrogations, en particulier concernant les EHPAD : selon des informations venues du terrain, certains de ces établissements auraient hésité à figurer parmi les premiers concernés par la vaccination, de peur de ne pas être prêts à la date prévue. Avez-vous des remontées à ce stade ? Peut-on envisager, comme le demandent certains acteurs du secteur, d'étendre la vaccination à tout l'écosystème de l'EHPAD, c'est-à-dire à l'ensemble des professionnels de santé, quel que soit leur âge, des familles et des intervenants extérieurs ?
Lors de l'examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale – PLFSS – , j'avais appelé, au nom de mon groupe, à ce que soit présentée une trajectoire de revalorisation salariale pour les personnels de secteurs en lien avec l'autonomie qui n'avaient pas été pris en compte dans les accords historiques de juillet 2020. Tel est l'esprit de la mission que vous avez confiée à Michel Laforcade, en novembre dernier, au sujet des métiers de l'autonomie et de la revalorisation de l'ensemble de leurs personnels. L'enjeu, c'est bien le renforcement de l'attractivité de ces métiers, essentiels pour faire face au vieillissement. La crise du covid-19 ne fait qu'accroître l'urgence de les refondre. Madame la ministre déléguée, avez-vous déjà des pistes à ce stade, dans la perspective du Laroque de l'autonomie et du futur projet de loi « grand âge et autonomie » que nous attendons tous ?
Entré en France en janvier 2020, le coronavirus s'est diffusé au sein des EHPAD comme dans le reste de la population. Conformément aux décisions des autorités, et dans le but de protéger des personnes particulièrement fragiles face au virus, ces établissements comme les maisons de retraite ont été fermés au public pendant de longues semaines, privant nombre de nos aînés de contacts sociaux et familiaux. Pendant la crise, les personnes âgées auront finalement été peu entendues et peu visibles. M. le ministre des solidarités et de la santé a donc confié à Jérôme Guedj, en mars dernier, la mission d'identifier les leviers qui permettraient de combattre l'isolement des personnes fragiles. Celui-ci ne constitue pourtant pas un fait nouveau : ce sentiment de solitude, de relégation en marge de la société, est régulièrement exprimé dans le cadre de témoignages émouvants, et appelle une politique engagée d'inclusion globale et continue des personnes âgées.
Il ne faut plus considérer ces Français sous le seul angle de leur santé, mais envisager leur vécu, leurs souhaits, leurs attentes, afin qu'ils puissent vivre leur citoyenneté de manière pleine et entière. Dans ce but, le rapport de Jérôme Guedj, publié le 16 juillet 2020, formule une trentaine de recommandations organisées autour de cinq axes, en vue de structurer une politique de lutte contre l'isolement. Il propose entre autres de jumeler les EHPAD avec des écoles ou des clubs sportifs, de financer des équipements numériques, de généraliser l'organisation de solidarités de voisinage ou encore de créer des lignes téléphoniques départementales d'écoute, de soutien psychologique et d'orientation sociale. Toutefois, ces recommandations peuvent sembler presque utopiques dans un contexte de rationalisation des soins et de pénurie de personnels.
Ainsi, madame la ministre déléguée, au nom du groupe UDI et indépendants, je souhaite vous interroger au sujet d'un thème central : celui du ratio d'encadrement. En EHPAD, comme dans de nombreux services de soins, beaucoup d'agents ont le sentiment de ne pouvoir exercer leurs fonctions correctement, de bâcler leur travail, de ne pas accorder suffisamment d'attention aux résidents dont ils ont la charge. Les interactions de ces personnes âgées avec les soignants prennent la forme d'activités routinières, à l'encontre de la valorisation de leur autonomie. Le sujet revient fréquemment dans nos débats, notamment lors de l'examen annuel du PLFSS, car nos aînés ne veulent pas seulement vivre plus longtemps, mais tout simplement vivre mieux.
Le plan 2007-2012 « Solidarité grand âge » prévoyait la progression de ce ratio jusqu'à 1, c'est-à-dire un soignant par personne âgée. À ce jour, les objectifs affichés sont loin d'être atteints : selon la dernière étude de la DREES – la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques du ministère de la santé – , le ratio d'encadrement était de 0,6 en 2017. La plupart des établissements comptent au moins un poste vacant depuis plus de six mois ; ceux qui se situent dans des communes isolées sont souvent les premières victimes de ces difficultés de recrutement, et le besoin de médecins coordonnateurs y est criant. De plus, ce taux d'encadrement reste faible en comparaison d'autres pays européen : pour dix résidents, il y a dix soignants au Danemark, douze en Allemagne. Si les rapports publiés récemment, notamment celui de Mme El Khomri, font état de l'engagement et du dévouement du personnel soignant chargé d'accompagner nos aînés, il n'en est pas moins évident que l'épuisement professionnel et le manque d'attractivité de ces métiers, appellent une réponse claire et volontariste.
Madame la ministre déléguée, nos questions au sujet des EHPAD étaient sensiblement identiques il y a un an, le 8 janvier 2020, à la veille de la crise sanitaire. Pouvez-vous nous apporter des précisions concernant le calendrier du projet de loi « grand âge et autonomie », et nous indiquer quels efforts sont prévus en matière d'effectifs ? Tous les acteurs du secteur attendent ces réponses ; ce texte revêt aujourd'hui un caractère d'urgence absolue.
La première vague de l'épidémie aura incontestablement révélé votre impréparation, ainsi que les limites de notre système de santé, fragilisé par l'approche comptable et la logique de gestion à flux tendu qui prévalent depuis deux décennies dans son organisation, au détriment des objectifs de santé publique. Lors de cette première vague, les cadres et les personnels des EHPAD ont dû s'adapter dans l'urgence aux injonctions contradictoires de votre administration, tout en s'efforçant de préserver les personnes dont ils avaient la responsabilité : à force de professionnalisme et de dévouement, ils sont parvenus à juguler la catastrophe qui s'annonçait.
Toutefois, le déficit chronique de personnels que dénonce depuis des années le groupe La France insoumise, les difficultés d'approvisionnement en matériel permettant de lutter contre la propagation du virus, ne leur ont pas facilité la tâche, aggravant au contraire les défaillances structurelles existantes et suscitant d'importants problèmes. Par ailleurs, l'interdiction des visites a plongé nombre de résidents dans une immense détresse psychologique, laquelle a eu des conséquences graves sur la santé de certains d'entre eux. Nous devons prendre la mesure du drame vécu par de très nombreuses familles, qui se sont retrouvées dans l'impossibilité de voir un père, une mère, un frère, une soeur, voire d'assurer convenablement les rites funéraires pour leurs aînés fauchés par la maladie.
Ces drames humains marqueront durablement les mémoires. Selon des témoignages concordants, la deuxième vague aura été un peu mieux vécue, notamment en raison du fait que les résidents ont cette fois pu continuer à recevoir des visites durant le confinement. Cependant, cet assouplissement, considéré comme indispensable par beaucoup de professionnels du grand âge, n'est probablement pas resté sans incidence sur la propagation du virus au sein des EHPAD. Dans un communiqué publié en novembre, le directeur de l'ARS – agence régionale de santé – d'Occitanie qualifiait d'« extrêmement critique » la situation des établissements de la région et rappelait le grand nombre des résidents atteints : il y en a malheureusement eu beaucoup plus que lors de la première vague.
Si vous voulez parler, monsieur Cordier, vous le ferez plus tard !
Selon certaines sources, les résidents des EHPAD représenteraient environ 45 % des morts liés à l'épidémie de covid-19. Fin octobre, le Gouvernement a lancé en toute urgence une campagne de recrutement de personnels ; hélas, il semble qu'elle peine encore à atteindre ses objectifs. Madame la ministre déléguée, pouvez-vous nous dire où nous en sommes de ces recrutements, sachant que, comme l'indiquaient Caroline Fiat et Monique Iborra dans leur rapport de 2018, il faudrait doubler le nombre de soignants au chevet des résidents pour parvenir seulement à pallier les carences structurelles des EHPAD ?
En outre, le manque d'informations et de transparence au sujet de la situation dans ces établissements, qu'il s'agisse des personnels, des résidents ou de leurs familles, a considérablement aggravé la défiance vis-à-vis des autorités ; nous faisons collectivement les frais de ce climat délétère, car le manque de confiance exprimé par une part importante de la population française met en péril le succès de la campagne de vaccination qui débute. Dans ma circonscription, en Ariège, des personnels travaillant dans certains des EHPAD pilotes où la vaccination a commencé déplorent que de trop nombreux résidents demeurent réticents à recevoir ce vaccin.
Parmi les principales raisons invoquées pour justifier leur méfiance, on peut citer l'accumulation d'informations contradictoires, le sentiment d'une grande désorganisation et le manque de transparence dans la gestion de l'épidémie – ce à quoi s'ajoutent des défauts de coordination qui entravent concrètement le bon déroulement de la campagne de vaccination dans les EHPAD.
Ainsi, il m'a été rapporté que dans l'un des établissements pilotes de mon département, accueillant près de 200 personnes âgées, le jour de la première séance de vaccination a été fixé par l'ARS tout juste une semaine à l'avance. Un seul médecin coordonnateur disposait de deux jours pour recueillir le consentement des dizaines de personnes concernées, dont une partie n'était pas en mesure de le donner directement. Ce médecin s'est organisé du mieux qu'il a pu sur la base des informations fournies par l'ARS, mais le jour où il devait passer la commande de doses de vaccins, l'ARS lui a communiqué un nouveau questionnaire pour recueillir à nouveau ce consentement. Il a donc dû refaire le tour des volontaires en un temps record pour satisfaire aux exigences de l'administration.
Toute cette énergie dépensée en urgence et ce stress pour qu'en fin de compte, l'établissement se voie informé que les doses ne pourraient être livrées le jour convenu, mais seulement deux jours plus tard… Comment voulez-vous que le personnel interprète ce type de déconvenue ? Faut-il y voir un mépris total de l'administration vis-à-vis des personnels soignants, ou le signe d'une mauvaise coordination et d'une grande incompétence ? Avec mon témoignage, madame la ministre déléguée, je ne suis sans doute pas le premier à vous informer de ces dysfonctionnements. Vous qui êtes chargée de la politique de santé de notre pays, quelles solutions concrètes prévoyez-vous pour répondre aux exigences sociales et sanitaires que la situation nous impose ?
Applaudissements sur les bancs des groupes FI, SOC et GDR.
Dès l'apparition du virus de la covid-19 en France, les établissements pour personnes âgées ont malheureusement constitué des lieux propices à sa propagation, et des résidents de ces établissements ont été les premières victimes de l'épidémie du fait de l'état de santé très fragile d'un grand nombre d'entre eux. Comme le rapporte la commission d'enquête parlementaire sur la gestion de la crise sanitaire, ces résidents ont payé un très lourd tribut à la crise, en dépit de l'engagement et du dévouement des équipes soignantes et médico-sociales qui se sont dépensées sans compter. Nous leur adressons nos remerciements et leur faisons part de notre reconnaissance.
Entre mars et novembre 2020, plus de 96 000 cas de covid-19 ont été recensés en EHPAD, et la moitié des décès intervenus en France étaient des résidents d'EHPAD. Les personnels de ces établissements n'ont pas été épargnés, puisqu'on comptait plus de 47 000 cas parmi eux à la fin de l'année – depuis, les chiffres ont malheureusement continué à augmenter.
