Intervention de éric Dupond-Moretti

Séance en hémicycle du jeudi 14 janvier 2021 à 9h00
Conclusions du rapport de la commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

Je voudrais tout d'abord exprimer une pensée très émue à l'occasion du décès de Mme de Sarnez, intervenu hier.

L'indépendance de la justice n'est pas une valeur ou un principe incantatoire : elle n'est ni plus ni moins que le fondement de notre État de droit. Elle est la conséquence de la séparation des pouvoirs et, surtout, la condition indispensable à la garantie des droits et libertés de chacun. Tout au long de ma carrière professionnelle d'avocat, et plus encore aujourd'hui dans le cadre des responsabilités qui sont les miennes, j'ai toujours veillé à accorder la plus grande considération à ce principe.

Je suis donc très honoré de débattre devant la représentation nationale des conclusions de votre rapport, monsieur Paris. Je tiens à en saluer d'emblée la qualité, s'agissant tant de l'analyse que des propositions. Cela ne signifie pas, bien sûr, que nous soyons d'accord sur tout !

Comme vous le savez, c'est le constat d'un manque de confiance des citoyens vis-à-vis de l'institution judiciaire qui a justifié les travaux de la commission d'enquête. Or, comme je l'ai indiqué dans le cadre de ma circulaire de politique pénale générale du 1er octobre 2020, la restauration du lien entre les Français et la justice est un enjeu absolument majeur. Celle-ci passe non seulement par une meilleure compréhension de l'action de la justice, mais également par une évolution du fonctionnement institutionnel. Il faut écarter tout doute sur l'impartialité des décisions rendues.

Le rapport de la commission d'enquête est riche et formule quarante et une propositions. Je vous le redis : j'en partage un certain nombre qui sont, pour plusieurs d'entre elles, d'ores et déjà prises en compte par le ministère de la justice. D'autres propositions doivent toutefois être, selon moi, appréhendées avec attention et prudence, tant elles sont susceptibles d'affecter l'équilibre des droits, des intérêts publics et privés et des pouvoirs.

Tout d'abord, je partage avec le rapporteur l'ambition que l'autorité judiciaire dispose de moyens adaptés pour son fonctionnement et pour les enquêtes dont elle a la charge. C'est pourquoi j'ai veillé à ce que les moyens alloués à la justice soient, encore une fois, nettement augmentés. En 2021, les services judiciaires bénéficient d'un budget important, en nette augmentation, de plus de 8 % par rapport à 2020. Je vous sais gré, mesdames et messieurs les députés, d'avoir entendu mon plaidoyer de défense de ce budget, en votant pour le projet de loi de finances.

Certaines des propositions du rapport de la commission d'enquête ont pour objet d'associer les juridictions au dialogue budgétaire. Je voudrais à cet égard rappeler la portée du principe constitutionnel énoncé par l'article 20 de notre Constitution, qui confie au Gouvernement la détermination et la conduite de la politique de la nation. S'agissant du budget de la justice, c'est donc au garde des sceaux qu'il revient de conduire les échanges avec le ministre de l'économie, des finances et de la relance, de soutenir la demande budgétaire devant le Parlement et de répondre de son exécution.

Le rapport propose également une scission du budget de la justice en deux missions, l'une qui concernerait le fonctionnement des juridictions, et l'autre qui regrouperait les moyens touchant aux politiques publiques périphériques à la justice. Je ne suis pas convaincu par cette proposition, ce pour trois raisons.

La première d'entre elles est que l'autorité judiciaire, pour conduire à bien ses missions, a nécessairement besoin de l'action des autres acteurs du ministère de la justice et des services qui concourent à la préparation ainsi qu'à l'exécution de ses décisions. Il m'est inconcevable que l'on qualifie de périphériques les missions confiées à la protection judiciaire de la jeunesse et à l'administration pénitentiaire.

Deuxièmement, nous avons la nécessité de conserver la cohérence de l'examen du budget du ministère de la justice par le Parlement, pour lui permettre d'avoir une vision complète.

La troisième raison tient à la nécessité de la transversalité des fonctions support du ministère de la justice. Je pense notamment aux moyens informatiques, qu'il convient de mutualiser entre les différents métiers de la justice pour gagner en efficacité.

Ensuite, dans le but de renforcer la confiance de nos concitoyens dans l'autorité judiciaire, certaines règles encadrant le statut, la déontologie et le recrutement des magistrats doivent être modifiées. Je vous l'accorde très volontiers. Un certain nombre d'entre elles nécessitent toutefois une révision constitutionnelle.

Il en va ainsi de l'extension des pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature et, plus précisément, de l'évolution du statut des magistrats du parquet vers celui des magistrats du siège, concernant les conditions de nomination et les conditions dans lesquelles peuvent être sanctionnés leurs manquements disciplinaires.

D'autres recommandations visent à accorder un pouvoir de proposition au CSM pour les emplois de procureur général et de procureur de la République. Je note tout d'abord que certains, parmi ceux qui contestent aujourd'hui les conditions de nomination, ne le faisaient pas hier, lorsqu'ils ont été nommés.

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