La commission entend M. Michel Sapin et M. Christian Eckert sur le rapport de la Cour des comptes relatif à la situation et aux perspectives des comptes publics.
Je souhaite la bienvenue à Michel Sapin et à Christian Eckert, qui ont très vite accepté notre invitation. La semaine dernière, M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, nous a présenté le rapport de celle-ci relatif à la situation et aux perspectives des finances publiques, qui inclut l'audit demandé par le Premier ministre. La Cour est assez sévère, voire très sévère, avec le gouvernement précédent. Il nous a donc semblé judicieux d'en entendre le ministre de l'économie et des finances et le secrétaire d'État chargé du budget et des comptes publics, pour qu'ils nous fassent part de leur point de vue et, le cas échéant, des critiques que leur paraît mériter le rapport.
Au-delà des chiffres et de la lenteur de la réduction des déficits, c'est particulièrement l'emploi du terme d'« insincérité » qui nous a interpellés. C'est particulièrement sur ce point que nous souhaitons vous entendre, même si ce n'est pas le seul sujet. Bien sûr, ce n'est pas la première fois ni, probablement, la dernière, que le mot est employé. L'évolution n'en est pas moins sensible. La Cour écrit ainsi, à la page 99 de son rapport : « Les investigations menées par la Cour montrent que les constats qu'elle a effectués étaient, pour l'essentiel, identifiés par les administrations et donc connus du Gouvernement dès l'automne 2016 et, de manière plus précise encore, en avril dernier, lors de la transmission à la Commission européenne du Programme de stabilité. » La phrase qui suit mérite particulièrement un débat approfondi : « Les textes financiers soumis à l'approbation de la représentation nationale (PLF pour 2017) ou à l'examen des instances européennes (Programme de stabilité) étaient ainsi manifestement entachés d'insincérité. » La mention d'une sorte d'insincérité délibérée a évidemment interloqué les membres de la commission. Cela pose – à tort ou à raison, mais nous allons entendre vos explications – un vrai problème de gouvernance : notre commission se fonde sur les informations données par le Gouvernement ; sont-elles bonnes, ou bien sont-elles tronquées ? La Cour parle de « biais de construction ». Qu'en est-il ?
Nous écoutons vos observations, sur ce point et sur d'autres.
Merci beaucoup, monsieur le président, pour votre invitation – je le dis très sincèrement. Vous vous enquérez, c'est bien légitime, de notre réaction aux conclusions de l'audit de la Cour des comptes, et nous allons vous la donner, tant sur les chiffres, indiscutables, que sur les mots employés, beaucoup plus discutables. La Cour parlant d'« insincérité », nous aurions d'ailleurs préféré qu'un petit échange contradictoire entre elle-même et les anciens membres du gouvernement concernés ait lieu – certains membres de la Cour des comptes se seraient émus que tel n'ait pas été le cas.
Puisque l'occasion m'est donnée de m'exprimer à ce propos, je le fais très volontiers. Christian Eckert et moi-même sommes d'ailleurs très souvent venus nous exprimer devant votre commission. Membres du Gouvernement, nous l'avons fait jusqu'au tout dernier moment. Ainsi avons-nous tenu à vous présenter, dans les derniers jours de la campagne présidentielle, le programme de stabilité, l'analyse que nous faisions, à ce moment de l'année, de l'évolution des dépenses et des recettes du budget et, sur cette base, les propositions de modification en gestion que nous souhaitions. Nous avons même saisi la commission des finances au début du mois de mai de nos projets de décret d'annulation – des propositions de gels. Ainsi la commission reçut-elle une information extrêmement précise sur les décisions que nous aurions prises et que nous avions préparées, et que tout gouvernement qui succéderait à celui dont nous étions membres aurait la possibilité de prendre.
Nous venons ici invités, et non convoqués. Je vous en remercie, monsieur le président. Nous venons donc librement, sereinement, avec la volonté de rétablir un certain nombre de vérités sur les comptes mais aussi d'engager un débat. Il est effectivement très important de connaître l'état de la France au moment où un nouveau pouvoir se met en place. Il est également important de savoir comment un Président de la République et une majorité peuvent tenir leurs engagements, dans un contexte difficile, qui le restera encore plusieurs années.
Ce chiffre de 8 milliards d'euros, pour arrondir généreusement comme on le fait toujours en pareil cas – la réalité étant de 7,8 ou 7,9 milliards d'euros –, ce chiffre avancé par la Cour des comptes est-il faux ? Ligne par ligne, chiffre par chiffre, l'analyse que la Cour fait de nos comptes est parfaitement exacte. Si ces chiffres sont exacts, c'est que la Cour ne les a pas inventés ni sortis de nulle part : c'étaient les chiffres que, comme elle le fait d'ailleurs remarquer, nos administrations nous avaient donnés à notre demande, comme elles le font – le président Woerth, ancien ministre du budget, est bien placé pour le savoir – tous les ans, au même moment de l'année, soit à la fin du premier trimestre ou au début du deuxième trimestre. Chaque année, nos services disent quels sont, de leur point de vue, les risques qui pèsent sur l'exécution.
Avons-nous voulu cacher cette situation ? Nous sommes venus devant la commission des finances, dont je salue les membres réélus ou nouveaux, et nous avons donné l'ensemble des éléments au cours d'une audition dont la vidéo et le compte rendu sont tout à fait disponibles. Vous pourrez vous y reporter et retrouver tout ce que nous avons dit alors. De même, les notes que nous avons échangées avec notre administration sont à la disposition du président de la commission des finances et du rapporteur général. Je vous invite particulièrement à demander les courriers adressés par les membres du Gouvernement à leur administration pour préparer la suite. Nous estimions en effet que notre devoir était de « laisser la maison en ordre » pour permettre à quelque majorité que ce soit de faire son devoir : tenir les engagements pris par elle. Les chiffres, exacts, donnés par la Cour des comptes n'ont jamais été cachés. On ne fait, de ce point de vue, aucune découverte à la lecture de son rapport.
La situation décrite par la Cour des comptes – 8 milliards d'euros de « risque de dérapage », pour reprendre ses propres termes, ce qui ne signifie pas 8 milliards d'euros de « trou » – diffère-t-elle de ce que l'on a pu constater les années précédentes ? En 2012, la Cour, après avoir mené un audit à peu près de même nature, avait identifié un risque d'un montant compris entre 6 et 10 milliards d'euros – sans doute était-elle moins armée pour préciser ces chiffres. Je ne suis pas mathématicien, à la différence de Christian Eckert, mais, « entre 6 et 10 milliards d'euros », cela doit donner quelque chose qui est aux alentours de 8 milliards d'euros... Le risque pesant sur l'exécution était donc, en 2012, d'environ 8 milliards d'euros. En 2015, année où nous avions pleinement la responsabilité des finances publiques, une note nous a été adressée par la direction du Trésor et la direction du budget, qui faisait état d'un risque de 7 à 8 milliards d'euros. Il en a été de même en 2016. Et voici que, selon la Cour des comptes, le risque est aujourd'hui, en 2017, de 7,8 milliards d'euros. Le risque est donc exactement du même montant et de même nature que chaque année à ce moment de l'année !
Pourquoi ? Certains ici, férus de la chose budgétaire, savent que la construction et, surtout, l'exécution d'un budget sont des affaires délicates, l'art le plus difficile étant celui de l'exécution, qui requiert une finesse politique mais aussi technique. Au cours de l'exécution, un point est fait au mois d'avril – ou un mois et demi plus tard, délai nécessaire en cas d'alternance –, et les gouvernements, quels qu'ils soient, prennent toujours des mesures de redressement, des mesures de gestion, pour un montant d'environ 4 milliards d'euros. Ensuite, nos administrations refont le point durant l'été pour la construction de la loi de finances initiale pour l'année suivant. À la fin de l'année, des mesures nouvelles sont prises pour environ 4 milliards d'euros, afin de gérer ces risques repérés, d'un montant global de 8 milliards d'euros. Nous sommes donc exactement dans la même situation, dans les mêmes conditions et pour les mêmes montants, que d'habitude. Il n'y a aujourd'hui rien de plus difficile ou compliqué que les années précédentes – même si c'est évidemment toujours difficile et compliqué lorsque l'on est déterminé à réduire les déficits et que l'on a, par ailleurs, pris des engagements en termes de dépenses ou de réduction des impôts ; ce fut le cas dans le passé, ce l'est aujourd'hui.
Sur ces 8 milliards de risque de dérapage, y a-t-il 8 milliards d'euros de « dépenses impayées » ? Pardon de reprendre cette expression, mais elle a été tellement utilisée, et, au fond, elle nous a tellement blessés... J'ai même entendu quelqu'un d'important parler de « 8 milliards d'euros de chèques en bois ». Avons-nous acheté quelque chose sans l'avoir payé, pour 8 milliards d'euros ? C'est faux, et la Cour des comptes elle-même le démontre.
Qu'y a-t-il donc dans ces 8 milliards d'euros ? La Cour des comptes nous décerne d'abord un satisfecit global sur les recettes. Tant en ce qui concerne les impôts qu'en ce qui concerne les cotisations, il n'y a pas de problème, sauf sur deux points.
Le premier concerne le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR), créé pour permettre la déclaration des comptes cachés à l'étranger et la perception des impôts dus à ce titre. Nous avons inscrit à ce titre dans le budget des recettes d'un montant de 1,9 milliard d'euros. Trouvant, sur le fondement d'une note que nous avait envoyée la direction générale des finances publiques (DGFiP), ce montant trop optimiste, la Cour considère que ces recettes seront en fait de 1 milliard d'euros, mais cette note est exactement de la même teneur que celles envoyées les années précédentes. En 2015, la DGFiP, administration prenant ses précautions, avait effectivement considéré que notre estimation de 2,2 milliards d'euros était très élevée et considérait qu'il serait déjà bien de parvenir à engranger 1,8 milliard d'euros. Or, finalement, nous avons engrangé 2,5 milliards d'euros, en raison de notre détermination – et de celle de notre administration. Nous avons donc perçu plus de recettes que prévu, et il en ira exactement de même cette année. Le montant d'un milliard d'euros est l'estimation basse proposée par les administrations, mais les sommes perçues atteindront bien le montant de 1,9 milliard d'euros – à moins que la détermination dans la lutte contre les comptes cachés à l'étranger ne faiblisse, mais je ne ferai à personne ici un tel procès d'intention. J'affirme d'autant plus volontiers que ce montant sera atteint qu'en vertu de règles internationales des échanges automatiques d'informations seront mis en place avec la Suisse, le Luxembourg et Singapour à compter du 1er janvier 2018. Tous ceux qui ont encore un compte caché en Suisse prendront alors des risques considérables s'ils ne le déclarent pas en France au STDR. Voilà donc une différence de 900 millions d'euros, qui correspond non pas à des dépenses impayées, mais à une différence d'appréciation entre ceux qui retiennent l'estimation la plus pessimiste et nous-mêmes, dont l'estimation reste pourtant en-deçà de la borne haute de la fourchette.
