La séance est ouverte.
La séance est ouverte à neuf heures.
L'ordre du jour appelle les questions sur le développement des éoliennes sur le territoire.
Je vous rappelle que la conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et, madame la ministre de la transition écologique, de chaque réponse également.
Nous commençons par les questions du groupe UDI et indépendants.
La parole est à M. Guy Bricout.
Madame la ministre de la transition écologique, je vous présente mes meilleurs voeux, en mon nom et en celui de Sophie Auconie qui aurait bien aimé être parmi nous.
Un mot me vient à l'esprit dès le début de mon propos : inquiétude. Je suis inquiet face aux développements à tout va, bon gré mal gré, de l'éolien sur notre territoire. La région Hauts-de-France où je suis élu ne compte pas moins de 25 % du parc national, ma ville, Caudry, est encerclée par les éoliennes : je sais de quoi je parle. L'acceptabilité globale de l'éolien est un mythe : dans les Hauts-de-France, 70 % des projets sont contestés devant les tribunaux.
Je m'étais donc réjoui de la constitution par votre prédécesseure, Élisabeth Borne, d'un groupe de travail sur l'acceptabilité des éoliennes. J'ai assisté à sa première réunion, le 18 février dernier, mais je m'étonne, quatre mois plus tard, de n'en avoir aucune nouvelle et de n'avoir rien vu de ses propositions qui devaient initialement être connues pour le printemps. Madame la ministre, quand nous disposerons de ce document, quel sort réserverez-vous à ses préconisations et dans quel cadre ?
Je suis aussi inquiet face aux sérieux problèmes de pollution engendrés par les pales que nous ne savons toujours pas recycler. Durant combien de temps encore allons-nous accepter de dégrader nos sols ?
Enfin, je suis inquiet face aux nombreuses questions en suspens quant aux impacts des éoliennes sur la santé humaine et animale. Des riverains se plaignent de troubles divers. Des éleveurs, dont plusieurs sur mon territoire, constatent de gros problèmes dans leur élevage depuis l'installation de parcs éoliens près de leur exploitation : amaigrissement des animaux, production de lait en baisse, décès brutaux. Certes, des experts sont désignés et on diligente des enquêtes, comme dans la commune de Mazinghien où les études se multiplient, mais sans que l'on en connaisse les résultats.
N'est-il pas temps de lancer une étude indépendante et globale très poussée, croisant l'ensemble des problèmes recensés sur notre territoire, sur les impacts sanitaires et environnementaux des éoliennes et les différentes hypothèses qui se font jour ?
Tout d'abord, je me permets de vous souhaiter à tous une bonne année puisque, depuis le début de 2021, je ne suis pas encore venue dans cet hémicycle où je suis très heureuse de vous retrouver.
Monsieur Bricout, vous me faites part de vos inquiétudes concernant un éventuel impact sanitaire, notamment sur les élevages, du développement des éoliennes. Une mission d'inspection générale est en cours à propos d'un cas particulier, que connaissent bien certains de vos collègues, sur un lien possible entre les éoliennes et la santé animale. Ses conclusions devraient être rendues publiques prochainement.
En outre, l'ANSES, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, a été saisie pour évaluer l'imputabilité aux éoliennes de troubles observés dans des élevages bovins. Ses conclusions sont attendues en 2021. Nous y verrons alors tous plus clair. Je crois que cela pourra rassurer un certain nombre de personnes.
Quant au groupe de travail sur l'acceptabilité des éoliennes, il s'est réuni une fois avec les parlementaires, puis trois fois à un niveau technique avec des représentants de diverses associations – de collectivités, de paysagistes, de la filière éolienne, de défense du patrimoine ou de l'environnement – et des administrations concernées.
Le groupe de travail a permis d'identifier plusieurs pistes permettant d'atteindre nos objectifs de développement de l'éolien, tout en préservant son acceptabilité. Je suis aussi une élue, monsieur le député, et dans la Somme, je peux également constater les effets d'une concertation parfois insuffisante.
Se fondant sur ce travail, le conseil de défense écologique du 8 décembre dernier a acté plusieurs mesures pour un développement harmonieux de l'éolien, visant notamment à réduire les nuisances lumineuses des éoliennes, à améliorer la concertation au stade du développement et à permettre une meilleure planification territoriale de l'éolien – un point que j'aurai, je pense, l'occasion de développer plus tard.
En tant que député, je me dois de dénoncer une situation. En 2013, sous la présidence de François Hollande, le Gouvernement a fait le choix de supprimer les zones de développement de l'éolien – ZDE – qui étaient des outils de planification et de régulation de l'installation des éoliennes à travers le pays.
Que constatons-nous depuis lors ? Des sociétés à capitaux français ou étrangers installent un siège administratif dans un département, sortent le carnet de chèques devant certains propriétaires fonciers, agriculteurs et maires, et ils lancent leurs projets. Or ceux-ci se font souvent en périphérie de la commune d'accueil, leurs effets se faisant davantage sentir sur la commune voisine, ce qui crée des tensions dans les territoires.
J'alerte le Gouvernement : il est nécessaire que le zonage de ces installations soit inscrit dans les documents adéquats : plans locaux d'urbanisme communaux et intercommunaux et schémas de cohérence territoriale ou SCOT. Il faut que nous puissions disposer d'un véritable outil de régulation.
Guy Bricout a déjà évoqué la deuxième question que je souhaite aborder, à laquelle j'associe Sophie Auconie, députée d'Indre-et-Loire. Il y a de nombreux mois, notre collègue Yves Daniel, député de Loire-Atlantique, ici présent, a engagé un travail approfondi sur les effets sanitaires des éoliennes, et plus particulièrement sur les conséquences potentielles des ondes magnétiques. Je le dis comme je le pense : notre collègue Yves Daniel n'est pas suffisamment soutenu dans son travail, dans son action, dans sa démarche déterminante concernant le volet sanitaire de l'éolien et les ondes magnétiques.
Vous avez raison, monsieur Benoit : il faut une meilleure planification de l'éolien. Je le pense vraiment. On a parfois l'impression que des éoliennes poussent comme des champignons un peu partout, sans que l'on sache où elles vont sortir de terre, ce qui crée le sentiment d'être un peu dépossédé du choix de ce mode de développement énergétique. Malgré tout, la PPE – programmation pluriannuelle de l'énergie – contient des engagements que nous devons tenir. Mais comment fait-on pour tout concilier, pour faire en sorte que chaque territoire prenne sa part, pour que les mêmes ne soient pas toujours mis à contribution ? Il faut une planification.
Afin de concilier les différents objectifs, nous allons prévoir une disposition dans le futur projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, texte issu des travaux de la convention citoyenne pour le climat. Une déclinaison par région des objectifs de la PPE en matière d'énergies renouvelables, en concertation avec les régions et des collectivités, permettra de répartir ces objectifs, y compris l'éolien, en fonction des potentiels et des spécificités de chaque région. Le projet de loi prévoira aussi que les SRADDET – schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité du territoire – devront contenir des objectifs énergétiques compatibles avec cette répartition régionale, qui seront ensuite déclinés dans les documents territoriaux d'urbanisme pour être juridiquement opposables.
En complément, le conseil de défense écologique du 8 décembre a souligné le besoin d'améliorer la planification du développement éolien au niveau territorial, afin de sécuriser la possibilité d'atteindre les objectifs de la PPE. En conséquence, je vais demander aux préfets de région d'engager la rédaction de cartographies des zones propices au développement de l'éolien, en concertation avec les acteurs locaux, au premier rang desquels se trouvent les collectivités. Cette cartographie ne sera pas juridiquement opposable, mais elle pourra servir de guide aux collectivités lors des mises à jour des documents d'urbanisme. Ce sera cependant plus souple que les ZDE tout en remplissant le même objet.
L'éolien est un sujet de tension au sein de notre pays. L'installation des éoliennes ne se fait pas dans un climat apaisé et concerté, la défiance est grande : 70 % des projets d'installation d'éoliennes terrestres font actuellement l'objet de recours auprès des tribunaux administratifs.
Ancien maire d'une commune de la Somme où d'importants projets d'installation d'éoliennes sont prévus, j'ai constaté moi-même que les possibilités de recours par les élus locaux ont diminué depuis 2013 : ni les SRADDET, ni les plans climat air-énergie territoriaux – PCAET – , ni les SCOT ne sont prescriptifs.
Si les Françaises et les Français contestent majoritairement l'installation des mâts terrestre, c'est qu'ils ont l'impression d'être dupés. Ils refusent de voir leurs paysages déformés par l'installation de mâts qui ne sont irréprochables ni sur le plan écologique ni sur le plan énergétique, alors que leur coût restreint les recherches sur les véritables énergies alternatives telles que l'hydrogène, l'énergie marémotrice, l'hydraulique, la géothermie ou la fusion nucléaire.
Je ne suis pas contre l'énergie éolienne, mais je conteste le rôle qu'on lui fait tenir, celui d'élément clef de la transition énergétique qui nous éloignera du nucléaire. L'énergie éolienne ne permettra pas une véritable transition énergétique qui nous détachera du nucléaire car son coût est trop élevé et son efficacité trop aléatoire. Plus chère, l'énergie éolienne est aussi moins fiable. En outre, elle n'est pas exemptée de discrédit sur le plan écologique : chaque éolienne représente 1 500 tonnes de béton armé sous terre, et 50 tonnes de ferraille. Les associations ne cessent d'alerter sur la conséquence des mâts terrestre sur la biodiversité. Les éoliennes tuent non seulement certains oiseaux mais elles détériorent aussi la qualité de vie des riverains.
C'est aujourd'hui que débute ce que l'on appelle l'affaire du siècle : quatre organisations non gouvernementales vous accusent – ils accusent l'État, donc ils vous accusent, madame la ministre – de carence fautive en raison de votre action défaillante dans la réduction des gaz à effet de serre.
Une députée de La République en marche estime que les éoliennes ne soutiennent pas la décarbonation en France et dit : « le jour où les gens vont vraiment comprendre que cette transition énergétique ne sert pas la transition écologique, vous aurez une réaction de rejet des politiques, accusés d'avoir menti. »
Pourquoi continuer à vouloir faire de l'éolien un élément clef de la transition énergétique alors que son utilisation ne permet pas à long terme de nous séparer du nucléaire et que son coût empêche l'accélération de la recherche de solutions alternatives dont la géothermie ?
Votre intervention contient de nombreuses questions auxquelles je vais essayer de répondre, mais aussi beaucoup d'idées reçues.
Vous dites qu'il y a une opposition générale aux éoliennes dans ce pays. C'est faux : des études montrent le contraire. S'ils n'avaient à traiter que les recours contre les éoliennes, les tribunaux de ce pays ne seraient pas très embouteillés. Seulement de 6 % à 14 % des projets font l'objet d'une opposition de la part des maires des communes d'implantation, ce qui veut dire qu'ils sont approuvés dans l'immense majorité des cas.
Alors, essayons de garder raison ! J'ai l'impression de revenir toujours sur les mêmes sujets. Il est parfaitement légitime d'être opposé à l'énergie éolienne et de le faire valoir dans le débat public, mais nous devons travaillons à partir des faits. Je vais sans doute entendre parler des terres rares et de la recyclabilité des éoliennes – pour ce dernier point, c'est déjà fait. Il se trouve que le recyclage des éoliennes, qui se développe, va devenir une obligation – précisons qu'il ne s'agira pas de faire brûler les pales. Nous avançons, notamment sur l'excavation des socles.
Je vais aussi entendre parler de la biodiversité et du coût de cette énergie. Actuellement, l'énergie éolienne coûte environ 60 euros du mégawattheure, autant dire que nous sommes loin des prix délirants avancés par certains. À cet égard, l'éolien soutient la comparaison par rapport à d'autres énergies, y compris le nucléaire.
Essayons de sortir des idées reçues et travaillons à partir de faits sur lesquels je pourrai vous répondre avec grand plaisir.
Tout d'abord, madame la ministre, je souhaite partager avec vous un constat : les très nombreux projets éoliens qui ont vu le jour au cours des dernières années dans mon département, les Ardennes, ont pour la plupart été montés en collaboration avec les élus et sans heurt avec la population.
Cependant, la situation a complètement changé : la prolifération des projets et, surtout, le défaut de coordination provoquent désormais l'hostilité d'un nombre croissant d'habitants.
Je regrette vivement l'époque où la législation prévoyait des zones de développement éolien, qui permettaient de réguler les projets, mais l'avenir ne se construit pas sur des regrets.
Après ce constat, je veux témoigner de la démarche que nous effectuons actuellement dans mon département dans le cadre du plan de redynamisation des Ardennes, dénommé « pacte de développement territorial des Ardennes », que deux ministres sont venus signer à Charleville-Mézières le 15 mars 2019. En collaboration avec les élus, l'agence d'urbanisme de Reims, qui a gagné le marché, élabore actuellement un plan paysager éolien qui vise à définir trois types de zones : celles considérées comme saturées, où plus aucun projet n'est souhaité ; celles où il n'existe pas ou peu d'installations éoliennes, mais où l'on n'en souhaite pas en raison d'un enjeu paysager ; enfin, celles où les implantations sont possibles, mais au terme d'une discussion avec les élus pour définir les distances entre les éoliennes et minimiser l'impact sur le paysage. Ce plan ne sera pas juridiquement opposable, mais notre préfet l'attend beaucoup pour fonder ses décisions d'approbation ou de refus. De plus, dans les prochains mois, il sera intégré aux plans locaux d'urbanisme.
Que pensez-vous de cette démarche, à droit constant ? Ne faudrait-il pas la promouvoir voire la généraliser dans les départements pour favoriser un développement de l'éolien pacifié et raisonné ?
La démarche qui a été initiée dans les Ardennes, telle que vous la décrivez, me semble tout à fait en phase avec notre philosophie, dès lors qu'elle permet – c'est très important – d'identifier suffisamment de zones favorables à l'éolien pour atteindre les objectifs de la PPE. Il s'agit d'arrêter de lancer en l'air des objectifs très généraux au niveau national pour regarder ensuite s'ils retombent correctement sur des territoires. Au fond, quelle que soit la méthode, à partir du moment où elle est participative, qu'elle associe les élus et, d'une manière ou d'une autre, les populations, et qu'elle respecte les objectifs de la PPE, tout me va !
La cartographie qui va être établie par les préfets permettra de déterminer, dans chaque territoire, les zones où, comme vous le soulignez, il y a un paysage remarquable à préserver ou une autre activité à protéger, bref, de faire des éoliennes un élément du développement économique du territoire. En effet, on ne le dit pas assez : quand leur implantation est faite correctement, les éoliennes apportent des revenus supplémentaires aux agriculteurs et aux collectivités, font revivre les campagnes et revenir l'activité. Une bonne organisation du parc éolien fera ressortir cet aspect positif.
Vous avez également évoqué la participation des citoyens. Je crois que les projets citoyens de développement d'éoliennes, grâce auxquels les citoyens s'approprieraient ces outils de production d'énergie, pourraient être beaucoup plus nombreux. Très répandus dans les pays du Nord, ils commencent à apparaître en France ; ils favoriseraient aussi l'acceptabilité de l'éolien.
Nous passons aux questions du groupe La France insoumise.
La parole est à Mme Danièle Obono.
C'est la technologie de production d'énergie renouvelable qui se développe le plus aujourd'hui en France, un élément constitutif de l'imaginaire collectif contemporain, symbole par excellence du développement durable et de la transition énergétique : les éoliennes, ces machines qui produisent de l'électricité grâce à la force du vent, suscitent beaucoup d'enthousiasme, avec raison, mais aussi de plus en plus de critiques, jusqu'au sein même des courants écologistes qui s'interrogent sur le modèle économique et écologique de leur développement.
L'enjeu est de taille. Le changement climatique impose de sortir des énergies émettrices de gaz à effet de serre, et le nucléaire n'est pas une solution d'avenir : il ne règle aucune question – ni l'indépendance de l'approvisionnement, ni la sûreté des installations, ni la gestion des déchets, ni les coûts financiers. Il faut donc sortir des deux à la fois. C'est un horizon technique et humain enthousiasmant, et plusieurs études, celle de l'association négaWatt comme celle de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie – l'ADEME, désormais appelée Agence de la transition écologique – , ont montré que c'était possible d'ici à 2050. À la France insoumise, nous défendons une planification de la transition énergétique selon un double axe : sobriété, efficacité énergétique et développement des énergies renouvelables comme les éoliennes, mais dans des conditions écologiquement soutenables et socialement justes, donc acceptables. À l'heure actuelle, sur ces deux aspects, sans même parler des objectifs annoncés en matière de production, nous sommes encore loin du compte.
Un point nous semble particulièrement crucial : l'implication des élus, des citoyens et des associations dans les projets éoliens, notamment à travers des formes de coopérative citoyenne. En effet, plus la participation est réelle et forte, plus l'acceptabilité des projets l'est également, et ce type d'initiatives engendre souvent, vous l'avez dit, madame la ministre, des retombées économiques deux ou trois fois plus importantes que les projets privés. De notre point de vue, pour être réussie et acceptée par la population, la nécessaire planification écologique doit être éminemment démocratique. Ce type de dispositifs doit donc être de plus en plus développé.
Quelle est votre stratégie et quels moyens mettez-vous en oeuvre pour favoriser cette dynamique ?
Madame Obono, je partage beaucoup d'idées que vous venez d'évoquer. Il faut tout d'abord réussir à atteindre les objectifs de la PPE, déjà ambitieux. On les critique souvent : ils seraient trop ceci ou pas assez cela. Ce qui m'intéresse, c'est leur mise en oeuvre : nous devons au moins atteindre ceux que nous nous sommes assignés.
Quant à la planification, comme je le disais tout à l'heure à vos collègues Jean-Luc Warsmann et Thierry Benoit, elle devient un impératif à partir du moment où l'on s'est fixé des objectifs et que l'on veut les décliner dans les territoires. À défaut, je l'ai dit, on les lance en l'air et on attend de voir s'ils retombent correctement. C'est pourquoi on a prévu que les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires devront contenir des objectifs énergétiques régionaux compatibles avec la PPE, qui seront déclinés dans des documents territoriaux pour être juridiquement opposables. La cartographie réalisée par les préfets devra impérativement tenir compte des contraintes topographiques, urbaines ou paysagères de chaque territoire, mais aussi des opportunités. Elle devra également prendre en compte l'avis des uns et des autres : celui des collectivités, bien sûr, mais aussi des associations, des acteurs économiques, des entreprises, bref, de tout l'écosystème d'un territoire. Contrairement à ce qu'ont avancé certains orateurs en parlant d'acceptabilité, cet écosystème peut, à mon avis, réussir à faire émerger des projets, notamment coopératifs, susceptibles de renforcer l'acceptabilité de l'éolien, comme cela se passe dans les pays du Nord, pour en faire un élément intrinsèque du développement d'un territoire et non une contrainte. N'oublions pas que nous voulons promouvoir l'électricité décarbonée et que celle-ci a besoin du développement des éoliennes.
Les éoliennes ont fait leur apparition à La Réunion en 2005 : il existe deux sites d'exploitation représentant soixante machines et produisant 50 mégawatts. D'autres projets sont en attente, mais une sérieuse menace pèse sur cette filière. En effet, le soutien aux projets d'éoliennes en zones cycloniques – c'est le cas pour La Réunion – est régi par l'arrêté du 8 mars 2013 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par ces installations afin d'atteindre en 2030 l'objectif d'autonomie énergétique, inscrit dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Ce tarif est de 23 centimes d'euro le kilowattheure sur les dix premières années, avec un mécanisme de dégressivité pour les années suivantes. Or la CRE, la Commission de régulation de l'énergie, a estimé qu'il y avait trop de projets dans ce domaine et souhaite faire évoluer ce tarif. Le ministère a donc travaillé à un projet d'arrêté, rédigé sans concertation, abaissant très significativement ce tarif à 12 centimes d'euro le kilowattheure, soit une perte de près de 50 %. Le CSE – Conseil supérieur de l'énergie – a émis un avis défavorable sur ce projet de texte, les pistes de déploiement des éoliennes existent, mais si avant même qu'elles soient déployées vous coupez les ailes à ce secteur, cela ne marchera pas. Pouvez-vous nous dire si cet arrêté va être publié ou, comme je le souhaite, allez-vous l'abandonner ?
Par ailleurs, ne faut-il pas démocratiser cette fabrication d'énergie ? Les terres agricoles, par exemple, peuvent parfaitement accueillir des éoliennes. Celles-ci pouvant produire plus qu'il n'en faut pour couvrir les besoins énergétiques d'une exploitation, le surplus pourrait être revendu à EDF, ce qui, en plus de l'autonomie énergétique, représenterait une rentrée d'argent pour les exploitants. Enfin, les nouvelles machines silencieuses et robustes ne pourraient-elles pas être installées sur le toit des immeubles, permettant ainsi de fournir l'énergie nécessaire à ces bâtiments ? Voilà, madame la ministre, quelques exemples sur lesquels je souhaite vous entendre.
En effet, comme vous le savez, la CRE est un organisme régulateur. Elle étudie les données économiques et, sans nous obliger, elle nous encourage très fortement, …
… eu égard à ces évolutions, à faire évoluer les prix. Donc oui, nous allons prendre cet arrêté, mais nous veillons à préserver les projets en cours, notamment à La Réunion, en lien avec la PPE de l'île. N'ayant pas en tête les détails de l'arrêté, je ne peux pas vous apporter immédiatement de réponse précise, mais je m'y pencherai avec attention.
Quoi qu'il en soit, nous cherchons à tenir compte des évolutions économiques des territoires. Nous voulons la même chose que vous : développer l'éolien, mais aussi les autres énergies renouvelables, pour appliquer la PPE. S'il y a des opportunités qu'on n'aurait pas vues, des projets à soutenir qui risqueraient d'être mis en danger pour une mauvaise raison, on essaiera évidemment de trouver une solution. Encore une fois, notre souhait est de respecter les objectifs de la PPE tout en tenant compte des injonctions de la CRE, car si nous ne le faisons pas maintenant, il faudra procéder à des réajustements plus tard, ce qui ne serait bon pour personne.
Nous en venons aux questions du groupe Libertés et territoires.
La parole est à M. Paul Molac.
Madame la ministre, j'aimerais vous interroger sur l'éolien offshore. Nous sommes en retard sur cette question par rapport à des pays comme le Danemark où l'éolien offshore est en place depuis fort longtemps, mais je note avec beaucoup d'intérêt que l'État a annoncé vouloir accélérer le déploiement de l'éolien offshore, en particulier de l'éolien flottant, y voyant une nouvelle opportunité industrielle pour la création d'une filière française. Ces projets font l'objet – et je m'en réjouis – d'enquêtes publiques très poussées permettant d'en ajuster les orientations selon les observations et les remarques formulées par les populations locales, les élus et l'ensemble des acteurs oeuvrant pour le bien commun de ce pays. Mais comme vous le savez, ces projets sont souvent mal acceptés, notamment en raison des impacts locaux. Ainsi, le développement de trois projets en Bretagne, dont un prévu au sud de l'île de Groix dans le département du Morbihan, fait débat et je m'étonne de certaines réactions.
Le président de la région Bretagne a émis quelques propositions pour maximiser, dans le respect des règles communautaires, la possibilité de recourir à la main-d'oeuvre locale, aux compétences des territoires, et au financement des ressources et des services produits par les acteurs industriels locaux, de façon à développer une filière offshore directement en France, particulièrement en Bretagne. Que comptez-vous faire pour rendre ces propositions possibles et concrètes ?
Monsieur Molac, c'est vrai qu'en matière d'éolien en mer, on est en retard, et on essaie maintenant de « rattraper » ce retard pour rentrer dans les clous de la PPE. C'est pourquoi nous avons récemment lancé un parc en Normandie.
Monsieur Jumel, votre groupe aura l'occasion de poser des questions un peu plus tard !
Excusez-moi, je suis extrêmement choquée par ce que je viens d'entendre. On pourra revenir sur le débat public en Normandie où, pour la première fois, on a travaillé en amont sur le zonage…
… et où on a pris énormément de temps pour mener la concertation, ce qui représente une grande avancée par rapport aux pratiques antérieures.
Monsieur Jumel, dans quelques instants, vous pourrez vous-même poser une question et vous serez alors certainement heureux de ne pas être interrompu, et ne souhaiterez pas non plus que la ministre le soit lorsqu'elle vous apportera des éléments de réponse.
Je vais effectivement répondre à M. Molac concernant le développement de l'éolien offshore. Vous évoquiez la nécessité d'en faire un moteur de développement économique des territoires. Cet objectif fait précisément partie des éléments qui figurent dans les cahiers des charges rédigés dans le cadre des projets éoliens : nous voulons que ces projets contribuent, chaque fois que cela est possible, au développement territorial.