Si nous mesurons aujourd'hui toute la gravité de cette situation, nous ne devons pas oublier qu'aux premiers jours de la crise, nous ne disposions d'aucun chiffre pour corroborer ce que nous pressentions tous. Une meilleure organisation dans la remontée des informations aurait-elle pu permettre une prise de conscience plus rapide de ce qui se passait à l'époque ? Il est permis de se poser la question. En revanche, le retard dans l'approvisionnement en équipements de protection et en matériels de dépistage est une réalité. La pénurie n'a pas permis de garantir la sécurité des résidents et des personnels de manière satisfaisante, alors même que les établissements pour personnes âgées auraient dû faire partie des priorités dès le début de la pandémie.
Les représentants des directeurs d'établissements qui ont été auditionnés par la commission d'enquête ont décrit une période de flottement, avec une réponse apportée aux EHPAD très clairement décalée dans le temps par rapport à la priorité accordée à l'appareil hospitalier et à l'appareil sanitaire. La reconnaissance du caractère prioritaire des personnels et des résidents des établissements pour l'accès aux tests n'est intervenue que le 9 avril. Pourtant, un dépistage systématique aurait pu permettre d'adapter la stratégie de confinement afin de ne pas avoir à isoler ceux qui n'avaient pas besoin de l'être. En effet, si les deux périodes de confinement que nous avons vécues en 2020 ont été une épreuve pour toute la population, nous savons que, pour les résidents des EHPAD, cet isolement a été plus douloureux encore.
Le confinement des établissements et l'isolement en chambre ont été très difficiles à instaurer pour des raisons pratiques tenant à l'architecture des bâtiments, mais surtout pour des raisons éthiques, en particulier pour les résidents souffrant de maladies neurodégénératives, qui ne comprenaient pas ces mesures. Le sentiment d'isolement a été renforcé par l'interdiction brutale des visites extérieures, ainsi que par l'arrêt des activités collectives. D'une manière générale, tous les éléments essentiels à la stimulation physique et psychique des résidents ont été interrompus.
Certaines familles ont perdu définitivement le lien avec leurs parents, et les phénomènes de décompensation et les syndromes de glissement se sont accrus pendant ces périodes à cause de l'annulation des interventions habituellement effectuées par ces professionnels de soins considérés comme non essentiels que sont les psychologues, les kinésithérapeutes ou encore les orthophonistes. Heureusement, tenant compte des effets du premier confinement, le protocole sanitaire actuel a assoupli et amélioré certaines dispositions.
Enfin, à ces contraintes se sont ajoutées des difficultés structurelles, liées au manque de personnels et de moyens. Depuis plusieurs années, un paradoxe vient aggraver ce phénomène avec, d'une part, des personnes polypathologiques ayant de plus en plus besoin de soins et, d'autre part, des dotations allouées aux établissements peu ou pas revalorisées au fil des années.
Cette situation ne peut plus durer, madame la ministre déléguée. Au-delà de la mise en place des primes et des revalorisations salariales, nous avons besoin d'un grand plan de recrutement et de revalorisation des métiers du grand âge. De chaque crise, nous devons tirer les leçons. La canicule de 2003 est à l'origine de la création de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie – CNSA – et de la journée de solidarité. En juin dernier, c'est l'épidémie de covid-19 qui nous a fait avancer sur le chantier de l'accompagnement des personnes en situation de dépendance, avec la création d'une cinquième branche de sécurité sociale, dite branche autonomie. Malheureusement, aucun financement nouveau n'a été dédié à cette nouvelle branche, si ce n'est l'attribution d'une fraction de CSG à compter de 2024.
À chaque fois, vous nous renvoyez au projet de loi relatif au grand âge et à l'autonomie que vous nous promettez depuis le début du quinquennat mais qui se fait toujours attendre – un peu comme l'Arlésienne, celle dont on parle, que l'on attend et qui n'arrive jamais…
M. Philippe Vigier applaudit.
En dépit de toutes les annonces faites à ce sujet, le chemin est encore long et les besoins, immenses. Sans financements supplémentaires conséquents et sans une politique globale de soutien à l'autonomie, nous ne pourrons pas être au rendez-vous de l'enjeu sociétal que ce sujet représente. Madame la ministre déléguée, nous comptons sur vous.
Mme Christine Pires Beaune et M. Philippe Vigier applaudissent.
La crise sanitaire a passé notre société au révélateur et mis au jour, s'il en était besoin, les vulnérabilités et les inégalités préexistantes. Ce fut évidemment le cas dans le domaine du soin et de la perte d'autonomie. Notre système de santé a été mis à rude épreuve pour lutter contre la pandémie de covid-19. Il a dû affronter la crise en étant déjà fragilisé par des années d'austérité budgétaire, de compression des dépenses de santé et de marchandisation rampante.
La situation critique des EHPAD était connue de longue date, et la crise n'a fait qu'aggraver les difficultés quotidiennes. Le rapport d'information rédigé par Monique Iborra et Caroline Fiat en 2018 avait déjà dressé un état des lieux alarmant : manque de moyens publics – vous le savez, madame la ministre déléguée, puisque vous étiez alors présidente de la commission des affaires sociales – , personnels en sous-effectif, conditions de travail dégradées, absence de médicalisation, le tout sur fond d'offensives privées sur le secteur. Au moins 21 % des places en EHPAD relèvent désormais du secteur privé, ce qui implique la présence d'actionnaires qui exigent des niveaux de rentabilité indécents, fragilisant la prise en charge et le suivi des résidents et affectant la nécessaire mutualisation.
Selon une étude des Échos, le taux de marge net moyen s'élevait à 7,8 % en 2017, affichant déjà une hausse de 0,9 point par rapport à l'exercice précédent. On se rappelle d'ailleurs qu'en plein milieu de la crise, les géants du secteur ont d'abord envisagé de verser plusieurs dizaines de millions d'euros de dividendes à leurs actionnaires avant de se résoudre à y renoncer, prenant conscience que l'indécence d'un tel geste pouvait mettre en péril leur avenir.
Comme nous tous, je pense à nos aînés. Lors de la première vague, 29 933 personnes sont décédées des suites du covid-19 et, sur ce total, 14 081 d'entre elles, soit près de la moitié, étaient des résidents et résidentes d'établissements d'hébergement pour personnes âgées. La deuxième vague n'a pas fondamentalement dérogé à cette situation.
Ce drame sanitaire s'est doublé d'une détresse sociale et psychologique au sein des établissements, en raison de la dégradation des conditions de vie des personnes âgées. Les mesures de confinement ont renforcé leur sentiment d'isolement et limité leurs contacts sociaux. Les efforts de soutien à l'autonomie ont été affectés, et l'interdiction des visites des familles, si importantes pour ces personnes, a constitué une épreuve supplémentaire, ce dont les députés de la commission des affaires sociales se sont alarmés très tôt.
Le présent débat nous donne l'occasion de comprendre la situation pour mieux faire face à la crise actuelle et préparer l'avenir. Les travaux issus de la commission d'enquête sur l'impact du covid-19, rendus en décembre 2020, nous fournissent un éclairage saisissant sur l'impact de la crise sanitaire dans les EHPAD. On y apprend que les établissements n'ont pas été équipés en masques avant la fin mars, que les tests y ont été déployés au compte-gouttes, que la prise en charge des personnes contaminées a été tardive en raison d'une absence de médicalisation de ces structures et par manque de matériel, qu'il manquait des lits de réanimation pour les patients âgés, et que le plan bleu, c'est-à-dire l'outil de gestion de crise, n'a été engagé que dix jours avant la date de début du premier confinement.
Les mesures de restriction et d'isolement ont soulevé des questions éthiques importantes en raison de leur impact social sur les résidents, et nous savons à quel point la relation fait partie du soin et de l'accompagnement nécessaire à la vie quotidienne. Tous ces constats doivent nous interpeller, ils traduisent la situation d'autant plus délicate dans laquelle ont été placés les personnels et les gestionnaires de ces structures, que je veux saluer pour leur travail si précieux. Ils exigent des actions publiques urgentes afin que chaque poussée épidémique ne se traduise plus par une tragédie sanitaire et une souffrance sociale dans les EHPAD et afin de promouvoir d'autres façons de vivre les situations de ce type.
Des moyens sont nécessaires pour embaucher massivement du personnel et atteindre ainsi un taux d'encadrement décent, acheter le matériel nécessaire et améliorer les conditions de travail. Il est temps de reconnaître l'utilité sociale des métiers du soin et de l'aide à domicile en révisant les grilles salariales bloquées depuis des années autour du SMIC, ce qui constitue une condition essentielle à l'attractivité de ces métiers. Il est nécessaire d'avancer sur la question de la médicalisation des EHPAD en renforçant la présence de médecins coordonnateurs. En un mot, il faut sortir des logiques structurelles qui mettent l'ensemble des personnels en difficulté au quotidien, et donc financer un grand plan de formation et de recrutement.
Au-delà, on ne peut plus s'exonérer de changements profonds face à un modèle de prise en charge de la perte d'autonomie à bout de souffle. Des réflexions doivent être menées pour faire évoluer le modèle des EHPAD avec comme priorité le « prendre soin ». Nous avons besoin d'une nouvelle ambition face au défi du vieillissement, pour lequel la création d'une branche à part n'apporte pas de garanties, en tout cas pour l'instant. Nous devons assurer une meilleure protection sociale et développer un puissant service public de l'autonomie, ce qui suppose de mettre un coup d'arrêt à l'austérité et d'en finir avec les logiques de privatisation et de marchandisation du soin et de l'accompagnement.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et LT.
La pandémie mondiale qui a éprouvé l'ensemble de la population a plus durement touché les personnes âgées en termes d'isolement, de gravité de la maladie et, hélas, en termes de mortalité. Les résidents en EHPAD ont payé le plus lourd tribut : alors qu'ils ne représentent que 1 % de la population française, ils ont constitué un tiers des victimes de la covid. Au début de la première vague, les établissements ont souvent manqué de masques, de gel hydroalcoolique et d'équipements individuels pour les soignants. Des protocoles ont parfois tardé…
… et quand ils arrivaient, il fallait les appliquer dans des conditions difficiles. Contre la propagation du virus, il a fallu mettre en oeuvre des mesures lourdes et contraignantes. Ces mesures et ces protocoles ont évolué dans le temps : déclenchement du plan bleu, fermeture des établissements ou visites des proches, confinement en chambre des résidents… Ces mesures efficaces ont entraîné des complications : ainsi placés en isolement, nos aînés ont souffert de la solitude et de l'ennui, et leur état physique et psychique s'est dégradé. Je pense avec tristesse à tous ceux qui ont connu l'apathie, qui ont perdu l'espoir de voir des jours meilleurs arriver et qui ont, hélas, vécu leurs derniers moments dans l'angoisse.
Dans ce contexte si douloureux, il nous a été rappelé qu'il est vital que la personne âgée soit placée au centre de la réflexion. Cet impératif doit continuer à guider notre action.
À partir du 20 avril, les portes des EHPAD se sont rouvertes ; à partir du 18 juin, les visites sans prise de rendez-vous ont été à nouveau autorisées. Protéger les personnes âgées sans obligatoirement les isoler, tel a été le mot d'ordre durant cette deuxième période de restriction.
Les personnels des EHPAD ont été également durement éprouvés. Toutefois, ils ont continué au quotidien à assumer leurs missions avec dévouement. Touchés par le virus, ils ont travaillé en sous-effectif tout en respectant strictement les règles sanitaires. Fatigués, ils sont restés mobilisés. La crise sanitaire a mis en lumière leur rôle essentiel. Nous pouvons leur en être reconnaissants.
La prime « covid » a été rapidement versée : 1 500 euros dans les quarante départements les plus affectés, 1 000 euros dans les autres. Le Ségur de la santé a permis une revalorisation salariale de 183 euros dans les EHPAD publics et privés à but non lucratif et de 160 euros dans le secteur privé lucratif. Nous devons poursuivre cet effort pour rendre plus attractifs ces métiers essentiels.