De même, en ce qui concerne l'écart d'un milliard d'euros relatif aux recettes non fiscales, la Cour des comptes a retenu l'estimation basse. Nous avons pour notre part retenu une estimation moyenne, et je pense que ce milliard d'euros sera au rendez-vous à la fin de l'année. Cela étant, rapporté au montant global des recettes pour la sécurité sociale et pour l'État – 1 000 milliards d'euros ! –, cet écart est mineur. Si le débat ne porte que sur un milliard d'euros, le budget est très sincèrement conçu et très sincèrement appliqué ! Il n'y a pas de chèques en bois.
Un montant de 2,3 milliards d'euros est compté par tous comme une dépense impayée : en quelque sorte, nous ferions un « chèque en bois » en faveur d'Areva, qui n'aurait pas sa contrepartie. Une augmentation du capital d'Areva, grande entreprise qui a connu, et connaît, des difficultés, est nécessaire, mais une recapitalisation ne compte pas comme dépense budgétaire ; elle est en revanche retenue en comptabilité « maastrichtienne », dans l'appréciation du respect de la règle des 3 %. Avons-nous l'argent ? Oui ! Regardez la situation du compte d'affectation spéciale (CAS) Participations financières de l'État, et regardez quand ce compte a été abondé. J'ai décidé la vente de la participation de l'État au capital de PSA ; cela représente un peu plus de 1 milliard d'euros, qui ont été versés au CAS Participations financières de l'État en vue de la recapitalisation d'Areva. De même, j'avais préparé trois opérations qui n'ont pas eu lieu, car les conditions de marché ne permettaient pas de les mener à bien dans le respect des intérêts de l'État – comme le Premier ministre dans Les Échos ce matin, je ne vous préciserai pas lesquelles, le Gouvernement peut les mener à tout moment, et il n'appartient à personne de divulguer ces informations. Bref, soit les sommes nécessaires à la recapitalisation figurent sur le CAS Participations financières de l'État, soit les opérations permettant de les trouver sont préparées. Il est tout simplement faux de parler de 2,3 milliards d'euros de dépenses impayées au profit d'Areva. J'ai voulu préparer scrupuleusement toutes les recapitalisations que nous avions décidées, au profit d'Areva, d'EDF ou de plus petites entités.
Restent, selon la Cour, 3,6 milliards d'euros de sous-budgétisations...
Je crois que la Cour parle de 4,2 milliards d'euros, monsieur le ministre, mais nous vérifierons.
Je suis presque certain qu'il s'agit de 3,6 milliards d'euros, mais peu importe ; malheureusement, nous ne sommes pas à 600 millions d'euros près lorsque nous évoquons la gestion du pays.
N'avions-nous pas l'argent ? Étions-nous dans l'impossibilité d'honorer ces dépenses ? Tous les ans, la critique est faite : en cours d'année, il faut abonder des crédits pour faire face à certaines dépenses. Sont toujours concernés les mêmes ministères : ceux du travail, de l'agriculture et des affaires sociales. S'y ajoutent, pour le ministère de la défense, les opérations extérieures, à la montée en puissance desquelles nous assistons depuis 2010 ou 2011. Tous les ans, évidemment, il a été fait face à ces besoins en cours de gestion.
Un tel montant, de 3,6 ou 4,2 milliards d'euros, rompt-il avec la réalité des années passées ? J'ai entendu un tout jeune ministre dire que l'État allait se serrer la ceinture et faire 4,5 milliards d'euros d'économies – je crois que le détail vous en a été précisé. Il prétend que cela n'a jamais été fait. Pour ma part, je ne me rappelle pas d'époques très anciennes ni ne dispose d'informations me permettant d'en parler. Je me remémore simplement, comme la Cour des comptes – voyez son rapport –, l'effort accompli en cours d'année en 2015 et en 2016. En 2015, il représentait 4 milliards d'euros ; en 2016, il représentait 5,8 milliards d'euros. Autrement dit, un effort de 4,5 milliards d'euros est exactement dans l'épure habituelle d'une bonne gestion menée par un gouvernement qui prend les décisions nécessaires en cours d'année, ni plus ni moins. C'est le bon quantum, si je puis dire, mais c'est le quantum habituel.
L'idée d'un « dérapage » des déficits publics n'est pas exacte. Lorsque la Cour prévoit un déficit équivalent à 3,2 % du produit intérieur brut, ce chiffre est inférieur à celui de l'année passée lequel était inférieur à celui de l'année précédente, lui-même inférieur... Force est de constater que les déficits ont continûment baissé depuis 2011 ; ils représentaient alors 5,1 % du PIB.
Non, il n'y a pas de « chèque en bois ». Non, il n'y a pas de « trou ». Non, il n'y a pas de « dépenses engagées impayées ». Ce ne sont là que facilités de langage. Lorsqu'il faut aborder des sujets difficiles, prendre des décisions compliquées, comme ce sera le cas de ce gouvernement et de cette majorité, il ne faut pas employer de tels termes.
Pourquoi cette dramatisation à un moment donné ? C'est une antienne habituelle. Peut-être nous est-il déjà arrivé à tous deux, monsieur le président, d'insister sur le poids de l'héritage et la nécessité de prendre des décisions difficiles, de rappeler que ce n'était pas notre faute, mais celle d'autres.
Effectivement, nous pourrions parler de l'héritage que nous avons trouvé en 2012, même si nous n'avons pas exactement utilisé, à l'époque, l'audit comme il est utilisé aujourd'hui. Certains nous le reprochent, mais je pense que nous n'avions pas à le faire.
Pourquoi cette dramatisation ? Pour deux raisons. La première, c'est qu'il y a des décisions difficiles à mettre en oeuvre pour 2017. Nous avions nous-mêmes préparé – et annoncé devant cette commission – un décret d'annulation de 1,4 milliard d'euros de crédits, et je sais qu'il n'est jamais facile de dire à un membre du Gouvernement, que ce soit le ministre de la défense ou un autre, qu'il va falloir faire des économies. J'invite l'actuelle majorité à affronter la réalité et à prendre ses responsabilités plutôt que de laisser penser que s'il y a aujourd'hui des décisions difficiles à prendre, c'est parce que le précédent gouvernement aurait été incapable de gérer la France.
Par ailleurs, l'année 2018 est celle où, légitimement, la nouvelle majorité veut mettre en oeuvre les engagements qu'elle et le nouveau Président de la République ont pris devant les Français. Je m'étais préparé de manière extrêmement précise et sincère à cette phase de transition, en ne laissant aucune place à des dépenses nouvelles, notamment en ne prévoyant aucune diminution d'impôt supplémentaire – par rapport aux 6 milliards d'euros de baisses d'impôts s'inscrivant déjà dans la trajectoire. Je comprends que le Gouvernement souhaite – c'est sa liberté, et peut-être son devoir – vous proposer 6 ou 7 milliards d'euros de baisses d'impôts venant s'ajouter à celles qui étaient déjà prévues, et auxquelles il faudra bien trouver une contrepartie, ce qui est toujours difficile : il faut soit trouver de nouvelles sources d'économies, soit modifier le niveau de déficit – ce qui, je crois, fait partie de vos propositions.
Pour en revenir au mot « insincérité », employé avec insistance par la Cour des comptes dans une intention que d'aucuns ont, à tort, jugée cruelle, il a choqué et blessé beaucoup de monde, à commencer par Christian Eckert et moi-même, mais aussi les administrations qui oeuvrent au service de la majorité actuelle comme de l'ancienne, ainsi que les juristes, car le Conseil constitutionnel, qui est le seul juge de la sincérité des documents budgétaires, a déclaré que ceux de 2017 étaient sincères.
J'ai énormément de respect pour la Cour des comptes, qui est l'une des grandes institutions de la République et se montre invariablement sévère, parce que c'est son rôle – elle l'a été hier, elle l'est aujourd'hui avec nous, et le sera demain avec ceux qui nous ont succédé. Cependant, je crois que Pierre Joxe ou Philippe Séguin n'auraient pas agi comme l'a fait l'actuel Premier président de la Cour des comptes.
Je salue la volonté de l'actuelle majorité de continuer à réduire les déficits, une volonté dont elle ne doit à aucun prix se départir, en dépit des hésitations que l'on peut percevoir de la part de certains. Aujourd'hui, rien ne permet de considérer que le volcan que représente la dette de la France ne représente plus un danger, et qu'il serait possible de financer par la dette de nouvelles mesures fiscales, quelle que soit leur légitimité. Vous avez décidé, à juste titre, de continuer à diminuer les impôts ; cependant, c'est un choix politique qui en implique d'autres, consistant à déterminer lesquels. Il peut s'agir de la taxe d'habitation (TH) – pourquoi pas ? –, ou de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), révisé pour devenir un impôt sur la fortune immobilière (IFI), parallèlement à la mise en place d'une flat tax sur les revenus du capital.
Les chiffres sont connus, puisqu'ils ont été annoncés par le Premier ministre. Le coût de la réforme de la taxe d'habitation s'élève à 3 milliards d'euros, comme celui de la transformation de l'ISF en IFI, tandis que la mise en place de la flat tax à 30 % va coûter 1,5 milliard – ce qui fait 4,5 milliards d'euros au total pour ces deux dernières mesures. Si je suis en désaccord sur le nouvel équilibre qui est ainsi proposé, je reconnais que cette question est de nature à donner lieu à un débat politique. En tout état de cause, vous avez raison de vouloir maîtriser les dépenses, car c'est une condition nécessaire à une diminution des déficits et des impôts – nous sommes nous-mêmes, en dépit des controverses, parvenus à imposer chaque année entre 7 et 10 milliards d'euros d'économies. Je le répète, toute la question est de savoir sur qui doivent peser les économies réalisées – et quand je vois ce qui est aujourd'hui prévu pour la défense ou pour l'aide au développement, par exemple, je considère qu'il y a matière à un vrai débat politique : il y va de la justice fiscale et de l'intérêt national.