Tout ne peut pas toujours être fait sur un même territoire. Nous l'avons notamment constaté pour les parcs éoliens installés au large de la Picardie : une usine a été installée au Havre, où de très nombreux emplois seront créés pour construire des éléments d'éoliennes. Toutefois, chaque fois que cela est possible, l'objectif est évidemment d'encourager le développement local : nous voulons produire des éoliennes françaises, en utilisant des matériaux français et en employant du personnel français.
Ce cahier des charges est en cours de rédaction. Je pourrai répondre à d'autres questions sur l'éolien offshore, notamment concernant les ZEE – zones économiques exclusives.
Le même constat vaut pour la question de l'acceptabilité des éoliennes : nous oeuvrons actuellement à développer le débat public afin de définir en amont les zones concernées et de réunir toutes les conditions pour que les choses se passent bien, y compris en matière de respect de la biodiversité. J'y reviendrai.
Alors que la première génération d'éoliennes arrive en fin de vie, se pose la question de leur recyclage. Si la filière relève à juste titre que quelque 90 % des matériaux utilisés dans la construction des éoliennes sont recyclés, elle manque souvent de mentionner qu'il s'agit plus souvent du mât et des fondations. Les 10 % restants, les rotors, se révèlent plus problématiques. En effet, ils sont souvent composés d'un mélange de résine époxy, de polyester, de carbone et de fibre de verre. Par ailleurs, chaque pale contient de l'électronique, du fil antifoudre ou encore de l'adhésif. Cette masse hétérogène présente pour l'heure des perspectives de valorisation limitées, si ce n'est par traitement thermique.
Lors de nos débats sur la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, la secrétaire d'État Brune Poirson avait écarté la création d'une filière REP – responsabilité élargie des producteurs : elle préférait s'appuyer sur la réglementation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement.
C'est pourquoi nous nous interrogeons : où en sommes-nous des objectifs de valorisation des pales d'éoliennes ? Assistons-nous à une industrialisation de la filière de recyclage ? La réglementation a-t-elle évolué pour imposer de nouvelles modalités de traitement des déchets éoliens ?
Pour faire face au réchauffement climatique et à la destruction de la biodiversité, la question n'est plus seulement de savoir produire une énergie propre : l'enjeu est également, nous le savons tous, de limiter la pollution tout au long du cycle de vie des produits.
Ces questions de recyclabilité et d'excavation sont importantes, car y répondre permet à la fois de renforcer l'acceptabilité des éoliennes et de mieux protéger l'environnement. Un arrêté ministériel modifié en juin 2020 prévoit précisément l'excavation systématique de la totalité des fondations des éoliennes, jusqu'à la base de leur semelle, et traite de leur recyclabilité. Il est bien inscrit dans la réglementation actuelle qu'au moins 80 % de la masse totale des aérogénérateurs démantelés à partir du 1er juillet 2022, fondations incluses, devront être réutilisés ou recyclés. Cet objectif sera porté à 95 % pour les éoliennes dont les dossiers d'autorisation seront déposés après le 1er janvier 2024.
Du fait de leur composition, les pales constituent effectivement les éléments les plus difficiles à recycler. C'est pourquoi une trajectoire permettant d'améliorer progressivement leur recyclabilité a été tracée dans l'arrêté du 22 juin 2020. Ainsi, un premier objectif consiste à réutiliser ou à recycler au moins 35 % de la masse des rotors pour les éoliennes démantelées à partir du 1er juillet 2022. Pour aller plus loin, des objectifs plus ambitieux ont été définis pour les éoliennes dont les dossiers seront déposés ultérieurement : 45 % de la masse des rotors devra être réutilisable ou recyclable pour les dossiers déposés à partir du 1er janvier 2023, et cette proportion devra atteindre 55 % à compter du 1er janvier 2025. Nous progressons donc sur ces questions.
Nous en venons aux questions du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
La parole est à M. Sébastien Jumel.
Nous discutons de l'éolien offshore au moment où vous êtes en train de détricoter EDF en négociant en catimini avec la Commission européenne le saucissonnage de ce fleuron industriel et le bradage à l'encan de ce qui pourrait permettre le développement des énergies renouvelables. Quelles informations pouvez-vous communiquer sur ce dossier ?
Si nous sommes favorables à un mix énergétique équilibré, intelligent, dans lequel les éoliennes ont leur place, conformément à la PPE que nous avons approuvée, nous soutenons que le développement de l'éolien est incompatible avec la logique d'actionnaire. À chaque fois que la logique d'actionnaire s'empare d'un sujet comme celui-ci, c'est négation des territoires ruraux, le mitage des champs agricoles – je passe sur la manière dont on traite les élus, y compris à travers des pratiques peu conformes à la déontologie.
De la même façon, lorsqu'on applique la logique d'actionnaire aux projets éoliens en mer – ceux du Tréport et de Courseulles en sont l'illustration – , on s'assoit sur les conflits d'usage et on défonce la pêche artisanale ! La CNDP, la Commission nationale du débat public, l'avait reconnu : le parc du Tréport aurait dû être déplacé. Nicolas Hulot lui-même a estimé que ce projet avait été mal mené et qu'on aurait dû prendre en considération le fait qu'il était installé dans la plus importante zone de reproduction du territoire et menaçait donc sa ressource halieutique. Ce constat plaide évidemment en faveur de l'élaboration d'un schéma national d'implantation de l'éolien terrestre et d'une planification respectueuse des élus et de la démocratie territoriale.
S'agissant de l'éolien en mer, je rappelle que la Normandie sera affectée par le Brexit et que le terrain de jeu des pêcheurs en sera amputé, puisque le report de l'effort de pêche, notamment des marins néerlandais, viendra percuter la pêche normande. La planification des projets éoliens offshore doit prendre ces enjeux en considération et tenir compte de la vie des pêcheurs. Quelle est votre opinion sur ces importantes questions ?
Pour ce qui est du projet Hercule, je vous renvoie aux échanges que nous avons eus avec vos collègues sénateurs hier soir, à la suite, d'ailleurs, d'une initiative du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste. Je confirme – ce qui ne manquera pas de vous rassurer, j'en suis sûre – , que l'intention du Gouvernement est bien de conserver un groupe public intégré et que les négociations en cours visent précisément à permettre à ce grand groupe français qu'est d'EDF de rester le fleuron de la transition énergétique, en lui donnant tout simplement les moyens qu'il n'a pas aujourd'hui pour engager les investissements nécessaires afin d'investir le champ des énergies renouvelables et pour couvrir les coûts de son parc nucléaire. J'alerte, encore une fois, sur le fait que si ces négociations n'aboutissent pas, nous devrons trouver un plan B. Or, pour l'heure, aucune solution alternative ne permet de financer suffisamment les coûts supportés par EDF.
S'agissant de l'éolien offshore, j'ai moi aussi vécu ce qui s'est passé au Tréport : j'ai vu les erreurs qui ont été faites au départ et qui doivent nous servir de leçon pour la suite. Il est vrai que le zonage a été pensé, au départ, sans associer suffisamment les différents acteurs…
… et sans réfléchir aux conséquences qu'il pourrait avoir. Résultat : chacun, y compris les porteurs de projet, a bien compris que le fait de procéder sans concertation et sans tenir compte des pêcheurs et de l'écosystème local était une erreur absolue. Le temps perdu n'a pas été rattrapé et a pesé sur les projets suivants.
Oui, maintenant. C'est la raison pour laquelle j'ai réagi un peu vivement lorsque vous avez fait référence aux nouveaux projets, monsieur Jumel : nous nous efforçons précisément de tirer les leçons des erreurs passées. C'est ainsi, j'en suis convaincue, que nous continuerons de nous améliorer.
Le développement des éoliennes constitue, chacun le voit, une question ô combien importante, qui me touche particulièrement, puisqu'elle est au coeur de l'actualité dans mon département de l'Allier, où se déroule une enquête publique portant sur un projet de parc éolien dans les communes de Bransat et de Laféline. Ce projet, qui comprend six éoliennes de 241 mètres de haut, cristallise l'opposition de nombreux citoyens. Dans l'Allier, la multiplication de projets d'implantation de parcs éoliens crée ainsi de véritables tensions en plusieurs points du territoire et sème de plus en plus le trouble parmi les Bourbonnais, qu'ils soient affectés directement ou indirectement.
Ce déploiement sans véritable concertation doit cesser, car il pose un problème de forme et de fond. Sur la forme, il conviendrait, à tout le moins, de mieux informer la population et de la consulter par référendum, plutôt que de lancer une enquête publique en pleine pandémie, entre le 15 décembre et le 15 janvier.
Sur le fond, si je souhaite que l'éolien trouve sa place de manière équilibrée dans le nécessaire développement des énergies renouvelables, il ne doit pas se développer de façon anarchique ni selon le bon vouloir de promoteurs privés plus préoccupés par des enjeux financiers que par la préservation de l'environnement ou l'aménagement du territoire. En outre, les engins de plus en plus gigantesques qui sont installés modifieront considérablement l'aspect de certains secteurs et affaibliront leur attractivité, alors que, dans un contexte plus favorable aux territoires ruraux, le développement du tourisme progresse.
C'est pourquoi je demande un moratoire sur tous les projets en cours, en attendant la planification à laquelle vous avez fait référence. Je plaide aussi pour un service public de l'énergie, qui permettrait d'éviter que des groupes d'intérêts privés investissent sans prendre en considération les réalités locales. Cela permettrait une meilleure distribution du réseau et un déploiement plus adapté. Qu'en pensez-vous ?
Le Parlement a adopté des objectifs ambitieux en matière de développement des énergies renouvelables électriques : je rappelle que 40 % de la production d'électricité en France devront être d'origine renouvelable en 2030.
Pour atteindre ces objectifs, nous avons besoin de l'éolien. Les études montrent que les énergies renouvelables contribuent significativement à la réduction des émissions de gaz à effet de serre : d'après RTE – Réseau de transport d'électricité – , le parc éolien et solaire français a permis d'éviter l'émission de 22 millions de tonnes de CO2 en 2019. Cela correspond aux émissions annuelles de plus de 2 millions de Français.
Cette filière contribue également à notre sécurité d'approvisionnement : la production électrique éolienne a couvert plus de 7 % de la consommation française en 2019. Or la situation actuelle de tension sur l'équilibre entre l'offre et la demande montre que le fait d'être trop dépendant d'une seule technologie constitue une faiblesse. Un mix électrique plus diversifié est plus robuste, car il est moins sensible aux différents aléas – CQFD, si j'ose dire.
L'éolien est également créateur d'emplois locaux. La filière éolienne avait ainsi créé plus de 20 000 emplois directs ou indirects en France au 31 décembre 2019. Enfin, l'éolien terrestre est une des énergies renouvelables les plus compétitives, comme je l'indiquais précédemment : le prix de l'électricité éolienne est passé en quelques années de 80 euros à moins de 60 euros par mégawattheure. C'est grâce au soutien public que la technologie a pu s'améliorer et afficher de telles baisses de coût.
Je l'ai dit et je le répéterai plusieurs fois : le Gouvernement est conscient de la nécessité de renforcer l'acceptabilité des éoliennes au sein de la population. Nous y travaillons. Le conseil de défense écologique a arrêté plusieurs mesures en ce sens, pour réduire les nuisances lumineuses, améliorer la concertation au stade du développement et permettre une meilleure planification territoriale de l'éolien, qui figurera dans le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, que vous examinerez dans les mois à venir.
Pour toutes ces raisons, un moratoire sur l'éolien serait désastreux pour la transition énergétique, alors même que nous devons plus que jamais lutter contre le changement climatique. J'y suis donc très opposée, comme le reste du Gouvernement.
Nous en arrivons aux questions du groupe La République en marche.
La parole est à M. Yves Daniel.
Beaucoup de choses ayant été dites, je m'efforcerai d'apporter des éléments complémentaires.
Soyons clairs : comme tous les Français, nous ne sommes pas opposés à l'éolien, mais nous voulons, avec les élus locaux, être acteurs de la poursuite de son développement, qui doit s'effectuer de manière sécurisée et tenir compte des risques de nuisances. Je songe particulièrement à la question de santé publique posée par les ondes électromagnétiques, que certains ont déjà évoquée : de trop nombreux problèmes apparaissent dès la construction de certains parcs éoliens, particulièrement dans les élevages, où les ondes électromagnétiques semblent affecter la santé des animaux, mais aussi celle des riverains.
Vous l'avez dit, le ministère de la transition écologique et vous-même être très engagés sur cette question. Je tiens à vous en remercier, car tel n'a pas toujours été le cas.
Moi qui me bats depuis de nombreuses années sur cette question certes complexe mais ô combien importante, j'ai essuyé de nombreux refus de rendez-vous. Je tiens donc à vous remercier, vous et vos services.
L'objectif est bien de trouver les causes des dysfonctionnements. Si la science ne peut expliquer ces phénomènes actuellement, en revanche, sur le terrain, les analyses des géobiologues – je veux parler de radiesthésistes, de magnétiseurs ou encore de sourciers – , qui s'appuient sur la réalité des faits et sur la science empirique, permettent d'ajuster le positionnement des mâts au sol afin d'éviter l'impact des ondes électromagnétiques. C'est simple : il faut passer de la méfiance à la confiance et de la contrainte à l'adhésion.
Comment s'assurer que les études d'impact prennent bien en considération tous les éléments nécessaires afin d'éviter que les nouveaux projets occasionnent des nuisances ? Il faudrait que la géobiologie soit reconnue dans le droit français.
Chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole pour les questions est de deux minutes. Il ne s'agit pas pour moi d'être trop strict mais d'assurer l'équité et l'égalité entre tous les intervenants lors des prises de parole.
La parole est à Mme la ministre.
Monsieur le député, vous proposez avec constance de prendre en considération, dans les études d'impact des éoliennes, les avis des géobiologues, au motif que ceux-ci seraient de nature à éclairer les discussions autour des effets sanitaires sur les hommes et les animaux.
Quelle que soit l'installation en cause, les effets sanitaires doivent évidemment être analysés dans les études d'impact, le contenu de celles-ci étant largement déterminé par le droit européen. Néanmoins la notion de géobiologue ne semble pas être aujourd'hui suffisamment définie pour que la prise en considération de ce type d'analyse dans l'étude d'impact soit inscrite dans la loi avec un effet contraignant. Nous ne disposons pas d'assez d'éléments pour cela. Une mission d'inspection générale est en cours à propos d'un cas particulier que vous et certains de vos collègues nous avez soumis, certains géobiologues s'inquiétant d'un lien possible entre les éoliennes et la santé animale. Comme vous le savez, puisque vous avez été associé à cette mission, ses conclusions devraient être rendues publiques prochainement. Par ailleurs, une saisine l'ANSES est également en cours afin d'évaluer l'imputabilité aux éoliennes de troubles observés dans des élevages bovins. Ses conclusions sont attendues courant 2021.
Lorsque nous disposerons de ces éléments, nous pourrons voir si nous pouvons aller plus loin. À ce stade, c'est encore un peu prématuré, mais je suis sûre que nous aurons l'occasion d'en rediscuter.
Les objectifs de la France en matière de transition énergétique sont ambitieux. Vous vous référez régulièrement à la programmation pluriannuelle de l'énergie. Vous avez bien raison. Vous citez également le SRADDET. Je tiens à souligner que ce schéma est malheureusement non prescriptif. On affiche beaucoup de grands principes, mais l'absence d'obligation rend ensuite difficile leur application concrète. Or si nous voulons tenir nos objectifs de la PPE, il serait important que nous puissions nous référer à ce schéma.
À l'horizon 2030, 40 % de la production d'électricité doit être issue des énergies renouvelables. Nous ne pouvons ignorer les prévisions qui indiquent une augmentation de 60 % des besoins en électricité dans le monde d'ici à 2040. Le déploiement de nouvelles éoliennes est donc indispensable.
Cependant, l'énergie éolienne présente des limites et des contraintes : elle dépend des conditions climatiques et elle est intermittente. Tantôt la production est nulle, tantôt elle est trop importante : tels sont les aléas de l'éolien.
Nous devons tirer profit de ce surplus de production d'électricité. Le plan de relance prévoit un budget de 7 milliards d'euros pour le développement de l'hydrogène décarboné, autrement dit l'hydrogène vert. La production de cette source d'énergie aurait un bilan carbone égal à zéro sur tout son cycle de vie. D'autres pays européens ont fait le choix de stocker l'énergie issue de la production électrique éolienne en la transformant en hydrogène. Pour être l'énergie de demain, l'hydrogène doit être décarboné dans sa production. Comment le déploiement de l'éolienne en France pourrait-il servir à la stratégie de production de l'hydrogène vert ?
S'agissant de la question très importante de la stratégie hydrogène, il faut distinguer plusieurs étapes. À court terme, les analyses de RTE montrent que les sources actuelles de flexibilité du mix électrique sont suffisantes, jusqu'à l'horizon 2030-2035 environ, en tenant compte de nos objectifs de développement d'énergies renouvelables prévus dans la PPE. Le recours à l'hydrogène pour faire face aux pointes de consommation électrique n'est donc pas nécessaire durant cette période.
Notre objectif prioritaire concernant la stratégie hydrogène est la décarbonation des usages directs actuels de l'hydrogène, par exemple l'industrie et la mobilité lourde, de manière complémentaire aux solutions entièrement électriques qui ne pourront pas répondre à tous les besoins. À cet égard, notre stratégie hydrogène française, annoncée en septembre dernier, fixe un objectif de 6,5 gigawatts d'électrolyse à l'horizon 2030. Le Gouvernement se donne les moyens de massifier la production et l'utilisation d'hydrogène avec une enveloppe de 2 milliards d'euros pour 2021 et 2022.
Afin de produire de l'hydrogène décarboné, l'électrolyse nécessite de grandes quantités d'énergie renouvelable ou bas carbone. Les politiques volontaristes de développement des énergies renouvelables électriques et de l'hydrogène décarboné sont totalement complémentaires.
Par ailleurs, au-delà de 2035, les études montrent qu'il y aura un besoin de flexibilité accru lié au développement des énergies renouvelables électriques, quel que soit le choix du mix énergétique fait lors du prochain quinquennat. L'hydrogène produit par électrolyse pourra alors offrir une solution de stockage d'énergie intéressante parmi d'autres.
Il faut donc bien distinguer ces deux étapes : pour l'instant, on industrialise l'hydrogène, on crée des électrolyseurs et on se concentre sur les usages directs de l'hydrogène qui existent aujourd'hui. Le recours à l'hydrogène dans d'autres cas de figure, notamment pour ses capacités de stockage, interviendra ultérieurement.
L'éolien en mer est une énergie indispensable dans notre mix énergétique pour atteindre nos objectifs de développement durable et décarboné. Deuxième plus grande façade maritime d'Europe, la France dispose d'un fort potentiel pour développer cette filière compétitive aux retombées socio-économiques importantes pour nos territoires. La filière porte en effet la promesse de la création de plus de 15 000 emplois locaux d'ici à 2030.
Les efforts du Gouvernement et la publication de la nouvelle PPE, le 23 avril dernier, ont permis de rehausser les objectifs de la France en matière d'éolien offshore. Pourtant, avec une ambition fixée à plus de 6 gigawatts à l'horizon 2028, nos objectifs restent largement en deçà de ceux de nos voisins européens. En comparaison, l'Allemagne s'est fixé un objectif de 20 gigawatts à l'horizon 2030.
Dans son discours de politique générale le 12 juin 2019, le Premier ministre Édouard Philippe s'était dit prêt à « augmenter le rythme des futurs appels d'offres à 1 gigawatt par an ». Par ailleurs, en réduisant les délais d'attribution et de contentieux, les dispositions de simplification que j'ai défendues dans le cadre de la loi d'accélération et simplification de l'action publique, dite ASAP, permettront également d'accélérer la mise en oeuvre des projets d'éolien en mer.
Je souhaite profiter de ce débat pour rappeler les synergies possibles entre l'éolien offshore et l'aquaculture. En effet, le développement de la conchyliculture en haute mer, adossée aux plateformes éoliennes, constitue une perspective extrêmement intéressante. Le développement de l'éolien en mer en France nécessite une vision ambitieuse à moyen et long terme afin que nous ayons une visibilité concrète sur les appels d'offres à venir. Aussi pourrions-nous envisager le lancement d'une mission de planification maritime afin d'anticiper nos futures capacités et de donner ainsi à la France des moyens à la hauteur de son potentiel ?
Madame la députée, je connais votre investissement sur ces questions. La programmation pluriannuelle de l'énergie fixe des objectifs ambitieux au niveau national jusqu'en 2028, déclinés par façade maritime jusqu'en 2022. La prochaine PPE, qui couvrira la période, 2024-2033 permettra de fixer de nouveaux objectifs concernant l'éolien en mer à échéance 2033, qui seront également déclinés par façade.
En complément de ces objectifs énergétiques, des documents stratégiques de façade maritime, qui ont fait l'objet d'une concertation avec le public, ont été établis en 2019. Ils identifient des zones propices à l'éolien en mer et permettent de prendre en considération les différents usages de la mer.
Une articulation entre la PPE et les documents stratégiques de façade maritime est nécessaire afin de permettre une planification de l'éolien en mer qui prenne en considération à la fois nos objectifs énergétiques nationaux et les spécificités locales. Comme vous l'avez souligné, la loi ASAP, à laquelle vous avez contribué, assure le renforcement de cette planification parce qu'elle rend possible l'organisation de débats publics portant sur plusieurs projets d'éolien en mer pour une même façade maritime, ce qui nous permet de nous projeter dans l'avenir et d'anticiper réellement. En prenant pleinement en considération les enjeux de développement de l'espace maritime, le débat est plus cohérent et offre au public une visibilité sur plusieurs années. C'est ainsi que nous devons procéder sur ce dossier.
Vous évoquez la piste de la conchyliculture. Pourquoi pas ? Diverses solutions émergent à l'occasion du déploiement de cette filière qui n'en est qu'à ses débuts. Attendons de voir à quoi aboutira « l'effet récif » attendu, cela pourrait être très intéressant.
Pour atteindre l'objectif de 40 % d'électricité produite à partir des énergies renouvelables en 2030, l'éolien, à terre comme en mer, représente un potentiel et un enjeu essentiels qu'il nous faut clairement soutenir.
Concernant l'éolien en mer, l'ambition affichée par la nouvelle PPE est une capacité offshore qui atteindra 5,2 à 6,2 gigawatts à horizon 2028, ce dont je me réjouis. Si aujourd'hui, en France, contrairement à l'Europe du Nord, aucun parc éolien offshore n'est encore en service, l'action du Gouvernement a cependant permis de simplifier et d'accélérer l'implantation des éoliennes en mer, grâce notamment au vote de la loi pour un État au service d'une société de confiance, dite ESSOC, qui donne une meilleure visibilité à la filière EMR – énergies marines renouvelables.
Ainsi le premier parc offshore posé, celui de Saint-Nazaire, devrait-il entrer en service en 2022, suivi par sept autres d'ici à 2026. En Bretagne, terre maritime où le degré de dépendance énergétique est très élevé, nous y sommes naturellement très attentifs. L'attente est d'ailleurs très forte désormais concernant les premiers appels d'offres pour l'éolien offshore flottant, et non plus posé, dès cette année 2021.
À terre, la situation est différente. Bien évidemment, les premiers parcs éoliens ayant désormais plus de vingt ans, comme c'est le cas dans ma circonscription, se pose à présent la question de leur renouvellement. À cet égard, la technique dite du repowering, qui consiste à prolonger la vie d'un parc pour en accroître sa rentabilité et en optimiser l'exploitation, semble une option à valoriser. Elle présente en effet l'avantage de s'appuyer sur des données connues en ressources disponibles et en conditions de vents. En outre, le parc ainsi reconfiguré bénéficie également des infrastructures déjà existantes : les accès, les postes de livraison ou encore les raccordements. Enfin et surtout, il s'agit de sites déjà bien intégrés et donc acceptés par la population.
J'avais déjà interrogé à ce sujet le Gouvernement il y a quelque temps pour avoir un retour d'expérience concernant l'application de l'instruction gouvernementale du 11 juillet 2018 relative à l'appréciation des projets de renouvellement des parcs éoliens terrestres. Nous savons qu'en la matière, c'est surtout aux préfets d'apprécier au cas par cas le caractère substantiel des modifications demandées. Madame la ministre, pouvez-vous donc nous faire connaître l'état d'avancement des renouvellements des parcs éoliens existants ?
