Le présent débat m'amène à évoquer une affaire que vous connaissez bien, monsieur le garde des sceaux. Dans cette affaire, il est plus que légitime de s'interroger sur les motivations qui ont pu conduire le Premier ministre à ne pas lever le statut de détenu particulièrement signalé – DPS – de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, alors qu'aucun élément objectif ne justifie son maintien.
Cela fait vingt et un ans que les intéressés sont détenus dans une maison centrale de la région parisienne, loin de leurs familles, qui en payent les frais exorbitants, dans tous les sens du terme. Depuis quatre ans, ces hommes sont pourtant « conditionnables » et espèrent à tout le moins un rapprochement familial, ce que permet strictement la loi.
Toutefois, la levée du statut de DPS leur est systématiquement refusée, ce qui empêche tout rapprochement, alors même qu'ils ne posent aucun problème de discipline, absolument aucun : ils sont jugés exemplaires depuis le début de leur incarcération. D'ailleurs, les commissions locales, puis nationales, compétentes en la matière ont, de manière répétée, émis des avis favorables. De tels avis sont généralement suivis par les autorités, mais dans ce dossier-là, manifestement, rien n'est normal : l'autorité judiciaire s'y oppose systématiquement.
Le ministère de la justice – notamment sous l'égide de Mme Belloubet, puis sous celle du Premier ministre depuis votre déport opportun, monsieur le garde des sceaux – justifie habituellement ces refus par un risque potentiel d'évasion, pourtant complètement lunaire, s'ils étaient transférés à Borgo, par un prétendu trouble à l'ordre public ou, pis encore, par « une médiatisation de leur éventuel rapprochement ». En clair, c'est l'arbitraire absolu.
Comment voulez-vous que la société insulaire ne perçoive pas ici un acharnement, une vengeance d'État ? En l'espèce, une décision de justice est clairement bafouée par l'immixtion du pouvoir exécutif, qui ne se cache même plus.
La Corse tout entière respecte la douleur de la famille Érignac. La justice est passée ; des hommes ont été condamnés ; leur peine, au bout de vingt-deux ans, a été effectuée. Ces hommes ont des droits, leurs familles ont des droits. Dans une démocratie, nous le savons tous, la justice ne peut supporter en aucun cas la vengeance d'État. Il faut donc que cette situation cesse sans tarder, sous peine de provoquer une profonde colère qui ne peut conduire elle-même qu'à la révolte, ce que personne ne souhaite. Face à cela, que comptez-vous faire ?