Nous parlions d'héritage, c'est en fait un véritable testament que vous nous livrez aujourd'hui !
Mon propos aura vocation à compléter celui de mon collègue Michel Sapin. Si nous avons eu l'habitude de faire des interventions communes au cours des dernières années, la répartition des compétences selon laquelle nous nous exprimions jusqu'à présent, résultant de nos fonctions respectives au ministère des finances, se trouve aujourd'hui inversée : ainsi, après les explications comptables et techniques qu'il vient de vous donner, je vais plutôt vous entretenir de l'aspect général et politique du sujet qui nous réunit aujourd'hui.
Avant cela, je commencerai par vous remercier de nous avoir invités, monsieur le président, et de nous donner ainsi l'occasion de nous expliquer. Nous avons en effet été choqués par certains mots, mais aussi étonnés par la méthode employée. Je rappelle que nous n'avons reçu aucune information sur le rapport avant sa publication, et que la presse a disposé de ce document plusieurs jours avant que nous n'en prenions nous-mêmes connaissance, ce qui nous a placés dans une position inconfortable lorsqu'il s'est agi d'apporter rapidement des réponses techniques aux questions qui se posaient.
Si j'ai un très léger reproche à adresser à Michel Sapin au sujet de son intervention, c'est celui de n'avoir parlé que du « trou » de 8 milliards d'euros et des 4,5 milliards d'euros de mesures de redressement à prendre, sans dire que l'écart entre ces deux chiffres correspond très exactement à la différence entre un déficit de 3,2 % du PIB et un déficit de 3 %. Nous avions pour notre part fixé un objectif de 2,8 %. Nos services et la Cour des comptes retenaient plutôt le chiffre de 3,2 %, ce qui représente une différence de 8 milliards d'euros. Si nous avions retenu cet objectif de 2,8 %, c'était pour mettre tout le monde sous tension, compte tenu de la difficulté à contenir la dépense et les déficits. Cela dit, il n'a échappé à personne qu'au moment de nos échanges sur le programme de stabilité, nous avions simplement dit souhaiter revenir sous la barre des 3 %, le chiffre de 2,8 % étant passé au second plan. Aujourd'hui, le Gouvernement parle de 4,5 milliards d'euros de mesures de redressement, ce qui correspond à un déficit d'environ 3 %. Les 3,6 milliards d'euros – ou 4,2 milliards d'euros, en fonction des estimations – détaillés par Michel Sapin s'expliquent donc parfaitement par la différence entre notre objectif ambitieux d'un déficit de 3 % et la fixation de ce déficit à 3,2 %.
Je voudrais revenir sur le caractère habituel, pour ne pas dire banal, de la pratique consistant à prendre pour 4 milliards d'euros environ de mesures de redressement en cours d'année. Certes, construire un budget est un exercice difficile, mais l'exécution budgétaire ne l'est pas moins, et revêt un caractère extrêmement important. La notion d'insincérité pouvant évoquer l'idée de dissimulation, je voudrais rappeler la fréquence de nos contacts et la transparence de nos échanges : nous avons régulièrement transmis des informations à l'Assemblée nationale et au Sénat, et répondu à toutes les sollicitations en ce sens des présidents et des rapporteurs généraux des deux commissions des finances.
La Cour des comptes reconnaît elle-même qu'en 2016 « la réserve de précaution a ainsi limité les dépenses à hauteur de 5,8 milliards d'euros ». Dire que faire 4,5 milliards d'euros d'économies en cours d'année est inédit et quasiment impossible est donc une erreur, puisque nous l'avons systématiquement fait. En 2016, nous l'avons fait en plusieurs fois, avec un décret d'avance en juin, annulant un milliard d'euros de crédits ; un autre en septembre, annulant 700 millions d'euros de crédits ; un autre en novembre, annulant un milliard d'euros ; enfin, une loi de finances rectificative annulant le solde nécessaire pour parvenir à une réduction totale de 5,8 milliards d'euros.
En 2014, nous avions pris pour 4 milliards d'euros de mesures de redressement.
Dans une exécution budgétaire, les aléas sont nombreux, car ils ne portent pas seulement sur les dépenses, mais aussi sur les recettes. C'est pourquoi nous devons tous – parlementaires, ministres et magistrats de la Cour des comptes – savoir faire preuve d'une certaine humilité en matière de prévisions. Même examiné au mois de juin, un budget n'est jamais que prévisionnel ! Qui peut dire aujourd'hui, à un milliard près, ce que seront les recettes de TVA en 2017 ? Cette taxe est liée directement au niveau de la croissance et à celui de l'inflation ; or tout le monde s'accorde à reconnaître que la croissance est probablement supérieure au taux de 1,5 % que nous avions retenu.
D'une manière générale, les recettes ont un caractère très volatil. Ainsi, l'impôt sur les sociétés fait toujours l'objet d'un versement par les très grandes entreprises de ce que l'on appelle le « cinquième acompte » à la mi-décembre – un acompte représentant une anticipation du calcul par les entreprises concernées de leur assiette fiscale pour l'année en cours. En 2015, nous avions eu la bonne surprise d'avoir plus d'un milliard d'euros de recettes supplémentaires sur le cinquième acompte, ce qui n'a rien d'étonnant quand on sait qu'il suffit pour cela qu'une ou deux grandes entreprises – essentiellement des banques – anticipent un bénéfice fiscal supérieur. Cela dit, cette situation n'est pas systématique : je rappelle que, si cet aléa s'est soldé par un résultat positif d'un milliard d'euros en 2015, on a observé un résultat négatif de près de 2 milliards d'euros en 2016, la plupart des grandes entreprises ayant anticipé une baisse de leur bénéfice fiscal.
J'insiste donc sur la nécessité que nous restions tous humbles lorsqu'il s'agit d'établir des prévisions. L'analyse finale des comptes se fera au moment de la loi de règlement, c'est-à-dire dans un an pour l'exercice 2017. Affirmer aujourd'hui de manière péremptoire qu'il va manquer tant de milliards d'euros pour parvenir à tel ou tel résultat est très imprudent, et j'invite chacun à la plus grande circonspection en la matière.
J'en viens à la réserve de précaution, qui a grossi au fil du temps. Je rappelle que cette réserve correspond à des crédits immobilisés – qui ne sont jamais ceux du titre II : on sait, ainsi, que la masse salariale est toujours exécutée conformément aux prévisions, à peu de chose près – de façon à pouvoir faire face aux aléas qui peuvent survenir au cours d'une année, qu'il s'agisse d'un événement climatique, d'une calamité agricole, d'opérations militaires extérieures non prévues, ou d'événements macroéconomiques ou géopolitiques portant par exemple sur le prix du pétrole ou les taux d'intérêt. Cette réserve de précaution peut être augmentée certaines années – parfois à la demande du Parlement, comme cela avait été le cas récemment dans le cadre de l'examen par le Sénat du projet de loi de programmation pluriannuelle des finances publiques. À quoi les 13 milliards d'euros qui composent actuellement la réserve de précaution sont-ils destinés ? Ils servent parfois à couvrir des besoins que Michel Sapin a évoqués tout à l'heure, et dont le caractère récurrent irrite régulièrement certains parlementaires, mais aussi le ministre du budget. En fin d'année, ils permettent aussi d'annuler un certain nombre de crédits.
Est-ce une bonne chose ? Certes, la présence de cette réserve constitue une sorte de filet de sécurité permettant de faire face, au cours d'une année, à de nouveaux besoins ou des décisions politiques non prévues. Cependant, il ne faut pas abuser d'une pratique revenant à déposséder le Parlement de sa capacité de décision et de proposition, en permettant au Gouvernement de déplacer un certain nombre de crédits – dans des proportions certes limitées. Pour cette raison, une réflexion pourrait être menée au Parlement sur l'ampleur et l'utilisation de la réserve de précaution. En tout état de cause, aujourd'hui c'est bien cette réserve qui va permettre de faire face à un certain nombre de dépassements, que Michel Sapin a exposés dans le détail.
Je me permets par ailleurs d'évoquer un point passé sous silence par la Cour des comptes, à savoir le fait que nous avons procédé à un gel supplémentaire de crédits, pour 1,4 milliard d'euros, à la fin du mois d'avril 2017, selon des modalités détaillées et transmises à votre commission. Nous n'avons pas recouru à un décret d'avance pour annuler ces crédits, estimant qu'il y avait tout lieu, à proximité d'une échéance pouvant laisser présager un changement de majorité, de laisser au futur gouvernement la liberté de faire d'autres choix, soit en volume, soit en répartition. Ainsi, en accord avec l'ensemble du gouvernement et le Président de la République de l'époque, nous avions pour notre part décidé d'annuler 350 millions d'euros de crédits du ministère de la défense afin de parvenir à ce montant de 1,4 milliard d'euros.
Je veux encore dire un mot sur les perspectives pour l'année 2018. Je rappelle que le Parlement a voté des mesures prévoyant 6 milliards d'euros de baisses d'impôt pour l'année, à savoir : la majoration du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ; la création du crédit d'impôt de taxe sur les salaires dans le secteur de l'économie sociale et solidaire (ESS) – pour environ un milliard d'euros ; la généralisation du crédit d'impôt pour l'emploi de salariés à domicile, notamment pour l'accompagnement des personnes âgées ; enfin, la baisse de l'impôt sur les sociétés, s'inscrivant dans une trajectoire visant à ramener son taux de 33 % à 28 %.
Parallèlement, on a observé des propositions consistant à majorer les dépenses. Il a ainsi été prévu d'augmenter l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), anciennement appelé minimum vieillesse, l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et un certain nombre de dépenses sociales, ce qui donne très logiquement lieu à un débat démocratique sur la nécessité de mettre en place des contreparties visant à financer ces baisses d'impôts supplémentaires. Pour ma part, je m'interroge sur les économies réalisées par l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC) à la suite d'un accord signé par les partenaires sociaux et désormais mis en oeuvre, et sur les modifications relatives à la prise en charge d'un certain nombre de dépenses.
Même si nous n'avons pas observé la même répartition des rôles que par le passé, j'espère que notre intervention en duo vous a donné satisfaction et permis d'obtenir des réponses à toutes les questions que vous vous posiez.
Messieurs les ministres, je vous remercie d'avoir accepté de répondre à l'invitation de notre commission de venir répondre aux questions que nous nous posons sur ce sujet important qu'est la sincérité des comptes.