Face aux difficultés que nous avons à identifier des terrains pour implanter de nouveaux parcs éoliens, le repowering constitue évidemment un levier important pour renouveler les parcs, augmenter la production d'électricité et atteindre ainsi les objectifs fixés par la PPE dans ce domaine.
Dans la plupart des cas, les opérations d'augmentation de puissance des parcs éoliens en fin de vie s'accompagnent de variations assez limitées de leur impact sur les intérêts protégés du code de l'environnement, de sorte que le préfet est tout à fait fondé à imposer des prescriptions complémentaires, mais la modification n'est alors pas considérée comme notable. Le cas échéant, lorsque ces changements sont plus importants, le préfet peut estimer que la modification est substantielle, déclenchant ainsi une nouvelle procédure d'autorisation, notamment la réalisation d'une nouvelle enquête publique, ce qui est un peu plus lourd.
Vous l'avez dit, le Gouvernement a publié en juillet 2018 une instruction relative à l'appréciation des projets de renouvellement des parcs éoliens terrestres. Elle permet de clarifier les règles pour les projets de renouvellement et de donner aux exploitants une meilleure visibilité dans le choix des solutions techniques à retenir pour la poursuite de l'exploitation et de leurs installations. Nous continuons d'avoir des échanges avec la filière, comme nous le ferons pendant toute cette année, afin d'identifier, au vu du modeste retour d'expérience dont nous disposons à la suite de cette instruction, les éventuelles difficultés rencontrées dans le cadre des projets de repowering et les moyens d'y répondre. De même que nous prenons des initiatives dans le cadre de la lutte contre l'artificialisation, nous essayons donc actuellement de faire en sorte que le procédé du repowering soit utilisé le plus possible.
Le développement des énergies renouvelables répond à l'engagement du Président de la République en faveur d'une diplomatie verte et contribue à la diminution de notre empreinte carbone. Notre responsabilité commune est d'agir en développant une stratégie adaptée aux ressources et aux particularités territoriales, en partenariat avec les élus et la population.
On constate un investissement massif dans l'éolien et de multiples initiatives fleurissent. Toutefois, il est parfois difficile d'emporter l'adhésion des citoyens. Par exemple, en Dordogne, aucun parc éolien n'a vu le jour, malgré de nombreuses tentatives. Un seul projet d'implantation, dans l'ouest du département, bénéficie d'une autorisation préfectorale, mais celle-ci est contestée devant le Conseil d'État. Au nord du département, quatre projets sont en cours d'instruction et tous suscitent d'âpres mécontentements. Les oppositions des associations sont vives, celles des élus fréquentes et plusieurs projets sont au point mort : à Verteillac, la mairie s'oppose à un projet ; à Milhac-de-Nontron, c'est le député ; ailleurs, un projet d'installation de cinq éoliennes est combattu par les riverains ; au sud, c'est un collectif qui a eu raison d'un projet comprenant huit éoliennes.
En Dordogne, associations, élus et riverains sont attachés à préserver le patrimoine historique et les paysages authentiques et à protéger les atouts touristiques et l'écosystème en s'opposant à l'implantation de parcs éoliens. Les vents étant faibles, l'éolien terrestre n'est perçu ni comme utile, ni comme pertinent, contrairement à l'éolien en mer.
Pour éviter cette anarchie d'initiatives privées vouées à l'échec, ne serait-il pas préférable de bâtir une stratégie territoriale de déploiement des énergies renouvelables, avec les élus et la population, afin de définir avec eux les projets pertinents et acceptables pour un territoire donné ?
Madame la députée, vous avez totalement raison : nous avons besoin de mieux associer les populations pour qu'elles prennent à bras-le-corps ces projets de territoire. Afin de lutter contre le réchauffement climatique mais aussi de rendre notre mix énergétique plus résilient, nous avons collectivement la responsabilité d'atteindre nos objectifs de développement des énergies renouvelables, y compris en matière d'éolien terrestre.
La programmation pluriannuelle de l'énergie doit être respectée. Chaque territoire doit y prendre sa part : il n'y a pas de raison que ce soit le cas uniquement de certaines régions ; toutes doivent participer en tenant compte, bien sûr, de leur potentiel et de leurs spécificités.
La question de l'acceptabilité est cruciale et le Gouvernement y travaille. Le conseil de défense écologique a pris plusieurs mesures en ce sens, pour réduire les nuisances lumineuses, pour améliorer la concertation au stade du développement, et pour permettre une meilleure planification territoriale. Tous les échanges que j'ai eus depuis de nombreux mois le montrent : il y a besoin de visibilité, les acteurs veulent y voir clair et être associés.
Comme vous le savez, les parcs éoliens sont éclairés la nuit afin d'assurer la sécurité aérienne, ce qui constitue une gêne pour les riverains. Des mesures pour réduire les nuisances lumineuses seront expérimentées sous peu. Les résultats des expérimentations, attendus au terme d'un délai de six mois, permettront de définir un calendrier de déploiement des mesures à l'ensemble du parc éolien.
Au sujet de la concertation, l'article 53 de la loi ASAP prévoit la transmission, un mois avant le dépôt de la demande d'autorisation, d'un résumé non technique à la commune d'implantation d'un projet éolien. En outre, le conseil de défense écologique a décidé l'élaboration d'une charte de bonnes pratiques, signée par l'État et la filière éolienne, prévoyant que le porteur de projet doit solliciter l'accord de la commune d'implantation dès le démarrage du projet.
J'ai déjà eu l'occasion de parler de la planification, je ne serai donc pas beaucoup plus longue. Les SRADDET devront contenir des objectifs énergétiques compatibles. Les préfets vont cartographier les zones propices pour que ces objectifs puissent être inscrits, de façon concertée, dans les documents d'urbanisme.
Nous passons aux questions du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Xavier Breton.
Madame la ministre, je voudrais vous interroger au sujet des divisions suscitées par le développement des parcs éoliens. Au-delà du débat parlementaire normal, comme celui de ce matin, il existe également des divisions dans nos territoires. L'éolien, loin de faire consensus, suscite des interrogations concernant son efficacité énergétique, son coût économique et budgétaire, les profits financiers qui peuvent être engrangés par certaines sociétés en l'absence de filières industrielles nationales, ses effets sanitaires, en particulier pour la santé animale, ses impacts sur l'environnement, la faune et les paysages, ou encore les modalités de recyclage.
Il existe aussi un impact social très important avec des tensions et des divisions dans les territoires. Quel est alors le rôle de l'État ? L'État devrait être, de façon impartiale, le garant de l'intérêt général. Or c'est tout le contraire, projets de loi après propositions de loi : la réglementation d'exception mise en place favorise les sociétés vivant du développement de l'éolien ; un degré de juridiction a été supprimé dans les recours contentieux – quand la menace du recours abusif ne dissuade tout simplement pas les riverains d'aller devant la justice – ; les zones de développement éolien ont été supprimées, etc.
Il faut aussi évoquer les décisions prises par l'État au niveau local. Ainsi, à Confrançon, dans le département de l'Ain, un projet d'implantation de trois éoliennes de 180 mètres de haut avait reçu un avis défavorable du commissaire enquêteur.
Cela n'a pas empêché les services de l'État – favorables au projet – , de prendre un arrêté allant dans le sens de la création du parc éolien. Madame la ministre, que comptez-vous faire pour mettre un terme à ces divisions et à ces tensions dans les territoires ?
Merci monsieur Breton. Les quelques secondes supplémentaires que vous avez utilisées s'imputeront – peut-être – sur le temps de parole de M. Aubert…
Sourires.
Monsieur Breton, vous dites que l'éolien crée des tensions sociales, mais il crée également de l'activité dans les territoires : la filière éolienne représente 20 000 emplois directs et indirects et plus de 600 entreprises de toutes tailles sont actives sur le marché français à l'export, avec une augmentation de 11 % depuis 2018 et même 25 % depuis 2016. Les usines commencent à se développer et, bientôt, des éoliennes seront totalement construites en France. Les emplois se répartissent sur plusieurs secteurs d'activité : les études, le développement, la fabrication de composants, le BTP, l'exploitation, la maintenance. L'éolien crée des emplois proches des installations et contribue au dynamisme des territoires.
Ne mettons pas sans arrêt en avant les seuls inconvénients – pour lesquels nous essayons de trouver des solutions – , sachons également montrer que les énergies renouvelables représentent un potentiel de développement pour des territoires qui ont parfois subi la désertification et la désindustrialisation, dans lesquels on peut relancer les activités. Reste que, vous avez raison, le développement de l'éolien doit être réalisé correctement en tirant les leçons des erreurs commises par le passé.
Nous faisons désormais en sorte, à travers la planification, de donner de la visibilité aux acteurs locaux afin de construire des projets de territoire. Favoriser la concertation, c'est ce que nous avons décidé en conseil de défense écologique et cela figurera notamment dans le projet de loi climat et résilience.
Il nous faut respecter la programmation pluriannuelle de l'énergie, non seulement pour lutter contre le changement climatique, mais également pour disposer d'un système de production électrique plus résilient et diversifié. Pour ce faire, nous avons besoin de tous les types d'énergies renouvelables et notamment de l'éolien terrestre. Nous allons donc travailler sur la concertation, sur la planification ce qui nous permettra de bâtir de beaux projets de territoire qui nous aideront à faire face aux enjeux de demain. C'est ce que nous souhaitons tous, j'en suis sûre.
Madame le ministre, je souhaite saisir l'occasion de cette séance de questions sur le développement des éoliennes dans les territoires pour vous interroger sur l'avancée du groupe de travail sur le développement équilibré de l'énergie éolienne en France. Annoncé lors de la séance de questions au Gouvernement du 3 décembre 2019 par Mme Emmanuelle Wargon, alors secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, il a notamment pour objet de se pencher sur l'implantation paysagère des éoliennes.
Xavier Breton vous a parlé des divisions, je vais quant à moi vous parler de multiplications, de soustractions et d'additions.
S'agissant des multiplications, lors du conseil de défense écologique du 8 décembre dernier, différentes orientations ont été arrêtées. Celles-ci sont loin d'être rassurantes, comme en témoigne la première ligne du document récapitulatif indiquant que « l'atteinte de nos objectifs en matière d'énergies renouvelables est une priorité ». Ça sent la multiplication des éoliennes ! Quid des propos du Président de la République qui, il y a un an, à Pau, déclarait : « La capacité à développer massivement de l'éolien est réduite. On pourra le faire où il y a consensus, mais le consensus autour de l'éolien est en train de nettement s'affaiblir dans notre pays. » Y a-t-il un revirement ?
Le document déjà cité indique : « Certains territoires ont une forte densité d'éoliennes, ce qui peut conduire à un sentiment de saturation. Si la densité locale dépasse un certain seuil, un mécanisme de régulation sera prévu. » Qu'en est-il de ce mécanisme de régulation ? Quelle est sa formule concrète ? Celle-ci tiendra-t-elle compte de la présence de monuments historiques à proximité des projets de parcs éoliens et de leur covisibilité ? Cela nous amène aux soustractions : retirez-vous des éoliennes s'il y en a trop ?
Enfin, nous passons aux additions. Dans le document rendant compte du conseil de défense écologique du 8 décembre, on peut lire : « Aujourd'hui à peine 20 % du territoire est accessible aux éoliennes. Une partie de ces contraintes étant liée aux besoins de sécurité aérienne, en particulier des radars militaires, une mission conjointe des ministères de la transition écologique et des armées devra identifier, d'ici à mars 2021, des solutions techniques permettant de libérer des espaces dans les zones d'exclusion radar les plus favorables à l'implantation d'éoliennes. » On va donc ajouter des territoires. Madame la ministre, cela signifie-t-il que vous comptez sacrifier les intérêts de la défense nationale pour déployer des éoliennes dans les territoires ?
Enfin, pourquoi tous les élus locaux ne sont-ils pas associés ? Je pense notamment au président de la région des Hauts-de-France qui a indiqué publiquement qu'il n'avait pas été consulté.
S'agissant du fameux groupe de travail sur l'éolien, les concertations et les consultations ont bien eu lieu, et même plusieurs fois. M. le président de la région des Hauts-de-France a peut-être la mémoire courte : une réunion s'est tenue avec mes prédécesseurs et plusieurs réunions bilatérales ont été organisées. Trois réunions ont eu lieu avec toutes les parties prenantes – les ONG, les associations d'élus et les filières – à la fin de l'année 2019 et au cours du premier semestre de 2020. Les travaux se sont ensuite poursuivis pour dégager des conclusions qui ont été exposées dans le document présenté lors du conseil de défense écologique du 8 décembre 2020, document que vous avez lu avec attention, ce dont je me réjouis particulièrement.
Les questions que vous posez montrent – c'est amusant – qu'on lit les documents au prisme de la façon dont on souhaite les interpréter. Cela doit nous interroger, et nous conduire à élaborer des documents les plus précis possible.
Sourires.
Le fait que nous voulions atteindre nos objectifs et développer les éoliennes terrestres – qui font partie des outils dont nous avons besoin pour diversifier notre mix électrique – ne signifie pas que nous voulons faire les choses n'importe comment.
Le conseil de défense écologique avait précisément pour objectif de favoriser l'acceptabilité. Nous l'avons évoqué à plusieurs reprises, je ne reviendrai pas sur les différents outils de planification que nous allons mettre en oeuvre et qui seront discutés, dans les prochains mois, lors de l'examen du projet de loi climat et résilience.
Nous avons en effet un problème d'espace : aujourd'hui, seulement 20 % du territoire national peut accueillir des éoliennes, du fait des contraintes diverses et variées, notamment liées aux radars. En collaboration avec ma collègue Florence Parly, ministre des armées, nous avons travaillé pour identifier les espaces où des éoliennes pourraient être implantées. Pourquoi ? Parce les parcs éoliens sont souvent concentrés, ce qui entraîne un sentiment de saturation en certains endroits. Pour limiter ce sentiment de saturation, il faut trouver de nouvelles implantations : c'est tout l'objet du travail mené avec le ministère des armées. Vous pouvez compter sur moi pour que la planification soit appliquée et que des concertations continuent à être menées afin de trouver les meilleures solutions pour atteindre nos objectifs.
Depuis plusieurs années, des agriculteurs dont les animaux sont installés à proximité de mâts éoliens nous alertent sur la santé de leurs bêtes. Pour les bovins, par exemple, ils soulignent une diminution de la production de lait, et même des problèmes lors des vêlages. Une étude du GPSE, le groupement permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole, autour du parc d'éoliennes des Quatre Seigneurs, en Loire-Atlantique, a conclu à la concomitance de l'installation des éoliennes et de l'apparition de troubles chez les animaux. Dès lors qu'il y a une suspicion pour l'animal, il est logique, nécessaire, et même urgent de s'interroger sur les conséquences de l'activité des éoliennes sur la santé de l'homme.
Dans ma région, la Bourgogne-Franche-Comté, nous disposons de témoignages sérieux de familles, suivies par des neurologues, qui montrent qu'après l'installation d'une éolienne à proximité de leur maison, elles souffrent de troubles du sommeil, d'acouphènes ou de céphalées. Des études scientifiques semblent démontrer que ces symptômes sont liés aux sons de basse fréquence ou aux infrasons émis par les pales et par les moteurs des éoliennes. Ainsi, une étude allemande de 2017 a prouvé que les infrasons émis par les éoliennes stimulent précisément les zones du cerveau responsables de troubles du comportement chez l'être humain. En France, l'Académie de médecine recommande une étude épidémiologique prospective sur le sujet. Pour ma part, je reste humble ; je ne suis pas un scientifique, néanmoins, il me semble que nous avons suffisamment d'indices préoccupants pour prendre le sujet très au sérieux. Inutile de rappeler que le principe de précaution est inscrit dans la Charte de l'environnement, elle-même adossée à notre Constitution, et qu'il est bien souvent invoqué dans le domaine environnemental.
Aussi, ma question est simplement la suivante : compte tenu des indices, de plus en plus nombreux et concordants, tendant à montrer un impact négatif des éoliennes sur la santé humaine, entendez-vous appliquer ledit principe de précaution en instaurant un moratoire sur l'installation de nouveaux mâts sur le territoire français ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Je redis que le Gouvernement est opposé à un moratoire et j'en ai expliqué les raisons en réponse à une question précédente.
Je rappelle que, depuis 2011, les éoliennes terrestres sont soumises à la législation sur les installations classées dans le cadre de la protection de l'environnement. Par conséquent, l'installation d'éoliennes est soumise à l'obtention d'une autorisation environnementale délivrée par le préfet sur la base d'une étude d'impact réalisée par le pétitionnaire, étude qui évalue les effets du projet sur l'environnement en prenant notamment en compte les enjeux sanitaires. De plus, afin d'assurer la sécurité des riverains et de limiter les nuisances des parcs, le code de l'environnement impose une distance minimale de 500 mètres entre lesdits parcs et les immeubles à usage d'habitation, cette distance pouvant être augmentée au cas par cas, selon les conclusions de l'étude d'impact et des études de danger. Le préfet peut donc exiger une distance supérieure si le besoin s'en fait sentir et que les enjeux le requièrent. Il peut également demander le déplacement de l'installation de l'éolienne par rapport au projet initial ou même décider de ne pas autoriser la construction de tous les aérogénérateurs du projet.
Conscients des nuisances qui peuvent être générées par les éoliennes, …
… les ministères de l'économie et de la santé ont saisi l'ANSES sur les effets sur la santé des ondes basse fréquence et des infrasons dus aux parcs éoliens. Les investigations qu'elle a menées l'ont conduite à confirmer que les connaissances actuelles en matière d'effets potentiels sur la santé liés à l'exposition aux basses fréquences ou aux infrasons ne justifient ni de modifier les valeurs limite existantes ni d'étendre le spectre sonore actuellement considéré.
Par ailleurs, l'Académie de médecine s'est saisie de la question des possibles risques sanitaires liés aux éoliennes et de l'opportunité de modifier la distance minimale réglementaire. Sur le volet acoustique, son rapport, publié en 2017, souligne que le rôle des infrasons, souvent incriminé, peut être raisonnablement mis hors de cause à la lumière des données physiques, environnementales et physiologiques connues et que, en tout état de cause, la nuisance sonore des éoliennes de nouvelle génération ne paraît pas suffisante pour justifier un éloignement à 1 000 mètres.
Voilà les éléments dont nous disposons. Comme je l'ai dit en réponse à Yves Daniel ainsi qu'à d'autres sollicitations, de nouvelles études sont en cours concernant un parc en particulier. Nous allons voir ce qu'elles donneront.
Afin de soutenir les projets éoliens dans les zones cycloniques non interconnectées, un arrêté a fixé les conditions d'achat de l'électricité produite par les éoliennes terrestres à 220 euros du mégawatt. Cette réglementation s'avérait nécessaire pour voir émerger des projets et atteindre l'objectif d'autonomie énergétique inscrit dans la loi relative à la transition énergétique. C'est d'ailleurs dans ce cadre que le projet de PPE de La Réunion, que vous avez évoqué tout à l'heure, prévoit une production de plus de 80 mégawatts. Or, il y a quelques mois, la CRE a alerté sur un risque de bulle spéculative lié aux trop nombreux projets prévus en Guadeloupe. De ce fait, la DGEC, la direction générale de l'énergie et du climat, a élaboré un projet d'arrêté visant à réduire significativement le tarif de rachat de l'électricité, ramené de 220 à 120 euros du mégawatt. Il a été élaboré sans concertation avec les professionnels ni avec les instances régionales, et a reçu un avis défavorable de la part du Conseil supérieur de l'énergie, le 15 septembre dernier. Inutile de vous dire qu'un tel arrêté pourrait conduire à un arrêt brutal du développement de projets éoliens dans les territoires ultramarins.
Que la CRE estime qu'il y a un risque de déséquilibre économique du secteur, soit, mais il est plus qu'essentiel, pour sauver ces projets, d'engager une concertation avec tous les acteurs de la filière afin de fixer un tarif plus adapté à l'objectif de transition énergétique dans les ZNI, les zones non interconnectées. À la suite d'un échange avec différents acteurs concernés, il apparaît que certains d'entre eux estiment qu'en dessous de 180 euros du mégawatt, les projets ne seraient pas viables.
Madame la ministre, j'aimerais connaître votre position sur une éventuelle concertation qui permettrait aux projets de développement de l'éolien terrestre à La Réunion et dans les autres DOM de voir le jour.
La parole est à Mme la ministre. Seulement, pour deux minutes, je vous le rappelle.
Sourires.
Je vais faire attention, monsieur le président.
S'agissant de l'éolien anticyclonique, les conditions nouvelles nécessitent de s'adapter et, à cet égard, une évolution des coûts est nécessaire car les tarifs étaient trop élevés. La CRE nous a alertés à ce sujet à de nombreuses reprises. Il fallait donc absolument les revoir. J'insiste sur le fait que le nouvel arrêté préserve les projets en cours, lesquels permettent d'atteindre les objectifs des PPE, notamment celui de La Réunion. Certes, le Conseil supérieur de l'énergie a formulé plusieurs remarques, mais celles-ci ont été prises en compte ce qui a abouti à de nouvelles concertations qui ont bien eu lieu avec tous les acteurs, et à plusieurs reprises – certaines se sont tenues avant que le CSE ne prenne position. Les tarifs sont évidemment fixés sur la base des données disponibles et nous allons examiner avec la CRE l'évolution prévue des coûts pour définir les tarifs sur les territoires, sachant que de nouvelles données pourraient faire évoluer les choses. Nous nous basons, je le répète, sur les données disponibles. Par conséquent, n'hésitez pas à nous transmettre, si vous le souhaitez, d'éventuels éléments d'information supplémentaires. Mais, à ce stade, je vous assure que le ministère a été extrêmement attentif à ce que les PPE soient respectés et les projets en cours préservés.
Nous en arrivons aux questions du groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés.
La parole est à M. Christophe Jerretie.
J'ai déjà entendu beaucoup de questions et beaucoup de réponses dans cet hémicycle, mais je vais aborder un sujet encore peu traité : les financements de l'éolien. Divers rapports, émanant de parlementaires ou des délibérations de la CRE, ont analysé les subventions de l'État accordées au titre des engagements des années passées. Faisons un peu d'histoire financière, comme pour les contrats photovoltaïques, lors de l'examen du budget pour 2021 : les compensations de l'État sont estimées au total à environ 120 milliards au titre des engagements passés pour le photovoltaïque et l'éolien, dont 60 milliards à 70 milliards concernant l'éolien. Comme nous avons travaillé avec vous l'année dernière, madame la ministre, à propos de la renégociation que vous allez entamer sur les contrats photovoltaïques conclus avant 2021, je me pose logiquement la question suivante : est-il envisageable de remettre aussi à plat le système de financement des éoliennes ? L'évolution du prix de rachat outre-mer vient d'être évoquée, et vous vous en êtes un peu expliqué, madame la ministre, mais il reste encore beaucoup d'éléments sans réponse sur l'évolution des contrats au niveau national. Ce premier volet de ma question renvoie à l'histoire financière des liens entre l'État et ces secteurs, car je crois qu'il y a un travail de fond à faire en la matière, qui concerne aussi l'acceptabilité des éoliennes, sujet qui a déjà été beaucoup évoqué. Il faut rappeler que cette acceptabilité est aussi une affaire de coût pour notre budget national.
Le second élément que je voulais évoquer, c'est le futur financier et donc l'anticipation. Notre collègue Didier Le Gac a évoqué un facteur important : le renouvellement des parcs. On sait que, dans certains pays, il y a des faillites et que des sites sont laissés à l'abandon. Aujourd'hui, l'État provisionne jusqu'à 50 000 euros pour les producteurs ou les promoteurs en ce cas, mais je pense qu'il faudrait prévoir beaucoup plus pour qu'ils puissent financer le démontage et le recyclage. Et je voudrais savoir si le ministère assure un vrai suivi concernant le rachat de parcs ou de systèmes éoliens sur le territoire car ce sera la base des futurs financements des parcs éoliens.
Je vous remercie par avance, madame la ministre, pour votre réponse à cette double question et je vous invite bien évidemment en Corrèze pour visiter à la fois notre parc éolien et nos installations d'hydroélectricité.
Sourires.
