Intervention de Michel Sapin

Réunion du mercredi 12 juillet 2017 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Michel Sapin :

Merci pour ces nombreuses questions qui vont au-delà des aspects techniques budgétaires et abordent des sujets politiques, sur lesquelles notre appréciation a été sollicitée.

Je laisserai Christian Eckert répondre sur le prélèvement à la source. Cette réforme était prête à tous points de vue ; si elle a été reportée, c'est pour d'autres raisons – peut-être bonnes – que l'impréparation.

J'ai été, monsieur le rapporteur général, un peu rapide sur Areva. Je crois avoir démontré – même si je ne pense pas être parvenu à convaincre M. de Courson – que je n'ai jamais convaincu... – ni Mme Louwagie – malgré le fait qu'elle a été plus constructive dans ses critiques – qu'il ne s'agissait pas de dépenses non financées ni d'insincérité. Nous avons déjà eu l'occasion d'expliquer précisément ici-même ce que je vais redire.

Je pense que c'est une grave erreur d'annoncer que les 2,3 milliards relèvent du déficit maastrichtien, car cela signifie que ce sont des aides d'État à perte et non des « investissements avisés ». En effet, lorsque l'État investit dans une entreprise pour des raisons stratégiques ou de rentabilité, ce n'est pas compté dans le déficit, tandis que lorsqu'il intervient pour sauver une entreprise sans rentabilité, cela y est intégré. Dire, aujourd'hui, que ces 2,3 milliards ne seraient pas des investissements avisés, c'est une grave erreur. Des discussions se poursuivent avec d'autres investisseurs, en particulier des investisseurs étrangers que nous souhaitons voir entrer au capital d'Areva ; en leur disant que l'argent qu'ils investiront est une perte, on ne peut pas les attirer. Quand un chef d'entreprise cherche des investisseurs, il ne commence pas par annoncer que l'argent investi sera perdu !

J'ai donc dit ce que j'en pensais au Haut Conseil des finances publiques. C'est une grave erreur de stratégie économique ; je n'ai pas voulu faire cette erreur et je souhaite que l'actuel Gouvernement ne la commette pas non plus. Que les sommes nécessaires soient disponibles, nous l'avons prévu ; que l'on cherche, ensuite, à ce que l'investissement soit le plus productif possible, cela me paraît pleinement légitime, et je conteste le raisonnement de la Cour des comptes, purement comptable et nullement économique. Elle est dans son rôle mais vous devez vous soucier également de la rentabilité de nos entreprises et de notre capacité à faire face aux grands défis, en particulier dans le domaine nucléaire.

Sur le STDR, ne baissez pas non plus la garde. Quelqu'un a demandé ce que nous avions fait contre la fraude et l'évasion fiscales. Reportez-vous à l'évolution des recettes dues à la lutte contre la fraude fiscale ces dernières années. Les mécanismes ont été renforcés et des mesures adoptées au plan international pour lutter contre l'optimisation fiscale. Cela a eu des conséquences extrêmement positives sur les recettes de l'État et de la sécurité sociale. Ne vous fixez pas comme objectif, au titre du STDR, un milliard seulement : vous pouvez faire beaucoup mieux, je pense qu'il sera possible de constater 2 milliards !

Quant aux sous-budgétisations, on ne connaît même pas l'exécution du budget 2016... Les sous-budgétisations ne concernent pas ce qu'on appelle les dépenses limitatives, mais seulement les dépenses évaluatives. Dans le cas des premières, il n'est pas permis de dépenser plus que ce qui est écrit dans le budget, tandis que les secondes sont liées à l'exercice de droits – droits sociaux, contrats aidés qui peuvent être plus ou moins nombreux, compensations pour calamités agricoles... – et l'on ne peut connaître leur montant à l'avance, au moment où l'on construit le budget, en juin ou juillet. C'est pourquoi il faut se doter des moyens de faire face aux aléas en cours d'année. Ce qui serait irresponsable et mettrait le pays en danger, c'est de négliger de prévoir une réserve de précaution.

Merci à Mme Louwagie pour sa question sur l'intérêt général et les façons de faire différemment – non pas forcément parce que ce n'aurait pas été bien auparavant, mais parce que l'on peut toujours essayer de faire mieux. Certains aspects de la mise en oeuvre du budget se sont nettement améliorés, ainsi que la Cour des comptes le relève. Il y a tout d'abord la question des hypothèses macroéconomiques : inflation et croissance. À la fin de l'année dernière, l'opposition affirmait qu'une hypothèse de 1,5 % de croissance était irréaliste et insincère ; ce fut l'un des arguments avancés devant le Conseil constitutionnel. Or le Premier ministre vient de réviser la croissance pour 2017 à 1,6 % !

Il vaut mieux arriver au pouvoir avec 1,6 % de croissance qu'avec 0,4 %, je le dis à ceux qui souhaitent parler d'héritage. Un héritage avec 1,6 % de croissance, plus de 200 000 emplois créés dans le secteur privé, la reprise de l'investissement et celle de l'activité du secteur de la construction, tout cela est bon pour la France ; si cela peut permettre à cette majorité de réussir, tant mieux.