Je tiens également à saluer les directrices et les directeurs des établissements, qui ont réussi à repenser l'organisation de ces derniers et les espaces de vie, et à prévoir un accompagnement personnalisé pour chaque résident. Ils ont géré au mieux les arrêts de maladie et limité les déficits budgétaires, et l'État les a accompagnés financièrement.
Si la crise a mis en lumière le courage de nos soignants, elle a également rendu plus visibles les dysfonctionnements et fait entrevoir les voies d'amélioration pour ce qui concerne l'attractivité des métiers, le taux d'encadrement et la création d'un continuum entre domicile et établissement, ainsi que la prévention, mais également la citoyenneté des personnes âgées. Par ailleurs, des réflexions seront engagées sur la forme que peut revêtir l'EHPAD du futur : certaines organisations, certaines structures parviennent à mieux contenir la propagation du virus.
Aujourd'hui s'ouvre un nouveau chapitre dans la lutte contre la covid : celui de la vaccination. Cette fois encore, avec les professionnels de santé, nos aînés sont les premiers bénéficiaires. Madame la ministre déléguée, vous voudrez bien nous donner des précisions sur les modalités et sur le calendrier de déploiement de la vaccination dans les EHPAD.
Chers collègues, nous nous interrogeons : la seconde vague sera-t-elle moins meurtrière que la première ? Nous pouvons raisonnablement l'espérer grâce aux enseignements que les acteurs de santé ont acquis, à la vaccination prioritaire des personnes les plus vulnérables, à la stratégie du dépistage massif au moyen de tests gratuits, à l'application StopCovid et à l'isolement des cas contact.
Quoi qu'il advienne, pour nos aînés, toujours plus nombreux d'année en année, il nous faudra prévoir une politique du grand âge pour être prêts à absorber la grande transition démographique des années 2030, un grand plan pour les personnes âgées qui s'inscrira lui-même dans un espace plus vaste, celui de la démocratie sanitaire, dans la fidélité à nos principes d'humanité, de solidarité et d'équité.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Depuis bientôt un an, la présence du coronavirus a des conséquences graves pour les résidents des EHPAD, mortelles même, puisqu'ils ont été particulièrement touchés : plus de 3 700 d'entre eux sont morts la première semaine du mois d'avril et ils représentent près de la moitié des personnes mortes du covid.
L'égal accès aux soins n'a pas toujours été respecté : certaines personnes âgées ont été prises en charge trop tardivement par des services de secours débordés et des résidents se sont carrément vu refuser l'admission à l'hôpital, étant considérés comme non prioritaires. C'est inacceptable et je pense que c'est un constat qu'on ne peut que partager. Les chiffres sont durs : le premier confinement a été marqué par 10 000 décès dans les EHPAD et les établissements médico-sociaux. Au 15 décembre dernier, 18 000 résidents nous avaient quittés et la barre des 20 000 a été franchie au début de cette semaine.
Ajoutons à cela que les personnels des EHPAD ont été lourdement mis à contribution. Au printemps dernier, pendant au moins deux semaines, ils ont dû travailler sans masque. Bilan : 18 000 salariés contaminés. Les pouvoirs publics avaient réquisitionné les masques pour les hôpitaux mais la générosité des communes et des entreprises a permis aux établissements de faire face à la pénurie et de s'approvisionner dans les premières semaines de l'épidémie.
Les tests, eux aussi, sont arrivés tard et les EHPAD n'ont été déclarés prioritaires qu'au mois d'avril – pourquoi, d'ailleurs, si tard ? – , sans disposer jusqu'à cette date de stocks de matériels qui leur soient propres.
S'agissant du déploiement de la stratégie vaccinale, seuls 10 % des 7 000 EHPAD auraient à ce jour, paraît-il, reçu leurs doses de vaccins. Espérons que je me trompe et que tout va s'améliorer très vite.
Rien n'était prévu pour ces établissements, qui ont souffert d'un manque de matériel, de personnel et même de considération. Dans une quinzaine d'établissements, le personnel, qui intervient chaque jour de façon admirable, avec professionnalisme et dévouement, a même fait le choix radical, et dont nous devons les remercier, de rester confiné avec les résidents, afin de les empêcher de se laisser glisser, de quitter une vie qui n'en valait plus la peine, sans soins ni accompagnement. Ce n'est qu'à l'arrivée des masques, puis des tests, que le nombre de décès a diminué.
Les résidents de ces institutions n'ont pas pour autant été totalement épargnés : la qualité de vie s'est dégradée lors des confinements successifs. Plusieurs milliers de personnes âgées ont été forcées de rester cloîtrées dans des chambres de quelques mètres carrés, porte fermée, n'ayant pour seule distraction, pour seul contact, que le passage des personnes qui leur apportaient à manger et les soignaient, sans visites possibles de leurs familles, elles-mêmes très éprouvées et très inquiètes. Des cas d'anorexie et de dépression ont même été rapportés.
Cette absence totale de soins dédiés à la santé psychique des personnes âgées nous pousse à nous interroger sur la dignité que nous leur accordons. Rappelons que nombre d'entre elles ont quitté la vie dans le plus grand isolement, malgré les tentatives des personnels soignants, qui ont une nouvelle fois dû s'adapter face à la détresse des résidents, redoublant d'ingéniosité pour combattre leur solitude. Les tablettes tactiles n'ont cependant pas pu remplacer la présence et l'affection des proches. Ne faut-il pas établir un véritable protocole de confinement en cas d'épidémie ?
Conscients du manque de moyens matériels et humains des établissements médico-sociaux, qui ne date pas de la crise sanitaire et dont je ne vous rends bien évidemment pas responsable, madame la ministre, il est urgent de développer de nouvelles méthodes de travail. Adapter nos moyens à la crise est un enjeu majeur tant pour les résidents que pour le personnel soignant. En ce sens, le développement de la télémédecine apparaît essentiel. Nos moyens doivent être multipliés pour subvenir aux besoins des résidents vulnérables et soulager le personnel soignant dépassé par la pression environnante.
Alors que Mme Buzyn était encore ministre de la santé, des discussions sur un projet de loi relatif au grand âge et à l'autonomie avaient été engagées. Un an après la remise du rapport Libault, aucune réforme n'est encore en route, alors que les alertes n'ont pas manqué ces dernières années. Rénovation des bâtiments, revalorisation des salaires, amélioration de l'attractivité des professions et des carrières afin de remédier au manque de personnel, développement des liens entre établissement et domicile, diversification des modes d'accueil : le chantier est immense ! Pourtant, la question du financement n'a toujours pas été tranchée, alors que les comptes de la sécurité sociale ont été durement touchés par la crise sanitaire.
C'est pourquoi les députés du groupe Les Républicains, comme les députés de tous les autres groupes, je pense, estiment qu'un grand projet consacré au grand âge, à l'autonomie et à la dépendance doit être une priorité dans le but de soulager les personnels soignants, de garantir des conditions de vie décentes aux résidents des EHPAD et d'encourager le maintien à domicile. Ce texte ne doit souffrir, madame la ministre déléguée, d'aucun nouveau report, tant la crise sanitaire a mis en lumière les graves failles de notre système d'accompagnement et de prise en charge de la dépendance. Nous devons y veiller tous ensemble, quels que soient les bancs où nous siégeons.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR et UDI-I.
Avant d'en venir à mon intervention, permettez-moi de prendre quelques instants, dans ce contexte lourd et incertain, pour saluer de nouveau l'ensemble des professionnels et des citoyens qui interviennent dans les EHPAD et à domicile : ils se sont investis dans cette crise et continuent à le faire.
EHPAD signifie : « établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes ». Nous sommes nombreux à en parler, à évoquer leur situation difficile, à pointer les problèmes que rencontrent ceux qui y travaillent et ceux qui y résident, mais nous sommes-nous vraiment interrogés sur l'existence de ce type même d'établissements ? Un tel sujet, qui en dit beaucoup sur la façon dont nous considérons la vieillesse et sur notre modèle de société, nous impose de prendre de la hauteur.
Le groupe SOC – dont les membres ne sont pas très nombreux à siéger aujourd'hui – nous invite à nous pencher sur la situation des EHPAD à l'issue de deux confinements. Que dire, sinon qu'un virus entrant dans un établissement concentrant des personnes fragiles et vulnérables ne pouvait qu'entraîner les conséquences que nous constatons tous et que certains dénoncent de manière naïve en couvrant ce sein qu'ils ne sauraient voir ? La responsabilité, en effet, n'est-elle pas plutôt à chercher du côté du modèle de regroupement de personnes âgées et fragiles en un même lieu, modèle que nous avons tous mis en place et dont nous sommes tous responsables ?
Comment sommes-nous parvenus à la création des EHPAD, ces maisons de retraite médicalisées dans lesquelles aucun de nous ne rêve d'aller finir son existence ? Ne voyez pas dans cette remarque une remise en cause du travail formidable que font les soignants et personnels administratifs – je connais leur dévouement sans faille malgré les difficultés croissantes auxquelles ils sont confrontés ; voyez-y seulement la remise en cause d'un modèle désenchanteur.
Comment en sommes-nous arrivés à construire un système qui n'offre à nos aînés dépendants qu'une seule issue, celle de l'EHPAD ? Comment en sommes-nous arrivés à segmenter la société française entre actifs autonomes, d'un côté, et personnes vieillissantes et dépendantes, de l'autre. S'interroger sur les EHPAD, c'est s'interroger sur notre modèle de société.
Revenons brièvement en arrière et demandons-nous comment les seniors ont été prises en charge. À l'issue de la Deuxième guerre mondiale, elles vieillissaient majoritairement à domicile et comptaient sur la solidarité des plus jeunes et de leur entourage. À cette époque, on imaginait encore l'avenir des aînés au milieu des leurs, dans leur famille, notamment dans les milieux ruraux, plus propices à la vie en communauté.
Certains, malheureusement, trouvaient aussi refuge dans les hospices, endroits peu accueillants – c'est un doux euphémisme. Puis l'État providence, pendant les Trente glorieuses, a voulu imaginer un nouveau système et a créé ces maisons de retraite à la faveur de grands mouvements de migration urbaine. Le regroupement des personnes âgées était alors à l'oeuvre. Peut-on y voir encore un synonyme de progrès ? Non, il suffit de regarder autour de soi : tout le monde souhaite vieillir en bonne santé et plus personne ne rêve de finir ses jours dans un EHPAD, plus personne ne considère ces structures comme un modèle.
Nous vivons plus vieux, et c'est tant mieux, mais malheureusement – et c'est aussi un de nos records – souvent en mauvaise santé. La solution est assez simple : il s'agit de vieillir en bonne santé, d'où l'intérêt de la prévention, et de manière non isolée, d'où l'intérêt de développer une offre complète de services à domicile et des logements adaptés.
Il serait erroné de prétendre que la problématique des EHPAD est nouvelle et qu'elle a été révélée au grand jour par la crise du covid. Depuis deux ans, notre majorité s'est saisie de cet enjeu à travers la publication de nombreux rapports. La question de l'approche domiciliaire est sur toutes les lèvres. Nous devons nous donner les moyens nécessaires et repenser intégralement notre modèle. Voilà pourquoi, madame la ministre déléguée, nous attendons désormais la grande loi sociale du quinquennat…
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et Dem.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi de vous présenter mes meilleurs voeux, au terme d'une année dont chacun a rappelé combien elle fut difficile. Je suis ravie de vous retrouver – je vous trouve d'ailleurs très en forme !
Ce début d'année est marqué par une note d'espoir : l'ouverture de la couverture vaccinale, visant en priorité nos aînés. Le vaccin vise à protéger contre les formes les plus graves de ce virus qui aura changé nos vies et demandé de nombreux sacrifices – que vous avez amplement évoqués, certains avec raison, d'autres en vous éloignant quelque peu des faits.
