Cette crise est terrible, et nous en voyons chaque jour les conséquences dévastatrices, mais ce qui est peut-être le plus terrible, c'est qu'elle nous pousse à comptabiliser les vivants et les morts et à faire entrer nos anciens dans des tableaux de chiffres afin de tenter de justifier les politiques sanitaires, particulièrement dans nos EHPAD où les chiffres dont nous disposons quant au nombre des personnes décédées ne sont pas des données totalement fiables, l'État ne détenant pas la base de données de mortalité, mais des extrapolations faites à partir de ces données. Ce manque de transparence nous gêne parce que, comme nous en avons tous fait le constat dans nos circonscriptions, il induit les protocoles mis en place pour nos anciens et permet de décider ce que nous voudrions pour ces personnes arrivées au bout de leur existence sans que nous soyons sûrs de faire des choix humainement toujours défendables.
Nous le savons bien, la majorité des Français souhaitent finir leur vie chez eux, entourés de leurs proches lorsqu'ils en ont et pris en charge par des aides à domicile – dont l'engagement mérite d'être salué une nouvelle fois. Le choix de l'EHPAD intervient souvent parce qu'il n'y a pas d'alternative, et tout le dévouement et la compétence des personnels de ces établissements, à qui la nation tout entière a dit sa profonde reconnaissance, ne suffisent pas à redonner le souffle nécessaire à un projet de société ambitieux. Comme vient de le souligner ma collègue Christine Pires Beaune, on déplore en effet un manque criant de personnel, l'épuisement d'aides-soignants qui sont, faute de collègues, dans l'impossibilité de prendre leurs congés, des rémunérations trop faibles, un métier de moins en moins attractif et, avec la crise, des contraintes sanitaires qui ont fait du quotidien de ces femmes et de ces hommes une situation à la limite du supportable, une gestion douloureuse des personnes décédées, les attentes des familles et des résidents en grande souffrance, subissant l'isolement et ce syndrome de glissement bien connu qui dit le moment où ces personnes abandonnent le combat parce qu'elles sont privées d'affection, de contacts, d'activités et de plaisir.
Malgré les contraintes qui accentuent la charge de travail, les personnels ont instauré de multiples formes d'accompagnement pour compenser le manque de visites et ont bouleversé leurs habitudes et leurs plannings pour réhumaniser les EHPAD, car les résidents ont besoin de soins, de relations, mais aussi de personnel paramédical, de psychomotriciens, de psychologues, d'art-thérapeutes, de coiffeurs et d'animateurs pour les réanimer, les émouvoir encore.
Ma question est donc toute simple : quand allez-vous proposer un projet qui permette enfin de prendre en compte le grand âge ?