Le développement des ENR électriques, y compris l'éolien, c'est une priorité du Gouvernement afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de renforcer la résilience de notre mix. Il est donc légitime qu'elles bénéficient d'un soutien public pour accélérer leur développement. Et grâce à ce soutien, leur compétitivité s'est nettement améliorée au cours du temps. Ainsi, lors des derniers appels d'offres lancés par le ministère, le prix a atteint environ 60 euros le mégawattheure. Ce soutien public n'est pas opaque : il est attribué au projet à l'issue d'une procédure de mise en concurrence transparente, encadrée par la CRE, autorité administrative indépendante. Ces dispositifs de soutien sont de plus notifiés à la Commission européenne, qui s'assure de leur caractère proportionné. La CRE publie chaque année une évaluation des charges de service public générées par le soutien aux énergies renouvelables. Vous pouvez trouver ainsi sur son site internet la réponse au premier volet de votre question : de 2015 à 2019, le soutien à l'éolien a coûté à l'État 5,9 milliards d'euros.
En ce qui concerne les garanties financières en cas de défaillance de l'exploitant, les capacités techniques et financières de ce dernier font partie des éléments constitutifs de la demande d'autorisation environnementale. Par ailleurs, les exploitants d'éoliennes sont soumis à l'obligation de constituer des garanties financières qui visent à couvrir, s'ils font défaut, les opérations de démantèlement des installations de production, l'excavation des fondations, la remise en état des terrains – sauf si le propriétaire ne le souhaite pas – , la valorisation ou l'élimination des déchets de démolition ou de démantèlement dans les filières dûment autorisées à cet effet. Un arrêté du 22 juin 2020 a renforcé le montant des garanties exigées pour les éoliennes les plus puissantes puisque, désormais, aux 50 000 euros que vous mentionniez s'ajoute un montant supplémentaire de 10 000 euros par tranche d'1 mégawatt si la machine a une puissance d'au moins 2 mégawatts. Ainsi, les exploitants des éoliennes les plus grandes sont soumis dorénavant à des obligations plus importantes.
Enfin, je rappelle que le transfert d'une autorisation environnementale doit faire l'objet d'une demande d'autorisation adressée au préfet.
Les différents soutiens directs à l'éolien représentent de 72 à 90 milliards d'euros, dont 54 milliards ont déjà été dépensés, avec pour objectif d'atteindre 15 % de l'électricité produite en France en 2025 par ce secteur au lieu de 7,2 % aujourd'hui. Le respect de cet objectif suppose de porter le nombre d'éoliennes terrestres à environ 15 000 en 2028, ainsi que d'accroître sensiblement le nombre de parcs éoliens en mer. L'extension programmée de la filière éolienne terrestre soulève toutefois un nombre croissant de plaintes de la part d'associations faisant état de troubles. L'éolien, sans induire directement des pathologies, affecte par ses nuisances sonores et visuelles la qualité de vie d'une partie des riverains. En outre, la seule manière d'augmenter le potentiel électrique des éoliennes terrestres est d'avoir des moteurs plus gros, donc des mâts plus hauts, et en conséquence une acceptabilité encore moins élevée.
Le groupe Mouvement démocrate MoDem et démocrates apparentés soutient un développement raisonné de l'éolien en France afin d'éviter les phénomènes de densification et de saturation excessives dans certains territoires. Nous avons proposé, dans le rapport d'information de notre collègue Bruno Duvergé, relatif aux freins à la transition énergétique, plusieurs préconisations pour une meilleure acceptabilité territoriale, notamment la réutilisation des sites éoliens en fin de vie pour y réimplanter des machines plus performantes plutôt que la mise en place de nouveaux parcs éoliens, la création d'un réseau de conseillers éoliens, …
… une planification régionale ou départementale destinée à aider les collectivités à mieux intégrer les projets éoliens – mesure très importante pour nous. Nous avons aussi proposé de conditionner la délivrance de l'autorisation environnementale à une concertation et à un accord des communes concernées par la création et l'exploitation d'un parc éolien et, enfin, la promotion de systèmes qui réduisent les effets sonores et visuels des éoliennes. Madame la ministre, ces préconisations nous semblent fondamentales pour le devenir de l'éolien. Où en est-on aujourd'hui dans la concrétisation de ces différentes propositions ?
Le Gouvernement a engagé des actions concernant toutes les recommandations que vous avez mentionnées.
Pour ce qui est de la réutilisation des sites éoliens, levier important pour renouveler les parcs et augmenter la production d'énergies renouvelables dans le but d'atteindre les objectifs de la PPE, une simplification réglementaire a été introduite en 2018 clarifiant le fait que les modifications touchant un parc éolien ne nécessitent pas d'acte administratif en matière d'urbanisme, ce qui simplifie la réutilisation des sites.
Le conseil de défense écologique du 8 décembre dernier a entériné la mise en place d'un réseau de conseillers éoliens et solaires chargés d'apporter un appui aux collectivités qui souhaitent développer les énergies renouvelables. Le Gouvernement cofinancera ce réseau à hauteur de 5 millions d'euros au cours des trois prochaines années et l'ADEME, lancera, au cours des prochaines semaines, un appel à manifestation d'intérêt pour constituer ce réseau de manière qu'il soit opérationnel dès l'automne 2021.
En ce qui concerne la planification régionale ou départementale, le même conseil de défense écologique a souligné la nécessité d'une amélioration afin de s'assurer que les objectifs de la PPE sont atteints. Les préfets de région, en concertation avec les collectivités et les acteurs concernés, vont élaborer une cartographie des zones propices à l'éolien. Elle ne sera pas contraignante mais pourra servir de guide aux collectivités lors de la mise à jour des documents d'urbanisme et orienter les porteurs de projets vers ces zones. Le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets comprendra des mesures visant à améliorer la planification avec une déclinaison par région des objectifs de la PPE en matière d'énergies renouvelables, et l'intégration d'objectifs énergétiques compatibles avec ces déclinaisons dans les SRADDET.
J'en viens à la concertation avec les communes. L'article 53 de la loi ASAP, prévoit la transmission d'un résumé non technique à la commune d'implantation un mois avant le dépôt de la demande d'autorisation. Le conseil de défense écologique a décidé qu'une charte des bonnes pratiques serait signée entre l'État et la filière éolienne.
Pour ce qui est, enfin, des nuisances lumineuses, des mesures seront expérimentées sous peu dont les résultats sont attendus sous six mois.
À 25 kilomètres à l'ouest de Belle-Île et à 25 kilomètres au sud de l'île de Groix, ces îles qu'aimait tant Marielle de Sarnez, à laquelle nous rendons hommage, se trouve une zone à cheval sur la limite des eaux territoriales – la fameuse bande des 12 milles nautiques. Cette zone de 525 kilomètres carrés comprendra deux parcs d'éoliennes : l'un, sur 38 kilomètres carrés, doit produire 250 mégawatts, l'autre, sur 70 kilomètres carrés produira 500 mégawatts. On comptera en tout soixante mâts de 88 mètres de haut, chacun représentant l'ambition que nous nous sommes fixée à travers la PPE, celle du mix énergétique au service de la transition écologique. Les Bretons sont dépendants de leur énergie à 100 %.
J'y suis favorable parce que chacun doit prendre sa part dans la lutte contre le changement climatique – on ne peut en effet demander à son voisin des efforts que l'on n'est pas prêt à consentir soi-même – et parce que les éoliennes seront au loin, à peine perceptibles – rien de comparable avec les éoliennes terrestres.
À ces impératifs écologiques, il faut ajouter des motivations économiques. Nous avons à construire en France une véritable filière industrielle dans le domaine de l'éolien offshore flottant, une filière productrice de valeur et d'emplois. L'offshore flottant, en pleine expansion, est de plus en plus efficace. Vous avez assisté, je crois, madame la ministre, à la pose de la première éolienne au large de Saint-Nazaire. Son rendement sera supérieur de 30 % à celui de toutes les autres éoliennes – et cela parce qu'elle est en mer.
Cela dit, il faut travailler à l'acceptabilité du projet. Je plaide donc avec force pour que les éoliennes soient posées loin des côtes et pour que la zone en question devienne un lieu dédié à la préservation de la biodiversité marine, au-delà des 12 milles évoqués précédemment.
Je souhaite savoir si une redevance est prévue pour les implantations situées au-delà des 12 milles nautiques. L'objectif serait de faciliter l'acceptation d'un projet de déploiement d'éoliennes établies loin de nos côtes. Qui en seraient les bénéficiaires ? Les pêcheurs, j'espère, mais aussi l'OFB, l'Office français de la biodiversité, et les collectivités. J'associe à cette question notre collègue Frédérique Tuffnell, elle aussi très favorable à l'éolien offshore au large de l'île d'Oléron.
Vous avez évoqué Marielle de Sarnez, monsieur Pahun. J'ai appris avec une très grande tristesse sa disparition. Je m'associe à votre douleur et adresse à sa famille, ses proches, ses amis, mes plus sincères condoléances.
L'acceptabilité des projets d'éolien en mer est essentielle si nous voulons développer sereinement cette filière afin d'atteindre nos objectifs de transition énergétique. Les enjeux liés à la préservation des paysages et à la biodiversité, mais également à la cohabitation entre les usagers de la mer, sont centraux dans le choix de la localisation des parcs. En Normandie, au vu des résultats du débat public, j'ai fait le choix d'une zone située à plus de 30 kilomètres des côtes, tenant compte des contraintes environnementales, de celles liées à la pêche et au trafic maritime.
Les parcs éoliens situés en mer territoriale, à savoir à moins de 12 milles des côtes, sont soumis à une taxe. Pour le nouveau parc normand, elle représentera 17 millions d'euros par an et sera répartie entre les communes littorales, les comités des pêches, l'OFB et les sauveteurs en mer. Au-delà des 12 milles, dans la ZEE, la zone économique exclusive, la situation est différente, comme vous l'avez souligné : la loi prévoit que les parcs seront soumis à une redevance annuelle qui sera reversée intégralement à l'OFB.
Il est souhaitable de rapprocher la situation des parcs en ZEE de celle des parcs en mer territoriale, afin que les collectivités et les usagers de la mer bénéficient également de la fiscalité appliquée aux parcs éoliens. C'est pourquoi une mission a été confiée aux inspections générales des ministères concernés qui devraient dans les prochains mois nous faire des propositions dans le sens que vous souhaitez – en tout cas je l'espère.
Nous en venons aux questions posées par des membres du groupe Socialistes et apparentés.
La parole est à M. Gérard Leseul.
Nous avons constaté il y a quelques semaines et encore tout à l'heure que les régions Nord et Grand Est concentrent la grande majorité des installations éoliennes. Disons-le franchement : d'autres pourraient également prendre leur part et contribuer au grand projet français de transition énergique. Cela pose fondamentalement la question de la solidarité territoriale dans l'effort de transition. Dans le respect du contrat social national, ce sont bien les efforts partagés et la solidarité territoriale qui nous permettront de faire face aux grands défis écologiques, à commencer par celui de la production d'énergies renouvelables.
Ma question est simple : pourquoi ne pas envisager un développement mieux encadré des éoliennes, une planification par le biais d'une réelle cartographie territoriale ?
Avec nos collègues Jean-Louis Bricout et Marie-Noëlle Battistel, nous avons déposé, le 5 janvier dernier, une proposition de loi définissant un zonage d'implantation potentielle de l'éolien. L'élaboration de ces ZIPE serait pilotée par les élus locaux et non par les services de l'État. L'adoption de ce zonage nécessiterait une majorité qualifiée visant à favoriser les compromis et la plus large adhésion au schéma. Le projet de ZIPE devra avoir fait l'objet d'une évaluation environnementale et d'une enquête publique, permettant d'associer et d'entendre les associations et les habitants afin de favoriser l'acceptabilité sociale des projets d'installation.
Selon notre proposition de loi, chaque SCOT et chaque PLUI devra disposer d'une annexe définissant un ZIPE tenant compte du potentiel éolien – couloirs, contraintes environnementales, patrimoniales, touristiques – mais aussi des objectifs d'aménagement et de développement économiques locaux afin que les projets éoliens y contribuent.
Ces nouveaux ZIPE définiraient une cartographie comportant trois zones : des zones où l'implantation est interdite, des zones où l'implantation est préférentielle et des zones où l'implantation peut être autorisée. Cela permettrait aux élus et aux citoyens de reprendre la main dans le développement effectif et plus harmonieux de l'éolien.
J'espère, madame la ministre, que vous accepterez de travailler avec nous sur la définition de ces ZIPE. Enfin, de manière plus générale, je souhaite savoir ce que vous envisagez de faire concrètement et rapidement pour renforcer l'acceptabilité sociale de l'éolien et pour son développement raisonné et ambitieux, un développement encadré qui respecte les élus locaux et les réalités locales.
Je vous remercie car votre proposition de loi apporte de nombreux éléments de réflexion très intéressants. Nous cherchons tous à planifier la montée en puissance de l'énergie éolienne pour qu'elle réponde à nos objectifs dans les meilleures conditions pour les territoires – ce qui signifie qu'elle devra jouer un rôle dans leurs projets de développement.
Vous proposez la mise en place de ZIPE élaborés par les EPCI, les établissements publics de coopération intercommunale, sur la base d'une déclinaison régionale de la PPE.
Nous proposons de fait un peu la même chose : une cartographie, réalisée par les préfets, et l'intégration des objectifs de la PPE aux SRADDET, les objectifs nationaux devant « redescendre » pour que chaque territoire prenne sa part. Il faudra ensuite placer les différents curseurs – la discussion du futur projet de loi climat et résilience pourra en être l'occasion.
En revanche, il ne semble pas souhaitable de restreindre le bénéfice du soutien public aux projets situés en zone propice à l'éolien. En effet, l'exercice de cartographie n'ayant, de toute façon, pas vocation à l'exhaustivité, il restera des zones non examinées qui ne seront pas labellisées comme propices mais qui ne seront pas particulièrement contre-indiquées non plus. Il n'y a par conséquent pas de raison d'empêcher par principe l'installation d'éoliennes à ces endroits. C'est au moment de la délivrance de l'autorisation environnementale, sur le fondement d'une instruction au cas par cas sur leur impact que les projets éoliens pourront être refusés si les enjeux le justifient. Toute cette articulation, nous allons l'élaborer ensemble. Nous devrons veiller à ne pas inutilement nous tirer une balle dans le pied…
Nous passons parmi les derniers… ce qui, du reste, nous permet de constater que nous sommes à peu près tous du même avis sur l'acceptabilité de l'éolien dans nos territoires. Madame la ministre, vous connaissez bien le nôtre, la Thiérache, qui a aujourd'hui un sentiment de trop-plein : le développement de l'éolien y est anarchique et aboutit à un mitage du territoire. Il se heurte à nos projets de développement touristique et culturel et nuit à notre attractivité. Nous ne sommes pas pour autant contre l'éolien qui ne doit pas être condamné – qui pourrait s'opposer à la production d'électricité grâce au vent, ce qui est un procédé plutôt intelligent ? Il est toutefois possible d'organiser son développement plus harmonieusement.
C'est l'objet de la proposition de loi évoquée par M. Leseul, dont nous discuterons à l'occasion de la prochaine niche parlementaire réservée à notre groupe. Nous avons anticipé quelque peu sur les travaux de votre groupe de travail qui vise à décliner à l'échelon territorial les objectifs nationaux pour l'éolien et à les équilibrer, en respectant les enjeux environnementaux et patrimoniaux. Nous partageons l'objectif de distribution de l'effort fixé par la PPE.
Nous pensons, comme notre collègue Leseul l'a rappelé, qu'il faut donner aux élus locaux les outils de régulation et de planification des implantations en intégrant ces outils aux SCOT et aux PLUI. Il s'agit en quelque sorte d'un retour, en mieux, aux zones de développement éolien, dans le sens où les zones seront définies avec plus de précision. Enfin, l'une des clefs de la transition énergétique est l'acceptabilité qui fonde le lien avec le citoyen. C'est pourquoi nous souhaitons encourager le développement de projets citoyens de transition énergétique en accompagnant les initiatives auxquels on doit fournir les moyens de leurs ambitions.
Ce sera l'objet de ma question : comment accompagner les projets citoyens dans la transition écologique, ici concernant l'éolien ? Nous comptons sur vous pour que notre proposition de loi ne soit pas balayée d'un revers de la main, quitte à ce que nous adoptions tous vos amendements…
Mme la ministre sourit.
L'organisation du débat ce matin veut en effet que les questions de votre groupe soient posées à la fin et évoquent des sujets abordés auparavant. Je n'en insisterai pas moins sur certains qui me paraissent importants.
Quand on veut développer son territoire, et vous y travaillez beaucoup, en effet, en Thiérache, il faut considérer que le déploiement de l'éolien y contribue. Je n'ai encore jamais vu que le développement touristique d'un territoire ait été empêché par l'implantation d'éoliennes. On voit d'ailleurs, dans plusieurs pays voisins, que l'éolien est beaucoup plus développé que chez nous et que l'activité touristique n'en est pas moins soutenue. La question est de savoir comment articuler tout cela. C'est bien pourquoi la planification est importante et que vos propositions sont vraiment intéressantes. La discussion portera donc sur la manière d'organiser les choses et non sur le fond.
Le développement économique lié à l'éolien est important. Nous avons tous les deux été élus en Picardie, région qui a connu la désindustrialisation, une perte d'activité, une augmentation du chômage. Or le développement de l'éolien offre précisément la possibilité de faire repartir l'activité, de faire revivre nos campagnes. Aussi tâchons que cela se fasse bien, pour éviter des excès ou la répétition de problèmes que nous avons pu rencontrer, qu'il s'agisse de projets insuffisamment concertés, ou de ceux qui donnaient le sentiment à nos concitoyens de voir des éoliennes pousser partout sans qu'ils aient le moyen d'agir. Nous devons y remédier et nos projets communs doivent pouvoir l'empêcher, et garantir une certaine prévisibilité afin que chacun puisse donner son avis. Nous devons favoriser les projets citoyens qui sont beaucoup mieux acceptés en ce qu'ils donnent aux citoyens le sentiment qu'ils sont des acteurs. Voilà ce que nous allons faire dans les semaines qui viennent.
Nous passons aux questions du groupe Agir ensemble.
La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo.
La crise sanitaire, et c'est bien normal, occupe l'essentiel de nos actions ; néanmoins, les enjeux écologiques ne doivent pas être délaissés, pour que le monde de demain soit plus vertueux. Il convient donc de rappeler la nécessité de poursuivre les implantations de parcs éoliens en mer. Il nous faut absolument continuer à travailler sur le modèle énergétique français.
La France s'est fixée, à travers la loi dite énergie-climat et sa programmation pluriannuelle de l'énergie, des objectifs ambitieux de développement de l'éolien en mer. La poursuite du développement de l'éolien en mer doit contribuer à l'objectif de 40 % d'électricité renouvelable à l'horizon 2030, fixé par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte adoptée en 2015.
Le calendrier initial prévoit notamment l'attribution d'environ 1 gigawatt de nouvelles capacités d'éolien en mer par an. Malheureusement, il est déjà largement remis en cause puisque le lancement du quatrième appel d'offres national d'éolien en mer devrait avoir lieu seulement cette année, après une série de retards successifs dommageables pour notre territoire. Cela implique une attribution finale de l'appel d'offres au mieux en 2022. Ce nouveau délai fort regrettable est dommageable pour la pérennisation de cette filière dans notre pays, qui possède pourtant de forts atouts naturels et des acteurs économiques qui ont déjà investi et embauché et souhaitent continuer dans cette direction. Bien sûr, je me réjouis que le Gouvernement ait annoncé de nouvelles zones retenues au large du Cotentin pour l'implantation d'un huitième parc, même si à ce jour aucune éolienne n'a été posée en France au large de nos côtes, pourtant si propices, quand nos voisins en ont déjà implanté 2 225 pour le Royaume-Uni, 1 469 pour l'Allemagne, 559 pour le Danemark.
Je vous remercie de nous indiquer, madame la ministre, les prochaines échéances concernant les attributions mais surtout les implantations d'éoliennes en mer.
Le Gouvernement a, bien entendu, l'intention de respecter le calendrier ambitieux de la PPE concernant l'éolien en mer. Nous sommes conscients de la nécessité d'accélérer et c'est pourquoi la loi ASAP a introduit de nouvelles mesures de simplification des procédures pour l'éolien en mer. Elle va notamment permettre de réaliser en temps masqué les étapes administratives de la procédure d'attribution des parcs, de mutualiser les débats publics, et de réduire la période des recours contentieux contre les projets, qui pouvait, avant la loi, durer jusqu'à cinq ans. En complément, une mission a été confiée aux inspections générales des ministères concernés pour réfléchir à des mesures en vue de simplifier les procédures administratives d'autorisation des parcs, tout en maintenant, j'y serai vigilante, leurs exigences sur le plan environnemental.
Le projet du huitième parc éolien en mer au large de la Normandie a pris du retard en raison de la crise sanitaire qui a entraîné la suspension du débat public. Cette étape fondamentale pour le choix de la localisation du parc ne pouvait pas être négligée, nous l'avons vu avec le parc précédent. Le débat est maintenant terminé et, prenant en compte ses conclusions, j'ai décidé de lancer la procédure de mise en concurrence en 2020, dans le calendrier prévu par la PPE. Le parc normand pourra ainsi être attribué en 2022.
Au sud de la Bretagne, le débat public sur le projet d'éoliennes flottantes s'est terminé fin décembre. Je choisirai la zone d'implantation après la remise du rapport de la commission du débat public, prévue fin février, afin de pouvoir tenir compte de ses conclusions. Il s'agira du premier parc commercial d'éoliennes flottantes en Europe.
En Méditerranée, un débat public est en cours de préparation et devrait commencer au premier semestre. La localisation des deux futurs parcs d'éoliennes flottantes pourrait avoir lieu d'ici à la fin de l'année 2021.
Vous le voyez, nous mettons tout en oeuvre pour accélérer le développement de l'éolien en mer. Nous comptons poursuivre la dynamique de mise en oeuvre du calendrier d'appel d'offres de la PPE et, avec la ministre de la mer, nous saisirons prochainement la CNDP pour de nouveaux projets potentiels.
Le développement de l'éolien en mer est un enjeu majeur, à la fois stratégique et écologique, pour le mix énergétique français. Je me félicite que nous soyons collectivement parvenus à rehausser le volume des appels d'offres, tant pour l'éolien posé que pour l'éolien flottant, et que la loi ASAP promulguée en décembre apporte une simplification bienvenue pour les acteurs de la filière. C'est ainsi qu'au sud de la Bretagne, dans le secteur de Groix et Belle-Île, deux parcs flottants de 250 puis 500 mégawatts doivent prendre le relais du projet expérimental en cours.
Néanmoins, la France reste très en deçà des résultats de ses voisins européens, alors même qu'elle possède le deuxième gisement éolien en mer le plus important d'Europe : 140 gigawatts rien que pour le flottant, soit un peu plus que notre parc nucléaire actuel si nous exploitions l'ensemble de nos capacités théoriques.
Je souhaite revenir sur la structuration d'une véritable filière industrielle française, créatrice d'activité et d'emplois dans nos territoires, pour l'éolien flottant. Nous n'avons pas été réellement au rendez-vous du solaire et notre retard est difficilement rattrapable pour l'éolien posé. Vous avez largement évoqué la planification, la concertation et les collectivités territoriales, notamment sur le volet du financement. Le quatrième programme d'investissements d'avenir sera-t-il mobilisé au profit de l'éolien flottant ?
Monsieur le député, vous évoquez le programme d'investissements d'avenir mais pour ce qui concerne l'éolien, nous avons affaire à des procédures différentes. Les programmes d'éolien et d'éolien en mer sont soutenus par des tarifs de soutien public au développement des ENR. Nous avons une programmation pluriannuelle de l'énergie et, comme je l'ai indiqué à Mme Firmin Le Bodo, le Gouvernement souhaite accélérer les choses pour l'éolien en mer, car il est vrai que nous avons pris du retard. Nous voulons maintenant tenir nos objectifs car nous voyons bien que le développement de cette filière, tant par les possibilités qu'elle offre en termes d'emploi, pour la fabrication des composants des éoliennes, que pour la diversification de notre mix énergétique, représente pour notre économie une opportunité énorme ; nous en avons besoin. L'éolien en mer a pris du retard en France mais le Gouvernement est en train de travailler à le rattraper, sur l'offshore comme sur le flottant, qui offre d'autres perspectives très intéressantes également. Il est vrai que nous n'avons aujourd'hui qu'une éolienne flottante, à l'inauguration de laquelle j'ai eu le plaisir de participer, mais c'est la première d'une longue lignée.
Nous en avons terminé avec les questions du groupe Agir ensemble.
La dernière question de la séance est posée par M. Bruno Bilde.