Il y a un an, nous ne connaissions rien de la virulence du covid-19, encore moins de sa mortalité. Nous débattons aujourd'hui de la situation dans les EHPAD au terme de deux périodes de confinement. Il est essentiel de le rappeler, car le contexte a profondément évolué à mesure que nous découvrions le virus et que nous apprenions à le connaître, à nous en protéger et, désormais, à le prévenir.
Le contexte est donc essentiel. Vous connaissez mon engagement pour que le contrôle parlementaire, mission essentielle du Parlement, s'effectue dans les meilleures conditions compte tenu du contexte dans lequel l'action publique a été menée. C'est d'ailleurs pour avoir conduit le contrôle parlementaire dans le domaine qui nous occupe, qu'après ma nomination aux côtés d'Olivier Véran, il m'a paru essentiel de tirer tous les enseignements de la première vague. S'agissant de nos aînés, nous devions examiner ce qui avait été fait et ce qui pouvait être entrepris au vu des éléments apparus depuis, pour mieux mesurer notre action et instaurer un nouvel équilibre entre la protection des aînés et une nécessaire liberté. C'est pourquoi, dès mon arrivée, le ministère a publié un premier protocole sanitaire, le 11 août, destiné notamment aux EHPAD, visant à anticiper une dégradation de la situation épidémique. Il s'agissait de mettre en alerte les équipes de ces établissements en cas d'apparition de clusters. Au milieu de l'été, au moment où l'épidémie semblait marquer le pas, nous recommandions à chaque établissement de s'assurer du strict respect des gestes barrières et des règles d'hygiène, de conserver une cellule covid-19 et de s'organiser pour gérer au mieux l'apparition de clusters.
J'entends trop souvent dire que l'État n'a pas anticipé la deuxième vague. Or, je peux vous l'affirmer : ce n'est pas vrai, en particulier en ce qui concerne les EHPAD. Les personnels, que je rencontre tous les jours, m'en ont d'ailleurs fait part : ils sont mieux aguerris et mieux préparés.
Je me suis particulièrement engagée pour défendre l'équilibre grâce auquel nous pourrions protéger nos aînés sans les isoler. Il s'agit de tout faire pour éviter la propagation de l'épidémie à l'intérieur des établissements, mais sans jamais nier une réalité incontestable : les personnes âgées sont des citoyens à part entière, pas des objets de soins. Lors de la première vague, alors que nous ne connaissions pas encore bien le virus, des décisions d'isolement strict en chambre ont été prises, au risque de provoquer les syndromes de glissement que vous avez évoqués et des pertes de chance. À l'époque, nous n'avions pas le choix : le virus frappait nos aînés sans leur laisser beaucoup de chances de s'en sortir, et nos connaissances scientifiques étaient très limitées.
Forts de ces enseignements, nous ne pouvions reproduire les mêmes instructions lors de la deuxième vague. Le principe de protéger sans isoler s'est alors imposé comme la seule ligne de conduite possible. À la rentrée, alors que les cas de contamination atteignaient des niveaux importants, et alors qu'un nouveau protocole, daté du 1er octobre, renforçait les mesures sanitaires, nous avons déployé ce principe dans une charte éthique définissant sans ambiguïté les droits des résidents en période de crise sanitaire et mettant l'accent sur la recherche du consentement des personnes et sur le maintien des liens avec leurs proches. Affirmer que les EHPAD sont des lieux de vie et d'hébergement était, de mon point de vue, un prérequis indispensable avant d'imposer de nouvelles contraintes pour la sécurité des résidents. Dans la gestion de la crise, j'ai été particulièrement attentive à conjuguer une modération dans l'élaboration des protocoles sanitaires avec la nécessité absolue de s'adapter à l'évolution de l'épidémie et à la disponibilité de nouvelles armes pour la combattre.
Dès lors qu'une de ces armes, à l'efficacité scientifiquement prouvée, est à notre disposition, je m'assure qu'elle est déployée en priorité vers le secteur du grand âge. C'est ainsi que, dès la fin des vacances de la Toussaint, quand les tests antigéniques sont arrivés, nous avons organisé une opération de dépistage massif auprès de tous les professionnels des EHPAD, avec des stocks fournis et financés en totalité par l'État. Nous avons ensuite systématisé cette action pendant tout le mois de décembre, avec une opération « coup de poing » de dépistage hebdomadaire de tous les professionnels d'EHPAD par tests antigéniques. L'État est le garant de cette opération pour laquelle, au total, 1,6 million de tests ont été livrés. Je sais que cette mesure a pu rencontrer une certaine réticence chez les professionnels – je peux évidemment les comprendre – , mais c'était l'une des garanties du respect de notre boussole : protéger sans isoler. En outre, je suis particulièrement attentive à ce que le rôle des proches aidants soit toujours pris en considération et à ce que les protocoles s'adaptent à la présence des aidants auprès des personnes âgées, dans le respect des mesures sanitaires.
À l'approche des fêtes de fin d'année, alors que nous avions fourni des efforts considérables, il n'était évidemment pas l'heure de relâcher notre vigilance ; il y allait de la situation sanitaire du pays. En revanche, il m'a semblé essentiel de trouver le juste équilibre, une fois encore, entre la sécurité sanitaire et la liberté, afin de permettre au plus grand nombre d'aînés de ne pas se sentir seuls et isolés pendant ce temps si particulier. Cette année, la période des fêtes était en effet – plus encore, peut-être, qu'elle ne l'avait été depuis longtemps – très importante pour les personnes âgées et leurs proches. J'ai voulu qu'un protocole spécifique à cette période soit publié pour sécuriser les visites, en autorisant les familles qui le souhaitaient à voir leurs proches, pour sécuriser le retour en établissement des aînés qui avaient passé un moment dans leur famille, sans les isoler en chambre, et enfin pour que des temps festifs soient organisés dans les établissements – je m'en suis d'ailleurs rendu compte sur place dans beaucoup d'endroits.
Outre les protocoles sanitaires, je me suis résolument engagée, pendant les six premiers mois de la crise, pour soutenir les établissements. Avec Olivier Véran, nous avons déployé un plan d'action ambitieux pour aider ceux qui souffraient de tensions en ressources humaines. Sans être exhaustive, je n'évoquerai que les principaux dispositifs qui ont été mis en oeuvre : recours à la réserve sanitaire ; mobilisation de 10 000 jeunes en service civique, notamment pour lutter contre l'isolement des personnes en établissements et à domicile ; déploiement et renforcement des astreintes gériatriques et sanitaires dans tous les établissements ; recours à des modalités de tarification spéciales pour inciter plusieurs dizaines de milliers de médecins libéraux à intervenir en EHPAD ; mobilisation des agences de Pôle emploi et des ARS pour identifier les besoins dans les territoires et y répondre – 10 000 demandes d'emploi ont été pourvues à ce jour.
Je ne me suis donc pas cantonnée à édicter des règles depuis Paris, mais suis venue au soutien du secteur du grand âge, aux côtés de ses acteurs, dans les territoires, au quotidien. Mon engagement a aussi concerné le financement des structures, avec une prise en compte des surcoûts supportés par les EHPAD pendant la période. Au titre de la seule première vague, nous avons mobilisé 200 millions d'euros pour couvrir les surcoûts dus au covid-19. Comme je l'ai annoncé, de nouvelles modalités de couverture des surcoûts seront prévues pour la deuxième vague. C'est avec le même état d'esprit que nous assumons une prise en charge des surcoûts liés à la campagne vaccinale dans les établissements, à la mobilisation d'infirmiers et de médecins, ainsi qu'à l'acquisition des équipements de protection nécessaires.
Avant d'échanger plus largement et plus précisément avec vous en répondant à vos questions, je voulais répondre aux affirmations erronées que j'ai pu entendre ces derniers jours à propos de la vaccination en EHPAD. Notre stratégie vaccinale se fonde – et s'est toujours fondée – sur les avis des scientifiques et des autorités sanitaires, et sur l'association, à laquelle j'ai toujours veillé, de tous les acteurs du grand âge. Forts de cette coconstruction, nous avons fait le choix de vacciner en priorité les personnes les plus vulnérables. Qu'aurions-nous entendu si nous en avions décidé autrement, avec le nombre de décès que vous avez tous rappelé ? Nous savons que les vaccins de Pfizer et Moderna protègent contre les formes graves, mais nous n'avons aucune certitude qu'ils agissent contre la contagiosité du virus ; il est donc inutile de commencer par les plus jeunes ou par les personnes ne présentant pas de facteur de risque, même si ce sont des soignants.
Nous voulons protéger les plus vulnérables en les vaccinant, mais il est hors de question de le faire hors de leur lieu de résidence. Il était inconcevable de demander à des personnes âgées en perte d'autonomie de se rendre, en plein hiver, dans des centres de vaccination. C'est pourquoi le vaccin est apporté jusque dans les EHPAD – naturellement, cela demande toutefois un peu plus de temps. Chaque EHPAD recevra des doses de vaccin dans les semaines à venir – cela a déjà commencé, comme vous le savez : toutes les dates des campagnes de vaccination sont déjà connues ; si ce n'est pas le cas, indiquez-le moi dans les plus brefs délais. Nous avons donc choisi d'offrir un environnement parfaitement sécurisé aux personnes concernées.
La vaccination n'est pas obligatoire, et doit résulter d'un libre choix. Pour les résidents des EHPAD ou des unités de soins de longue durée – USLD – parfois atteints d'Alzheimer, le recueil du consentement prend forcément un peu plus de temps, mais n'en est pas moins primordial. Il faut contacter les familles, qui souhaitent parfois être sur place au moment de la vaccination. Que n'aurait-on dit dans le cas contraire ? Je trouve donc intolérable qu'on juge ces procédures responsables d'une supposée lenteur de la campagne vaccinale, alors qu'elles découlent du bon sens et du respect de la personne, et qu'elles correspondent à ce qui est normalement prescrit pour tout acte médical.
Notre objectif est d'avoir proposé la vaccination à toutes les personnes âgées en EHPAD et en USLD, et de vacciner un million de personnes d'ici au début du mois de février. Notre montée en charge est exponentielle pour atteindre cet objectif.
Il est évidemment trop tôt, comme vous en conviendrez, pour dresser un bilan exhaustif des mesures prises pendant la gestion de la crise sanitaire. Celle-ci nous mettra encore à l'épreuve et nous mobilisera pendant de nombreux mois. Toutefois, l'évolution de notre réponse nous permet d'obtenir des résultats mesurables : alors qu'au pic de la première vague, un EHPAD sur deux était touché par un ou plusieurs cas de covid-19, ils n'étaient plus qu'un sur quatre environ au pic de la deuxième vague, et ne sont plus qu'un sur dix aujourd'hui, soit environ 700 clusters. Ce progrès est dû à l'apprentissage collectif tiré de la première vague – nous avons su nous préparer et nous adapter – , mais il tient surtout au dévouement quotidien des personnels des EHPAD, aides-soignants, médecins coordinateurs, personnel d'appui et infirmiers. Nous leur devons beaucoup, et nous ne cesserons de le répéter. Alors que 850 établissements étaient touchés au 24 décembre, la situation s'améliore, mais reste très fragile. Aussi, je resterai pleinement mobilisée pour lutter contre l'épidémie, sans jamais remettre en cause les principes intangibles que j'ai rappelés : protéger sans isoler.
C'est avec ces mêmes principes que le Gouvernement est déterminé à appliquer la réforme du grand âge et de l'autonomie, volonté érigée en priorité au terme de la crise sanitaire. Le Ségur de la santé comporte un plan d'investissement massif dédié à transformer profondément l'offre d'hébergement des personnes âgées.
