Intervention de Michel Sapin

Réunion du mercredi 12 juillet 2017 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Michel Sapin :

Merci beaucoup, monsieur le président, pour votre invitation – je le dis très sincèrement. Vous vous enquérez, c'est bien légitime, de notre réaction aux conclusions de l'audit de la Cour des comptes, et nous allons vous la donner, tant sur les chiffres, indiscutables, que sur les mots employés, beaucoup plus discutables. La Cour parlant d'« insincérité », nous aurions d'ailleurs préféré qu'un petit échange contradictoire entre elle-même et les anciens membres du gouvernement concernés ait lieu – certains membres de la Cour des comptes se seraient émus que tel n'ait pas été le cas.

Puisque l'occasion m'est donnée de m'exprimer à ce propos, je le fais très volontiers. Christian Eckert et moi-même sommes d'ailleurs très souvent venus nous exprimer devant votre commission. Membres du Gouvernement, nous l'avons fait jusqu'au tout dernier moment. Ainsi avons-nous tenu à vous présenter, dans les derniers jours de la campagne présidentielle, le programme de stabilité, l'analyse que nous faisions, à ce moment de l'année, de l'évolution des dépenses et des recettes du budget et, sur cette base, les propositions de modification en gestion que nous souhaitions. Nous avons même saisi la commission des finances au début du mois de mai de nos projets de décret d'annulation – des propositions de gels. Ainsi la commission reçut-elle une information extrêmement précise sur les décisions que nous aurions prises et que nous avions préparées, et que tout gouvernement qui succéderait à celui dont nous étions membres aurait la possibilité de prendre.

Nous venons ici invités, et non convoqués. Je vous en remercie, monsieur le président. Nous venons donc librement, sereinement, avec la volonté de rétablir un certain nombre de vérités sur les comptes mais aussi d'engager un débat. Il est effectivement très important de connaître l'état de la France au moment où un nouveau pouvoir se met en place. Il est également important de savoir comment un Président de la République et une majorité peuvent tenir leurs engagements, dans un contexte difficile, qui le restera encore plusieurs années.

Ce chiffre de 8 milliards d'euros, pour arrondir généreusement comme on le fait toujours en pareil cas – la réalité étant de 7,8 ou 7,9 milliards d'euros –, ce chiffre avancé par la Cour des comptes est-il faux ? Ligne par ligne, chiffre par chiffre, l'analyse que la Cour fait de nos comptes est parfaitement exacte. Si ces chiffres sont exacts, c'est que la Cour ne les a pas inventés ni sortis de nulle part : c'étaient les chiffres que, comme elle le fait d'ailleurs remarquer, nos administrations nous avaient donnés à notre demande, comme elles le font – le président Woerth, ancien ministre du budget, est bien placé pour le savoir – tous les ans, au même moment de l'année, soit à la fin du premier trimestre ou au début du deuxième trimestre. Chaque année, nos services disent quels sont, de leur point de vue, les risques qui pèsent sur l'exécution.

Avons-nous voulu cacher cette situation ? Nous sommes venus devant la commission des finances, dont je salue les membres réélus ou nouveaux, et nous avons donné l'ensemble des éléments au cours d'une audition dont la vidéo et le compte rendu sont tout à fait disponibles. Vous pourrez vous y reporter et retrouver tout ce que nous avons dit alors. De même, les notes que nous avons échangées avec notre administration sont à la disposition du président de la commission des finances et du rapporteur général. Je vous invite particulièrement à demander les courriers adressés par les membres du Gouvernement à leur administration pour préparer la suite. Nous estimions en effet que notre devoir était de « laisser la maison en ordre » pour permettre à quelque majorité que ce soit de faire son devoir : tenir les engagements pris par elle. Les chiffres, exacts, donnés par la Cour des comptes n'ont jamais été cachés. On ne fait, de ce point de vue, aucune découverte à la lecture de son rapport.

La situation décrite par la Cour des comptes – 8 milliards d'euros de « risque de dérapage », pour reprendre ses propres termes, ce qui ne signifie pas 8 milliards d'euros de « trou » – diffère-t-elle de ce que l'on a pu constater les années précédentes ? En 2012, la Cour, après avoir mené un audit à peu près de même nature, avait identifié un risque d'un montant compris entre 6 et 10 milliards d'euros – sans doute était-elle moins armée pour préciser ces chiffres. Je ne suis pas mathématicien, à la différence de Christian Eckert, mais, « entre 6 et 10 milliards d'euros », cela doit donner quelque chose qui est aux alentours de 8 milliards d'euros... Le risque pesant sur l'exécution était donc, en 2012, d'environ 8 milliards d'euros. En 2015, année où nous avions pleinement la responsabilité des finances publiques, une note nous a été adressée par la direction du Trésor et la direction du budget, qui faisait état d'un risque de 7 à 8 milliards d'euros. Il en a été de même en 2016. Et voici que, selon la Cour des comptes, le risque est aujourd'hui, en 2017, de 7,8 milliards d'euros. Le risque est donc exactement du même montant et de même nature que chaque année à ce moment de l'année !

