En ces temps de pandémie, n'oublions pas ce qui fait l'essence même de notre société, de notre lien social, afin que nos vies puissent se dérouler en toute sérénité au sein d'une République aux institutions légitimées. La justice et, plus encore, la perception de celle-ci par nos concitoyens y tiennent un rôle fondamental. Sans justice, le peuple perd confiance dans ses institutions. Sans justice, les conflits de personnes ne peuvent être résolus que par la loi du talion, ou celle du plus fort.
La justice est ce qui donne corps à notre société et, si elle a pour garant le chef de l'État, chef du pouvoir exécutif, il est de notre responsabilité de parlementaires de nous interroger sur son efficience et de nous assurer de son bon fonctionnement et de sa pleine indépendance. Il ne fait aucun doute aujourd'hui qu'une part importante de nos concitoyens fait confiance à la justice de notre pays, même s'ils pointent parfois du doigt son extrême lenteur, ou du moins ce qu'ils considèrent comme telle. Mais cela fait trop d'années que les professionnels du secteur alertent sur leurs conditions de travail et sur les moyens qui leur sont alloués, qui ne permettent pas, de toute évidence, l'exercice optimal de leurs missions.
Les délais d'instruction, avant le règlement définitif d'un litige, sont parfois tellement longs et coûteux qu'ils peuvent décourager les justiciables de demander la reconnaissance et la réparation d'un préjudice. La première des garanties que nous devons conférer à l'autorité judiciaire, afin de renforcer son indépendance et son efficience, est bien de la doter des moyens nécessaires. Nous plaidons donc bien évidemment pour la poursuite de la hausse des crédits et soutenons la proposition no 20 du rapport de la commission d'enquête, visant à « limiter les mécanismes de régulation budgétaire, afin d'accroître l'autonomie des chefs de cour dans la gestion des crédits qui leur sont alloués ».
Quant à la proposition no 17, si nous soutenons l'idée de « revenir à un système où chaque cour d'appel ait un budget opérationnel de programme », nous nous opposons catégoriquement à l'objectif de « faire coïncider les ressorts des cours d'appel avec les régions administratives ». La fusion des régions était une mauvaise réforme ; évitons à la justice cet écueil, ce chemin tortueux. D'ailleurs, votre prédécesseure n'était pas allée au bout de ses projets en la matière.
Par ailleurs, et c'est l'aspect le plus urgent, le plus important, en vue de conférer une plus grande indépendance à notre justice, une réforme profonde des procédures de nomination des magistrats du parquet est nécessaire. Il faut, en effet, éviter tout soupçon d'interférence gouvernementale et d'éventuels choix partisans ou politiques de ces hauts responsables judiciaires, soupçon qui nuirait à l'apparence d'impartialité, d'abord de leur nomination, ensuite de leur pratique professionnelle. Nous faisons donc nôtre la proposition no 1 du rapport, celle d'« aligner le mode de nomination et le régime disciplinaire des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège ».
Cette évolution fait l'objet d'un consensus au sein de notre société. Peu de gens comprennent – la Cour européenne des droits de l'homme, elle, le comprend encore moins – qu'un procureur, qui défend les intérêts de la société, puisse être nommé par le seul pouvoir exécutif. Il n'est pas trop tard pour convoquer les parlementaires en Congrès afin de procéder à une modification de la Constitution, pour peu qu'il y ait un consensus.
Cette révision permettrait d'inscrire les propositions nos 3 et 4 du rapport dans la Constitution, respectivement celle de permettre à tout magistrat de saisir le CSM s'il estime que son indépendance ou son impartialité est mise en cause, et celle de permettre au CSM de se saisir d'office de toute question relative à l'indépendance de l'autorité judiciaire.
De même, la proposition no 29, visant à créer la fonction de « juge de la mise en état de l'enquête pénale », qui aurait seul le pouvoir d'autoriser le procureur de la République à poursuivre une enquête préliminaire au-delà d'un certain délai, nous paraît intéressante.
Nous saluons enfin les préconisations du rapport visant à accroître la transparence de l'autorité judiciaire, même si nous souhaitons aller plus loin que la proposition no 24, concernant les remontées d'information. Même encadrées par une circulaire, celles-ci laissent toujours planer un doute sur d'éventuelles pressions exercées à l'égard de magistrats. Il convient d'en réduire drastiquement le nombre, voire de les supprimer, au regard des critères très larges incluant des remontées pour toutes les affaires susceptibles d'être médiatisées.
Nous honorons le travail effectué par cette commission d'enquête, notamment par MM. Bernalicis et Paris, et les remercions pour leur travail.