Plus de 2,1 milliards d'euros sont mobilisés par l'État sur cinq ans, soit une multiplication par quatre de sa participation dans les bâtiments, que ce soit pour des opérations de rénovation, de création de places ou de déploiement du numérique, dont l'importance se révèle cruciale pendant la crise que nous traversons. Toutefois, il ne s'agit pas seulement de moyens : j'ai souhaité que ce plan d'investissement se traduise par une stratégie de parcours résidentiels des personnes âgées, afin que la capacité à vieillir chez soi se concrétise par des trajectoires qui garantissent un vieillissement actif. Oui, monsieur Isaac-Sibille…
… il nous faut repenser les modèles et le regard que nous portons sur le grand âge ; il nous faut construire un EHPAD de demain plus protecteur, mieux traitant d'un point de vue architectural, en réseau et ouvert sur l'extérieur ; il nous faut développer l'habitat inclusif et les liens avec le domicile. Cela nous impose de réfléchir avec les meilleurs experts – urbanistes, architectes et sociologues – , mais aussi avec les personnes âgées elles-mêmes, à la manière dont nous concevons leurs lieux de vie, tous les lieux de vie.
Dans quelques semaines, les ARS, que nous avons consultées, recevront une première instruction détaillant les modalités pratiques de ce plan d'investissement. Ce ne sera qu'une première étape de transition, avant de définir des lignes directrices qui structureront notre approche. J'aurai naturellement besoin de vous, dans les territoires, pour animer avec moi la réflexion que nous conduirons au deuxième trimestre. Sachez, madame Pires Beaune, que nous sommes prêts à travailler sur cette belle idée de label de qualité et de transparence, que sollicitent les familles.
Cette réforme du grand âge et de l'autonomie aurait pu être une énième réforme financière avec un plan d'investissement sur les places en EPHAD et un taux d'encadrement, mais j'ai la conviction que la transition démographique imminente nous pousse à faire plus : nous devons agir résolument pour permettre aux personnes de vieillir le plus longtemps possible à domicile, conformément à leur souhait unanime ; nous devons agir sur l'affirmation des droits des personnes âgées à domicile ou en établissement, qui doivent être aujourd'hui plus que jamais considérées comme des citoyens à part entière.
Le Gouvernement sera au rendez-vous pour sortir de cette crise sanitaire avec une vraie perspective d'avenir pour ce secteur. Je suis maintenant à votre disposition, mesdames, messieurs les députés, pour répondre à vos questions.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
Nous en venons aux questions.
Je vous rappelle que la durée des questions, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à Mme Michèle Victory.
Cette crise est terrible, et nous en voyons chaque jour les conséquences dévastatrices, mais ce qui est peut-être le plus terrible, c'est qu'elle nous pousse à comptabiliser les vivants et les morts et à faire entrer nos anciens dans des tableaux de chiffres afin de tenter de justifier les politiques sanitaires, particulièrement dans nos EHPAD où les chiffres dont nous disposons quant au nombre des personnes décédées ne sont pas des données totalement fiables, l'État ne détenant pas la base de données de mortalité, mais des extrapolations faites à partir de ces données. Ce manque de transparence nous gêne parce que, comme nous en avons tous fait le constat dans nos circonscriptions, il induit les protocoles mis en place pour nos anciens et permet de décider ce que nous voudrions pour ces personnes arrivées au bout de leur existence sans que nous soyons sûrs de faire des choix humainement toujours défendables.
Nous le savons bien, la majorité des Français souhaitent finir leur vie chez eux, entourés de leurs proches lorsqu'ils en ont et pris en charge par des aides à domicile – dont l'engagement mérite d'être salué une nouvelle fois. Le choix de l'EHPAD intervient souvent parce qu'il n'y a pas d'alternative, et tout le dévouement et la compétence des personnels de ces établissements, à qui la nation tout entière a dit sa profonde reconnaissance, ne suffisent pas à redonner le souffle nécessaire à un projet de société ambitieux. Comme vient de le souligner ma collègue Christine Pires Beaune, on déplore en effet un manque criant de personnel, l'épuisement d'aides-soignants qui sont, faute de collègues, dans l'impossibilité de prendre leurs congés, des rémunérations trop faibles, un métier de moins en moins attractif et, avec la crise, des contraintes sanitaires qui ont fait du quotidien de ces femmes et de ces hommes une situation à la limite du supportable, une gestion douloureuse des personnes décédées, les attentes des familles et des résidents en grande souffrance, subissant l'isolement et ce syndrome de glissement bien connu qui dit le moment où ces personnes abandonnent le combat parce qu'elles sont privées d'affection, de contacts, d'activités et de plaisir.
Malgré les contraintes qui accentuent la charge de travail, les personnels ont instauré de multiples formes d'accompagnement pour compenser le manque de visites et ont bouleversé leurs habitudes et leurs plannings pour réhumaniser les EHPAD, car les résidents ont besoin de soins, de relations, mais aussi de personnel paramédical, de psychomotriciens, de psychologues, d'art-thérapeutes, de coiffeurs et d'animateurs pour les réanimer, les émouvoir encore.
Ma question est donc toute simple : quand allez-vous proposer un projet qui permette enfin de prendre en compte le grand âge ?
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.
Votre question est un peu générale. Comme vous l'avez entendu, le projet porte bien sûr sur l'approche domiciliaire qu'il convient d'aborder autour du grand âge, puisque c'est le souhait exprimé par les personnes concernées. Il s'agit aussi de renforcer, d'équiper, de rénover et de transformer le modèle des EHPAD, dont on oublie souvent que le « H » ne signifie pas « hospitalier » mais bien « hébergement ». Nous n'avons attendu ni la loi ni le calendrier parlementaire pour travailler sur les questions que vous avez rappelées ainsi que sur celle des métiers qui nécessitent une revalorisation – c'est déjà fait pour les professionnels des EHPAD dans le cadre du Ségur – , notamment ceux qui interviennent à domicile. En la matière, nous négocions avec les départements, puisque nous ne sommes pas les seuls opérateurs concernés par ces métiers. Nous continuons aussi à travailler sur la reconnaissance légitime qui leur est due, avec notamment les cartes professionnelles qu'ils demandent.
Voilà ce que je peux vous dire pour l'heure, le calendrier devant être affiné au fil des semaines. Les chantiers prioritaires sont examinés et les réponses sont déjà apportées au fil de l'eau. Nous travaillons de manière très concrète, pas en apesanteur.
L'année 2020 a mis en en lumière, d'une certaine manière, les difficultés déjà identifiées depuis bien longtemps dans les EHPAD. Je tiens, bien entendu, à remercier le personnel soignant et l'ensemble des personnels qui travaillent dans ces établissements pour l'engagement dont ils ont fait preuve au cours de cette année.
Lancé au printemps 2020, le Ségur de la santé est un plan d'investissement massif et de revalorisation de l'ensemble des carrières pour notre hôpital. Les organisations syndicales ont majoritairement signé cet accord, complété ultérieurement par de nouvelles lignes de crédit, notamment dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021. Je pense notamment au fléchage de 150 millions d'euros dès maintenant, puis de 200 millions d'euros à partir de 2022 pour aider financièrement les départements à assumer une revalorisation de l'ordre de 15 % des salaires dans les tarifs de financement des services d'aide et d'accompagnement à domicile – SAAD. Pourtant, il semble qu'il reste encore des structures pour lesquelles ces financements tardent à arriver. C'est le cas, dans ma circonscription, de l'EHPAD Les Émeraudes, dans la commune Vaugneray, où cette prime, qui pourrait être versée à cinquante-quatre équivalents temps plein, représenterait 280 000 euros. Or, cet EHPAD associatif, comme d'autres structures similaires, n'a évidemment pas la trésorerie pour faire cette avance de fonds et augmenter ses salariés. Pouvez-vous nous dire, madame la ministre déléguée, quand ces fonds seront versés afin de revaloriser les salaires des personnels travaillant dans les EHPAD associatifs ?
Je tiens également à appeler votre attention sur d'autres structures sociales, comme les services de soins infirmiers à domicile – SSIAD – qui embauchent dans les mêmes métiers, mais pour un exercice à domicile, et qui ne sont pas éligibles à ces aides. Pouvez-vous nous indiquer ce qui est prévu pour ces structures, si importantes pour nos territoires ? Et, puisqu'il me reste quelques secondes, j'en profite pour saluer le SSIAD des Monts du Lyonnais.
À mon tour, je salue le SSIAD de votre circonscription. Permettez-moi de vous dire d'emblée qu'il n'y a pas vraiment d'oubliés du Ségur, comme je peux le lire partout.
Il y a des professionnels qui ont fait preuve de dévouement et que nous avons suivis de très près dans à cette crise. S'ils ont été oubliés, c'est au cours des quinquennats précédents, …
… mais certainement pas par ce gouvernement. Le Ségur de la santé a précisément vocation à apporter une reconnaissance complémentaire à ces professionnels, notamment sur le plan salarial. J'insiste sur le terme « notamment » car, si le salaire est primordial, il ne fait pas tout. Ces personnels doivent être reconnus aussi pour leur rôle dans la société et la crise sanitaire les a, heureusement, valorisés. C'était la moindre des choses. L'accord prévoyait une augmentation de 183 euros nets par mois pour les EHPAD publics et privés non lucratifs et de 160 euros nets par mois pour le secteur privé commercial.
Pour la fonction publique hospitalière, les premiers versements ont pu être effectués à la suite de la publication des textes réglementaires en fin d'année. En ce qui concerne les professionnels des autres versants de la fonction publique, les textes dédiés, qui seront pris ce mois-ci, prévoient une revalorisation rétroactive dans un souci d'équité. Pour les EHPAD privés, qu'ils soient ou non à but lucratif, l'État a pris ses dispositions, mais le Ségur doit être transposé par des accords collectifs, comme vous l'avez dit, monsieur le député, ou par des décisions unilatérales des employeurs. Les fonds seront donc débloqués au mois de février, rétroactivement aussi pour les établissements privés qui auront signé ces accords. Pour les autres établissements sociaux et médico-sociaux, un travail complémentaire est nécessaire. C'est pourquoi M. le Premier ministre a missionné Michel Laforcade, qui dispose de l'expertise générale nécessaire en tant qu'ancien directeur général d'une ARS, pour formuler avant la fin du premier trimestre des réponses opérationnelles afin d'étendre cet accord aux autres professionnels médico-sociaux que vous mentionnez.
Comme partout en France, la situation reste extrêmement compliquée dans les Vosges, où la deuxième vague a touché de plein fouet un certain nombre de nos EHPAD. Une fois encore, les résidents et le personnel sont en première ligne.
Dans ma circonscription, l'EHPAD de Bussang illustre les difficultés rencontrées sur le territoire. Les équipes travaillent en effectif réduit depuis des mois sans interruption et cette crise a aggravé la situation avec de nombreux arrêts de travail supplémentaires et, malheureusement, peu de renforts. Le personnel est épuisé physiquement, mais aussi moralement.
Des aides-soignantes et des infirmières en retraite voulaient venir soutenir leurs anciennes collègues. Pourquoi n'a-t-on pas permis à ces personnes, pourtant volontaires, de venir aider au plus fort de la crise ? De plus, la réserve sanitaire, gérée de façon catastrophique par Santé publique France, présente ces derniers mois un bilan plus que lamentable. Le contrôle des dossiers des milliers de volontaires est effectué par huit personnes ! Il n'existe aucune coordination, notamment avec l'opération renforts-covid, qui s'est montrée autrement plus efficace pour répondre aux demandes des établissements de santé grâce à une gestion décentralisée et une mise en contact directe avec les volontaires. Cependant, ce système est demeuré bien trop peu connu.