Je partage avec vous l'opinion selon laquelle l'emploi du terme « insincérité » par la Cour des comptes est excessif, car il s'agit d'une notion juridique susceptible d'entraîner la censure du budget, comme notre vice-président l'avait souligné lors de l'audition du Premier président de la Cour des comptes. Par ailleurs, vous n'aviez pas caché la nécessité de recapitaliser Areva, ni le fait que le coût de cette opération n'était pas intégré dans le calcul du déficit public.
À ce propos, ne pensez-vous pas avoir commis une erreur de communication en n'indiquant pas, lors de la présentation du programme de stabilité devant notre commission, au moins une fourchette de déficit public qui aurait pu donner une idée de l'impact de la recapitalisation d'Areva dans le calcul du déficit public ?
Pour ce qui est du problème récurrent du calcul du déficit structurel et de l'ajustement structurel, sans vouloir entrer dans un débat qui nécessiterait beaucoup plus de temps que celui dont nous disposons, j'aimerais savoir pourquoi vous avez maintenu des hypothèses de croissance potentielle et d'écart de production aussi éloignées de celles de la Commission européenne. Après s'être rejointes il y a deux ans, les deux estimations se sont en effet à nouveau écartées sans que l'on en connaisse les raisons.
Vous avez évoqué tout à l'heure le STDR. Étiez-vous informés que les recettes produites par son activité allaient diminuer, dans la mesure où les plus gros dossiers avaient été traités en priorité par l'administration ?
Enfin, j'ai bien entendu ce que vous avez expliqué sur les problématiques relatives aux sous-budgétisations, mais pourriez-vous revenir de manière plus précise sur les sous-budgétisations s'élevant à 4,2 milliards d'euros, notamment sur les 800 millions d'euros correspondant aux surcoûts des opérations extérieures et intérieures, sur le milliard d'euros destiné au plan de formation de 500 000 chômeurs et aux contrats aidés, ainsi que sur les 700 millions d'euros de l'AAH ?
Merci, monsieur Eckert, monsieur Sapin, d'avoir pris le temps de venir devant notre commission.
Nous sortons, nous le savons tous, d'une décennie, d'un quinquennat difficiles économiquement. Notre majorité veut s'assurer que le processus budgétaire sera le plus fiable et le plus sérieux possible, avec une trajectoire crédible. Nous voulons repasser sous les 3 % de déficit et infléchir la courbe de la dette.
En ce sens, il est essentiel de tirer collectivement les leçons de l'expérience récente, notamment en ce qui concerne l'efficacité de la dépense publique. Le bilan doit faire réfléchir, et nous pousse à agir : nous détenons un record de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires, notre dette a augmenté de trente points de PIB depuis le début de la crise ; pourtant, nous avons toujours 10 % de chômage, des territoires en difficulté et un investissement en berne.
Que faudrait-il changer ? Quels sont les blocages que vous avez identifiés, et qui ont pu vous empêcher de mieux dépenser l'argent public, et donc potentiellement de moins le dépenser ? Comment appréciez-vous l'efficacité de la dépense, et comment l'accroître ?
Merci, monsieur Eckert, monsieur Sapin, d'être revenus devant nous.
Vous dites, monsieur Sapin, que la Cour des comptes est sévère. Mais elle n'est ni sévère ni clémente ; c'est un juge de paix dont les analyses sont pertinentes ! Certains moments de vérité, je vous le concède, sont douloureux.
Je voudrais soulever certaines contradictions dans vos propos. Vous ne contestez pas le montant de 8 milliards d'euros ; cette situation était connue, dites-vous, et vous laissez « la maison en ordre ». Or, le 18 octobre dernier, vous déclariez en séance publique qu'« un budget sincère est un budget qui tient compte de l'ensemble des informations disponibles : c'est bien notre approche, au stade de la présentation du projet de loi de finances et tout au long du débat, pour opérer le cas échéant [...] les ajustements nécessaires ». La Cour des comptes indique pourtant qu'à partir de l'automne 2016, les administrations avaient déjà dressé certains constats inquiétants, qui étaient dès lors connus du Gouvernement. Pourquoi ne pas avoir tenu compte de ces faits lors de l'établissement du budget ?
Par ailleurs, M. Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, était-il informé de cette situation ? Comment a-t-il réagi, et ces constats ont-ils pu précipiter sa décision de démissionner le 30 août 2016 ?
Monsieur Eckert, vous avez déclaré devant la commission, le 14 février dernier, que, s'agissant de l'exercice 2017, « le Gouvernement [s'était] attaché à construire le budget sur des hypothèses solides ». Vous nous avez donné ce matin des explications relatives aux recettes et aux incertitudes qui peuvent s'y attacher. Mais la Cour des comptes insiste surtout sur le problème des sous-budgétisations initiales. C'est là que le bât blesse : certains faits, connus, n'ont pas été pris en considération. Certes, construire un budget n'est pas facile, mais pourquoi ces sous-budgétisations ?
Je ne mets aucunement en doute vos compétences, ni d'ailleurs celles des services. Mais pourquoi ne pas avoir pris en compte tous ces éléments ? Vous ne contestez pas les montants, mais vous affirmez qu'il n'y a pas de dérapage. Nous ne pouvons pas approuver ces propos contradictoires. Envisagiez-vous en réalité de renoncer à l'idée de ne pas dépasser le seuil des 3 % ?
Je fais partie des nouveaux élus qui découvrent la commission, et je vous l'avoue : je suis plus que choqué.
Ma première question porte sur le budget pour 2017. Le Conseil constitutionnel l'a jugé sincère ; la Cour des comptes dit le contraire. Que penser ? Quelle confiance peut-on accorder à ces deux institutions ?
Ma seconde question est relative aux comptes de l'année 2016. La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) a prévu une certification des comptes de l'État par la Cour. Or, pour 2016, ces comptes ont été certifiés « réguliers et sincères » mais avec quatre « réserves substantielles ». Celles-ci ne sont pas anodines : limites générales dans l'étendue des vérifications – quelles sont-elles ? ; anomalies relatives aux stocks militaires et aux immobilisations corporelles – faut-il voir là les effets du secret défense ? ; anomalies relatives aux immobilisations financières ; anomalies relatives aux charges et aux produits régaliens. Il ne s'agit pas ici de prévisions, mais de constatations comptables.
Certes, la Cour des comptes a levé certaines de ces réserves. Mais, en 2016, si toutes les demandes de la Cour avaient été prises en considération, la situation nette de l'État aurait été dégradée de 5,5 milliards d'euros par rapport à ce qui a été présenté.
Comment voulez-vous, messieurs les ministres, que l'État soit crédible, comment voulez-vous redonner confiance aux Français, aux investisseurs, aux créanciers si les comptes de la Nation présentent autant d'anomalies ? Peut-on imaginer un seul instant un chef d'entreprise – il y en a parmi nous – qui présente des comptes pareils ?
Je suis un peu étonné de la faiblesse de l'argumentation présentée par M. Sapin. Certes, c'est le Conseil constitutionnel qui est compétent s'agissant de la sincérité du budget, et il a jugé – à la suite d'un recours de l'opposition, dont j'étais – que le projet de loi de finances pour 2017 n'était pas insincère ; mais c'est le Haut Conseil des finances publiques qui apporte les éléments sur lesquels il s'appuie.
Or le Haut Conseil n'a de compétence que sur les recettes, et la critique fondamentale de la Cour des comptes porte sur les dépenses ! En matière de recettes, M. Eckert a raison : un écart de 2 milliards sur 300, ce n'est pas énorme, et les recettes sont bien plus aléatoires que les dépenses. M. Sapin a d'ailleurs oublié de dire que la situation était inverse en 2012 : l'écart avait été constaté sur les recettes, et non sur les dépenses.
Avec Gilles Carrez et d'autres, nous avions déjà souligné les risques existants. Je lis dans le rapport de la Cour des comptes que « les investigations menées par la Cour montrent que les constats qu'elle a effectués étaient, pour l'essentiel, identifiés par les administrations et donc connus du Gouvernement dès l'automne 2016 et, de manière plus précise encore, en avril dernier » – dès l'automne 2016, mes chers collègues ! Le rapport conclut que « les textes financiers soumis à l'approbation de la représentation nationale [...] étaient ainsi manifestement entachés d'insincérités ».
Je prends l'exemple des missions Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales et Travail et emploi.
Dans le cas de l'agriculture – vous ne pouvez pas le contester, ce n'est pas moi qui le dis, mais la Cour des comptes – les contentieux relatifs aux refus d'apurement communautaires n'étaient pas budgétés. Or la décision européenne demandant le reversement de 1,078 milliard d'euros, et acceptant un étalement sur trois ans, remonte au 16 janvier 2015 ! Il en est de même pour la sous-budgétisation du coût des exonérations de cotisations sociales et des conséquences de l'épidémie d'influenza aviaire et du versement des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN).
De la même façon, dans le cas de la mission Travail et emploi, vous aviez budgété 200 millions pour le plan de formation de 500 000 chômeurs : il manquait, excusez du peu, 600 millions ! C'est une sous-budgétisation de 75 %... Et c'est encore la même chose pour les contrats aidés. Ces faits sont incontestables, et vous avez agi sciemment : ce ne sont pas les administrations qui sont responsables. Ce sont des arbitrages politiques, destinés à donner l'impression que le déficit s'élèverait à 2,7 % du PIB.
En ce qui concerne 2017, vous n'avez pas répondu précisément, monsieur Sapin, aux questions précises que soulève la Cour des comptes.
Je voudrais également dire quelques mots de 2018. En 2017, vous avez anticipé des recettes pour 1,6 milliard – Gilles Carrez et moi-même avions beaucoup insisté sur ce point. Merci pour vos successeurs ! Et vous avez, en sens inverse, reporté des dépenses 2017 à 2018. De surcroît, les reports de charges sont en forte augmentation. Les reports de charge – je le précise pour les nouveaux – c'est un vieux truc : on ne paye pas en fin d'année, on fait de la cavalerie. Mais les ministres successifs les avaient considérablement diminués.
Pouvez-vous répondre précisément aux questions précises de la Cour ? L'argumentation de M. Sapin, je le redis, ne tient pas la route !
Merci, monsieur Eckert, monsieur Sapin, pour vos éclairages.
Je ne poserai qu'une seule question : que pensez-vous du montant des annulations prévues par le ministre des comptes publics ? Selon vous, 4,5 milliards, est-ce trop, est-ce juste, voire est-ce insuffisant ?