Si la France connaît une vague de froid ces prochaines semaines, la sixième puissance du monde pourrait se retrouver sans électricité. En effet, ce qui semblait inimaginable il y a quelques années est aujourd'hui un risque bien réel. Voilà le triste résultat de votre idéologie absurde, coûteuse et polluante. Pendant longtemps, notre pays avait la meilleure politique énergétique du monde, avec l'électricité la moins chère d'Europe et un approvisionnement parmi les plus fiables. Cette période faste est désormais révolue, le pragmatisme tricolore ayant été balayé par le fanatisme vert. Les Français vont désormais vivre sous le règne de l'intermittence, des réductions régulières de consommation et de l'augmentation continue des tarifs.
Le démantèlement de notre filière nucléaire et son remplacement par l'éolien sont un scandale économique et écologique. Le 7 janvier dernier, les presque 9 000 éoliennes implantées dans notre pays ont produit à peine 946 mégawatts, soit 1 % du total de la consommation d'électricité des Français, car, voyez-vous, madame la ministre, quand il n'y a pas de vent les éoliennes ne tournent pas, et quand elles ne tournent pas, il faut les assister avec une énergie carbonée. À titre de comparaison, l'Allemagne avec ses 30 000 éoliennes produit 64 % de son électricité à partir du charbon et du gaz, envoyant dans l'atmosphère 36 000 tonnes de CO2 par heure. La France, elle, ne rejette que 7 500 tonnes par heure grâce au nucléaire. De plus, l'implantation d'éoliennes se fait contre l'avis des élus et dans le dos des habitants, comme à Vermelles, dans ma circonscription. Madame la ministre, quand allez-vous décréter un moratoire ?
Je suis désolée que nous terminions sur des propos qui ne servent en rien à l'avancement du débat public. Vous avez parlé de « fanatisme vert ». Je crois que les anathèmes ne servent à rien, qu'ils empêchent de réfléchir, permettent juste de s'énerver. Cela ne nous aide pas à avancer pour les générations futures, qui seront tributaires des choix que nous faisons aujourd'hui.
La production d'électricité est à plus de 70 % liée au nucléaire. Ce n'est pas dû au fanatisme vert. Les mesures de la PPE s'installent progressivement et sont loin d'avoir produit leurs effets. Les problèmes que nous rencontrons aujourd'hui sont donc des problèmes liés aux choix faits il y a trente, quarante ou cinquante ans, et non à ceux faits il y a quelques années pour l'avenir, car ils n'ont pas encore, ou quasiment pas, porté leurs fruits.
Quand nous avons des problèmes d'approvisionnement d'électricité aujourd'hui, tout d'abord ils sont gérés. Il n'y a pas de black-out en France et il n'y en aura pas cet hiver. Nous avons des procédures pour l'éviter et le travail est mené sérieusement. Ensuite, nous avons subi la crise de la covid-19, qui fait qu'un certain nombre de nos réacteurs nucléaires, qui doivent faire régulièrement l'objet d'opérations de maintenance, ne l'ont pas pu. Notre problème est donc justement que nous avons un parc très dépendant du nucléaire et quand il y a un problème du côté du nucléaire, comme des reports de maintenance, et que des réacteurs s'arrêtent, nous n'avons pas d'alternative satisfaisante car nous sommes obligés soit d'importer soit de recourir à des énergies fossiles, même si c'est de moins en moins le cas, car nous y travaillons. Heureusement que les énergies renouvelables sont là car elles nous donnent de la flexibilité, et c'est pourquoi nous souhaitons rééquilibrer notre mix.
Nous avons terminé les questions sur le développement des éoliennes sur le territoire.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix heures cinquante-cinq, est reprise à onze heures dix.
L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport de la commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire.
La Conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes puis le Gouvernement ; nous procéderons ensuite à une séance de questions-réponses.
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
Je suis très heureux que nous puissions débattre dans l'hémicycle des conclusions du rapport de la commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire, que j'ai présidée – il n'a pas été écrit par moi-même mais par le rapporteur Didier Paris, ici présent, qui s'exprimera tout à l'heure.
Pourquoi cette commission d'enquête a-t-elle été créée ? En deux mots, parce qu'il y a dans notre pays une défiance particulière envers l'autorité judiciaire, envers la justice. Elle est parfois jugée trop lente, parfois trop rapide, parfois trop sévère, parfois trop laxiste, parfois trop compliquée : quoi qu'il en soit, ce n'est pas la confiance qui l'emporte quand on parle de justice en France.
Cela a-t-il à voir avec la question de son indépendance ? Oui, et d'ailleurs, les sondages d'opinion qui sont régulièrement réalisés sur le sujet montrent que de nombreux Français pensent encore – je ne sais pas si c'est à tort ou à raison – que, « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Cette conviction reste ancrée et des exemples viennent l'étayer.
Le pouvoir politique, l'exécutif influencent-ils l'autorité judiciaire et la justice ? Cette question se pose souvent et quelques exemples viennent là aussi abonder en ce sens : je fais notamment référence au jugement rendu par la Cour de justice de la République – CJR – contre l'ancien garde des sceaux, M. Urvoas, accusé d'avoir remis des informations à un député sur une enquête en cours. Les remontées d'informations sont évidemment un sujet qui nous a occupés tout au long des auditions – plus de cinquante – que nous avons conduites pendant plusieurs mois.
Je veux vous rassurer, monsieur le ministre : nous sommes là pour discuter non des affaires en cours mais bien de l'indépendance de la justice et des conclusions du rapport de la commission d'enquête. Nous parlons d'indépendance, mais l'indépendance doit-elle être totale ? Faut-il une justice complètement déconnectée du reste ? Je ne le crois pas et, à vrai dire, personne ne le croit. Néanmoins, il faut un minimum – ou plutôt un maximum – d'indépendance pour les magistrats, de sorte qu'ils puissent faire leur travail et que la théorie de la séparation des pouvoirs se trouve respectée.
Qui est actuellement garant de l'indépendance de la justice ? Selon l'article 64 de la Constitution, « le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire ». De nombreux constitutionnalistes s'étranglent rien qu'en lisant cette phrase. Ils se demandent en effet ce que c'est que cette histoire : dans le cadre de la séparation des pouvoirs, comment est-il possible que celui qui est chargé de garantir l'indépendance d'un de ces pouvoirs – certes appelé « autorité », j'y reviendrai – soit au sommet du pouvoir exécutif ?
D'ailleurs, si certains ont assumé cette pratique tandis que d'autres l'ont critiquée, chacun a éprouvé une certaine gêne lorsque, dans le cadre de l'affaire Kohler, le Président de la République a transmis une note apportant des éléments à l'enquête. Il a le droit de le faire, je ne le remets pas en cause, mais la gêne était palpable.
L'article 64 poursuit : « Il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature. » Il est fondamental à mes yeux – et c'est ce que le rapport de la commission d'enquête propose – que les attributions du Conseil supérieur de la magistrature – CSM – soient renforcées, précisément pour garantir l'indépendance de la justice. Il constitue à mon sens une clé de voûte et je ferai miennes plusieurs propositions du rapporteur, par exemple celle qui demande que tout magistrat puisse le saisir. Je pensais que c'était déjà le cas, mais ce n'est en fait pas possible : aussi lunaire que cela paraisse, un magistrat, qui observe un dysfonctionnement ayant trait à l'indépendance, à la partialité ou à la neutralité de la justice, ne peut pas saisir le Conseil supérieur de la magistrature.
De même, celui-ci ne peut pas s'autosaisir d'un sujet qui lui semble d'importance majeure : il ne peut être saisi que par le Président de la République. Il a d'ailleurs, à la suite de notre commission d'enquête, fait usage de cette possibilité à propos de l'affaire qui, comme chacun sait, concerne M. François Fillon.
Enfin, le Conseil supérieur de la magistrature ne suit pas les mêmes règles concernant les magistrats du siège et ceux du parquet, aussi bien pour leurs nominations que pour les procédures disciplinaires. Le rapport de la commission d'enquête propose d'aligner les deux régimes – et pas seulement d'étendre le recours à l'avis conforme. Les procureurs de la République devraient être soumis à la même procédure que les chefs de juridiction du siège.
En outre, alors qu'aux termes de la Constitution, le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, ce serait faire oeuvre utile que de supprimer cette disposition et de confier directement ce rôle au Conseil supérieur de la magistrature. Nous gagnerions ainsi en clarté. D'ailleurs, le Conseil supérieur de la magistrature occupe déjà une place beaucoup plus importante dans le texte constitutionnel qu'à l'origine – et c'est tant mieux.
Enfin, parce que ce serait plus simple pour tous, mais aussi moins suspect, je propose de rattacher l'Inspection générale de la justice au Conseil supérieur de la magistrature, sachant que le garde des sceaux pourrait bien évidemment toujours la saisir. Cette inspection bénéficierait ainsi d'un positionnement beaucoup plus clair et gagnerait en indépendance dans l'exercice de ses missions, notamment celle d'enquête disciplinaire.
Il est éminemment important que le CSM prenne toute sa place dans la gestion des carrières. En commission d'enquête, alors que je demandais au juge Renaud Van Ruymbeke quel était le coût de l'indépendance, celui-ci m'a répondu du tac au tac : « La carrière, monsieur le député, la carrière. » Sans doute est-il bon que certains ne fassent pas carrière, si c'est le prix de leur indépendance, mais enfin, c'est un peu limite ! Il faut avancer sur ce point. De nombreux magistrats nous expliquent que la transparence ne vaut qu'à la toute fin du processus, pas au début, ni au milieu – c'est un problème central.
Une autre question importante est celle du budget – pas seulement son montant mais aussi son fonctionnement et son organisation, qui influent directement sur l'indépendance judiciaire, comme les chefs de cour nous l'ont dit. Il faut mettre ces derniers à la tête d'un budget opérationnel, de programmes, leur permettre de répartir les moyens et d'entretenir un véritable dialogue de gestion avec la direction des services judiciaires, et ainsi de suite. C'est très important pour leur indépendance.
Ne vous y trompez pas : les moyens budgétaires aussi importent. Je rappelle d'ailleurs qu'il ne faut pas céder à la fausse bonne idée qui consiste à permettre la tenue d'audiences sans greffier, parce qu'aucun n'est disponible, et à en faire la règle. Je le redis avec force : le greffier n'est pas seulement présent pour prendre des notes, il apporte aussi une garantie d'indépendance, en étant garant de la régularité de la procédure, aux côtés du magistrat.
Monsieur le garde des sceaux, que pensez-vous de notre proposition visant à ce que le Conseil supérieur de la magistrature rende un avis sur le budget de la justice ? S'il faut modifier la Constitution pour en faire la règle, rien n'empêche l'exécutif de prendre l'initiative de solliciter le CSM sur le budget de l'an prochain.
Il en va de même concernant la comptabilité analytique. À ce propos, je me permets de vous interpeller sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur, la lutte contre la délinquance économique et financière. Comme nous l'avions voté dans le projet de loi de finances précédent, nous avions demandé que le document de politique transversale concernant les moyens déployés dans la lutte contre la fraude fiscale, commun à Bercy, au ministère de l'intérieur et à celui de la justice, fasse apparaître les chiffres pour chacun de ces ministères, ce qui n'était pas le cas dans le budget dont nous débattions. Je vous avais d'ailleurs envoyé un courrier, ainsi qu'à deux de vos collègues ministres, à ce sujet. Il est important que nous disposions de ces éléments, si nous voulons qu'un débat ait lieu. Évitons de faire de cette lutte un « machin » éloigné du Parlement, des citoyens et du débat public.
N'oublions pas que les affaires civiles représentent l'essentiel de l'activité du ministère de la justice. Il faut le dire : pour qu'un juge civil soit indépendant, il lui en faut les moyens. Quand les délais de traitement des dossiers, aux affaires familiales, sont de six, sept ou huit mois, les juges ne peuvent pas aller au fond du sujet, en étudiant toutes les pièces. Puisque d'autres dossiers attendent, il leur faut gérer le flux, en rendant leur décision rapidement. La question des moyens financiers est donc directement liée à celle de l'indépendance.
Monsieur le garde des sceaux, j'aimerais aussi vous entendre sur les perspectives en matière pénale. Vous avez déclaré que vous veilleriez à ce que « les enquêtes préliminaires restent préliminaires ».
Ça arrive !
Très bien. Quid alors de la proposition du rapporteur visant à les borner ? Quant à la police judiciaire – puisqu'il n'y a pas de justice judiciaire sans elle – , que pensez-vous de la proposition de rattacher directement tout ou partie de ses effectifs, notamment ceux des services spécialisés, aux magistrats ? Pensez-vous réellement que le traitement en temps réel est de bonne justice ?
Il est très important que nous puissions vous entendre sur ces points. Vous aviez promis, lors de la passation de pouvoir…
Je termine là-dessus.
Lors de la passation de pouvoir à la chancellerie, vous aviez promis de réformer la justice. Vous déclariez : « Je veux avancer sur un projet qui me tient à coeur, l'indépendance de la justice. »
En ces temps de pandémie, n'oublions pas ce qui fait l'essence même de notre société, de notre lien social, afin que nos vies puissent se dérouler en toute sérénité au sein d'une République aux institutions légitimées. La justice et, plus encore, la perception de celle-ci par nos concitoyens y tiennent un rôle fondamental. Sans justice, le peuple perd confiance dans ses institutions. Sans justice, les conflits de personnes ne peuvent être résolus que par la loi du talion, ou celle du plus fort.
La justice est ce qui donne corps à notre société et, si elle a pour garant le chef de l'État, chef du pouvoir exécutif, il est de notre responsabilité de parlementaires de nous interroger sur son efficience et de nous assurer de son bon fonctionnement et de sa pleine indépendance. Il ne fait aucun doute aujourd'hui qu'une part importante de nos concitoyens fait confiance à la justice de notre pays, même s'ils pointent parfois du doigt son extrême lenteur, ou du moins ce qu'ils considèrent comme telle. Mais cela fait trop d'années que les professionnels du secteur alertent sur leurs conditions de travail et sur les moyens qui leur sont alloués, qui ne permettent pas, de toute évidence, l'exercice optimal de leurs missions.
Les délais d'instruction, avant le règlement définitif d'un litige, sont parfois tellement longs et coûteux qu'ils peuvent décourager les justiciables de demander la reconnaissance et la réparation d'un préjudice. La première des garanties que nous devons conférer à l'autorité judiciaire, afin de renforcer son indépendance et son efficience, est bien de la doter des moyens nécessaires. Nous plaidons donc bien évidemment pour la poursuite de la hausse des crédits et soutenons la proposition no 20 du rapport de la commission d'enquête, visant à « limiter les mécanismes de régulation budgétaire, afin d'accroître l'autonomie des chefs de cour dans la gestion des crédits qui leur sont alloués ».
Quant à la proposition no 17, si nous soutenons l'idée de « revenir à un système où chaque cour d'appel ait un budget opérationnel de programme », nous nous opposons catégoriquement à l'objectif de « faire coïncider les ressorts des cours d'appel avec les régions administratives ». La fusion des régions était une mauvaise réforme ; évitons à la justice cet écueil, ce chemin tortueux. D'ailleurs, votre prédécesseure n'était pas allée au bout de ses projets en la matière.
Par ailleurs, et c'est l'aspect le plus urgent, le plus important, en vue de conférer une plus grande indépendance à notre justice, une réforme profonde des procédures de nomination des magistrats du parquet est nécessaire. Il faut, en effet, éviter tout soupçon d'interférence gouvernementale et d'éventuels choix partisans ou politiques de ces hauts responsables judiciaires, soupçon qui nuirait à l'apparence d'impartialité, d'abord de leur nomination, ensuite de leur pratique professionnelle. Nous faisons donc nôtre la proposition no 1 du rapport, celle d'« aligner le mode de nomination et le régime disciplinaire des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège ».
Cette évolution fait l'objet d'un consensus au sein de notre société. Peu de gens comprennent – la Cour européenne des droits de l'homme, elle, le comprend encore moins – qu'un procureur, qui défend les intérêts de la société, puisse être nommé par le seul pouvoir exécutif. Il n'est pas trop tard pour convoquer les parlementaires en Congrès afin de procéder à une modification de la Constitution, pour peu qu'il y ait un consensus.
Cette révision permettrait d'inscrire les propositions nos 3 et 4 du rapport dans la Constitution, respectivement celle de permettre à tout magistrat de saisir le CSM s'il estime que son indépendance ou son impartialité est mise en cause, et celle de permettre au CSM de se saisir d'office de toute question relative à l'indépendance de l'autorité judiciaire.
De même, la proposition no 29, visant à créer la fonction de « juge de la mise en état de l'enquête pénale », qui aurait seul le pouvoir d'autoriser le procureur de la République à poursuivre une enquête préliminaire au-delà d'un certain délai, nous paraît intéressante.
Nous saluons enfin les préconisations du rapport visant à accroître la transparence de l'autorité judiciaire, même si nous souhaitons aller plus loin que la proposition no 24, concernant les remontées d'information. Même encadrées par une circulaire, celles-ci laissent toujours planer un doute sur d'éventuelles pressions exercées à l'égard de magistrats. Il convient d'en réduire drastiquement le nombre, voire de les supprimer, au regard des critères très larges incluant des remontées pour toutes les affaires susceptibles d'être médiatisées.
Nous honorons le travail effectué par cette commission d'enquête, notamment par MM. Bernalicis et Paris, et les remercions pour leur travail.
Au cours de l'histoire, l'indépendance des juges a été au coeur d'une relation tumultueuse entre le pouvoir judiciaire, le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. De fait, l'équilibre entre les pouvoirs et leur séparation, chers à Montesquieu, sont une construction politique exigeante, qui mérite d'être protégée par les institutions.
La nécessité de l'indépendance judiciaire à l'égard du pouvoir exécutif est toujours plus prégnante. Or, depuis 2013, nous avons le sentiment que se joue une partie de cache-cache avec la réforme constitutionnelle visant à mieux la garantir.
La crise institutionnelle, inscrite dans la crise politique actuelle, est marquée par une défiance que l'on aurait tort de vouloir juguler en instaurant un pouvoir autoritaire, qui ne serait soumis à aucun contrôle. Nous avons besoin d'une démocratie vivante, pour bien vivre ensemble et affronter les défis de notre temps. Il faut donc établir de manière éclatante l'indépendance du pouvoir judiciaire, facteur essentiel de la confiance dans la démocratie, la République et l'action publique.
La défiance n'atteint-elle pas désormais l'institution judiciaire elle-même ? Loin de nous l'idée de mettre en cause l'éthique d'indépendance des juges, puisque, comme le souligne la magistrate Katia Dubreuil, il y a une large part de fantasmes dans les accusations portées contre la justice. En revanche, selon elle, il est certain que l'excessive faiblesse des garanties institutionnelles conduit certains de nos concitoyens à douter de son indépendance.
Si l'indépendance de l'autorité judiciaire est consacrée par l'article 64 de la Constitution, elle l'est de manière assez curieuse, puisqu'elle a pour garant le Président de la République, chef de l'exécutif, ce qui a fait dire au professeur Guy Carcassonne : « Autant proclamer que le loup est garant de la sécurité de la bergerie ! »
Par ailleurs, nous avons pointé la nécessité de revoir l'organisation du CSM, sa place, et les règles applicables en matière de nomination, afin de juguler les mécanismes de sujétion et d'affrontement entre les pouvoirs, et de permettre leur équilibre et leur séparation.
Nous saluons la création, à la demande de nos collègues du groupe La France insoumise, et les travaux sérieux de la commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire. Nous partageons le constat et les propositions formulées par son rapporteur. Il ne vous aura pas échappé, au regard des amendements que nous avions déposés sur le projet de loi constitutionnelle de 2018, avorté en raison de l'affaire Benalla, que nous partageons plus encore celles formulées par le président de la commission d'enquête, M. Bernalicis.
Quoi qu'il en soit, une réforme assurant l'indépendance du pouvoir judiciaire, conformément à l'objectif de ces différentes propositions, ne peut plus être reportée sine die, parce qu'il faut garantir à nos concitoyennes et concitoyens l'égalité devant la justice et la protection de leurs libertés individuelles.
Monsieur le garde des sceaux, au cours de la cérémonie de passation de pouvoir, le 7 juillet 2020, vous déclariez : « Je souhaite être le garde des sceaux qui portera enfin [… ] la réforme du parquet tant attendue. » Le parquet, soit l'ensemble des magistrats et magistrates chargées de représenter le ministère public, est en effet au coeur de critiques récurrentes.
Promettant la réunion du Parlement en Congrès, vous annonciez alors en outre : « Je veux avancer sur un projet qui me tient à coeur, l'indépendance de la justice. » Cet objectif institutionnel semble presque hors d'atteinte dans le calendrier serré qui est le nôtre d'ici à la fin du quinquennat. Nous le regrettons d'autant plus qu'avec ce rapport parlementaire et celui du Conseil supérieur de la magistrature, qui a été remis au Président de la République à sa demande et qui aborde la question du lien entre les procureurs, les procureurs généraux et le ministre de la justice, le Gouvernement avait toutes les cartes en main pour mener à bien cette réforme. Il ne serait pas trop tard, si vous décidiez d'une réforme constitutionnelle portant sur ce seul point. Mais nous craignons que la tentation gourmande d'intégrer à la réforme d'autres dispositions institutionnelles, beaucoup plus discutables, ne vous en empêche.
Le rapport formule par ailleurs des propositions qui ne nécessitent pas de réforme constitutionnelle, et les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine demandent donc au Gouvernement de permettre leur aboutissement. Alors que nombre de lois répressives, qui réduisent les libertés, sont allégrement présentées dans cet hémicycle, nous croyons à une démocratie vivante, qui fait de la réaffirmation concrète et pratique du principe de la séparation des pouvoirs une ardente nécessité – la crise de la démocratie n'affecte pas que les autres pays, disons-le.
Enfin, il faut donner à la justice les moyens d'être pleinement au rendez-vous, sans quoi l'indépendance ne serait qu'un mirage.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
Cette commission d'enquête procède clairement de la volonté initiale de la France insoumise de mettre en cause l'institution judiciaire et de régler avec elle ses propres comptes. En attestent les propos de son président lui-même, évoquant les perquisitions, inédites pour une organisation politique, subies par son groupe qui ont déclenché cette commission.
S'y ajoute, contre toute logique, le dépôt de soixante-trois propositions du président, qui ne sont rien d'autre qu'un manifeste politique, pour certaines sans rapport avec nos travaux, et qui n'ont jamais été discutées ni validées par la commission elle-même.
C'est sans doute la raison pour laquelle quelques-unes de ces propositions témoignent d'une curieuse conception de l'indépendance, comme celle, par exemple, visant à instaurer le droit, pour un parlementaire ou un élu local, d'effectuer une intervention volontaire dans un dossier judiciaire en cours, pour « éclairer » les magistrats. On appréciera cette conception de l'indépendance.
Le principe d'indépendance de la justice vise à garantir la possibilité de prendre des décisions à l'abri de toute pression ou instruction, émanant non seulement des pouvoirs législatif et exécutif, mais aussi, de manière plus contemporaine, de groupes sociaux, économiques, culturels ou encore des médias.
Nos travaux, à travers une cinquantaine d'auditions publiques et de nombreuses contributions, se sont attachés à faire un constat de la situation et à dresser des pistes d'amélioration. Que les choses soient claires : nous pouvons être fiers, en France, de notre justice et du travail de ses acteurs, magistrats, greffiers, fonctionnaires, sans oublier les auxiliaires indispensables que sont les avocats et nos forces de sécurité. Rien ne permet de soutenir sérieusement, au vu de nos travaux du moins, que notre justice ne serait pas indépendante et aucune des soixante-dix personnes auditionnées ne s'est plainte, en conscience, d'avoir été victime de pressions ou d'avoir eu connaissance de telles situations.
Toutefois, force est de reconnaître que notre justice est de plus en plus sollicitée pour son rôle régulateur de notre société et qu'elle encourt, à ce titre, critiques et suspicions, raisons pour lesquelles son indépendance doit encore et toujours être confortée. C'est le sens, au-delà des contingences de l'actualité, des quarante propositions que j'ai déposées en tant que rapporteur, toutes rigoureusement issues de nos travaux et validées à l'unanimité par les membres de la commission.
Elles visent à mieux garantir l'indépendance, grâce notamment au triptyque fondamental motivant la réforme constitutionnelle tant attendue : alignement du mode de nomination et du régime disciplinaire des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège, extension des pouvoirs du CSM et suppression de la Cour de justice de la République au profit des juridictions ordinaires.
Elles ont aussi pour objectif de permettre à l'autorité judiciaire de disposer de moyens adaptés à sa charge et de donner plus de respiration budgétaire et d'autonomie de gestion aux juridictions. Il faut ici relever l'augmentation historique du budget de la justice, qui commence manifestement à porter ses fruits, si j'en juge, exemple caractéristique s'il en est, par l'amélioration sensible de la situation du tribunal de Bobigny, relevée il y a quelques jours dans un grand quotidien du soir.