Pourquoi ? Certains ici, férus de la chose budgétaire, savent que la construction et, surtout, l'exécution d'un budget sont des affaires délicates, l'art le plus difficile étant celui de l'exécution, qui requiert une finesse politique mais aussi technique. Au cours de l'exécution, un point est fait au mois d'avril – ou un mois et demi plus tard, délai nécessaire en cas d'alternance –, et les gouvernements, quels qu'ils soient, prennent toujours des mesures de redressement, des mesures de gestion, pour un montant d'environ 4 milliards d'euros. Ensuite, nos administrations refont le point durant l'été pour la construction de la loi de finances initiale pour l'année suivant. À la fin de l'année, des mesures nouvelles sont prises pour environ 4 milliards d'euros, afin de gérer ces risques repérés, d'un montant global de 8 milliards d'euros. Nous sommes donc exactement dans la même situation, dans les mêmes conditions et pour les mêmes montants, que d'habitude. Il n'y a aujourd'hui rien de plus difficile ou compliqué que les années précédentes – même si c'est évidemment toujours difficile et compliqué lorsque l'on est déterminé à réduire les déficits et que l'on a, par ailleurs, pris des engagements en termes de dépenses ou de réduction des impôts ; ce fut le cas dans le passé, ce l'est aujourd'hui.

Sur ces 8 milliards de risque de dérapage, y a-t-il 8 milliards d'euros de « dépenses impayées » ? Pardon de reprendre cette expression, mais elle a été tellement utilisée, et, au fond, elle nous a tellement blessés... J'ai même entendu quelqu'un d'important parler de « 8 milliards d'euros de chèques en bois ». Avons-nous acheté quelque chose sans l'avoir payé, pour 8 milliards d'euros ? C'est faux, et la Cour des comptes elle-même le démontre.

Qu'y a-t-il donc dans ces 8 milliards d'euros ? La Cour des comptes nous décerne d'abord un satisfecit global sur les recettes. Tant en ce qui concerne les impôts qu'en ce qui concerne les cotisations, il n'y a pas de problème, sauf sur deux points.

Le premier concerne le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR), créé pour permettre la déclaration des comptes cachés à l'étranger et la perception des impôts dus à ce titre. Nous avons inscrit à ce titre dans le budget des recettes d'un montant de 1,9 milliard d'euros. Trouvant, sur le fondement d'une note que nous avait envoyée la direction générale des finances publiques (DGFiP), ce montant trop optimiste, la Cour considère que ces recettes seront en fait de 1 milliard d'euros, mais cette note est exactement de la même teneur que celles envoyées les années précédentes. En 2015, la DGFiP, administration prenant ses précautions, avait effectivement considéré que notre estimation de 2,2 milliards d'euros était très élevée et considérait qu'il serait déjà bien de parvenir à engranger 1,8 milliard d'euros. Or, finalement, nous avons engrangé 2,5 milliards d'euros, en raison de notre détermination – et de celle de notre administration. Nous avons donc perçu plus de recettes que prévu, et il en ira exactement de même cette année. Le montant d'un milliard d'euros est l'estimation basse proposée par les administrations, mais les sommes perçues atteindront bien le montant de 1,9 milliard d'euros – à moins que la détermination dans la lutte contre les comptes cachés à l'étranger ne faiblisse, mais je ne ferai à personne ici un tel procès d'intention. J'affirme d'autant plus volontiers que ce montant sera atteint qu'en vertu de règles internationales des échanges automatiques d'informations seront mis en place avec la Suisse, le Luxembourg et Singapour à compter du 1er janvier 2018. Tous ceux qui ont encore un compte caché en Suisse prendront alors des risques considérables s'ils ne le déclarent pas en France au STDR. Voilà donc une différence de 900 millions d'euros, qui correspond non pas à des dépenses impayées, mais à une différence d'appréciation entre ceux qui retiennent l'estimation la plus pessimiste et nous-mêmes, dont l'estimation reste pourtant en-deçà de la borne haute de la fourchette.

De même, en ce qui concerne l'écart d'un milliard d'euros relatif aux recettes non fiscales, la Cour des comptes a retenu l'estimation basse. Nous avons pour notre part retenu une estimation moyenne, et je pense que ce milliard d'euros sera au rendez-vous à la fin de l'année. Cela étant, rapporté au montant global des recettes pour la sécurité sociale et pour l'État – 1 000 milliards d'euros ! –, cet écart est mineur. Si le débat ne porte que sur un milliard d'euros, le budget est très sincèrement conçu et très sincèrement appliqué ! Il n'y a pas de chèques en bois.

Un montant de 2,3 milliards d'euros est compté par tous comme une dépense impayée : en quelque sorte, nous ferions un « chèque en bois » en faveur d'Areva, qui n'aurait pas sa contrepartie. Une augmentation du capital d'Areva, grande entreprise qui a connu, et connaît, des difficultés, est nécessaire, mais une recapitalisation ne compte pas comme dépense budgétaire ; elle est en revanche retenue en comptabilité « maastrichtienne », dans l'appréciation du respect de la règle des 3 %. Avons-nous l'argent ? Oui ! Regardez la situation du compte d'affectation spéciale (CAS) Participations financières de l'État, et regardez quand ce compte a été abondé. J'ai décidé la vente de la participation de l'État au capital de PSA ; cela représente un peu plus de 1 milliard d'euros, qui ont été versés au CAS Participations financières de l'État en vue de la recapitalisation d'Areva. De même, j'avais préparé trois opérations qui n'ont pas eu lieu, car les conditions de marché ne permettaient pas de les mener à bien dans le respect des intérêts de l'État – comme le Premier ministre dans Les Échos ce matin, je ne vous préciserai pas lesquelles, le Gouvernement peut les mener à tout moment, et il n'appartient à personne de divulguer ces informations. Bref, soit les sommes nécessaires à la recapitalisation figurent sur le CAS Participations financières de l'État, soit les opérations permettant de les trouver sont préparées. Il est tout simplement faux de parler de 2,3 milliards d'euros de dépenses impayées au profit d'Areva. J'ai voulu préparer scrupuleusement toutes les recapitalisations que nous avions décidées, au profit d'Areva, d'EDF ou de plus petites entités.

Restent, selon la Cour, 3,6 milliards d'euros de sous-budgétisations...

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