S'agissant de l'insincérité, je commence par vous livrer une citation : « J'ai demandé une évaluation par la Cour des comptes de la réalité budgétaire de notre pays ; je savais déjà depuis plusieurs semaines qu'il y avait une dégradation plus grande que le gouvernement sortant ne le disait de nos comptes publics. » Le personnage qui a fait cette déclaration a ensuite rectifié sa politique économique – c'était François Hollande, en mai 2012. M. Cahuzac avait ajouté : « Il y a une impasse budgétaire de 20 à 25 milliards d'euros. » C'est un grand classique, pour un gouvernement qui veut accélérer sa politique d'austérité ou revenir sur des promesses faites au peuple, de se servir d'un audit ! Le fait que nous ayons des résultats similaires en 2012 et en 2017 ne m'étonne pas beaucoup.
En entendant Michel Sapin, je me disais surtout qu'il pourrait être encore ministre, et être venu nous présenter la politique budgétaire : il est à peu près dans les mêmes rails que le Gouvernement actuel. Ce sont toujours les mêmes phrases, sur la dette, sur la baisse des recettes et des dépenses. Nous assistons à la poursuite, en pire, de la même politique – je réserve mes critiques sur celle-ci pour le ministre des finances actuel que nous entendrons tout à l'heure.
En revanche, je voudrais vous interroger sur la gabegie financière qu'ont représenté le CICE et le pacte de responsabilité : en 2016, cela a coûté plus de 30 milliards d'euros. Or, selon l'étude la plus optimiste, menée par la Fédération de recherche CNRS « Travail, emploi et politiques publiques » (TEPP), le CICE a permis la création de 45 000 à 115 000 emplois – à moins qu'il ne s'agisse que d'emplois sauvegardés. Les autres études ne voyaient même aucune création d'emploi !
Chaque emploi créé, ou seulement sauvegardé, par le CICE aura donc coûté 300 000 à 600 000 euros, sans aucune contrepartie. Et chacun a pu observer – je ne fais que citer des chiffres de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) – que les dividendes ont en revanche explosé : en 2016, la France a décroché le record d'Europe ! Cela doit vous rassurer sur la question de la taxation des capitaux et l'attirance du monde financier pour la place de Paris.
Le coût du CICE et du pacte de responsabilité passera à 40 milliards d'euros en 2017 : c'est grosso modo l'équivalent de la charge de la dette, qui était de 44,16 milliards en 2016. Monsieur Sapin, pouvez-vous dire quelques mots de cet aspect de votre bilan, bien plus catastrophique à mes yeux que celui, vrai ou pas, des insincérités relevées par la Cour des comptes ?
Éric Coquerel a dit l'essentiel... Vous faites valser les milliards avec dextérité, mais vous ne dites rien des conséquences des politiques que vous avez menées sur la vie des gens, des hommes et des femmes qui peinent à boucler leurs fins de mois, ou encore sur l'avenir des services publics, en particulier en milieu rural. Derrière vos chiffres, il y a des problèmes concrets pour nos concitoyens.
Ce matin, vous avez encore saisi l'occasion de reprendre le discours sur les efforts à faire, sur les vis qu'il faudra serrer... Tout à l'heure, le ministre des finances et le ministre des comptes publics nous rediront la même chose.
En revanche, je n'ai rien entendu sur la fraude et l'évasion fiscale – 60 à 80 milliards, qu'il faut comparer aux 4 milliards ici, 4 milliards là dont il était question ! Je n'ai rien entendu non plus du scandale que constitue le CICE, censé rétablir l'emploi dans notre pays... Il n'a pas créé d'emploi, ou quelques-uns fort chers, mais il a créé des dépenses qui, elles, n'ont pas été perdues pour tout le monde ! Pouvez-vous revenir sur ce point ?
Quel est par ailleurs votre regard sur le resserrement de l'ISF ?
Enfin, s'agissant du prélèvement à la source, nous nous étions opposés au projet que vous aviez présenté, et nous y restons défavorables. Néanmoins, j'aimerais savoir si le report d'un an de cette réforme est, selon vous, lié à la complexité de sa mise en oeuvre, qui aurait été mal anticipée, ou bien plutôt à des raisons politiques, l'exécutif souhaitant garantir la lisibilité de la prochaine baisse de cotisations sociales ? Ces baisses rapporteront, je le souligne, 250 euros par an à un smicard – rien à voir avec les quelque 3 à 4 milliards que rapportera aux plus grandes fortunes la réforme de l'ISF.
Je vous propose, chers collègues, de nous en tenir au sujet de notre réunion, c'est-à-dire le rapport de la Cour des comptes.
Je ne reviendrai pas sur Areva, ni sur l'utilisation de la réserve de précaution, quelque peu détournée de son principe puisqu'elle est utilisée pour gérer des sous-budgétisations chroniques plutôt que pour compenser les imprévus.
Le point essentiel est à mon avis le suivant : à l'automne 2016, quand le projet de loi de finances a été présenté au Parlement, aviez-vous conscience de ces sous-budgétisations ? La Cour des comptes insistant sur ce point, il me semble qu'il faut y revenir : pourquoi ces fameux « biais de construction » ? Que s'est-il vraiment passé ? Alors que les enveloppes de crédit avaient déjà augmenté de près de 8 milliards par rapport à l'exécution 2016, il n'y avait pas, me semble-t-il, de raison particulière de sous-budgétiser. Bref, ces sous-budgétisations étaient-elles délibérées ?
Monsieur Eckert, vous dites que le chiffre de 2,8 % était une « cible ». Je comprends bien l'idée ; mais le rôle d'un budget est-il de se donner des objectifs que l'on essaie d'atteindre ? Lorsque l'on envoie aux instances européennes une trajectoire budgétaire, ce n'est pas un simple but qui est attendu, mais un chiffre réel.
Un dernier point, sur le prélèvement à la source. L'administration nous dit aujourd'hui : « Nous n'étions pas prêts », et la réforme a été reportée. Or je me souviens que les mêmes personnes et vous-même, monsieur Eckert, nous disaient : « Nous sommes prêts et nous pourrons appliquer le prélèvement à la source au 1er janvier 2018. » La même administration a donc déclaré deux choses différentes à la commission des finances. Nous voudrions savoir : étiez-vous ou n'étiez-vous pas prêts ?
Merci pour ces nombreuses questions qui vont au-delà des aspects techniques budgétaires et abordent des sujets politiques, sur lesquelles notre appréciation a été sollicitée.
Je laisserai Christian Eckert répondre sur le prélèvement à la source. Cette réforme était prête à tous points de vue ; si elle a été reportée, c'est pour d'autres raisons – peut-être bonnes – que l'impréparation.
J'ai été, monsieur le rapporteur général, un peu rapide sur Areva. Je crois avoir démontré – même si je ne pense pas être parvenu à convaincre M. de Courson – que je n'ai jamais convaincu... – ni Mme Louwagie – malgré le fait qu'elle a été plus constructive dans ses critiques – qu'il ne s'agissait pas de dépenses non financées ni d'insincérité. Nous avons déjà eu l'occasion d'expliquer précisément ici-même ce que je vais redire.
Je pense que c'est une grave erreur d'annoncer que les 2,3 milliards relèvent du déficit maastrichtien, car cela signifie que ce sont des aides d'État à perte et non des « investissements avisés ». En effet, lorsque l'État investit dans une entreprise pour des raisons stratégiques ou de rentabilité, ce n'est pas compté dans le déficit, tandis que lorsqu'il intervient pour sauver une entreprise sans rentabilité, cela y est intégré. Dire, aujourd'hui, que ces 2,3 milliards ne seraient pas des investissements avisés, c'est une grave erreur. Des discussions se poursuivent avec d'autres investisseurs, en particulier des investisseurs étrangers que nous souhaitons voir entrer au capital d'Areva ; en leur disant que l'argent qu'ils investiront est une perte, on ne peut pas les attirer. Quand un chef d'entreprise cherche des investisseurs, il ne commence pas par annoncer que l'argent investi sera perdu !
J'ai donc dit ce que j'en pensais au Haut Conseil des finances publiques. C'est une grave erreur de stratégie économique ; je n'ai pas voulu faire cette erreur et je souhaite que l'actuel Gouvernement ne la commette pas non plus. Que les sommes nécessaires soient disponibles, nous l'avons prévu ; que l'on cherche, ensuite, à ce que l'investissement soit le plus productif possible, cela me paraît pleinement légitime, et je conteste le raisonnement de la Cour des comptes, purement comptable et nullement économique. Elle est dans son rôle mais vous devez vous soucier également de la rentabilité de nos entreprises et de notre capacité à faire face aux grands défis, en particulier dans le domaine nucléaire.
Sur le STDR, ne baissez pas non plus la garde. Quelqu'un a demandé ce que nous avions fait contre la fraude et l'évasion fiscales. Reportez-vous à l'évolution des recettes dues à la lutte contre la fraude fiscale ces dernières années. Les mécanismes ont été renforcés et des mesures adoptées au plan international pour lutter contre l'optimisation fiscale. Cela a eu des conséquences extrêmement positives sur les recettes de l'État et de la sécurité sociale. Ne vous fixez pas comme objectif, au titre du STDR, un milliard seulement : vous pouvez faire beaucoup mieux, je pense qu'il sera possible de constater 2 milliards !
Quant aux sous-budgétisations, on ne connaît même pas l'exécution du budget 2016... Les sous-budgétisations ne concernent pas ce qu'on appelle les dépenses limitatives, mais seulement les dépenses évaluatives. Dans le cas des premières, il n'est pas permis de dépenser plus que ce qui est écrit dans le budget, tandis que les secondes sont liées à l'exercice de droits – droits sociaux, contrats aidés qui peuvent être plus ou moins nombreux, compensations pour calamités agricoles... – et l'on ne peut connaître leur montant à l'avance, au moment où l'on construit le budget, en juin ou juillet. C'est pourquoi il faut se doter des moyens de faire face aux aléas en cours d'année. Ce qui serait irresponsable et mettrait le pays en danger, c'est de négliger de prévoir une réserve de précaution.