Elles ont enfin pour finalité de clarifier les remontées d'information, de garantir un meilleur contradictoire dans les enquêtes, tout en proposant une réflexion complémentaire sur la durée de celles-ci : plus globalement, elles entendent améliorer la transparence du système. Nous serons attentifs, monsieur le ministre, aux suites que vous voudrez bien donner à ce rapport, espérant qu'il ne finisse pas, comme tant d'autres, dans un placard.
Nous n'avons pas, cela étant, éludé les situations problématiques, dont certaines se sont trouvées exacerbées par nos travaux eux-mêmes – je pense en particulier aux remontées d'informations mal vécues au sein du parquet national financier – PNF – , aux zones d'ombre – pour ne pas dire plus – entourant la pratique des fadettes, au traitement des gardes à vue par le parquet de Paris lors des manifestations de gilets jaunes, ou encore à la question de l'impartialité de certaines décisions politiques dans la perspective que dessinaient les élections municipales de 2020.
Tout système contient ses brèches. Il est de notre responsabilité de parlementaires, chargés du contrôle de l'action du Gouvernement, de les relever ; il est de votre responsabilité, monsieur le ministre, de les colmater.
Alors que la demande de justice est plus forte que jamais dans notre société, qui n'a jamais eu autant besoin d'avoir confiance dans des institutions transparentes, les propositions de cette commission d'enquête n'ont qu'un seul but : faire en sorte que nos concitoyens aient la certitude que la décision du magistrat est juste, impartiale et qu'elle a été prise à l'abri de toute pression.
Avant d'accepter de prendre la parole dans ce débat, au demeurant passionnant et essentiel dans un État de droit au pouvoir judiciaire indépendant, je me suis longuement interrogé sur son caractère raisonnable et sur les risques que j'allais prendre ou pas à aborder ce sujet. Le doute venait du fait que, depuis trop longtemps, interventionnisme politique et immixtion du juge dans le débat politique avaient abouti à des dérives, là où la nécessaire indépendance du juge implique sa totale impartialité pour un bon fonctionnement des institutions.
En 2013, la loi Taubira a mis un terme à la première dérive en supprimant les instructions individuelles : ainsi l'indépendance du parquet vis-à-vis de l'exécutif était-elle assurée. Pour ce qui est de l'impartialité, la question reste particulièrement prégnante, comme ont permis de le souligner les travaux de cette commission d'enquête.
Les déclarations faites au cours des auditions sur les conditions de nomination du juge d'instruction dans l'affaire dite Fillon, comme celles relatives aux demandes de remontées d'informations au sein du parquet, conduisent inévitablement à s'interroger sur la sérénité qui devrait présider à la gestion des affaires et donc sur l'impartialité nécessaire à toute prise de décision.
Il n'est pas non plus admissible de voir des magistrats se prononcer publiquement sur des affaires en cours, voire non encore ouvertes, surtout quand ces mêmes magistrats sont ceux qui devront décider de l'opportunité ou non des poursuites.
Les fuites, organisées ou non, les communiqués de presse sont autant d'éléments de nature à induire le doute ou l'erreur dans l'esprit de nos concitoyens : l'indispensable confiance que nous devons avoir dans notre justice passe nécessairement par la sagesse dont elle doit faire preuve. Dans cette société hypermédiatisée, il est certes frustrant de ne pouvoir prendre part au débat public, mais avoir fait le choix d'embrasser la belle profession de magistrat implique un devoir de réserve. Le juge ne peut et ne doit pas devenir acteur, à moins d'entacher la crédibilité de l'ensemble de notre système judiciaire. Quant au politique, il doit se garder de toute ingérence dans le fonctionnement de celui-ci.
Les inéligibilités liées aux fonctions occupées, prévues par le code électoral, sont l'illustration de la volonté du législateur et de la société de ne pas voir le juge prendre part au débat politique. Certes, nous pouvons encore progresser en la matière et le rapport de la commission d'enquête ébauche à cet égard de nombreuses pistes.
Pour couper court à tout débat et légitimer dans sa fonction le ministre de la justice, garde des sceaux, nous avons proposé que sa nomination intervienne sur proposition, et après avis conforme à la majorité des trois cinquièmes, des commissions parlementaires compétentes. Ce système, déjà éprouvé, permettrait d'asseoir la légitimité du ministre de la justice dans sa mission qui est la sienne sur la reconnaissance de ses qualités par la représentation nationale.
Il faut d'autre part lever définitivement la confusion induite par l'illisibilité entre le parquet et le siège : la formation, un statut et des robes identiques, ainsi que des carrières faites de passage de l'un à l'autre des postes, parfois dans la même juridiction, ne sont pas de nature à permettre aux justiciables de comprendre notre système. Le progrès en matière d'indépendance de la justice passera donc par l'absence de transversalité entre le parquet et le siège, par la distinction des formations et par celle des carrières.
Enfin, l'indépendance dans l'exercice de la mission est, seule, susceptible d'engendrer la confiance du peuple dans l'institution, confiance qu'il ne peut lui accorder aveuglément. Pour couper court aux doutes, à la défiance et aux fantasmes, l'institution judiciaire doit se montrer responsable et transparente. Parce que rendre la justice au nom du peuple français implique un peu de pédagogie et beaucoup de transparence, nous avons ainsi proposé l'organisation de débats départementaux, au cours desquels, dans un souci de proximité, les magistrats viendraient, devant des citoyens tirés au sort sur les listes électorales, rendre compte de leur activité annuelle et l'expliquer, ce qui permettrait de les rassurer.
Le sujet est inépuisable, mais il est déterminant pour la paix sociale, qui requiert non une justice politique, non une république des justes, mais simplement une justice républicaine indépendante et rendue au nom du peuple.
Tandis que je préparais cette intervention, me sont venus à l'esprit les mots d'un homme qu'il peut paraître incongru de citer ici mais qui illustrent parfaitement l'indispensable confiance qui doit exister entre le juge, le politique et les hommes : « Ne demandez pas à un homme d'être raisonnable quand, justement, la justice et le gouvernement ne le sont pas » disait Jacques Mesrine.
Sourires.
En cette année qui débute, je forme donc le voeu que nous puissions travailler ensemble et dans la sérénité, monsieur le ministre, pour une justice impartiale, indépendante, digne de confiance et toujours mieux comprise.
Je voudrais commencer par féliciter le président Ugo Bernalicis et le rapporteur Didier Paris pour leur excellent travail en commun, qui a permis à la commission de se dérouler dans les meilleures conditions.
La commission d'enquête s'était donné pour objectif « d'identifier et d'étudier l'ensemble des obstacles auxquels peut être confrontée la justice dans son fonctionnement quotidien », et d'aboutir à des « propositions afin de garantir pleinement l'indépendance de la justice ». Cette mission a été accomplie : le rapport d'enquête de notre collègue Didier Paris constitue une contribution remarquable au service de la justice française.
Nous le savons tous, l'objet de cette commission était particulièrement délicat. Nous avons pu le voir au travers des auditions que nous avons menées et qui ont remis certaines affaires politico-financières sous le feu des projecteurs. En effet, enquêter sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire revient à enquêter sur les soupçons pesant sur des magistrats et sur leur neutralité vis-à-vis des responsables politiques.
C'est pourquoi il s'agissait pour la commission d'enquête de démêler le vrai du faux, de distinguer les liens réels des liens fantasmés qu'elle entretient avec le pouvoir politique. Nos travaux nous ont permis de conclure que notre justice était globalement indépendante et qu'en ce sens, elle garantissait correctement notre État de droit. Cependant, nous avons également mis en lumière plusieurs points, trois en particulier, qui sont à améliorer.
Tout d'abord, il est apparu indispensable de renforcer l'indépendance institutionnelle et statutaire de la justice car, si personne ne remet en cause l'indépendance des magistrats du siège, celle des magistrats du parquet est régulièrement contestée. Le rapport émet ainsi la proposition d'aligner le mode de nomination et la procédure disciplinaire des magistrats du parquet sur ceux des magistrats du siège. Le groupe Mouvement démocrate (MoDem) et démocrates apparentés salue cette proposition qui permettrait de renforcer les garanties de l'indépendance des magistrats du parquet, sans avoir à renoncer à la conception française du ministère public.
Le deuxième point concerne l'indépendance financière de la justice, qui est une condition de son indépendance effective. De fait, les auditions ont révélé la difficulté pour les magistrats de travailler sereinement lorsque les dossiers s'accumulent et qu'ils ne sont pas assez nombreux pour les traiter ou qu'ils ne disposent pas du matériel adéquat. La rapidité de la justice dépend, entre autres, de la maîtrise par les juridictions de leur budget, et notre groupe soutient donc les propositions en ce domaine.
En troisième lieu, le rapport appelle à davantage de transparence, pour une plus grande indépendance de la justice. Cela passe notamment par une clarification des relations avec le pouvoir exécutif. Les instruments de la conduite de la politique pénale définie par le Gouvernement et mise en oeuvre par le parquet méritent en particulier d'être précisés.
Le rapport invite notamment à un meilleur encadrement des remontées d'informations, dont il a été beaucoup question lors des auditions. Il existe une simple circulaire, qui date de 2014 et qui est insuffisante. C'est pourquoi le groupe démocrate soutient la proposition du rapporteur d'inscrire dans la loi les conditions de ces remontées d'informations.
Le cas particulier du parquet national financier a été au coeur des discussions, en particulier les propos de l'ancienne procureure nationale, qui a déclaré lors de son audition avoir subi des pressions de la part de sa supérieure hiérarchique. Sans remettre en cause son efficacité et son placement sous l'autorité hiérarchique du procureur général de Paris, le rapport propose qu'une réflexion soit menée sur la façon d'améliorer les relations entre ce parquet et les parquets locaux. En outre, des affaires récentes ont montré la nécessité de renforcer les droits de la défense. À ce titre, le rapport propose l'établissement d'un cadre procédural spécifique à l'exploitation des fadettes : notre groupe y est favorable.
Enfin, il faut que nous soyons conscients qu'à côté des pressions politiques et économiques, les pressions médiatiques constituent elles aussi une menace pour l'indépendance de la justice. Il est parfois difficile pour les magistrats de résister à l'impact médiatique des décisions importantes.
Notre groupe soutient donc la proposition du rapport visant une meilleure formation des magistrats aux pressions médiatiques et un contrôle plus strict du secret de l'enquête.
Cette commission a permis d'examiner le fonctionnement de la justice ; les personnes auditionnées, y compris les plus hauts magistrats, ont pu s'exprimer librement. Le groupe démocrate est attaché à l'indépendance des magistrats, juges indépendants et impartiaux ; il est donc favorable aux propositions contenues dans le rapport.
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem – M. Didier Paris applaudit également.
Notre pays est la terre présumée de la liberté et du respect des droits de l'homme : la question de l'indépendance de la justice y prend une résonance particulière en matière d'exigence. La commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire a conclu ses travaux par quarante et une propositions, qui appellent les observations du garde des Sceaux. Elle a réalisé un très beau travail. Je salue Ugo Bernalicis, son président, et Didier Paris, son rapporteur. Ce dernier a raison de rappeler que nous devons être fiers des acteurs de la justice.
Que dire, sinon que cette commission d'enquête, au-delà des affaires politico-judiciaires dont les médias se sont emparés, dresse le même constat et tend vers les mêmes objectifs que ceux exprimés depuis une décennie par de nombreux groupes de travail, commissions, conférences de consensus et ouvrages, tous plus argumentés les uns que les autres. Citons le rapport dirigé par Claude Bartolone et Michel Winock, dans la suite de la mission parlementaire sur les institutions, au cours de la précédente législature, qui consacre des pages à une justice qui peine à affirmer son indépendance et qui fait l'objet de fortes attentes et de vives critiques non seulement au pénal, mais aussi au civil. Citons aussi la dernière édition de l'excellent ouvrage de procédure pénale de Serge Guinchard et Jacques Buisson, que j'ai eu l'occasion de consulter.
Poser la question de l'indépendance de la justice, c'est d'abord répondre à la question de sa capacité à garantir un égal accès au service public de la justice, dans la confiance et dans la célérité. Or le problème de la justice est son budget. Cette faiblesse se traduit par un nombre de juges et de procureurs très loin des niveaux européens, et par des procédures qui répondent davantage au souci de l'économie budgétaire qu'à celui de l'indépendance de la justice.
Six points sont soumis à votre analyse, monsieur le ministre. D'abord, l'indépendance de la justice exige une réforme constitutionnelle, on le sait tous : un alignement du statut des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège s'impose. Un projet de loi constitutionnelle vous attend, monsieur le garde des sceaux : ne pourriez-vous pas le reprendre et permettre au CSM de se prononcer sur l'ensemble des candidatures des magistrats du siège comme du parquet ? C'est la première proposition.
Le parquet se voit confier des prérogatives de plus en plus importantes ; il peut mener des enquêtes avec quasiment les mêmes pouvoirs qu'un juge d'instruction, sans le consentement de l'intéressé, avec la seule contrainte, parfois, du juge des libertés et de la détention – JLD. La loi de 2019, comme celle de 2016, accentue ce mouvement au profit du procureur, qui peut étendre ses enquêtes sans être obligé d'ouvrir une information judiciaire. La CEDH – Cour européenne des droits de l'homme – refuse le statut de magistrat aux procureurs. Si nous savons leur excellence sur le terrain et leur volonté de travailler dans l'impartialité, il faut toutefois revoir les procédures de nomination et de gestion des carrières pour les confier au CSM.
La deuxième observation est la suivante : il faut mettre un terme à l'enquête préliminaire qui peut durer des années et traduit un attachement du parquet à conserver l'entièreté du pouvoir, alors que l'information judiciaire ouvre le contradictoire. Un juge de l'enquête doit être créé – c'était une proposition de Didier Paris – , à même de recueillir les demandes des parties et de décider de la prolongation d'une enquête. Telle est la teneur des propositions nos 21, 29 et 31.
Troisième observation : les droits de la défense doivent être introduits au coeur de l'enquête préliminaire. Il est de plus en plus difficile d'admettre que le citoyen ne connaisse rien du dossier qui l'accuse, que la décision de mesures d'instruction intrusives pour les besoins de l'enquête, attentatoires à la vie privée d'une des parties et souvent à charge, ne puisse être conditionnée à un débat contradictoire. Il s'agit de réorganiser les rapports du parquet et de l'avocat, lequel doit devenir un acteur fort de la procédure.
Quatrième observation : l'indépendance et l'impartialité du magistrat dépendront d'abord de sa force personnelle et de sa détermination à résister aux influences venues de toutes parts. La diffusion d'une culture déontologique en soutien à cette impartialité est bien admise par les magistrats, à travers la réflexion générée par les déclarations d'intérêts qui doivent comporter des éléments d'information similaires à ceux demandés aux magistrats administratifs. Ce sont les propositions nos 9 et 10.
Les affaires pendantes du PNF posent la question des remontées d'informations : cela a été dit. Les propositions nos 24 et 25 traitent le sujet. Le taux élevé des plaintes classées sans suite interroge : il résulte des chiffres clés de la justice publiés en 2020 que 64 % des affaires reçues sont classées non poursuivables. La question de l'efficacité et de la protection attendue de la justice dépasse ici la question de son indépendance, mais participe de la défiance. Nous y reviendrons, notamment dans le projet de loi sur le séparatisme.
En conclusion, le pénal, dont il a été fortement question lors des auditions, ne doit pas nous faire oublier que la justice du quotidien – justice commerciale, prud'hommes, justice des mineurs, justice des pauvres dont parle si bien Pierre Joxe – , doit aussi être questionnée selon des préoccupations d'indépendance et d'impartialité. Monsieur le ministre, je pense que vous partagez notre analyse.
La responsabilité du juge, dont il a été peu question, et l'exigence qui entoure son office dès lors qu'il est source de droit, sont indissociables de celles de l'indépendance et de l'impartialité qui nous ont préoccupés dans le cadre de cette enquête. Je vous remercie, monsieur le garde des sceaux, des réponses que vous voudrez bien nous apporter.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
Tout d'abord, je tiens à saluer le travail accompli par le président de la commission d'enquête, M. Ugo Bernalicis, qui a piloté une large batterie d'auditions, afin de mettre à notre disposition un contenu riche et varié, faisant état des obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire. Même si nous avons des désaccords, parfois profonds, sur les moyens et les outils à déployer en la matière, le groupe Agir ensemble tient à souligner que la commission d'enquête a permis de conforter des positions que nous avons en commun.
Je ne vais pas revenir sur les différents éléments de contextualisation et sur les motivations qui ont légitimé une enquête sur les éléments obstruant l'indépendance du pouvoir judiciaire : l'essentiel a été rappelé par les précédents orateurs. Je tiens à consacrer ce temps de parole à éplucher quelques propositions du rapporteur Didier Paris, dont je salue aussi le travail qui mérite à mon sens d'être analysé par le ministère, voire consacré dans le marbre législatif.
Nous ne pouvons que souscrire à la proposition d'obliger les magistrats judiciaires à déclarer leurs fonctions bénévoles susceptibles de faire naître un conflit d'intérêts, ainsi que les fonctions et mandats électifs exercés par leur conjoint. Cette obligation ne souffrirait d'aucun obstacle, dans la mesure où elle s'impose aux magistrats administratifs. Bien que la déclaration d'intérêts constitue une garantie de transparence, un manquement de rubrique altère sa légitimité. Il serait donc bienvenu que ce déséquilibre entre les deux branches de la magistrature soit corrigé.
Nous souscrivons aussi à la proposition de créer une mission consacrée uniquement à la justice judiciaire dans la maquette budgétaire. C'est une demande formulée par plusieurs acteurs, notamment, sur mon territoire, par le barreau de Douai que je tiens à saluer. Cette modification de la maquette permettrait à ces professionnels d'avoir une meilleure visibilité des fonds alloués aux différents programmes découlant de la justice judiciaire.
Le groupe Agir ensemble souscrit à la proposition visant à soumettre pour avis l'avant-projet de budget de la justice au Conseil supérieur de la magistrature. Bien que chaque rapporteur pour avis d'une mission de ce budget ait pour habitude d'auditionner cette instance, cette piste mérite d'être concrétisée, afin de mettre fin à une segmentation des analyses. Les parlementaires ont besoin – je dirais même, sont demandeurs – d'un avis transversal et détaillé du Conseil supérieur de la magistrature. Cette expertise globale nous permettrait d'affiner nos approches d'un document très technique qui a des incidences quotidiennes sur le réseau juridique et judiciaire de notre pays.
Je tiens enfin à m'attarder sur une proposition du président de la commission d'enquête : la tenue d'un débat annuel sur la jurisprudence dans les commissions permanentes des chambres parlementaires, sur la base des rapports d'activité de la Cour de cassation et du Conseil d'État. Ce débat permettrait au législateur d'apprécier les évolutions jurisprudentielles devant être précisées ou non dans la loi. À titre d'illustration, certains articles du code pénal relatifs à la répression des violences commises sur les animaux manquent de précision. Régulièrement la jurisprudence apporte des précisions qui peuvent aggraver ou assouplir les prismes juridiques. Je retiens aussi l'exemple des litiges en matière de recours aux généalogistes lors des recherches de successeurs : ayant travaillé sur le sujet, l'analyse de la jurisprudence se révèle tortueuse et touffue, parce que ponctuée de revirements qui perturbent tout un pan de la profession, notamment les notaires. Cette proposition mérite clairement d'être étudiée, car elle contribue concrètement à apporter de la visibilité aux justiciables et au monde de la justice.
En conclusion, je réitère la satisfaction du groupe Agir ensemble : le travail de cette commission d'enquête a pu enrichir et consolider des positions partagées par des parlementaires issus des différents groupes.
Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens.
Le sujet de l'indépendance de la justice revient régulièrement dans l'actualité, souvent d'ailleurs à l'occasion d'affaires qui sont caricaturées. De notre point de vue, il ne fait pas l'objet d'une réflexion de fond suffisante. L'indépendance de la justice est évidemment une nécessité pour que les citoyens puissent avoir confiance en elle ; sans confiance, la justice rendue en leur nom finit par rater son objectif, celui de contribuer à la régulation de la société. Et s'il est détestable, pour un juge, un magistrat, un corps, de rendre des comptes à des responsables politiques, même si c'est – hélas ! – une tradition ancienne dans notre pays, il est tout aussi détestable de ne plus rendre de comptes du tout.
C'est cette réflexion que je voudrais développer devant vous, monsieur le garde des sceaux, et devant l'Assemblée nationale. Depuis des années, on se dit – il y a là-dessus un consensus mou – qu'il suffirait d'avoir l'avis conforme du CSM – qui dans les faits est respecté – et de le graver dans le marbre constitutionnel. Mais la réalité, c'est qu'au moins pour la politique pénale, la magistrature – le parquet – doit rendre des comptes au garde des sceaux. Celui-ci est l'émanation, à travers le Gouvernement, de l'Assemblée nationale, d'une majorité choisie par les citoyens.
Si demain l'indépendance de la justice était absolue, le corps judiciaire finirait par tourner sur lui-même, ne se rendant de comptes qu'à lui-même. C'est tout aussi dangereux que de laisser les magistrats rendre des comptes au pouvoir politique.
La justice est rendue au nom du peuple français et non pas au nom d'un corps, fût-il aussi honorable que celui de la magistrature. Ce corps, lorsqu'il rend la justice, doit aussi pouvoir rendre des comptes au peuple, soit dans les poursuites – je parle de la politique pénale – , soit également – on n'en parle jamais – dans les jugements. Il est assez difficile de comprendre pourquoi un agresseur qui traînerait une vieille dame de 80 ans derrière une mobylette ou un scooter ne subirait pas la même peine selon qu'il serait confronté à un magistrat de Seine-Saint-Denis ou à un magistrat de Guérande ou de Mazamet. L'appréciation de la gravité des délits et des crimes ne serait en effet pas la même. Ce débat mérite bien sûr d'être tenu non seulement entre magistrats – l'observation des jurisprudences le permet d'ailleurs – , mais également avec celles et ceux devant qui les magistrats doivent pouvoir rendre des comptes.
Je ne sais pas quelle est la bonne solution, monsieur le ministre, mais je pense qu'elle est à inventer et qu'il faut d'abord ouvrir ce débat politique. Le groupe La France insoumise propose que l'Assemblée nationale le tienne, pour ce qui concerne le parquet : soit. Cela présenterait le seul intérêt d'un débat plus collectif. Je pense toutefois que ce ne serait pas suffisant et que d'autres formes de démocratisation de l'indépendance de la justice sont nécessaires. Nous sommes opposés évidemment à l'élection des magistrats, mais il faut cependant trouver des lieux de rencontres, de débat et de dialogue entre la magistrature et le peuple français.
Je fais remarquer au passage que si nous voulons réviser la Constitution – ces affaires du CSM et de la CJR traînent depuis 2008 – , nous en avons l'occasion extraordinaire, puisque le Président de la République a décidé de convoquer le peuple français par référendum. Quitte à modifier la Constitution pour l'environnement, ce qui manifestement ne fait grief chez personne, saisissons l'occasion de la réviser « en même temps » sur ces deux sujets consensuels. Cela nous permettrait d'avancer plus rapidement.
J'ai évidemment lu les conclusions du rapport que vous avez réalisé. Selon le groupe UDI et indépendants, il faut tout d'abord parvenir à ouvrir la justice sur la société. J'ai déjà évoqué la capacité d'échange et la nécessité de rendre des comptes. Je souhaite également mettre en avant la proposition no 40 du rapport de la commission d'enquête d'augmenter le nombre de places offertes aux deuxième et troisième concours : cela permettrait d'élargir les capacités, si je puis me permettre cette expression.
Lors de votre prise de fonction, vous avez indiqué, monsieur le garde des sceaux, qu'il fallait modifier la filière de formation et vous avez raison. Ce serait une bonne chose pour les magistrats eux-mêmes, permettant d'aérer la magistrature, si j'ose cette expression. Certains magistrats sont d'ailleurs demandeurs de cette réforme, même s'il ne s'agit peut-être pas de la majorité d'entre eux.