Face à ce constat, madame la ministre déléguée, comment entendez-vous réformer la réserve sanitaire afin de la rendre opérante et de permettre aux EHPAD qui en ont besoin de pouvoir compter sur cette ressource indispensable dès les prochains jours ?
Je partage avec vous cette préoccupation quant à la possibilité de disposer de renforts et nous activons tous les leviers possibles en la matière, mais l'attractivité, l'engouement et l'appétence pour des métiers ne se décrètent malheureusement pas. Comme vous, je regrette que le recours à la réserve sanitaire ne soit pas possible, et il conviendra probablement de revoir la limite d'âge.
Vous avez peut-être vu que les plateformes de renforts en ressources humaines, qui sont pilotées par les ARS et le ministère, ont été réactivées. Au 21 décembre, plus de 18 000 personnes étaient inscrites, dont plus de 14 000 disponibles. Les étudiants en santé, les infirmiers, les aides-soignants et les étudiants en travail social ont été mobilisés, nous avons aménagé les cursus de formation pour augmenter les volumes de stages des étudiants en santé en établissement et les étudiants médicaux et internes en stage ont été réaffectés là où les besoins étaient les plus criants.
Avec la secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de l'engagement, j'ai décidé le déploiement à échéance rapide de 10 000 services civiques au bénéfice des EHPAD dans le domaine de l'autonomie, pour favoriser le lien social, organiser les visites, et parfois aussi l'animation dans les établissements. Au début de la deuxième vague, j'ai lancé une campagne de recrutement intitulée « Un métier pour tous » sur les métiers du grand âge et demandé qu'une circulaire soit envoyée aux ARS et aux directions de Pôle Emploi afin de satisfaire 10 000 offres d'emploi en EHPAD.
Des forfaits incitatifs, qui ont rémunéré les médecins et infirmiers libéraux en EHPAD, ont été mis en place et prolongés jusqu'à la fin de l'année 2020. Ces professionnels peuvent venir renforcer encore les équipes, et les soutiens, notamment financiers, seront maintenus.
Enfin, un dispositif national de prise en charge médico-psychologique au bénéfice des personnels des secteurs privé et public a été mis en place en avril et s'adresse notamment aux EHPAD. C'est un dispositif national qui s'appuie sur un numéro vert pour les personnels de santé mobilisés au chevet des patients dans le cadre de la crise du covid, et un accueil par des psychologues cliniciens bénévoles intervenant conformément à une charte de bonnes pratiques sur laquelle ils s'engagent. L'ensemble des EHPAD ont été invités à se rapprocher de tous ces dispositifs.
Depuis le 11 janvier 2020, 20 616 personnes sont décédées dans les EHPAD. J'ai d'abord une pensée pour ces femmes et ces hommes qui n'ont parfois pas pu voir leurs proches une dernière fois, qui n'ont pas pu se promener, manger à la cantine tous ensemble, qui n'ont pas pu participer aux activités culinaires ou à la chorale, qui n'ont pas aperçu les sourires derrière les masques avant de nous quitter. Je pense aussi à celles et ceux qui ont vu leurs camarades s'éteindre et qui ont eu peur. Toutes leurs habitudes ont été bouleversées car il s'agissait alors de vivre, vieillir et mourir au temps du covid-19. Les visites en chambre ont été suspendues, puis ce régime a été assoupli le temps des fêtes. Les personnels d'EHPAD ont alerté à propos du manque de soignants et de moyens, qui ne permettait pas de garantir le respect du protocole sanitaire.
Avant cette crise les soignants en EHPAD exprimaient déjà leur détresse, ils étaient déjà épuisés, honteux de ne pas pouvoir exercer leur métier dignement. Ils ont mis en garde contre la rapacité des groupes privés d'EHPAD, dont les patrons figurent parmi les plus grandes fortunes de France, ils ont dénoncé les économies réalisées sur les repas des résidents, sur les salaires des auxiliaires de vie ou sur les équipements des établissements. Le coronavirus n'a pas eu raison de leur colère. Ces profiteurs de crise, qui préfèrent l'argent aux gens, sont une honte pour notre République, encore plus en période d'épidémie. Le manque de moyens nécessaires et l'austérité à tout-va condamnent les résidents à la solitude et à l'abandon.
Dès mars 2018, ma collègue Caroline Fiat vous alertait : pour mettre fin à la maltraitance institutionnelle dans les EHPAD, il faut embaucher 210 000 soignants, soit une dépense de 8 milliards d'euros que vous avez été incapables de trouver alors que vous vous êtes privés – quel hasard ! – de 8 milliards d'euros en 2018 et en 2019 en supprimant l'impôt de solidarité sur la fortune.
Madame la ministre déléguée, jusqu'à quand le règne de la solitude va-t-il durer pour nos personnes âgées ? Qu'allez-vous faire contre les profiteurs de crises qui s'engraissent sur leur dos ? Quand allez-vous enfin mette les moyens nécessaires pour que vivre et vieillir en temps de covid-19 ne soit plus une crainte pour nos aînés ?
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Madame Panot, vous savez bien que le souci de régler ce problème du grand âge et notamment de cette situation dans les EHPAD nous est commun. Si dès 2017, dès mon arrivée à la tête de la commission des affaires sociales, j'ai demandé à Mme Fiat et Mme Iborra un rapport sur ce sujet, c'est bien que j'étais consciente du problème des EHPAD !
Par contre, j'aimerais que vous écoutiez quand on vous répond et que vous soyez capable, de temps en temps, de remettre les choses en perspective. Cette crise n'a pas débuté avec notre arrivée, elle était déjà là. De plus, une crise sanitaire d'une telle ampleur n'est jamais arrivée dans aucun pays, puisqu'il s'agit d'une pandémie mondiale.
Puis, il est faux de dire que nous n'avons rien fait depuis 2017 pour augmenter le nombre de personnels dans les EHPAD : plus de 800 millions d'euros leur ont été alloués depuis 2017 dans le cadre de la convergence tarifaire, par exemple, ce qui a permis de créer plus de 18 000 postes depuis 2017.
Certes, ce n'est pas suffisant, et nous partageons votre constat sur ce point.
Nous avons, bien sûr, tenu compte de la situation psychologique et des syndromes de glissement que nous connaissions grâce au retour d'expérience de la première vague. Nous avons donc adapté cette charte éthique, que je tiens vraiment à valoriser parce qu'elle répond à un vrai besoin. C'est un travail constructif que je vous invite à poursuivre dans le cadre de la concertation que nous allons bientôt mettre en place autour de ces sujets stratégiques d'éthique et de lutte contre l'isolement des personnes âgées.
On peut, certes, toujours se focaliser sur ce qui va mal ; on peut toujours, sous prétexte de leur rendre hommage, continuer à taper sur les EHPAD. Pour ma part, je préfère voir les trésors d'ingéniosité dont ils font preuve pour faire en sorte que les personnes qui y sont accueillies soient considérées et bien traitées.
Madame la ministre déléguée, il est évident que l'insuffisance des moyens alloués au secteur médico-social a une incidence sur le drame qui s'est déroulé dans nos EHPAD depuis le début de l'épidémie de covid-19. Leur sous-dotation structurelle en personnel soignant a été aggravée en phase d'épidémie par le fait que les intervenants eux-mêmes étaient parfois malades ou à l'isolement. En d'autres termes, il a fallu faire plus avec moins. La commission d'enquête sur la gestion de la crise a fait état de situations dans lesquelles les infirmiers et les aides-soignants ont dû prendre seuls la décision de déclencher un protocole palliatif, notamment dans les établissements ne disposant pas de médecins coordinateurs.
Les besoins sont urgents et les équipes sont exténuées. Dès avant la crise sanitaire, notre groupe appelait à la mise en place d'un grand plan de recrutement et de revalorisation des métiers du grand âge, non pas uniquement sur le plan de la rémunération, mais aussi sur celui de la formation et de l'organisation.
En octobre, une circulaire interministérielle appelait les préfets et les agences régionales de santé à mener une campagne de recrutement d'urgence pour les métiers du grand âge. Madame la ministre déléguée, où en sommes-nous ? Les formations accélérées qui leur sont proposées sont-elles suffisantes, alors même que les besoins des résidents sont considérables, notamment sur le plan médical ? Surtout, nous ne sommes plus aujourd'hui dans la seule gestion de l'urgence, la crise durant depuis bientôt un an. Les soignants, qui font face à un stress permanent, à des changements de services et d'équipes, à la mort aussi, hélas, arriveront-ils à tenir sur le long terme ?
Plus que jamais, nous devons prendre en compte leur épuisement et les accompagner sur le plan psychologique quand c'est nécessaire. Madame la ministre déléguée, êtes-vous prête à le faire réellement ?
Monsieur le député, comme vous l'avez peut-être entendu dans mon exposé comme dans la présentation du plan que nous préparons, nous nous attaquons, bien sûr, à la question de ces métiers. Je l'ai rappelé, considérer que ce ne serait qu'une question de revalorisation serait réducteur : ce qui a besoin d'être revalorisé, c'est l'image de ces métiers. Tout le monde gagnerait, particulièrement en ce moment, à ce qu'on en parle autrement, et ce n'est certainement pas en tapant sur ces établissements, comme on le fait parfois – pas vous, je vous l'accorde – que nous allons aider leurs personnels à se sentir valorisés. Ces personnes sont les premières à nous dire qu'elles aimeraient qu'on parle d'elles autrement.
Certes, elles attendent aussi une revalorisation financière qui est nécessaire, notamment les catégories qui ont été évoquées tout à l'heure, mais nous souhaitons aussi travailler sur les cursus de formation, les simplifier parfois et en améliorer la qualité. Il faut aussi faire en sorte que les déploiements sur les territoires soient pertinents, qu'il y ait plus d'interactions entre les acteurs de l'aide à domicile et les établissements. C'est ainsi qu'on favorisera l'envie de travailler dans ces deux secteurs et qu'on contribuera à pallier les insuffisances réciproques. Tout cela, nous y travaillons.
En ce qui concerne le fait que certaines infirmières auraient été contraintes d'exécuter des actes de fin de vie, qui sont des actes médicaux, je m'inscris en faux contre cette affirmation : nous avons bien sûr vérifié que ce type d'actes ne leur avait pas été demandé. Pour toutes ces raisons, et pour avoir mené de nombreuses auditions dans le cadre de la commission d'enquête, je peux vous rassurer sur ce sujet.
Merci, tout d'abord, à nos collègues socialistes d'avoir inscrit ce sujet à notre ordre du jour. Il convient certes, dans un premier temps, de dresser un bilan en termes de mortalité, mais une étude exhaustive des causes de cette mortalité, d'origine multifactorielle est-elle en cours, au-delà des causes liées à l'âge du public accueilli et aux problèmes médicaux de ces personnes, ainsi qu'aux protocoles d'urgence qui ont été établis ?
Il faut en effet analyser la situation selon la nature des établissements, selon qu'ils sont publics ou privés – sans faire quelque procès que ce soit – , selon leur capacité, s'il s'agit de grandes ou de petites structures, et selon les différences de fonctionnement antérieures à la pandémie, les dispositifs de gouvernance, en lien avec les familles et les conseils de résidents. Il faut aussi s'interroger quant aux pathologies qu'ils ont à gérer – selon par exemple qu'il y ou non une unité Alzheimer – et, bien évidemment, quant aux mesures qui ont été effectivement adoptées et qui sont nécessairement différenciées sur le terrain.
Une telle enquête est-elle en cours et, si ce n'est pas le cas, avez-vous l'intention de l'engager ? Son utilité est incontestable car, s'il y a sans doute eu des trésors d'organisation et de gestion de cette crise, il y a sans doute eu aussi des semelles de plomb. En outre, les difficultés inhérentes à l'accueil d'un tel public vont perdurer – M. Isaac-Sibille a posé des questions pertinentes sur ce sujet, même si le bilan est à moduler.