Merci à Mme Louwagie pour sa question sur l'intérêt général et les façons de faire différemment – non pas forcément parce que ce n'aurait pas été bien auparavant, mais parce que l'on peut toujours essayer de faire mieux. Certains aspects de la mise en oeuvre du budget se sont nettement améliorés, ainsi que la Cour des comptes le relève. Il y a tout d'abord la question des hypothèses macroéconomiques : inflation et croissance. À la fin de l'année dernière, l'opposition affirmait qu'une hypothèse de 1,5 % de croissance était irréaliste et insincère ; ce fut l'un des arguments avancés devant le Conseil constitutionnel. Or le Premier ministre vient de réviser la croissance pour 2017 à 1,6 % !
Il vaut mieux arriver au pouvoir avec 1,6 % de croissance qu'avec 0,4 %, je le dis à ceux qui souhaitent parler d'héritage. Un héritage avec 1,6 % de croissance, plus de 200 000 emplois créés dans le secteur privé, la reprise de l'investissement et celle de l'activité du secteur de la construction, tout cela est bon pour la France ; si cela peut permettre à cette majorité de réussir, tant mieux.
Ce progrès dans l'élaboration des hypothèses macroéconomiques a été permis par la création du Haut Conseil des finances publiques, devant lequel nous nous rendons pour expliquer et discuter les prévisions sur le taux de croissance, même s'il ne sera sans doute jamais possible de prévoir un taux exact à 0,1 point près.
Les choses se sont aussi énormément améliorées dans le domaine des recettes. En 2012, le reproche portait sur leur surévaluation – un reproche que l'on n'entend plus aujourd'hui. Il faut veiller à conserver cet acquis, car la tentation de la facilité est toujours présente de ce côté-là.
La question est de savoir s'il est possible d'améliorer l'évaluation des dépenses. Comme nous vivons dans un monde de plus en plus imprévisible, la Cour des comptes, qui nous demandait d'augmenter la réserve de précaution afin de faire face aux aléas, dit aujourd'hui que cette réserve a été tellement augmentée que cela finit par poser problème. Faut-il la diminuer pour mieux budgéter, au plus près des besoins, chacun des ministères ? J'ai tendance à penser qu'il faudrait aller dans ce sens, mais ne supprimez surtout pas la réserve de précaution : c'est elle qui permet de faire face aux aléas imprévisibles, et ils sont nombreux. C'est vrai pour ce qui est du budget de l'emploi, même s'il y a moins de contrats aidés au second semestre compte tenu de l'évolution du chômage, ainsi que dans le domaine agricole, où les questions liées aux relations avec Bruxelles peuvent être extrêmement complexes.
Mme Louwagie a également posé une question sur la cible de déficit. Nous sommes passés à 2,8 % car nous attendions un peu plus d'économies sur l'UNEDIC et, l'accord étant signé, nous avons rectifié la cible : tout le monde nous a rendu grâce d'avoir pris en compte le contenu de l'accord. Cette cible, Christian Eckert et moi l'avons toujours atteinte ou dépassée. En 2015, nous avons fait 0,2 point de mieux que l'objectif et, l'an dernier, nous avons fait 3,4 % en prévision, 3,4 % en résultat ! Il faut se fixer un objectif, c'est une forme de discipline intellectuelle, et dégager en cours d'année, comme nous l'avons fait, les moyens de l'atteindre.
Je suis très heureux de retrouver ici Mme Rabault, dont je sais qu'elle continuera de jouer un rôle important dans cette commission. Est-ce que 4,5 milliards d'euros d'annulations, c'est beaucoup ? C'est ce que nous aurions fait nous-mêmes, mais pas de la même façon. Nous aurions étalé les annulations sur l'ensemble de l'année, c'est-à-dire que nous nous serions donné les moyens d'obtenir au fur et à mesure toutes les informations nécessaires. Nous avions d'ores et déjà préparé 1,4 milliard d'euros d'annulations, et ce sera fait. Nous aurions attendu l'été pour un deuxième décret d'annulation et l'automne pour un troisième. Le choix de l'actuel Gouvernement et de sa majorité est d'essayer, à ce stade de la gestion, de pratiquer toutes les annulations nécessaires jusqu'à la fin de l'année. Je leur souhaite bonne chance, car il se passera d'ici là des choses qu'ils ne peuvent prévoir, et auxquelles il faudra bien faire face.
Nous avons le droit d'être d'accord sur certains objectifs. Des déficits en augmentation, ce n'est pas dans l'intérêt d'un pays ni de sa souveraineté. De même, je n'ai jamais compris comment on pouvait annuler de la dette tant que l'on a besoin de prêteurs. La lutte contre l'aggravation de la dette est d'intérêt général ; c'est un objectif fondamental que l'on peut partager avec d'autres sans renoncer, au contraire, à ses idéaux de gauche.
Une autre question, au sujet des 4,5 milliards d'euros d'économies, est de savoir sur qui elles pèseront. Selon moi, 850 millions pour les armées, qui seront suivis par 150 autres millions au titre des opérations extérieures, c'est trop, de même que ce qui a été annulé au titre de l'aide au développement. On peut donc avoir le même quantum sans avoir la même politique, les mêmes priorités : c'est là qu'est le vrai débat politique entre les uns et les autres.
Il existe un désaccord sur le CICE avec une partie de cette assemblée. Je dis quant à moi : « Heureusement que nous avons mis en place et le CICE et le pacte de responsabilité ! » La croissance à 1,6 %, la reprise de l'investissement, la création de 200 000 emplois dans le secteur privé en moins d'un an, ne sont pas arrivés par hasard, mais bien parce que nous avons mené une politique économique en faveur de la production et des entreprises – ce qui ne signifie pas en faveur de leurs dirigeants mais en faveur de leurs salariés. Beaucoup d'organisations syndicales considèrent d'ailleurs que ces décisions ont été favorables à ces derniers.
Je répondrai sur trois points.
Tout d'abord, au sujet de la cible, Les Échos ont publié ce matin une interview du Premier ministre, que je cite : « Nous visons un déficit de 2,7 % l'an prochain, mais je ne suis pas un fétichiste du chiffre. Mon objectif politique est d'être en dessous de 3 %. » Ce doit être l'un des rares points de convergence entre nous.
C'est un propos de presse, et non quelque chose d'inscrit dans un programme de stabilité ou une loi de finances.
Dont acte. Autre point que Michel Sapin n'a pas évoqué : vous savez comme moi que l'objectif envoyé à Bruxelles est révisé par la Commission européenne et que l'on s'attend en général à une révision de l'ordre de 0,1 point. C'est un des éléments qui nous a conduits à retenir 2,8 %.
Ensuite, l'efficacité de la dépense est à rechercher dans la vie de tous les jours. Je citerai deux exemples : la direction de l'immobilier de l'État (DIE) que nous avons créée à Bercy – l'immobilier de l'État est un sujet que je vous recommande, l'efficacité de la dépense n'y étant pas franchement avérée – et la direction des achats de l'État (DAE). Pour répondre aux propos tenus par M. Darmanin hier, je ne crois pas que le Gouvernement réalisera 4,5 milliards d'économies sur l'achat de voitures. Je vous invite à consulter les résultats obtenus dans ces domaines ; nous ne les avons sans doute pas suffisamment fait connaître.
Enfin, le prélèvement à la source était bel et bien prêt, car nous y avons travaillé d'arrache-pied depuis janvier 2016. Je n'ai jamais caché que l'administration nous avait dit que le calendrier était serré. Il était serré, mais tenable. L'expérimentation qui était prévue pour cet été, avec un panel d'entreprises en cours de sélection à la mi-mai, quand nous sommes partis, devait confirmer la faisabilité technique de la réforme.
Certains ont commenté la publication tardive, dans l'un des derniers numéros du Journal officiel sous le précédent gouvernement, de l'un des plus importants décrets relatifs au prélèvement à la source. Or ce décret avait été présenté au Conseil d'État en mars ; à cause de l'encombrement de la fin de législature, le Conseil a mis un certain temps à rendre son avis. En tout état de cause, jamais l'administration ne nous a dit que le prélèvement à la source ne serait pas prêt. Nous avions une réunion tous les lundis après-midis, Michel Sapin et moi, avec les responsables de l'administration à ce sujet.
J'aimerais solliciter votre expérience sur la question, cruciale pour nous, de la programmation budgétaire pluriannuelle. Nous avons dans ce domaine des ambitions élevées, qui se manifesteront à l'automne. Nous sommes convaincus du caractère fondamental de cet enjeu, non seulement pour clarifier et solenniser les engagements budgétaires que nous prenons envers nos concitoyens, notamment en termes de baisse simultanée de la dette, des déficits, des impôts et des dépenses, mais aussi et surtout parce que nous considérons que l'efficacité de l'action publique, qui est au coeur de notre politique et qui est de nature, je pense, à recueillir un large consensus dans cette salle, nécessite, outre une approche comptable à l'année, un pilotage radicalement différent des dépenses publiques, avec au bout du compte des économies et, à l'intérieur de ce solde d'économies, des transformations profondes dans la composition des dépenses, ainsi que des investissements de nature à améliorer l'efficacité de l'action publique.
La majorité précédente avait manifesté en 2012 son intention de s'inscrire dans une telle démarche, et puis nous avons vu cette volonté s'infléchir, la démarche perdre en ambition et en efficacité. Sans entrer dans la moindre polémique, j'aimerais savoir quels écueils vous avez rencontrés, qui vous ont empêché de maintenir le cap ? Est-ce la conjoncture ? M. Sapin a dit que l'aléa était moindre aujourd'hui. Est-ce dû à une volonté politique insuffisamment ferme ou cohérente ? Ou bien est-ce le constat que le cadre budgétaire, tant dans son processus que dans la façon dont sont gérées les dépenses et les interventions publiques, serait inadapté à ce type d'ambition ? Les conseils que vous pourrez nous prodiguer nous permettront peut-être d'échapper à cette fatalité.
Je partage ce qu'ont dit M. Sapin et M. Eckert sur les deux exercices 2017 et 2018. À mes yeux, le problème est moins 2017 que 2018. En 2017, il y a un peu plus de sous-budgétisation que les années précédentes, notamment sur deux missions : l'agriculture et le travail. Cette sous-budgétisation sur les dépenses est cependant compensée par une grande prudence sur les recettes et, pour ma part, je n'ai jamais contesté l'hypothèse d'un taux de croissance de 1,5 %. Compte tenu du montant de la réserve de précaution, je pense donc que les choses devraient se dérouler correctement en exécution.