Il faut multiplier les passerelles entre les postes des magistrats du parquet, des magistrats du siège et l'extérieur. Nous concevons difficilement le fait qu'un magistrat, élève doué passé par l'École nationale de la magistrature, puisse se mettre à juger l'ensemble de la société française sans avoir eu la chance, l'occasion ou le plaisir, en tout cas l'expérience consistant à y exercer d'autres fonctions que celle de juger ses concitoyens. De plus, cette disposition offrirait la possibilité, comme cela est le cas dans d'autres pays, de commencer par faire autre chose, d'avoir le statut de magistrat mais de voir d'autres choses que ces lieux fermés – souvent trop fermés – que sont les tribunaux.
Enfin, pour qu'une justice soit crédible, il faut qu'elle soit efficiente. Et pour qu'elle soit efficiente, il faut qu'elle dispose des moyens humains et matériels. On a beaucoup applaudi les soignants et les caissières de Carrefour, parce que ces personnes ont fait des choses extraordinaires pendant le confinement. Je tiens pour ma part à souligner que c'est en réalité tous les jours que nous devrions applaudir les acteurs de la justice dans notre pays.
Le Gouvernement a décidé de reconstruire en grande partie le tribunal de Bobigny, situé dans ma circonscription, et je l'en remercie. Cependant, dans tous les tribunaux de France, du moins dans beaucoup d'entre eux, ces petites mains de la justice réalisent des exploits tous les jours, dans des conditions invraisemblables. Le président et le rapporteur de la commission d'enquête s'en sont bien évidemment rendu compte.
Je conclurai en disant que, si l'augmentation crédits pour 2021 est une bonne chose – le groupe UDI et indépendants l'a d'ailleurs approuvée – , la question est celle de la trajectoire : une année budgétaire ne suffira pas à rattraper les quarante ans de renoncement à la justice et aux moyens dont celle-ci a besoin dans notre pays.
M. Philippe Michel-Kleisbauer applaudit.
Je voudrais tout d'abord exprimer une pensée très émue à l'occasion du décès de Mme de Sarnez, intervenu hier.
L'indépendance de la justice n'est pas une valeur ou un principe incantatoire : elle n'est ni plus ni moins que le fondement de notre État de droit. Elle est la conséquence de la séparation des pouvoirs et, surtout, la condition indispensable à la garantie des droits et libertés de chacun. Tout au long de ma carrière professionnelle d'avocat, et plus encore aujourd'hui dans le cadre des responsabilités qui sont les miennes, j'ai toujours veillé à accorder la plus grande considération à ce principe.
Je suis donc très honoré de débattre devant la représentation nationale des conclusions de votre rapport, monsieur Paris. Je tiens à en saluer d'emblée la qualité, s'agissant tant de l'analyse que des propositions. Cela ne signifie pas, bien sûr, que nous soyons d'accord sur tout !
Comme vous le savez, c'est le constat d'un manque de confiance des citoyens vis-à-vis de l'institution judiciaire qui a justifié les travaux de la commission d'enquête. Or, comme je l'ai indiqué dans le cadre de ma circulaire de politique pénale générale du 1er octobre 2020, la restauration du lien entre les Français et la justice est un enjeu absolument majeur. Celle-ci passe non seulement par une meilleure compréhension de l'action de la justice, mais également par une évolution du fonctionnement institutionnel. Il faut écarter tout doute sur l'impartialité des décisions rendues.
Le rapport de la commission d'enquête est riche et formule quarante et une propositions. Je vous le redis : j'en partage un certain nombre qui sont, pour plusieurs d'entre elles, d'ores et déjà prises en compte par le ministère de la justice. D'autres propositions doivent toutefois être, selon moi, appréhendées avec attention et prudence, tant elles sont susceptibles d'affecter l'équilibre des droits, des intérêts publics et privés et des pouvoirs.
Tout d'abord, je partage avec le rapporteur l'ambition que l'autorité judiciaire dispose de moyens adaptés pour son fonctionnement et pour les enquêtes dont elle a la charge. C'est pourquoi j'ai veillé à ce que les moyens alloués à la justice soient, encore une fois, nettement augmentés. En 2021, les services judiciaires bénéficient d'un budget important, en nette augmentation, de plus de 8 % par rapport à 2020. Je vous sais gré, mesdames et messieurs les députés, d'avoir entendu mon plaidoyer de défense de ce budget, en votant pour le projet de loi de finances.
Certaines des propositions du rapport de la commission d'enquête ont pour objet d'associer les juridictions au dialogue budgétaire. Je voudrais à cet égard rappeler la portée du principe constitutionnel énoncé par l'article 20 de notre Constitution, qui confie au Gouvernement la détermination et la conduite de la politique de la nation. S'agissant du budget de la justice, c'est donc au garde des sceaux qu'il revient de conduire les échanges avec le ministre de l'économie, des finances et de la relance, de soutenir la demande budgétaire devant le Parlement et de répondre de son exécution.
Le rapport propose également une scission du budget de la justice en deux missions, l'une qui concernerait le fonctionnement des juridictions, et l'autre qui regrouperait les moyens touchant aux politiques publiques périphériques à la justice. Je ne suis pas convaincu par cette proposition, ce pour trois raisons.
La première d'entre elles est que l'autorité judiciaire, pour conduire à bien ses missions, a nécessairement besoin de l'action des autres acteurs du ministère de la justice et des services qui concourent à la préparation ainsi qu'à l'exécution de ses décisions. Il m'est inconcevable que l'on qualifie de périphériques les missions confiées à la protection judiciaire de la jeunesse et à l'administration pénitentiaire.
Deuxièmement, nous avons la nécessité de conserver la cohérence de l'examen du budget du ministère de la justice par le Parlement, pour lui permettre d'avoir une vision complète.
La troisième raison tient à la nécessité de la transversalité des fonctions support du ministère de la justice. Je pense notamment aux moyens informatiques, qu'il convient de mutualiser entre les différents métiers de la justice pour gagner en efficacité.
Ensuite, dans le but de renforcer la confiance de nos concitoyens dans l'autorité judiciaire, certaines règles encadrant le statut, la déontologie et le recrutement des magistrats doivent être modifiées. Je vous l'accorde très volontiers. Un certain nombre d'entre elles nécessitent toutefois une révision constitutionnelle.
Il en va ainsi de l'extension des pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature et, plus précisément, de l'évolution du statut des magistrats du parquet vers celui des magistrats du siège, concernant les conditions de nomination et les conditions dans lesquelles peuvent être sanctionnés leurs manquements disciplinaires.
D'autres recommandations visent à accorder un pouvoir de proposition au CSM pour les emplois de procureur général et de procureur de la République. Je note tout d'abord que certains, parmi ceux qui contestent aujourd'hui les conditions de nomination, ne le faisaient pas hier, lorsqu'ils ont été nommés.
Mme Naïma Moutchou sourit
Je note également que les procureurs généraux n'y sont majoritairement pas favorables.
Cette orientation me semble surtout poser des difficultés au regard de la dualité de missions confiées aux magistrats du parquet. Ceux-ci sont soumis aux mêmes devoirs d'impartialité que les magistrats du siège et développent librement à l'audience les observations « qu'ils croient convenables au bien de la justice », pour reprendre la formule du code de procédure pénale. Ils sont aussi chargés de la mise en oeuvre de la politique pénale, qui participe des politiques publiques du Gouvernement et qui relève de la responsabilité exclusive du garde des sceaux.
Concernant les autres propositions de réforme constitutionnelle, je suis très partagé. Je peux ainsi vous rejoindre sur la proposition consistant à inscrire dans la Constitution que le Conseil supérieur de la magistrature peut se saisir d'office de toute question relative à l'indépendance de l'autorité judiciaire. Je rejoins également la proposition de la commission d'enquête de renforcer les pouvoirs d'investigation du CSM, à quelques nuances près.
En revanche, je ne partage pas la proposition visant à inscrire dans la Constitution que tout magistrat pourra saisir le CSM s'il estime que son indépendance ou son impartialité est mise en cause. Cela entrerait, en effet, en contradiction avec des mécanismes qui existent déjà : les magistrats ont la possibilité de saisir le collège de déontologie des magistrats de l'ordre judiciaire, sur toute préoccupation d'ordre déontologique.
J'ai toujours dit que l'indépendance ne peut pas être synonyme d'irresponsabilité. Je considère que les garanties statutaires accordées doivent être consolidées, par un renforcement des obligations déontologiques et du régime de responsabilité des magistrats. Voulez-vous quelques chiffres ? Depuis 2015, 1 369 justiciables ont adressé une plainte au Conseil supérieur de la magistrature : trente-neuf d'entre elles ont été déclarées recevables, trois ont abouti à une procédure disciplinaire : zéro, vous m'entendez bien, zéro condamnation.
Je n'ai pas les chiffres antérieurs, mais je pourrai les fournir. J'ajoute d'ailleurs que le Président de la République a demandé au Conseil supérieur de la magistrature de réfléchir à la question de la responsabilité. À ce jour, nous attendons toujours les résultats de ces travaux, mais je ne doute pas un instant qu'ils interviendront très rapidement.
Rien ne justifie, en effet, que la déclaration d'intérêts des magistrats de l'ordre judiciaire soit moins complète que celle des magistrats administratifs ou financiers. Nous sommes parfaitement d'accord sur ce point, madame Untermaier.
J'approuve également la proposition consistant à modifier le serment des magistrats, considérant, comme vous, qu'il doit se référer à l'impartialité, qui est évidemment consubstantielle à l'office du juge. En miroir de cette modification du serment, vous proposez que la définition de la faute disciplinaire, prévue à l'article 43 de l'ordonnance statutaire, soit complétée pour viser expressément le manquement à l'impartialité : il en est de même du manquement à l'intégrité et à la probité, c'est évident.
Enfin, vous me savez d'avance acquis à une ouverture du corps des magistrats, dans le cadre de la politique de recrutement du ministère. C'est dans cet esprit que j'ai nommé une avocate à la tête de l'École nationale de la magistrature. C'est aussi dans cet esprit que je me réjouis pleinement de la nomination d'un haut magistrat à la tête de la première école de formation des barreaux de France.
Des réflexions sur les modes de recrutement latéraux dans la magistrature doivent également être engagées.
Enfin, vous avez formulé des propositions relatives à la justice pénale. Certaines ont d'ores et déjà été prises en considération par mon ministère ; d'autres, me semble-t-il, doivent toutefois être appréhendées avec attention et prudence.
Ainsi en est-il de la proposition tendant à renforcer le contrôle du Parlement sur la conduite de la politique pénale décidée par le Gouvernement et menée par la chancellerie. J'ai indiqué, dans ma circulaire de politique pénale générale du 1er octobre 2020, mon intention de publier chaque année le rapport sur l'application de la politique pénale prévu à l'article 30 du code de procédure pénale et d'en rendre compte devant la représentation nationale.
L'indépendance de la justice doit aussi être assurée par une amélioration de son fonctionnement. Cela suppose une meilleure maîtrise des procédures et une plus grande transparence de son action. Or la transparence passe nécessairement par la recherche d'un meilleur équilibre entre droit à l'information et secret de l'enquête et de l'instruction. C'est pourquoi je partage votre volonté de réformer l'enquête préliminaire. Vous le savez, des réflexions sont en cours pour vous proposer un projet de loi avant l'été. Je sais, cher Didier Paris, que ce sujet vous est particulièrement cher, et je tiens à vous remercier pour votre implication et vos propositions en la matière.
La transparence de la justice doit donner à voir et ne doit pas être entamée par la question, souvent abordée de manière polémique et suscitant de nombreux fantasmes, de la remontée d'informations. Ses détracteurs y voient une immixtion de l'exécutif dans l'action judiciaire. Pourtant, cette information reste indispensable à la conduite de la politique pénale…
… et obéit au souci de veiller au bon fonctionnement de l'institution judiciaire. Elle permet également au garde des sceaux de répondre de son action devant vous, mesdames et messieurs les députés, comme il le fait aujourd'hui dans le cadre de la semaine de contrôle. Je puis vous assurer que la remontée d'informations telle qu'elle est pratiquée s'inscrit pleinement dans un cadre raisonné. La direction des affaires criminelles et des grâces – DACG – procède déjà à un tri visant à la limiter et à la rationaliser. La pratique de la remontée d'informations ainsi mise en oeuvre m'apparaît à ce jour satisfaisante, ce qui conduit à reconsidérer l'intérêt d'une définition normative de ses critères.
Je vous remercie pour votre attention et suis naturellement à votre entière disposition pour répondre à toutes les questions que vous voudrez bien poser.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM. – Mme Untermaier et M. Vincent Bru, Jean-Pierre Cubertafon, Jean-Christophe Lagarde et Paul Molac applaudissent également.
Nous en venons effectivement aux questions.
Je rappelle que leur durée, de même que celle des réponses, est limitée à deux minutes, et qu'il n'y a pas de droit de réplique.
La parole est à Mme Danièle Obono.
Dans une étude récente, achevée en novembre 2019 et intitulée L'âme du corps, La magistrature française dans les années 2010, les sociologues Yoann Demoli et Laurent Willemez ont montré le caractère persistant du manque de diversité dans l'origine sociale des magistrats et magistrates, parlant même de carences. Toutes les professions de la haute fonction publique et les hauts cadres du privé sont marqués par cette reproduction endogame des couches sociales les plus aisées, mais le phénomène est plus fort encore dans la justice. « Esprit de corps et constitution de réseaux sont au coeur du recrutement des magistrats », lui-même « fondé sur une logique élitiste », notent les chercheurs.
Si des réformes importantes ont été menées pour diversifier le recrutement à l'École nationale de la magistrature, celle-ci ne saurait, à elle seule, corriger les inégalités économiques, sociales et culturelles qui pèsent sur les individus depuis le commencement et durant toute leur scolarité. Le poids des préparations privées dans l'accès aux fonctions de magistrat ou magistrate est disproportionné et contribue au maintien du caractère peu démocratique et peu diversifié de l'accès à la magistrature.
Certes, mais c'est sur concours !
Il s'agit d'un débat essentiel. Nous sommes inquiets et inquiètes des propositions formulées en janvier 2020 par la mission haute fonction publique, menée par Frédéric Thiriez. La formation commune de six mois proposée entre les grandes écoles de formation de fonctionnaires – cadres de santé, policiers, magistrats et ingénieurs de l'État issus de l'X, des Mines ou des Ponts – et les trois semaines de préparation militaire envisagées seraient contraires à l'exigence d'indépendance que requiert la magistrature et méconnaîtraient le fonctionnement de l'ENM.
Il nous paraît essentiel, au contraire, de maintenir l'ENM pour garantir un haut niveau de formation et l'indépendance du corps. Le rapport formule plusieurs propositions à ce sujet : « renforcer les moyens des préparations publiques que sont les instituts d'études judiciaires sur l'ensemble du territoire » ou encore « [limiter] les relations de l'École nationale de la magistrature avec les instituts privés de formation afin d'assurer l'égalité républicaine d'accès à la magistrature ». Je souhaiterais savoir ce que le ministère de la justice entend mettre en oeuvre en la matière.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Je suis venu devant la représentation nationale pour discuter d'un rapport que j'ai lu et qui m'a passionné. Vous nous soumettez des propositions
M. Vincent Bru sourit
qui n'ont pas été préalablement évoquées ni débattues. C'est une façon singulière, madame la députée, d'envisager le contradictoire. Je ne suis pas en mesure de répondre à vos questions.
Exclamations sur les bancs du groupe FI.
Si vous ne faites rien, il faut le dire ! Faites votre travail ! C'est incroyable !
Le présent débat m'amène à évoquer une affaire que vous connaissez bien, monsieur le garde des sceaux. Dans cette affaire, il est plus que légitime de s'interroger sur les motivations qui ont pu conduire le Premier ministre à ne pas lever le statut de détenu particulièrement signalé – DPS – de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, alors qu'aucun élément objectif ne justifie son maintien.
Cela fait vingt et un ans que les intéressés sont détenus dans une maison centrale de la région parisienne, loin de leurs familles, qui en payent les frais exorbitants, dans tous les sens du terme. Depuis quatre ans, ces hommes sont pourtant « conditionnables » et espèrent à tout le moins un rapprochement familial, ce que permet strictement la loi.
Toutefois, la levée du statut de DPS leur est systématiquement refusée, ce qui empêche tout rapprochement, alors même qu'ils ne posent aucun problème de discipline, absolument aucun : ils sont jugés exemplaires depuis le début de leur incarcération. D'ailleurs, les commissions locales, puis nationales, compétentes en la matière ont, de manière répétée, émis des avis favorables. De tels avis sont généralement suivis par les autorités, mais dans ce dossier-là, manifestement, rien n'est normal : l'autorité judiciaire s'y oppose systématiquement.
Le ministère de la justice – notamment sous l'égide de Mme Belloubet, puis sous celle du Premier ministre depuis votre déport opportun, monsieur le garde des sceaux – justifie habituellement ces refus par un risque potentiel d'évasion, pourtant complètement lunaire, s'ils étaient transférés à Borgo, par un prétendu trouble à l'ordre public ou, pis encore, par « une médiatisation de leur éventuel rapprochement ». En clair, c'est l'arbitraire absolu.
Comment voulez-vous que la société insulaire ne perçoive pas ici un acharnement, une vengeance d'État ? En l'espèce, une décision de justice est clairement bafouée par l'immixtion du pouvoir exécutif, qui ne se cache même plus.
La Corse tout entière respecte la douleur de la famille Érignac. La justice est passée ; des hommes ont été condamnés ; leur peine, au bout de vingt-deux ans, a été effectuée. Ces hommes ont des droits, leurs familles ont des droits. Dans une démocratie, nous le savons tous, la justice ne peut supporter en aucun cas la vengeance d'État. Il faut donc que cette situation cesse sans tarder, sous peine de provoquer une profonde colère qui ne peut conduire elle-même qu'à la révolte, ce que personne ne souhaite. Face à cela, que comptez-vous faire ?
MM. Ugo Bernalicis, Paul Molac et Bruno Questel applaudissent.
Je précise que cette question n'est pas abordée non plus dans le rapport !
Vous aviez bien voulu me faire passer votre question, monsieur Acquaviva. J'entends dans mon dos des murmures m'indiquant que le sujet n'est pas abordé dans le rapport, mais je vais vous répondre.
D'abord, ce que vous avez dit sur le plan factuel est parfaitement exact. Ensuite, nous sommes d'accord sur le fait que les décisions relatives au statut de DPS sont non pas juridictionnelles, mais administratives. Enfin, vous savez qu'à raison des faits que j'ai eu à connaître en ma qualité d'avocat de ce dossier, même s'il ne s'agissait pas des condamnés que vous avez évoqués, il ne m'est pas possible d'intervenir. C'est le sens d'un décret qui a été pris, qui laisse sur cette question la main au Premier ministre.
Dès lors, monsieur Acquaviva, je ne peux pas en dire plus. Je serais taxé, par ceux qui n'attendent que cela, de je ne sais quel nouveau conflit d'intérêts.
La question que vous avez posée mérite d'être posée. Vous avez rappelé un certain nombre d'éléments qui sont parfaitement vrais. Mais ce n'est pas à ma main ; je pense que vous le savez, monsieur le député.
M. Bruno Questel applaudit.
Dans votre propos liminaire, monsieur le garde des sceaux, vous avez insisté sur l'impérieuse nécessité, dans une démocratie, dans une République, de veiller comme à la prunelle de nos yeux à la séparation des pouvoirs, y compris à l'indépendance de la justice, consubstantielle à ce pilier de la République. Je veux vous interroger sur un sujet précis qui a trait à l'indépendance du pouvoir judiciaire.
Chacun le sait, la loi du 25 juillet 2013 a supprimé la possibilité pour le garde des sceaux de donner des instructions dans les affaires individuelles – c'est une bonne chose, c'est une avancée. Néanmoins, vous l'avez indiqué, elle n'a pas mis fin à la remontée d'informations relatives à ces mêmes dossiers individuels, qu'elle a au contraire encadrée. Tel est d'ailleurs l'objectif de la circulaire du 31 janvier 2014.
L'enjeu est de retisser les liens entre nos concitoyens et la justice. Il est préoccupant d'observer que les fondamentaux, les piliers de la République, sont mis en cause. Dans ce contexte, la situation que j'ai décrite n'est plus tenable. Je ne suis d'ailleurs pas le seul à le dire. Lorsque l'on a demandé au procureur général François Molins si la réforme du statut du parquet changerait la donne, il a répondu : « C'est évident. Il faut que l'avis du Conseil supérieur de la magistrature lie le Gouvernement. » Par ailleurs, vous êtes conscient du risque qu'un parti moins démocratique – disons-le ainsi – n'arrive un jour au pouvoir et ne choisisse lui-même ses procureurs.
Vous mélangez les choses !
Tel est l'enjeu de la question précise que je vous pose.
La proposition no 22 de notre collègue Ugo Bernalicis est ainsi formulée : « mettre fin aux remontées d'informations judiciaires dans les dossiers individuels à destination de l'exécutif, sauf celles qui appellent une intervention directe de l'exécutif – comme les catastrophes ou les attaques terroristes massives ». Accepteriez-vous de l'appliquer ?
M. Ugo Bernalicis applaudit.
Je pense avoir complètement répondu à votre question dans mon propos liminaire, monsieur Jumel, mais je vais clarifier un peu les choses.
J'entends parler de la remontée d'informations depuis que je suis à la chancellerie. En quoi consiste-t-elle ? En réalité, il s'agit de messages électroniques qui me sont transmis par la DACG – dont le directeur est ici présent – et visent à m'informer de ce qui se passe dans notre pays : une interpellation, une mise en examen, une décision de non-lieu. Rien de plus, rien de moins.
Dès lors que je dispose de ces informations, qui sont importantes, je ne peux donner, vous l'avez rappelé, aucun ordre à quelque procureur que ce soit. Et si me venait – à Dieu ne plaise – l'idée folle et anticonstitutionnelle d'appeler un procureur, je vous garantis que cela ne tiendrait pas trois minutes ! En effet, dans la seconde – je sais comment les choses fonctionnent, et je le savais avant de venir à la chancellerie – , le parquet informerait sa hiérarchie qu'on a tenté de faire pression sur lui. Dans de tels cas, il se protège, et il a raison. Cessons de nourrir ces fantasmes !
Par ailleurs, on n'en parle jamais, mais il arrive qu'un article de presse arrive sur mon bureau avant même les informations que l'on me fait remonter.
En effet, il y a des journalistes bien informés, dont certains publient même des éléments qui devraient être couverts par le secret de l'instruction et de l'enquête. Je découvre parfois dans la presse des informations que la DACG me m'a pas encore fait parvenir – et je me dis que la remontée d'informations fonctionne bien ! La DACG me répond alors qu'elle ne dispose pas non plus de ces informations, car il faut du temps pour qu'elles remontent.
À propos de ces fantasmes – je n'entends que cela depuis mon arrivée au ministère – , je tiens également à vous préciser que le mieux informé de tous les ministres est non pas le garde des sceaux, mais le ministre de l'intérieur.
Il est informé de tout, et pour cause, puisque les enquêtes de police et de gendarmerie, notamment, sont en amont des procédures. Cela ne me pose d'ailleurs aucun problème. Ensuite, c'est une question de déontologie : que faites-vous des informations qui vous remontent ? Il ne faut pas préjuger le pire, même de la part du ministre de la justice.
M. Didier Paris sourit.
Il existe un poison aussi puissant, peut-être plus, que le manque de moyens de la justice : le poison de la suspicion. Notre justice est-elle vraiment indépendante ? Le grief sous-entendu – le manque d'indépendance de la justice – est ancien, mais il est vrai, et ce n'est pas contesté, qu'il revêt une acuité particulière depuis quelques années.
Pour être claire, je ne parle pas ici des critiques classiques de ceux qui, parce qu'ils sont visés par la justice, vont immédiatement crier au complot ou systématiquement accuser les juges de connivence pour, bien sûr, faire croire à une justice aux ordres, manipulée par le pouvoir politique en place. Il s'agit du marronnier traditionnel de certains professionnels de la politique ; cela ne m'intéresse pas.
Ce qui m'intéresse et qui m'alerte, c'est le manque de confiance en la justice, tel qu'il est exprimé par nos concitoyens. Selon un sondage de l'IFOP – Institut français d'opinion publique – de 2019, moins d'un Français sur deux – j'insiste sur ce chiffre – estime que les juges sont indépendants du pouvoir politique. Cela nous renvoie à la question du statut du parquet, qui doit évidemment être clarifié pour restaurer la confiance. C'est ce que propose notamment le rapport de la commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire.
Je sais votre ambition, monsieur le ministre, de rapprocher les justiciables de la justice et de revaloriser l'institution. Je me souviens de votre discours offensif sur le sujet à l'occasion de votre nomination et je sais combien l'indépendance de la justice se trouve au coeur de vos préoccupations et de vos priorités. Vous avez d'ailleurs obtenu un budget historique pour votre ministère : c'est un premier grand pas vers la réalisation de cet objectif d'indépendance que je souhaite à nouveau saluer.