Enfin, qu'en est-il véritablement des efforts à consentir d'urgence pour renforcer les personnels que j'appellerais les experts de la bienveillance envers l'esprit comme envers le corps, comme les psychologues ou les kinésithérapeutes ?
S'agissant des besoins des EHPAD, vous l'avez entendu, nous avons tiré beaucoup d'enseignements de cette crise, ce qui nous a permis d'ajuster le tir, si j'ose dire, pour la deuxième vague et nous continuerons de l'ajuster au fil de l'eau.
Il est certes apparu des différences énormes entre les établissements, il ne faut pas le nier et nous serions tous bien avisés d'en tirer les conséquences pour la réforme qui se prépare. Il est clairement apparu, en tout cas, que les EHPAD qui s'en sont le mieux sortis étaient les plus connectés avec le monde sanitaire, l'hôpital ou la médecine de ville, par exemple, ainsi que ceux qui étaient dotés d'une direction très solide, à même d'activer très rapidement les protocoles d'hygiène, d'anticiper les besoins de renforts en ressources humaines – à supposer que la direction elle-même ne soit pas tombée malade – , mais aussi ceux qui fonctionnaient en petites unités de vie, au sein desquels une vie sociale pouvait se maintenir en dépit de contacts extérieurs limités. Le taux d'encadrement est apparu comme l'élément le plus important dans ces unités.
Nous avons donc, dans la douleur, avancé en quelques semaines dans le traitement de ces difficultés qu'il fallait surmonter, chacun à sa façon, rapproché les EHPAD du monde sanitaire, donné plus de place aux médecins coordonnateurs, déployé massivement la téléconsultation et les solutions d'hospitalisation à domicile et structuré une vraie politique de renforcement des ressources humaines.
C'est à toutes ces mesures que, forts de ces enseignements, nous travaillons et, bien sûr, nous continuerons de peaufiner cette analyse.
Depuis presque un an, alors que les personnes âgées résidant en EHPAD sont au coeur de l'actualité vaccinale, le quotidien des établissements est fortement perturbé.
La consultation que j'ai réalisée auprès des EHPAD de ma circonscription de Dordogne me permet de souligner les progrès réalisés depuis le premier confinement. Les directeurs et directrices rapportent qu'ils sont mieux approvisionnés en matériel de protection, notamment grâce aux commandes passées sur leurs fonds. Cela représente néanmoins un coût non négligeable.
L'engagement des personnels, sollicités parfois jusqu'au bout de leurs forces, est remarquable. Je salue aussi la mobilisation de l'ARS, qui a été très réactive dans l'organisation de tests en cas de symptômes de covid.
La crise a accentué les tensions pesant sur le recrutement des personnels soignants, d'une façon particulièrement aiguë dans les établissements touchés par la covid-19, mais également dans les autres. Nous avons eu des difficultés à remplacer les aides-soignants, m'a-t-on dit, et surtout les infirmiers, comme tout au long de l'année. Certes, c'est un problème ancien dans les EHPAD ruraux, où le recrutement d'infirmiers est particulièrement préoccupant.
À cela s'ajoute la diminution du nombre de médecins coordonnateurs et de médecins traitants. Le manque de personnel soignant ralentit la préparation et la mise en oeuvre de la vaccination. Sur ce point, il est ressorti des échanges que l'agenda de la vaccination n'était pas encore connu, ce qui peut fragiliser la confiance.
Madame la ministre déléguée, attirer plus de jeunes vers les métiers du soin est un défi que nous devons relever pour mieux accompagner le vieillissement de nos sociétés. La revalorisation des rémunérations contribuerait à l'attractivité de ces métiers, mais il faut aussi améliorer les circuits de recrutement, limiter le nombre des abandons en cours de formation et faciliter les réorientations vers ces métiers en cours d'année.
Certaines mesures du plan de relance visent à accélérer le recrutement et la formation dans le domaine de la santé : quels en sont les premiers résultats et quelles sont vos perspectives dans ce domaine ?
Madame la députée, vous avez raison de souligner que les ressources humaines ont été renforcées dans ces établissements. Comme chacun d'entre vous l'a rappelé, les personnels des EHPAD ont été particulièrement mobilisés et avaient besoin de ces renforts. Cependant, ces besoins étaient antérieurs à la crise et portent aussi, chacun en conviendra, sur l'amélioration du taux d'encadrement, afin de les accompagner et d'aménager de manière adéquate leur traitement et leur prise en charge. Il y a également un besoin de soutien, d'accompagnement et de remplacement, car la crise était continue et n'a malheureusement pas épargné ces professionnels, qui ont parfois été eux-mêmes touchés par le virus, tandis que d'autres ont dû faire face à des nécessités familiales.
Nous avons donc mobilisé tous les leviers possibles, sans faire de distinguo entre milieux ruraux et milieux urbains. Beaucoup d'associations nous ont prêté main-forte. À ce propos je voudrais saluer le réseau ADMR – Aide à domicile en milieu rural – , qui a mis certains de ses personnels à la disposition des établissements.
Mais s'ils ont été au rendez-vous, vous imaginez bien qu'il a été encore plus difficile de maintenir cette réserve sanitaire lors de la seconde vague. Nous avons donc actionné d'autres leviers, tels le service civique ou Pôle emploi, auquel nous avons adressé une circulaire visant à ce que les directions régionales, quel que soit le territoire, mettent en place au plus vite une offre d'emploi dans ces métiers. Cette démarche a été suivie d'effet puisque 10 000 postes ont été pourvus en EHPAD sur le territoire national.
Vous le voyez, les freins sont nombreux et nous essayons de les lever à chaque fois que nous le pouvons. Nous avons ainsi fait en sorte que des formations accélérées soient mises en place pour permettre une insertion sociale et professionnelle. Nous avons, Brigitte Klinkert notamment, activé ces réseaux. Nous mettons tout en oeuvre pour satisfaire ces besoins dans le but aussi de renforcer l'attractivité de ces emplois et ainsi contribuer à les pérenniser.
Les décès massifs de personnes âgées en raison de la covid-19 ont été très difficiles à vivre pour les familles, mais aussi pour les personnels des EHPAD, malgré leur dévouement corps et âme à leurs professions ; nous pourrons les remercier. De chaque crise, nous devons tirer les leçons. En l'occurrence, plusieurs directeurs d'EHPAD de ma circonscription m'ont fait part de leurs difficultés à recruter le personnel nécessaire pour garantir à nos aînés la dignité et la qualité de l'accueil et des soins.
Il est donc juste de valoriser la profession, qui s'est trouvée en première ligne pendant la crise. La rémunération mensuelle de 400 000 aides-soignants a augmenté de 183 euros nets, on l'a dit, mais vous savez bien, madame la ministre déléguée, puisque je vous ai interpellée comme plusieurs autres parlementaires, que cette augmentation ne concerne pas les professionnels intervenant à domicile dans le cadre des SSIAD. Vous devez nous aider à résoudre cette injustice qui génère des tensions sociales tout à fait compréhensibles. Je crois profondément que leur garantir une rémunération à la hauteur de l'utilité sociale de leur métier est une obligation morale.
Au-delà des questions de salaire, l'EHPAD est le lieu de vie des aînés et le lieu de travail du personnel. Or de nombreux EHPAD publics sont encore équipés de chambres doubles et de sanitaires collectifs par étage, à quoi s'ajoutent les courants d'air et les vérandas qui surchauffent au moindre coup de soleil ; bref, le confort est assez sommaire. Les EHPAD vont-ils être modernisés grâce aux moyens financiers que l'État met sur la table par l'intermédiaire de France Relance ? Prendre soin des aînés et des soignants, c'est prendre soin de la société et de la France.
L'investissement dans les EHPAD est une priorité du Ségur de la santé. En tirant les leçons de la crise, nous allons rénover différemment, de sorte que les EHPAD de demain soient ceux auxquels les personnes âgées aspirent, plutôt que ceux que nous aimerions construire nous-mêmes. Pendant cinq ans, 2,1 milliards seront consacrés à cette rénovation, soit 400 millions par an pour transformer les EHPAD et en faire des établissements dignes de ce nom.
Je précise qu'en deux quinquennats, seuls 25 % des EHPAD publics ont été rénovés. Autrement dit, les trois quarts d'entre eux ont été abandonnés. Remettons donc les choses en perspective et apprécions le fait, sans même évoquer la crise sanitaire, que nous conduisons une rénovation massive de ces établissements, qui en ont besoin.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Ce débat nous permet, s'il en était encore besoin, de mesurer la situation dramatique que traversent les résidents et les personnels soignants des EHPAD depuis le début de la crise sanitaire : peu de considération, mesures erratiques ayant isolé les résidents de leurs familles pendant le premier confinement – parfois jusqu'au syndrome de glissement – , manque de masques et de tests au printemps et retard vaccinal aujourd'hui. Le personnel est à bout de souffle ; je lui exprime à nouveau ma reconnaissance pour son professionnalisme et pour son dévouement.
Je tiens à vous alerter sur un autre danger que la crise du covid-19 a aggravé : les graves difficultés de recrutement, puis de fidélisation du personnel soignant dans les EHPAD de la Haute-Savoie face à la forte attractivité de la Suisse voisine. Le coût de la vie est particulièrement élevé dans les territoires frontaliers ; en raison de sa proximité avec la Suisse, le département de la Haute-Savoie figure parmi les plus chers de France. Le coût du foncier et du logement y atteint souvent des records ; le coût de la vie et des dépenses quotidiennes est aussi élevé qu'à Paris et bien supérieur à la moyenne nationale. Or les EHPAD ne peuvent pas s'aligner sur les salaires perçus en Suisse, souvent deux voire trois fois supérieurs. De ce fait, le personnel soignant se trouve dans une situation de tension permanente.
Suite à la présentation du plan santé, un coefficient de compensation du coût de la vie a été créé pour le personnel soignant exerçant en région parisienne. L'ensemble des critères justifiant l'octroi de cette prime de vie chère en Île-de-France est également rempli par le personnel soignant des régions frontalières ; le problème ne concerne pas que Paris. Par plusieurs courriers récents, Annie Genevard – qui connaît le même problème dans le Doubs – , Martial Saddier et moi-même vous avons alertée sur cette situation. Pouvez-vous vous engager à prendre des mesures pour lutter contre les difficultés de recrutement et de fidélisation du personnel soignant dans les EHPAD frontaliers ?
Applaudissement sur les bancs du groupe LR.
Connaissant d'autres problèmes dans des régions frontalières, je suis très intéressée à ce que nous menions ensemble une réflexion sur ce sujet dans le cadre du plan relatif aux métiers que nous sommes en train de construire. En effet, nous aurons beau revaloriser les postes et les rendre plus attractifs, il faudra également fidéliser ceux qui les exercent – constat qui vaut dans d'autres filières, le travail social par exemple. Nous devons donc renforcer nos propres établissements et revaloriser la filière, mais aussi, vous l'avez dit, affronter l'enjeu de la fidélisation.
Or nous ne parviendrons à fidéliser qu'en suscitant une appétence pour les métiers de cette filière, notamment en en parlant autrement – ce que nous demandent les personnels concernés, par exemple au moyen d'une campagne de publicité pour valoriser leurs métiers. Au sortir de la crise, lorsque les impératifs d'urgence seront moindres, il serait bon d'encourager ces professionnels à parler eux-mêmes de leurs métiers, car c'est eux qui en parleront le plus correctement. Cette réflexion m'intéresse beaucoup et je suis prête à engager le processus.