En revanche, prendre un décret d'annulation pour un montant aussi important – 4,5 milliards ! – est complètement inédit et comporte des risques sur les aléas d'ici à la fin de l'année. Le bon support aurait été un collectif budgétaire, comme l'a signifié le Conseil constitutionnel dans sa décision de fin décembre dernier. Tout en rejetant l'argument fondé sur l'insincérité, il précise en effet, dans un considérant, que, si l'écart avec la loi de finances initiale atteint une certaine ampleur, il reviendra au Gouvernement de présenter un collectif budgétaire.
S'agissant de l'exercice 2018, nous avons critiqué, sous la précédente législature, le fait que vous l'auriez en quelque sorte préempté sur le plan budgétaire. Nous nous en inquiétions, alors que nous voulions vous succéder. Vous avez en effet fait adopter 6 milliards d'euros de baisse d'impôts, sous la forme d'un maintien du CICE ou encore de crédit d'impôt relatif aux emplois familiaux. S'y ajoutait l'anticipation de petites recettes, comme celle de la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) ou celle des produits financiers.
S'amorçait en outre une certaine sous-budgétisation pour 2018. Prenons l'exemple de la troisième phase du programme d'investissements d'avenir (PIA 3), censée s'élever à 10 milliards d'euros. Aucun crédit de paiement n'était prévu pour cette année, tout le financement étant reporté à 2018. Quant au protocole sur les parcours professionnels, carrières et rémunérations (PPCR), il représente une dérive de 2 milliards d'euros par an, indépendamment même de l'évolution du point d'indice.
Compte tenu du PPCR ainsi que de la hausse annoncée de l'AAH et du minimum vieillesse, comment arriver à réduire encore le déficit budgétaire en 2018, surtout si l'on doit ajouter 6 à 7 milliards d'euros de baisses d'impôts supplémentaires ?
Monsieur Sapin, vous avez une longue et riche expérience en tant que ministre, ayant notamment été ministre du travail de 2012 à 2014. À ce titre, vous avez lancé les contrats d'avenir, initiative intéressante qui a permis d'endiguer le chômage des jeunes, ce qui était une urgence à l'époque.
Toutefois, la Cour des comptes note dans son rapport que les résultats de ce dispositif, en termes d'insertion professionnelle, sont faibles. Elle a formulé, à cet égard, plusieurs pistes de réorientation : un meilleur ciblage sur les jeunes pas ou peu qualifiés, même si c'était déjà, à mon sens, le cas ; une concentration des contrats aidés sur le secteur marchand ; une réduction de la durée maximale et l'inscription dans un parcours qui prendrait la forme de contrats d'apprentissage ou de professionnalisation.
Quel est votre avis à ce sujet ? Quelles pistes mériteraient, selon vous, d'être approfondies ? Pour quelles raisons le secteur marchand n'a-t-il pas été visé par les contrats d'avenir ?
Je regrette que la procédure d'établissement du rapport de la Cour des comptes n'ait pas été contradictoire. Cela lui aurait sans doute permis d'apporter des nuances, notamment à ses appréciations sur la sincérité budgétaire.
Je partage le point de vue de notre collègue Carrez sur le montant du décret d'avance, qui représente l'équivalent de l'ensemble des décrets d'avance sur une année-type. Le 13 avril, vous aviez, messieurs les ministres, évoqué un « surgel » de 1,4 milliard d'euros dans le cadre de la gestion de la réserve de précaution. Sur quelles missions ce surgel porte-t-il ? La défense est-elle concernée ?
S'agissant du prélèvement à la source, nous avons entendu dire ici même que les services de Bercy étaient « prêts techniquement ». Pourquoi, dès lors, ce report ?
Enfin, quel décile de revenus profitera le plus de la réforme annoncée de l'ISF ?
Comme Charles de Courson, je suis étonné par votre défense, monsieur Sapin. En substance, vous nous dites trois choses : premièrement, « de quoi se mêle la Cour des comptes en parlant d'insincérité ? » ; deuxièmement, « nous n'avons peut-être pas fait très bien, mais l'habitude était, de toute façon, de faire très mal » ; troisièmement, « les prévisions étant par nature incertaines, il était normal que le Gouvernement n'en tînt pas compte »...
Votre propos n'est-il pas quelque peu caricatural ? Je vous ai connu plus nuancé...
S'agissant de l'insincérité, je ne vois pas comment le Conseil constitutionnel pourrait se prononcer si la Cour des comptes ne l'a pas fait avant lui. En ce domaine, elle agit d'ailleurs non comme juridiction, mais comme auditeur technique.
Nous avons en outre beaucoup plus d'éléments aujourd'hui sur l'écart entre le budget annoncé et le budget réalisé. Vous dites vous-même qu'il s'agissait d'afficher des objectifs pour mobiliser tout le monde et d'avoir quelque chose à envoyer à Bruxelles. C'était donc bien, de votre propre aveu, un chiffre politique, non un chiffre sincère.
Les années précédentes, les objectifs étaient non seulement affichés, mais tenus !
J'en viens aux recettes résultant de l'activité du STDR. Vous nous dites que cette administration vous a donné un chiffre, mais que vous avez considéré qu'elle se trompait et décidé de retenir plutôt le double de son estimation. Pourquoi avez-vous récusé son évaluation ? Cela me semble sans fondement.
Enfin, la Cour des comptes écrit : « Les investigations menées par la Cour montre que les constats qu'elle a effectués étaient, pour l'essentiel, identifiés par l'administration, et donc connus du Gouvernement dès l'automne 2016 ». Avez-vous bénéficié, de la part de vos services, d'éléments techniques concordants tendant à montrer que vous pratiquiez, sur une assez grande échelle, une sous-évaluation budgétaire ? Il conviendrait alors de nous communiquer ces documents. S'ils n'existent pas, soutiendrez-vous que le propos de la Cour des comptes est mensonger ?
En conclusion de son rapport, la Cour des comptes écrit : « Au total, bien qu'il reste encore des incertitudes à cette période de l'année, nos analyses révèlent que la cible de solde public pour 2017 apparaît, à politiques constantes, hors d'atteinte. » Or c'est bien vous qui avez fixé cette cible.
Comment avez-vous donc procédé ? Ce que dit la Cour des comptes est irréfutable. Il y a deux aspects de l'insincérité. D'abord, il y a eu une sous-estimation des dépenses, à hauteur de 7,3 milliards d'euros. Ensuite, il y a eu une surévaluation des recettes, pour un même montant.
Il y a deux jours, monsieur Eckert, vous avez écrit sur votre blog, comme vient de le rappeler notre collègue Jean-Louis Bourlanges que « l'objectif affiché à 2,8 % avait comme but principal de mettre tout le monde sous tension pour assurer les 3 % qui correspondent à notre engagement international » et que ce ne sont donc en fait que 4 milliards environ « qui sont nécessaires pour contenir à 3 % le déficit public ». Vous reconnaissez ainsi que l'objectif affiché de 2,8 % était un outil de management, non un outil de sincérité budgétaire. En d'autres termes, vous reconnaissez votre insincérité budgétaire.
Dans Les Échos d'aujourd'hui, Nicolas Plantrou propose de créer, « comme dans le privé, un délit de présentation de budget insincère ». Que pensez-vous de cette proposition ?
Il est difficile de convaincre ceux qui ont décidé de ne pas l'être... Ce que nous avons fait n'était ni mieux ni moins bien que ce qui se pratique habituellement, monsieur Bourlanges. Nous avons établi un projet de loi de finances initiale le plus proche possible des informations dont nous disposions – et dont vous disposiez aussi.
Certes, ces informations évoluent entre l'été, période où le projet est établi, et le mois d'avril suivant. Mais ce processus est totalement transparent. Au vu des informations disponibles, nous avons proposé 4 milliards de mesures d'économies supplémentaires, dont 1,4 milliard d'euros de gel. Dans ce dernier montant était incluse l'annulation du report de 350 millions d'euros de l'année précédente sur le budget 2017 du ministère de la défense. Mais aucune annulation ne touchait le budget de l'année 2017 en lui-même. L'annulation a d'ailleurs certainement dû être déjà assez difficile à faire avaler au ministre de la défense de l'époque, membre du Gouvernement actuel...
En cours d'année, la Cour des comptes avait identifié un risque de dérapage de 8 milliards d'euros. Mais il s'agit du même risque régulièrement identifié par elle au cours des cinq années précédentes. Peut-être peut-on le diminuer, mais il ne me semble guère envisageable de le supprimer tout à fait. Un budget cadenassé est un budget voué à se fracasser sur l'écueil de l'exécution. La souplesse est nécessaire. Elle se trouve dans la réserve de précaution et dans la capacité à abonder un certain nombre de missions pour faire face aux besoins en cours d'année. Sans doute peut-on faire bouger ces variables-là. Mais quand vous nous dites que nous avons fait le plus mal du monde, monsieur Bourlanges, vous pourriez être plus fin et plus nuancé.
Quant à la programmation pluriannuelle des finances publiques, nous n'en découvrons pas aujourd'hui la nécessité, notamment vis-à-vis de la Commission européenne quand nous lui présentons le programme de stabilité. Le projet de budget 2018 sera d'ailleurs accompagné de prévisions pour 2019 et 2020. Une programmation pluriannuelle prévisionnelle en début de quinquennat offre sans doute une manière de crédibiliser, aux yeux de tous, la décision budgétaire et ses conséquences.
Quant à dire que la programmation ne saurait ensuite bouger, il n'en est évidemment rien... En 2012 et en 2013, nous avons connu une croissance particulièrement faible. Pour cette année, l'objectif a été révisé à la hausse, de 1,5 % à 1,6 %. Il est donc possible d'améliorer la programmation pluriannuelle, et nous sommes prêts à vous apporter notre expérience en ce domaine...
S'agissant des emplois d'avenir, ils sont aujourd'hui également ouverts au privé aussi. Les analyses très critiques de la Cour des comptes sont contredites par d'autres organismes, car ces emplois se sont révélés extrêmement utiles et indispensables. J'ai eu l'occasion de rencontrer des centaines de jeunes titulaires d'un emploi d'avenir, et je peux en témoigner. S'il faut probablement en diminuer le nombre à mesure que le chômage recule, je dirais qu'il faut du moins éviter que cette diminution soit brutale.
Gilles Carrez s'est interrogé sur la sincérité des prévisions pour 2018. En vérité, l'objectif de croissance a été révisé à la hausse, de 1,5 % à 1,7 %, tandis que la diminution de 6 milliards d'euros des impôts, dont l'impôt sur les sociétés, est déjà prise en compte. Je rappelle que l'impôt sur les sociétés a été réformé en décembre 2016, et que sa diminution progressive est programmée sur quatre ans.