Nous sommes prêts, désormais, à franchir le cap institutionnel du mode de nomination des procureurs – tous mes collègues l'ont d'ailleurs évoqué au cours du débat. Notre position actuelle apparaît d'autant moins tenable que sa contradiction avec les standards européens se fait davantage jour avec l'entrée en fonctions imminente du procureur européen qui, lui, sera totalement indépendant.
Cette réforme est attendue. Elle est essentielle pour la justice et la démocratie. C'est le niveau d'exigence que nous devons aux Français. Monsieur le ministre, y êtes-vous toujours favorable ? Quelle feuille de route pouvez-vous nous proposer dans le temps parlementaire contraint ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Ces questions d'indépendance sont tellement compliquées… Je sais que nos concitoyens ne s'y retrouvent pas toujours. Mais quand on voit le nombre de personnalités politiques poursuivies et mises en examen, on peut quand même se dire, fort heureusement, que la justice de notre pays est indépendante.
Je vous prie de m'excuser, car quand on dit cela, on ne dit rien et je souhaite répondre à votre interrogation légitime.
À l'heure actuelle, un magistrat du parquet est nommé sur proposition du garde des sceaux et après avis du Conseil supérieur de la magistrature. Depuis le début de la législature, les avis du Conseil supérieur de la magistrature ont toujours été suivis et je n'entends pas déroger à cette règle. Toutefois, je ne veux pas aller plus loin.
On souhaiterait désormais que le pouvoir politique ne joue plus aucun rôle dans la nomination des procureurs. C'est déjà le cas pour les juges du siège et c'est très bien ainsi. Les procureurs souhaitent qu'il en aille de même les concernant : le Président de la République a déjà dit non, avec clarté, au président du Conseil supérieur de la magistrature. Pourquoi ? Parce que la politique pénale est conduite par le garde des sceaux et qu'il est normal qu'il veuille s'entourer de gens avec lesquels il pense pouvoir travailler. C'est bien la moindre des choses, ce qui n'enlève rien à l'avis du Conseil supérieur de la magistrature, que nous respectons.
Si, demain, les procureurs sont nommés comme les juges du siège, le risque est qu'ils constituent une « bulle étanche », pour reprendre la formule de Daniel Soulez Larivière. Mais quelle serait leur légitimité ? En ce qui me concerne, si la politique pénale que je mène est rejetée par nos concitoyens, nous serons évidemment sanctionnés dans les urnes. Cela nous confère une légitimité. La mienne, je ne la tiens pas de je ne sais quel syndicat, mais du Président de la République et du Premier ministre : c'est notre Constitution. Je propose les magistrats avec lesquels je pense pouvoir travailler ; le Conseil supérieur de la magistrature donne son avis, qui est respecté. Je n'entends pas aller plus loin.
Quant à une réforme constitutionnelle, elle est, comme vous le savez, à la main du Président de la République.
C'est lui qui en décidera ; il sait ce qu'il a à faire en la matière.
Le ministère de la justice délivre des agréments à certaines associations, selon des conditions précises. L'article 2-23 du code de procédure pénale prévoit les critères selon lesquels elles peuvent jouir des droits reconnus à la partie civile dans certaines infractions suspectées.
La question de la finalité, de l'instrumentalisation et de la transparence du fonctionnement interne de ces associations est régulièrement posée. La commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire, créée à l'initiative du groupe La France insoumise, n'a curieusement et malheureusement pas souhaité aborder ce sujet en profondeur dans le cadre de ses travaux.
Dans notre pays, un débat de fond sur la place de la justice est difficile à organiser. Il existe un soupçon lancinant selon lequel le pouvoir judiciaire serait soumis à des influences partisanes qui viendraient freiner les vues de telle ou telle opposition, ou masquer les frasques supposées de telle ou telle majorité.
Depuis quelques années, un élu mis en cause, mais blanchi au terme d'une instruction, est inéluctablement suspecté de bénéficier d'un fonctionnement discutable de la justice. Et les associations agréées s'élèvent en parangons de vertu face aux élus de tous bords. Celles-ci n'ont pu prospérer que sur les ruines d'une démocratie qui fut trop longtemps incapable de se réformer, de se ressourcer, de se régénérer.
Aussi convient-il que la représentation nationale s'interroge sur leur rapport réel à la démocratie, mais aussi sur leur contribution à un meilleur fonctionnement de la justice lorsqu'elles se constituent parties civiles sur certains dossiers. En effet, ces associations, dont l'agrément est délivré pour trois ans, ne manquent jamais d'accuser, même par anticipation, les pouvoirs publics de souhaiter purement et simplement leur suppression. Il convient donc que nous nous interrogions, d'une part, sur leur place dans le processus démocratique et judiciaire et, d'autre part, sur les perspectives d'évolution de leur statut, droits et obligations.
En effet, certaines d'entre elles se décrivent comme « le révélateur de la pénétration de la société civile dans le débat judiciaire » et « les gens de justice doivent dorénavant l'accepter ». Elles omettent toutefois le fait que la représentation de la société dans son ensemble relève de la prérogative du parquet, ce qui doit nous interroger sur les mécanismes induits par ces mêmes associations agréées.
Je ne vais pas vous répondre, monsieur Questel, parce que j'ai cru comprendre que vous faites notamment référence à Anticor. Vous comprendrez que, dans la position qui est la mienne, je ne souhaite pas aller sur ce terrain. C'est d'ailleurs le Premier ministre qui dira, le moment venu – dans les jours qui viennent, me semble-t-il – si Anticor doit être « réhabilité », si vous me permettez l'expression. Pour ma part, je ne dirai rien sur cette question, même si ce n'est pas l'envie qui me manque.
La parole est à M. Olivier Marleix, pour la première de ses deux questions.
Dans un livre intitulé Bienvenue place Beauvau, publié en mars 2017, trois journalistes du Canard enchaîné écrivaient à propos de la présidence de la République : « Le Château est passé maître dans l'art de pousser et ou de ralentir le feu sous les casseroles politiques. Pour enterrer sans classer, il suffit de donner consigne de creuser en préliminaire ad vitam aeternam. »
Évidemment, vous me direz, monsieur le ministre, que nous parlons là de temps forts anciens. Mais de la question du temps et du rythme de la justice, il est toujours question. Comment ne pas s'étonner des différences de chronologie sur un certain nombre de dossiers ?
Dans l'affaire Fillon, alors que l'élection présidentielle aurait dû conduire à une forme de réserve, de pondération, on a vu la justice s'emballer. Top chrono, il aura fallu quarante-huit jours pour prononcer une mise en examen.
En revanche, dans d'autres dossiers ouverts depuis le début du quinquennat, il aura parfois fallu trois ans avant d'aboutir à une mise en examen. Je pense à l'enquête sur les emplois présumés fictifs du MODEM, à celle sur les Mutuelles de Bretagne, ou encore à celle relative à Business France. Et je ne parle pas de tous les dossiers qui semblent désespérément placés au-dessous de la pile. Pour ceux-ci, le PNF a annoncé ouvrir des enquêtes préliminaires, sans que rien ne se passe depuis désormais de longs mois. C'est le cas de l'enquête relative à la vente d'Alstom à General Electric, initiée en janvier 2019, ou de celle sur les contrats russes de M. Benalla, qui a débuté en février 2019. Comme pour le gigot de sept heures, le feu ne semble pas très vif : cela cuit très lentement.
Je ne parle pas non plus d'une autre enquête préliminaire conduite par le PNF, au cours de laquelle il a épluché les fadettes des plus grands pénalistes parisiens et qui est restée ouverte pendant quatre ans ; je suis sûr que vous vous en souvenez, monsieur le ministre.
À l'époque, vous aviez parlé de « méthodes barbouzardes scandaleuses » et déclaré : « On est en train de voir les limites de ce système judiciaire qui devient fou. »
Ma question rejoint donc totalement les discussions que nous avons eues dans le cadre de la commission d'enquête. Ne devrions-nous pas, par la loi, encadrer la mission du parquet dans le temps ? La conduite d'actions publiques rend inconcevables des enquêtes préalables au long cours. D'ailleurs, ne faudrait-il pas aussi encadrer les informations judiciaires dans des délais légaux, s'agissant notamment des affaires politico-judiciaires dont les citoyens ne voient jamais le résultat, hormis, évidemment, les manoeuvres dilatoires qui peuvent être menées par les personnes mises en cause ?
Il est inacceptable pour les justiciables que la justice mène ses enquêtes pendant trop longtemps.
Il est inacceptable pour les citoyens de constater que la justice n'avance pas et n'est pas rendue. Et il est inacceptable, tant pour les citoyens que pour la justice, d'imaginer que le rythme de la justice puisse dépendre de considérations politiques.
Vous avez raison, le mot « préliminaire » a un sens. Or les enquêtes préliminaires peuvent durer quatre ans avec, toutes les semaines, un nouvel épisode de feuilletonnage médiatique, grâce à de petits échanges, çà et là, entre certains policiers, magistrats et journalistes – je dis bien « certains », car je n'ai jamais mis tout le monde dans le même sac. Je vous le répète, monsieur le député : c'est insupportable !
M. Olivier Marleix acquiesce.
Mais nous allons réformer ce fonctionnement. Ne vous impatientez pas, nous y travaillons. Je veux que l'enquête préliminaire soit bien préliminaire. Tout comme je souhaite qu'à un moment donné l'enquête débute, avec le droit à un avocat lorsqu'on est suspect : c'est la moindre des choses.
Dans l'une des affaires que vous avez évoquées, des journalistes disposent de l'intégralité des procès-verbaux de l'enquête préliminaire, alors que, selon la procédure, l'intéressé n'y a pas accès. Je le dis à nouveau, c'est insupportable. Quel que soit le statut des uns et des autres dans ces enquêtes, les choses fonctionnent de cette manière et c'est insupportable !
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – M. Bruno Bilde applaudit également.
Elle vise également, monsieur le ministre, à vous donner de l'inspiration pour votre réforme de l'enquête préliminaire.
L'article 40-2 du code de procédure pénale dispose que lorsqu'il classe une affaire sans suite le procureur avise les plaignants et, le cas échéant, les victimes, avec l'obligation, depuis 2007, de motiver sa décision. Malheureusement, ce sont souvent des formules toutes faites qui sont utilisées, telles que : « Après enquête, j'estime que les faits ne peuvent constituer une infraction pénale », ou encore : « L'enquête n'a pas permis d'identifier l'auteur des faits ». Ces formules laissent souvent le plaignant sur sa faim et peuvent susciter le soupçon, dans le cas d'affaires politico-judiciaires, d'un éventuel classement sans suite de complaisance de la part du procureur à l'endroit du pouvoir exécutif qui l'a nommé.
Ne croyez-vous pas qu'il serait temps, là aussi, d'imaginer autre chose que la motivation ? Par exemple, en cas de classement sans suite, le procureur de la République pourrait informer le plaignant des actes d'enquête qui ont effectivement eu lieu dans le cadre de la procédure. Cela permettrait au moins d'objectiver la réalité, le sérieux et la consistance de l'enquête en question.
Il est d'ores et déjà possible d'accéder au dossier. J'ajoute que, si on n'est pas content de la manière avec laquelle un classement sans suite a été libellé, le code de procédure pénale prévoit la possibilité de déposer un recours. Il revient alors au procureur général d'examiner le classement sans suite prononcé par le procureur de la République.
J'en conviens, c'est perfectible. Mais j'imagine que vous me soumettrez des amendements intéressants lorsque le projet de loi sera examiné.
Avant toute chose, permettez-moi d'avoir une pensée émue pour Marielle de Sarnez.
Ma question porte sur les liens qui peuvent exister entre le secret défense et le travail serein de la justice. Ces dernières années, des affaires retentissantes ont été marquées par l'usage du secret défense, malheureusement invoqué pour soustraire les individus – des décideurs publics – à leurs responsabilités pénales.
Bien évidemment, l'existence d'un secret défense dans notre pays est nécessaire. Les intérêts de la France et sa sécurité extérieure exigent que des renseignements, des objets ou des documents soient spécialement protégés. Ces informations pourraient en effet constituer une cible majeure pour des services étrangers ou des individus cherchant à déstabiliser l'État et la société.
En cas d'affaire judiciaire, le code de la défense prévoit une procédure spécifique pour éventuellement permettre à l'autorité judiciaire, qui n'est pas une autorité habilitée, d'accéder aux pièces classées secret défense lorsque cela est nécessaire à son enquête.
L'article L. 2312-4 du code de la défense prévoit ainsi que les magistrats peuvent présenter une demande motivée à l'autorité administrative qui a classifié le document, pour faire lever cette protection. Le ministre sollicité doit alors saisir sans délai la commission du secret de la défense nationale – CSDN – qui rend un avis. Dans les dix jours de la réception de celui-ci, il doit notifier sa décision à la juridiction concernée. L'avis rendu par la CSDN ne l'est pas, même s'il est suivi dans la grande majorité des cas.
Monsieur le ministre, je vous interroge sur le fonctionnement de cette procédure. Donne-t-elle satisfaction aujourd'hui pour assurer la protection de nos documents ? Son évolution pourrait-elle être nécessaire dans les prochaines années ? Doit-on envisager une transformation de l'avis de la CSDN en avis conforme liant l'autorité administrative compétente, voire une révision de la procédure de classification secret défense ?
À vrai dire, monsieur le député, je ne sais que vous répondre. Vous avez vous-même décortiqué avec beaucoup de minutie le mécanisme qui s'applique, notamment les dispositions de l'article L. 2312-4 du code de la défense, qui prévoit la possibilité pour un magistrat d'obtenir une déclassification des documents après avis d'une commission.
Quand m'est parvenue votre question – que je vous remercie d'avoir transmise à mes services – , je leur ai demandé s'ils avaient eu connaissance d'alertes ou de difficultés. Ce n'est pas le cas. Depuis longtemps – car j'ai demandé que l'on remonte au-delà des six derniers mois – , on estime que le système fonctionne bien. Pour aller plus loin, j'ai interrogé les ministères concernés, notamment celui de la défense, sur l'existence de difficultés éventuelles. Il n'y en a pas. La commission que vous avez citée donne son avis. Je pense que les choses sont assez fluides. Il n'y a donc pas de raison de faire évoluer les textes en la matière.
Ma question s'inscrit dans la réflexion menée par la mission sur les droits et devoirs des acteurs de la justice. Le départ récent d'un magistrat influent au sein du parquet national financier vers un grand cabinet d'avocats a suscité de ma part des interrogations sur le dispositif encadrant la mobilité vers le privé d'un magistrat. Un tel départ est générateur de conflits d'intérêts qui méritent notre attention.
Il a été constaté, après que j'ai consulté le collège de déontologie des magistrats de l'ordre judiciaire et que j'en ai reçu une réponse argumentée, et après consultation de la HATVP – Haute Autorité pour la transparence de la vie publique – , qu'aucune mesure n'était prévue pour apprécier les conséquences d'un tel départ au regard du poste qu'occupait récemment l'intéressé et des affaires qu'il traitait et, le cas échéant, émettre des réserves sur sa nouvelle affectation.
Le pantouflage des hauts fonctionnaires fait l'objet d'un examen par la HATVP et la commission de déontologie en son sein. Celle-ci peut formuler des réserves dans les trois ans qui suivent leur départ et obtenir des précisions sur les personnes avec lesquelles ils peuvent travailler, les relations qu'ils peuvent établir et les dossiers qu'ils peuvent traiter. Il me semble que l'indépendance de la justice ne fait pas obstacle à ce que la HATVP contrôle le mouvement des magistrats, à l'instar de ce qui se pratique pour la haute fonction publique. Le vide juridique désormais admis et reconnu par le collège de déontologie et la HATVP ne vous paraît-il pas devoir être rapidement comblé ?
Je ne comprends pas vos interrogations. Un magistrat brillant, semble-t-il, décide de démissionner et opte pour le barreau. Ce n'est pas un renégat. Certains de ses anciens collègues voient d'un très mauvais oeil qu'il devienne avocat. Franchement, je ne vois pas où est le problème. Moi qui milite pour l'ouverture des uns aux autres, je n'ai pas compris leur réaction.
L'intéressé a démissionné. Il est donc libre d'aller où il veut et où le vent le porte. Quelles difficultés pose ce choix de carrière, ce choix professionnel ou ce choix de vie ? Ce magistrat dont tout le monde s'accorde à dire qu'il était brillant a souhaité pour des raisons qui lui sont propres intégrer le barreau. C'est bien pour le barreau et triste pour la magistrature, qui a perdu un bon élément. Voilà tout ce que je puis vous dire.
La justice puise sa force dans la confiance qu'elle inspire. Nos concitoyens doivent pouvoir compter sur une justice impartiale et sur des magistrats qui ont pour seule boussole la loi et l'intérêt général. Cette exigence justifie les garanties d'indépendance dont bénéficient les magistrats
La justice est également une institution chargée d'un service public. Elle est au service du peuple français, au nom duquel elle rend ses jugements. Le rapport dont nous débattons dessine d'intéressantes perspectives pour lui redonner la place qui doit être la sienne dans la République.
Aussi, je souhaite vous interroger sur l'ordonnance de mise en examen. Celle-ci n'est motivée aujourd'hui que lorsqu'elle s'accompagne d'un placement en détention provisoire. Je pense qu'il faut laisser plus de place au contradictoire. Une audience publique sur les charges pourrait également s'imposer, ce qui serait d'autant plus légitime que le secret de l'instruction n'est plus vraiment respecté et que, pour nombre de nos concitoyens, la mise en examen s'apparente de fait à une reconnaissance de culpabilité. C'est ce que propose le rapporteur en préconisant que la notification de mise en examen prenne la forme d'une ordonnance motivée et susceptible de publicité. Monsieur le garde des sceaux, reprendrez-vous cette préconisation ?
Le risque majeur est de figer les choses en début de procès et de ne pas permettre la fluidité indispensable qui doit prévaloir tout au long d'une procédure dont la mise en examen est, d'une certaine façon, le préambule. Voilà ce qu'a priori, je suis susceptible d'opposer à ce que vous pouvez préconiser. Mon sentiment, je le répète, est qu'il ne faut pas rigidifier les choses.
Je vais revenir sur les enquêtes préliminaires, preuve que, sur tous les bancs de l'Assemblée comme au sein du Gouvernement, on prend conscience que c'est sur elles que se focalise l'essentiel des critiques relatives à la procédure pénale française.
On reproche à ces enquêtes préliminaires de se dérouler sans aucun contrôle d'un juge indépendant – en dehors d'un recours marginal au juge des libertés et de la détention pour la mise en oeuvre de mesures spécifiques – , de durer autant que le souhaite le parquet, autrement dit potentiellement le pouvoir politique, ce qui conduit à une forme d'imprescriptibilité des affaires, soit à l'initiative politique soit à celle du magistrat, et enfin d'offrir au parquet un moyen de pression arbitraire et durable. On peut imaginer ce que cela donnerait dans le cas d'une majorité moins démocratique : on parle aujourd'hui de « gouvernements illibéraux » ici ou là : cela pourrait, hélas ! nous arriver aussi.
La procédure de l'enquête préliminaire n'est pas contradictoire. Elle est totalement secrète, sauf lorsque des indiscrétions qu'on a habilement fait fuiter dans la presse viennent à informer les citoyens alors même que l'objet de l'enquête n'est pas connu de celui qu'on va interroger… J'aurais d'ailleurs une proposition à ce sujet : si l'on ne pouvait pas faire autrement, les intéressés devraient, dès la première fuite dans la presse, avoir un accès total, complet et entier au dossier. Ce serait très dissuasif pour ceux qui seraient tentés de faire fuiter une information.
Outre ce déséquilibre, l'enquête préliminaire permet aussi d'entendre pendant des années et à plusieurs reprises des personnes suspectées, voire d'opérer plusieurs perquisitions sans qu'elles puissent savoir ce qui leur est potentiellement reproché, et ce au mépris de toutes les garanties qu'impose la protection des droits de la défense. Une telle situation expose la France à une condamnation de la Cour européenne des droits de l'homme. La différence de traitement des suspects selon que l'enquête est menée sous l'autorité du parquet, qui ne bénéficie pas d'une indépendance totale, ou dans le cadre d'une information judiciaire respectueuse, elle, des droits de la défense, est édifiante – d'autant que l'orientation des dossiers non criminels est opérée à la seule décision du parquet. C'est donc avec beaucoup d'espoir que nous attendons un projet de loi capable de mettre enfin la France à la hauteur des droits de la défense qui devraient faire sa réputation.
Monsieur le député, je suis ravi que vous espériez. Et vous avez raison : il y a matière à le faire, car nous travaillons beaucoup sur cette question – et pas seulement sur elle. L'idée d'ouvrir la procédure au contradictoire en cas de fuite, nous l'avions déjà eue.
Je ne vais pas me battre pour sa paternité. On peut être plusieurs à avoir une bonne idée. C'est une piste : on retirerait ainsi à l'enquêteur et au juge l'envie de livrer à quelqu'un des procès-verbaux couverts par le secret de l'enquête parce que la police, par souci d'efficacité, a besoin qu'on maintienne leur confidentialité. Ceux qui divulguent tout de suite des procès-verbaux seraient amenés à y réfléchir à deux fois. Quant à l'intéressé, il aurait accès à autre chose qu'à des articles de presse qui sanctionnent sa mésaventure funeste et pourrait mieux se défendre le moment venu.
Je suis ravi que nous nous retrouvions sur cette idée, très communément partagée. Je l'ai dit : vous aviez raison d'espérer. Il est temps de mettre un terme à ces enquêtes préliminaires qui, dans certains dossiers, peuvent durer jusqu'à quatre, voire six ans. Voilà ma réponse.
Les juges exercent leurs fonctions au nom du peuple français, ce qui leur interdit en théorie de se substituer au législateur. Pourtant, nous assistons depuis trop longtemps à une dérive militante de certains juges, qui ont développé une vision idéologique et politique de la justice. Au nom de l'État de droit, des juges militants tentent d'imposer leur dogme à la société tout entière. Nous subissons ainsi une politisation de la justice qui fait que certains magistrats relâchent systématiquement les délinquants arrêtés par la police. D'autres érigent des « murs des cons » pour stigmatiser des personnalités qui ne partagent pas leurs opinions.
Alors que la justice devrait être exercée au nom du peuple français, elle est trop souvent rendue en fonction de critères qui foulent aux pieds les principes démocratiques. Il faut en finir avec les réflexes corporatistes et le dogmatisme d'une partie de la magistrature, en rompant avec la culture du laxisme et en réformant la formation des magistrats.
Nous proposons la mise en place d'une filière de formation commune aux carrières judiciaires et le maintien d'écoles d'application spécifiques. Dans le souci d'une plus grande efficacité de la justice, nous partageons la proposition no 13 du rapport, qui tend à augmenter les moyens budgétaires de la justice. Nous proposons également d'augmenter le nombre de magistrats, pourquoi pas par un recrutement au tour extérieur ?
Ma question est la suivante : quand la séparation des pouvoirs sera-t-elle réellement appliquée en France ?
Après l'espoir, vient la désespérance.
Sourires.
En réalité, la séparation des pouvoirs existe, même si l'on observe, à la marge, certains comportements qui ne sont pas corrects, au regard de ces règles essentielles dans un État de droit. Seulement, vous mélangez tout.
À mon sens, il n'y a aucune culture du laxisme.
Je connais certes vos propos en la matière, ou plutôt vos incantations, mais je l'ai déjà dit à Mme Le Pen et je vous le répète : tous les chiffres sont là. Il n'y a pas de culture du laxisme dans notre pays, même si ça vous arrange de prétendre le contraire.
Vous mélangez cette notion avec le « mur des cons » et la politisation de la justice, alors qu'il faut traiter les sujets avec parcimonie et circonspection. Dans notre pays, l'indépendance de la magistrature est fort heureusement préservée. De temps en temps, il y a des choses qui ne vont pas. Il faut les régler, mais on ne peut pas mettre tout le monde dans le même sac. Quand j'étais avocat, je faisais des distinctions entre certains et d'autres. En tant que ministre, je fais la même analyse et les mêmes constats. Sur ces questions, monsieur le député, il ne faut pas y aller à la hache, mais procéder avec une nuance et une modération, qu'on ne retrouve pas toujours dans vos propos.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Situation du commerce et des autres secteurs durablement touchés par la crise de la covid-19 ;
Débat sur la politique du logement.
La séance est levée.
La séance est levée à treize heures.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Serge Ezdra