Ce progrès dans l'élaboration des hypothèses macroéconomiques a été permis par la création du Haut Conseil des finances publiques, devant lequel nous nous rendons pour expliquer et discuter les prévisions sur le taux de croissance, même s'il ne sera sans doute jamais possible de prévoir un taux exact à 0,1 point près.

Les choses se sont aussi énormément améliorées dans le domaine des recettes. En 2012, le reproche portait sur leur surévaluation – un reproche que l'on n'entend plus aujourd'hui. Il faut veiller à conserver cet acquis, car la tentation de la facilité est toujours présente de ce côté-là.

La question est de savoir s'il est possible d'améliorer l'évaluation des dépenses. Comme nous vivons dans un monde de plus en plus imprévisible, la Cour des comptes, qui nous demandait d'augmenter la réserve de précaution afin de faire face aux aléas, dit aujourd'hui que cette réserve a été tellement augmentée que cela finit par poser problème. Faut-il la diminuer pour mieux budgéter, au plus près des besoins, chacun des ministères ? J'ai tendance à penser qu'il faudrait aller dans ce sens, mais ne supprimez surtout pas la réserve de précaution : c'est elle qui permet de faire face aux aléas imprévisibles, et ils sont nombreux. C'est vrai pour ce qui est du budget de l'emploi, même s'il y a moins de contrats aidés au second semestre compte tenu de l'évolution du chômage, ainsi que dans le domaine agricole, où les questions liées aux relations avec Bruxelles peuvent être extrêmement complexes.

Mme Louwagie a également posé une question sur la cible de déficit. Nous sommes passés à 2,8 % car nous attendions un peu plus d'économies sur l'UNEDIC et, l'accord étant signé, nous avons rectifié la cible : tout le monde nous a rendu grâce d'avoir pris en compte le contenu de l'accord. Cette cible, Christian Eckert et moi l'avons toujours atteinte ou dépassée. En 2015, nous avons fait 0,2 point de mieux que l'objectif et, l'an dernier, nous avons fait 3,4 % en prévision, 3,4 % en résultat ! Il faut se fixer un objectif, c'est une forme de discipline intellectuelle, et dégager en cours d'année, comme nous l'avons fait, les moyens de l'atteindre.

Je suis très heureux de retrouver ici Mme Rabault, dont je sais qu'elle continuera de jouer un rôle important dans cette commission. Est-ce que 4,5 milliards d'euros d'annulations, c'est beaucoup ? C'est ce que nous aurions fait nous-mêmes, mais pas de la même façon. Nous aurions étalé les annulations sur l'ensemble de l'année, c'est-à-dire que nous nous serions donné les moyens d'obtenir au fur et à mesure toutes les informations nécessaires. Nous avions d'ores et déjà préparé 1,4 milliard d'euros d'annulations, et ce sera fait. Nous aurions attendu l'été pour un deuxième décret d'annulation et l'automne pour un troisième. Le choix de l'actuel Gouvernement et de sa majorité est d'essayer, à ce stade de la gestion, de pratiquer toutes les annulations nécessaires jusqu'à la fin de l'année. Je leur souhaite bonne chance, car il se passera d'ici là des choses qu'ils ne peuvent prévoir, et auxquelles il faudra bien faire face.

Nous avons le droit d'être d'accord sur certains objectifs. Des déficits en augmentation, ce n'est pas dans l'intérêt d'un pays ni de sa souveraineté. De même, je n'ai jamais compris comment on pouvait annuler de la dette tant que l'on a besoin de prêteurs. La lutte contre l'aggravation de la dette est d'intérêt général ; c'est un objectif fondamental que l'on peut partager avec d'autres sans renoncer, au contraire, à ses idéaux de gauche.

Une autre question, au sujet des 4,5 milliards d'euros d'économies, est de savoir sur qui elles pèseront. Selon moi, 850 millions pour les armées, qui seront suivis par 150 autres millions au titre des opérations extérieures, c'est trop, de même que ce qui a été annulé au titre de l'aide au développement. On peut donc avoir le même quantum sans avoir la même politique, les mêmes priorités : c'est là qu'est le vrai débat politique entre les uns et les autres.

Il existe un désaccord sur le CICE avec une partie de cette assemblée. Je dis quant à moi : « Heureusement que nous avons mis en place et le CICE et le pacte de responsabilité ! » La croissance à 1,6 %, la reprise de l'investissement, la création de 200 000 emplois dans le secteur privé en moins d'un an, ne sont pas arrivés par hasard, mais bien parce que nous avons mené une politique économique en faveur de la production et des entreprises – ce qui ne signifie pas en faveur de leurs dirigeants mais en faveur de leurs salariés. Beaucoup d'organisations syndicales considèrent d'ailleurs que ces décisions ont été favorables à ces derniers.

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