Nous avions également annoncé 7 à 8 milliards d'euros d'économies nécessaires, certes sans préciser à l'avance où elles seraient faites, car c'est impossible à dire deux ans à l'avance. Mais, s'agissant du montant, ce n'est rien d'autre que le quantum habituel que nous avons mis en oeuvre au cours des dernières années.
Pour 2018, le problème sera de « faire de la place » pour les mesures fiscales que vous avez souhaitées, et qui ont peut-être contribué à votre élection. L'allégement de la taxe d'habitation coûtera 3 milliards d'euros, tandis que la révision de l'ISF en coûtera autant et la mise en place d'une flat tax vous privera d'environ 1,5 milliard. Au total, cela fait donc 7,5 milliards.
Je souligne que, sur ce montant, 3 milliards d'euros seront à partager entre plusieurs dizaines de millions de foyers, et que 4,5 milliards d'euros le seront entre quelques centaines de milliers de contribuables tout au plus.
Nous nous trouvons à la croisée de deux mandats, et il était évident que la Cour des comptes saisirait l'occasion de frapper un grand coup – ce qu'elle a fait.
Reconnaissons que la trajectoire de réduction du déficit public est moins rapide chez nous que dans d'autres pays. Les deux reports successifs de l'objectif de 3 %, en 2013 puis en 2015, l'ont montré. Il faut se demander pourquoi, tout en constatant au passage que cela correspond aussi à une moindre austérité en France.
Je me demande, en réalité, si cette lenteur n'est pas due, au moins en partie, à une mauvaise appréciation de la part du déficit conjoncturel dans le budget de l'État. Devant les progrès réalisés en matière de déficit structurel, l'idée s'installe qu'un jour ou l'autre les choses s'arrangeront. Mais il ne faut pas exclure, à mon sens, qu'une partie du déficit considéré comme conjoncturel soit en fait du déficit structurel lui aussi.
À vous entendre, messieurs, tout irait bien. En réalité, nous allons droit dans le mur. Il faut ouvrir les yeux : notre gestion budgétaire n'est pas bonne. Nous sommes l'un des plus mauvais élèves d'Europe. Seule l'Espagne est derrière nous.
Pour illustrer l'insincérité, je citerai seulement la sous-budgétisation, l'inscription d'économies impossibles et la croissance prévisionnelle estimée en dehors des paramètres. Cela aboutit à un trou de 8 milliards d'euros, malgré des conditions favorables, voire très favorables, comme l'on ne le dit pas assez souvent. Que se passera-t-il quand les taux d'intérêt ne seront plus aussi bas ?
Il y a cependant de bons élèves : les collectivités locales. Elles ont subi de fortes baisses des dotations d'État, réduit leurs dépenses de fonctionnement et équilibré leur budget. J'espère que ce n'est pas le principe des vases communicants qui est à l'oeuvre.
En conclusion, il est grand de retrouver un bon cap.
Je voulais vous interroger, messieurs les ministres, à propos de la réserve de précaution, et suggérer d'en user précisément... avec précaution. En vérité, ne faudrait-il pas surtout avoir un comportement responsable ? Jusqu'à présent, elle n'a pas toujours utilisée seulement pour parer aux imprévus et aux aléas. J'appelle à ce que nous réfléchissions à des garde-fous supplémentaires.
Je ne saurais me satisfaire de la réponse que nous avons entendue sur le CICE. J'observe au passage que tous les défenseurs d'une politique de l'offre balaient d'un revers de main les critiques que l'on peut lui adresser.
Vous nous déclarez, monsieur Sapin, que le CICE aurait créé 200 000 emplois et hissé le taux de croissance à 1,7 %. Il n'en est rien. Il ressort au contraire d'études commandées par Matignon, via France Stratégies, mais aussi d'analyses de l'INSEE ainsi que de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail, qu'il est impossible d'en voir le moindre effet.
En matière d'emploi, votre appréciation me semble aussi très optimiste. En réalité, le CICE coûte également très cher en matière d'emploi. Tout au plus peut-on constater, sans doute, un effet induit sur la restauration des marges des entreprises.
De surcroît, le CICE est financé par une augmentation de la TVA ; il pèse donc sur les ventes et sur la consommation.
Cette question ne serait pas si importante s'il s'agissait seulement de faire le bilan de l'action gouvernementale passée. Mais le nouveau gouvernement veut encore accentuer cette politique !
Le bilan du CICE et de la politique économique menée par le gouvernement précédent en faveur de l'emploi n'est pas le sujet du jour. Le débat a en quelque sorte été tranché par une partie des électeurs... Si je suis là aujourd'hui, ce n'est donc pas pour défendre le CICE, mais pour commenter l'audit de la Cour des comptes et parler avec vous de finances publiques.
J'appelle néanmoins votre attention sur le fait que la transformation du CICE en allégement de cotisations sociales patronales aura un coût. Certes, il s'agira d'un one shot, mais ce coût s'élèvera probablement aux alentours de 25 milliards d'euros. Or, j'ai longuement étudié la question, et je ne perçois pas la différence qui existe entre ces deux dispositifs du point de vue de la réduction du coût du travail. On me dit que l'allégement des cotisations sociales serait plus durable qu'un crédit d'impôt ; pourtant, le Gouvernement présente bien, chaque année, au Parlement un projet de loi de financement de la sécurité sociale et un projet de loi de finances initiale.
Je reviens rapidement sur le STDR. Chaque année, le rendement attendu fait l'objet d'un débat avec l'administration. Je rappelle tout de même que 50 000 dossiers concernant des comptes qui n'avaient pas été déclarés à l'administration fiscale ont été déposés, et qu'environ la moitié seulement a été traitée, pour des raisons qui tiennent à l'organisation et aux moyens techniques – et parfois humains – de l'administration. Il faut donc trouver une solution qui lui permette de traiter ces dossiers à un rythme tel que le rendement que nous avons évoqué puisse être atteint. C'est pourquoi nous lui avons clairement demandé de renforcer ses moyens. Elle a ainsi créé des centres de traitement décentralisés, qui devraient contribuer à atteindre cet objectif.
Madame Peyrol, je partage votre propos. Vous avez compris, je crois, que j'invitais nos successeurs à utiliser la réserve de précaution pour faire face à des événements conjoncturels plutôt qu'à des éléments qui sont devenus structurels ; je pense notamment aux opérations extérieures.
Enfin, M. Hetzel a évoqué la question du déficit en citant le rapport de la Cour des comptes, mais il a omis d'ajouter que celle-ci précise : « à politiques constantes ». Si l'on considère que nous parviendrons à un déficit de 3,2 % à politiques constantes, cela signifie que des inflexions sont nécessaires, ce que nous n'avons cessé de répéter. J'ajoute que, si rien n'avait été fait sous le quinquennat précédent – à politiques constantes, donc –, le déficit aurait atteint 6 % ou 7 % en 2016. Or, il s'élevait, l'an dernier, à 3,4 % selon l'INSEE. À ce propos, je précise que le nombre des réserves émises par cette dernière a baissé d'année en année, passant de sept à cinq, puis à quatre. Ces réserves portaient auparavant sur la certification des comptes de la sécurité sociale ; elles concernent désormais celle des comptes de l'État. Je dois dire que tous les gouvernements ont contribué à l'amélioration de la certification des comptes, et donc à la diminution du nombre de ces réserves.
Christian Eckert et moi-même, nous vous avons livré les éléments les plus objectifs possible afin que chacun, en conscience – c'est-à-dire indépendamment du débat politique ou politicien que l'on peut avoir au sein de la commission –, comprenne que nous avons voulu, en particulier en 2016 et au début de 2017 – et l'administration était mobilisée à cette fin, vous en trouverez la trace écrite –, que l'état des finances publiques soit le meilleur possible. Nous n'avons pas atteint la perfection, mais c'est bien difficile dans le monde actuel. En tout état de cause, nous avons agi en toute sincérité et conformément à nos valeurs et à notre devoir.
Vous trouvez une France en meilleur état qu'en 2012. Tant mieux ! Faites-en le meilleur usage, y compris du point de vue budgétaire. Si nous pouvons être d'accord sur tous les objectifs – baisse des déficits, stabilisation et baisse de la dette, diminution des impôts et maîtrise des dépenses publiques –, il reste néanmoins une place très grande pour le débat : quelles dépenses ? Quelles recettes ? Au profit de qui ? Pour quel intérêt général ? Comme diraient certains, où que se trouvent bâbord et tribord, il y a place pour le débat...
Je vous remercie pour cette audition, intéressante et nécessaire, sur la question majeure de la sincérité des budgets.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Présents. - M. Saïd Ahamada, M. Éric Alauzet, M. Jean-Noël Barrot, Mme Émilie Bonnivard, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jean-Louis Bricout, Mme Émilie Cariou, M. Gilles Carrez, M. Michel Castellani, Mme Anne-Laure Cattelot, M. Jean-René Cazeneuve, M. Philippe Chassaing, M. Éric Coquerel, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Damaisin, Mme Dominique David, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Stella Dupont, M. M'jid El Guerrab, Mme Sarah El Haïry, M. Nicolas Forissier, M. Olivier Gaillard, Mme Patricia Gallerneau, M. Joël Giraud, Mme Perrine Goulet, M. Romain Grau, Mme Olivia Gregoire, M. Stanislas Guerini, Mme Nadia Hai, M. Patrick Hetzel, M. Alexandre Holroyd, M. Christophe Jerretie, M. François Jolivet, Mme Aina Kuric, M. Daniel Labaronne, Mme Valérie Lacroute, M. Mohamed Laqhila, M. Jean Lassalle, M. Michel Lauzzana, M. Vincent Ledoux, M. Marc Le Fur, M. Gilles Le Gendre, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Véronique Louwagie, Mme Marie-Ange Magne, Mme Lise Magnier, M. Jean-Paul Mattei, Mme Amélie de Montchalin, Mme Cendra Motin, Mme Catherine Osson, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Jean-François Parigi, M. Hervé Pellois, Mme Bénédicte Peyrol, Mme Sylvia Pinel, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, Mme Muriel Ressiguier, M. Xavier Roseren, M. Fabien Roussel, M. Laurent Saint–Martin, M. Jacques Savatier, M. Benoit Simian, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, M. Jean-Pierre Vigier, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Julien Aubert, M. Olivier Serva
Assistait également à la réunion. - M. Régis Juanico