J'associe ma collègue Valérie Bazin-Malgras à cette question. Le 11 mars, face à la progression de l'épidémie de coronavirus, les EHPAD ont été les premiers confinés et les visites y ont été interdites. On l'a dit et répété, cela s'est traduit par un isolement très durement vécu par les résidents. Cet enfermement a produit des effets délétères sur les aînés et sur leurs familles. Les professionnels avaient pourtant alerté quant au fait que la santé affective est aussi importante que la santé physique. Combien de personnes âgées se sont laissé mourir à cause de la solitude à laquelle on les a contraintes ?
L'interdiction des visites en EHPAD a soulevé un véritable problème éthique. Outre cet isolement imposé et mortifère, les résidents des EHPAD ont payé un lourd tribut lors de la première vague. Les aînés, histoire vivante de la nation, sont morts seuls, isolés, sans que leurs familles puissent leur dire au revoir. Lors du premier confinement, le Gouvernement n'a pas accordé assez de moyens aux EHPAD pour leur permettre de faire face dignement à la crise du coronavirus. Ce sont les personnels de ces établissements qui ont répondu présents. En tant qu'ancien aide médico-psychologique exerçant dans un EHPAD, je sais de quoi je parle et je ne peux que penser aux soignantes et aux soignants qui se sont parfois isolés avec leurs patients, dans mon département de l'Oise comme partout en France.
Aujourd'hui, c'est la campagne de vaccination qui est trop lente pour permettre aux EHPAD d'accueillir des visites en toute sécurité et sérénité. Le projet de loi sur le grand âge devait être examiné à la fin 2019, mais l'examen de ce texte important et très attendu a été plusieurs fois reporté ; c'est indigne. Plus que jamais, il est urgent de répondre aux besoins de moyens exprimés par les EHPAD, et de comprendre qu'une meilleure anticipation est nécessaire. Le vieillissement de la population est l'un des grands défis à venir pour la société française, mais le Gouvernement semble détourner le regard.
La création d'une branche autonomie de la sécurité sociale est très positive, mais encore faut-il y allouer les moyens adéquats. Or, madame la ministre déléguée, il est prévu que ces décisions soient prises par voie d'ordonnance. Pouvez-vous nous indiquer quels budgets sont envisagés ?
Je vous remercie de ce témoignage, monsieur Minot, puisque vous avez connu cette filière professionnelle. Votre question a trait à l'éthique et à la dignité. Face à une crise d'une telle ampleur, le premier réflexe consiste à protéger. C'est dans un deuxième temps, après avoir recueilli les retours de l'expérience, qu'il faut trouver la ligne de crête entre la nécessaire protection sanitaire et le respect de la vie sociale des personnes, qui désirent rencontrer leurs proches.
À Crépy-en-Valois, une commune que vous connaissez bien et qui a connu une situation très difficile…
Exactement. J'y ai parlé au maire et aux soignants ; beaucoup pleuraient encore, y compris le maire. Nous devons en tirer les conclusions. C'est en écoutant les acteurs locaux, mais aussi les familles que nous pourrons établir un protocole selon un équilibre délicat, j'en conviens, notamment en cas de cluster : les directeurs d'EHPAD s'emploient alors, comme nous le leur demandons, à apporter des réponses proportionnées à la situation, et non des décisions implacables, car il n'en est pas question dans les protocoles que nous déployons.
Reste l'adaptation des mesures à chaque établissement : elle nécessite une réflexion sur la médiation nécessaire entre les familles et la direction afin de trouver un juste équilibre. On ne saurait décider de manière trop directive de la marche à suivre ; mieux vaut définir une charte éthique en faveur des personnes âgées, en respectant leurs droits. J'ai entendu des personnes âgées de 94 ans me demander de les laisser voir leurs enfants ; elles voulaient en prendre le risque. Voilà où nous en sommes ! Nous n'écoutons pas assez les personnes âgées et nous les regardons autrement, comme des sujets de soins plus que des sujets de droit. Rétablissons l'équilibre…
… en portant un regard différent sur les établissements et leur personnel qui, comme vous le dites, doit faire l'objet d'un suivi psychologique – ils nous le demandent eux aussi.
Quoi qu'il en soit, sur ce sujet, nous ne légiférerons pas par ordonnance !
Si les deux confinements vécus en 2020 ont touché tous les Français sans exception, ils ont eu des répercussions particulières sur les résidents des EHPAD et sur leurs familles, mais aussi sur les personnels qui travaillent dans ces structures. Isolement, absence de contacts sociaux, manque d'attractivité des emplois dans la filière, manque de personnels : la crise sanitaire a mis en relief les difficultés que rencontre ce secteur depuis longtemps, très longtemps, trop longtemps.
Il faut tirer les enseignements de ce qui s'est passé au cours des derniers mois pour se préparer à légiférer, avec le projet de loi sur le grand âge et l'autonomie. En effet, ce texte devra apporter des solutions pour améliorer la situation des EHPAD et revaloriser les métiers de la filière. Plus largement, il faudra s'interroger sur la place de ces établissements et trouver des solutions concernant le maintien des personnes âgées et fragiles à domicile.
Pouvez-vous nous éclairer, madame la ministre déléguée, sur la manière dont la crise sanitaire et les confinements ont influé sur les réflexions relatives au projet de loi sur l'autonomie et le grand âge et aux évolutions futures des EHPAD, pour mieux protéger ceux qui y résident, notamment en période de crise sanitaire ?
Monsieur le député, si nous légiférions demain sans prendre en compte les enseignements de cette crise sanitaire, nous raterions une occasion.
Comme nous l'avons dit, nous ne sommes pas partis de rien, mais de rapports, de constats, de pleines pages de recommandations. Toutefois, ces documents doivent être adaptés car la crise sanitaire a, par endroits, rebattu les cartes.
Nous avons partagé un constat : il est nécessaire d'adopter une approche domiciliaire, tout en modernisant les EHPAD et en les ouvrant sur l'extérieur, afin d'éviter les problèmes dont nous avons parlé durant tout ce débat – l'isolement social, qui prévaut par endroits, notamment. Le bâti doit être repris ; dans les villes de demain, les EHPAD devront être placés au centre des bourgs et des villes et non plus à leurs abords. Les établissements eux-mêmes doivent être ouverts sur des tiers lieux, des associations, des activités culturelles, sportives. J'ai vu que certains ont amorcé ce virage, qui fait la part belle aux métiers du domicile.
Nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut revaloriser ces métiers, renforcer les ressources humaines – RH – partout et améliorer le maillage territorial, parce que les disparités sont nombreuses dans les types de dépendances, les tarifications et la valorisation des métiers eux-mêmes.
Tous ces aspects doivent être revus à partir des enseignements tirés de la crise sanitaire. De fait, celle-ci a obligé les établissements à se repenser de l'intérieur, à réfléchir à la manière correcte d'organiser les visites, sans trop éloigner les personnes, notamment.
Dans la loi que nous préparons, dans la réforme que nous conduirons, dans le plan métier que nous abordons, tout ceci sera pris en considération et permettra d'éclairer et d'étayer nos travaux.
Les personnels intervenant dans les EHPAD ont effectué un travail considérable, hors norme, l'an passé. Ils ont prouvé de la plus belle des manières l'importance de leurs missions, ce qui justifierait une plus juste rémunération et toute notre reconnaissance pour prendre ainsi en charge la vieillesse – celle des autres, celle de nos proches et un jour peut-être la nôtre.
La crise sanitaire a révélé et amplifié la crise organisationnelle, systémique, qui touche les EHPAD. Si beaucoup a déjà été dit aujourd'hui, je souhaite vous rapporter le témoignage de Juliette, 78 ans, afin de tirer quelques enseignements pour la suite du confinement des EHPAD, qui dure depuis mars 2020.
Juliette, retraitée de la catégorie C de l'éducation nationale, a pu être accueillie, après quelques mois d'attente, dans un EHPAD géré par le CCAS – centre communal d'action sociale – de Toulouse.
Sa pension additionnée à la pension de réversion de son époux, décédé à la fin de 2012, lui permet exactement de payer ses mensualités. C'est une chance, car cela évite de faire peser une contrainte financière sur ses proches qui ont dû se résoudre, la mort dans l'âme, à la voir rejoigne une maison de retraite, l'évolution de la maladie d'Alzheimer ne lui permettant plus de vivre seule à son domicile.
Dans l'instantanéité d'un échange, Juliette raisonne très bien. Elle se dit plutôt heureuse, dans la continuité d'une vie tranquille, mais elle exprime aussi très clairement la différence entre ce que l'on pourrait appeler la vie biologique et la vie biographique.
Les moments qu'elle vit le plus intensément, sans équivoque, sont ceux passés avec ses cinq petits-enfants. Deux vivent à Paris et ne l'ont pas vue depuis Noël 2019, alors qu'ils étaient habitués à la voir à chaque période de vacances. Trois vivent à 500 mètres de l'EHPAD et l'ont vue à peine quelques heures depuis mars 2020.
Tout le monde s'accorde à souligner qu'il importe de protéger la vie, mais de quelle vie parle-t-on ? Celle de nos cellules ? La question est de savoir ce que nous vivons, comment nous le vivons et avec qui. Il ne suffit pas d'être en vie dans un EHPAD.
Juliette sera vaccinée la semaine prochaine, à peine un an après le séquençage par le professeur Zhang Yongzhen de ce nouveau virus – un exploit. Elle n'a pas idée de toutes ces polémiques, de toutes ces querelles. Juliette a toujours détesté les piqûres, mais là, elle n'hésite pas : si celle-ci lui permet de revoir ses petits-fils et petites-filles, elle sera très heureuse.
Merci, monsieur le député, d'avoir évoqué, à travers le témoignage de Juliette – si vous me permettez cette familiarité – , l'isolement social que certaines personnes ont subi, et qui a parfois entraîné un syndrome de glissement.
Vous rappelez surtout que la vie, ce n'est pas le confinement, que la valeur de la vie sociale est parfois supérieure à celle de la santé, que nous souhaitons pourtant préserver.
Si Juliette a pu accéder à cette maison, c'est parce que ses moyens le lui permettaient, dites-vous, posant ainsi, en filigrane, le problème du reste à charge. Quand on se penche sur le sujet, on s'aperçoit que c'est une préoccupation constante des personnes concernées, mais aussi de leurs familles, lesquelles sont quelquefois déchirées par la culpabilité au moment de se résigner à placer leurs parents dans des établissements.
Tout cela doit nourrir la réflexion que, vous le savez bien, nous menons ensemble. Nous avons revalorisé ces métiers ; nous allons rénover les bâtiments et adopter une approche domiciliaire, afin de concilier tous ces enjeux qui ne sont pas seulement sanitaires – il faut cesser de les envisager uniquement ainsi – , mais aussi sociétaux.
Trop souvent, nous parlons des personnes âgées comme si elles vivaient en dehors du temps, comme si elles avaient fini d'exister parce qu'elles ont fini de travailler. Il faut en parler autrement, ce que vous avez fait, et avec beaucoup d'élégance. Je vous remercie donc pour ce témoignage, que je comprends profondément. J'en ai beaucoup entendu du même genre ; ils nous amènent à réfléchir.
Vous avez en outre évoqué la lueur d'espoir qu'est le vaccin. Même si nous n'en parlons pas suffisamment en ces termes, c'en est une. Les résidents d'EHPAD qui se font vacciner actuellement nous le disent : s'ils se font vacciner, c'est parce qu'ils veulent revoir leurs enfants, sortir, vivre. Si, dans cette crise sanitaire et lors du déploiement du vaccin, nous n'entendons pas cela, nous raterons la sortie de crise sanitaire, dont nous avons tous besoin.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem. – Mme Christine Pires Beaune applaudit également.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures :
Débat sur le déploiement des maisons France services.
La séance est levée.
La séance est levée à dix-neuf heures cinq.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Serge Ezdra