Avant d'accepter de prendre la parole dans ce débat, au demeurant passionnant et essentiel dans un État de droit au pouvoir judiciaire indépendant, je me suis longuement interrogé sur son caractère raisonnable et sur les risques que j'allais prendre ou pas à aborder ce sujet. Le doute venait du fait que, depuis trop longtemps, interventionnisme politique et immixtion du juge dans le débat politique avaient abouti à des dérives, là où la nécessaire indépendance du juge implique sa totale impartialité pour un bon fonctionnement des institutions.
En 2013, la loi Taubira a mis un terme à la première dérive en supprimant les instructions individuelles : ainsi l'indépendance du parquet vis-à-vis de l'exécutif était-elle assurée. Pour ce qui est de l'impartialité, la question reste particulièrement prégnante, comme ont permis de le souligner les travaux de cette commission d'enquête.
Les déclarations faites au cours des auditions sur les conditions de nomination du juge d'instruction dans l'affaire dite Fillon, comme celles relatives aux demandes de remontées d'informations au sein du parquet, conduisent inévitablement à s'interroger sur la sérénité qui devrait présider à la gestion des affaires et donc sur l'impartialité nécessaire à toute prise de décision.
Il n'est pas non plus admissible de voir des magistrats se prononcer publiquement sur des affaires en cours, voire non encore ouvertes, surtout quand ces mêmes magistrats sont ceux qui devront décider de l'opportunité ou non des poursuites.
Les fuites, organisées ou non, les communiqués de presse sont autant d'éléments de nature à induire le doute ou l'erreur dans l'esprit de nos concitoyens : l'indispensable confiance que nous devons avoir dans notre justice passe nécessairement par la sagesse dont elle doit faire preuve. Dans cette société hypermédiatisée, il est certes frustrant de ne pouvoir prendre part au débat public, mais avoir fait le choix d'embrasser la belle profession de magistrat implique un devoir de réserve. Le juge ne peut et ne doit pas devenir acteur, à moins d'entacher la crédibilité de l'ensemble de notre système judiciaire. Quant au politique, il doit se garder de toute ingérence dans le fonctionnement de celui-ci.
Les inéligibilités liées aux fonctions occupées, prévues par le code électoral, sont l'illustration de la volonté du législateur et de la société de ne pas voir le juge prendre part au débat politique. Certes, nous pouvons encore progresser en la matière et le rapport de la commission d'enquête ébauche à cet égard de nombreuses pistes.
Pour couper court à tout débat et légitimer dans sa fonction le ministre de la justice, garde des sceaux, nous avons proposé que sa nomination intervienne sur proposition, et après avis conforme à la majorité des trois cinquièmes, des commissions parlementaires compétentes. Ce système, déjà éprouvé, permettrait d'asseoir la légitimité du ministre de la justice dans sa mission qui est la sienne sur la reconnaissance de ses qualités par la représentation nationale.
Il faut d'autre part lever définitivement la confusion induite par l'illisibilité entre le parquet et le siège : la formation, un statut et des robes identiques, ainsi que des carrières faites de passage de l'un à l'autre des postes, parfois dans la même juridiction, ne sont pas de nature à permettre aux justiciables de comprendre notre système. Le progrès en matière d'indépendance de la justice passera donc par l'absence de transversalité entre le parquet et le siège, par la distinction des formations et par celle des carrières.
Enfin, l'indépendance dans l'exercice de la mission est, seule, susceptible d'engendrer la confiance du peuple dans l'institution, confiance qu'il ne peut lui accorder aveuglément. Pour couper court aux doutes, à la défiance et aux fantasmes, l'institution judiciaire doit se montrer responsable et transparente. Parce que rendre la justice au nom du peuple français implique un peu de pédagogie et beaucoup de transparence, nous avons ainsi proposé l'organisation de débats départementaux, au cours desquels, dans un souci de proximité, les magistrats viendraient, devant des citoyens tirés au sort sur les listes électorales, rendre compte de leur activité annuelle et l'expliquer, ce qui permettrait de les rassurer.
Le sujet est inépuisable, mais il est déterminant pour la paix sociale, qui requiert non une justice politique, non une république des justes, mais simplement une justice républicaine indépendante et rendue au nom du peuple.
Tandis que je préparais cette intervention, me sont venus à l'esprit les mots d'un homme qu'il peut paraître incongru de citer ici mais qui illustrent parfaitement l'indispensable confiance qui doit exister entre le juge, le politique et les hommes : « Ne demandez pas à un homme d'être raisonnable quand, justement, la justice et le gouvernement ne le sont pas » disait Jacques Mesrine.