Intervention de Jean-Yves le Drian

Séance en hémicycle du mardi 19 janvier 2021 à 15h00
Éloge funèbre de claude goasguen

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Voilà déjà plus de six mois que s'est éteint Claude Goasguen dont vous venez, monsieur le président, de rappeler ce que furent les engagements d'élus et ce qu'étaient les qualités d'homme. Plus de six mois déjà et cette nouvelle n'a toujours pas fini de nous stupéfier tant Claude, par son énergie débordante, son indéfectible bonhomie et sa verve savoureuse, semblait incarner la vie dans ce qu'elle a de mieux assuré et de plus éclatant. Avec sa carrure d'ancien joueur de rugby, avec sa voix de stentor, avec ce sourire irrésistible que nous lui connaissions, il paraissait à toute épreuve, taillé pour toutes les batailles.

Entre les deux tours des élections municipales du printemps dernier, le coronavirus l'a pourtant arraché à la dernière mêlée dans laquelle il s'était jeté avec la fougue intacte de ses 75 ans et une passion inébranlable pour les joutes politiques parisiennes. Le coup fut rude. Il l'avait encaissé et commençait à se remettre quand brusquement, son coeur a lâché. « Nous sommes nés pour agir. [… ] Agissons donc, et autant que nous le pouvons ; prolongeons nos travaux tant que dure notre vie. » C'est Montaigne qui l'écrit, mais c'est bien ainsi que Claude l'entendait aussi, et c'est dans le tourbillon de la vie politique, où il avait passé ses plus belles années, qu'il fut emporté.

À mon tour, je veux lui rendre hommage, au nom du Premier ministre, au nom du Gouvernement et en mon nom personnel, en l'honneur de cette cordiale camaraderie – j'ose ce mot qui, sans doute, l'aurait fait sourire – , qui nous unissait depuis notre rencontre ici même, sur les bancs de cette assemblée. Je veux lui rendre hommage et tiens à assurer son épouse Camille, ses deux fils Olivier et Gille, et sa petite-fille Margaux, que nos pensées les accompagnent toujours et que nous non plus, nous ne l'oublions pas.

Certains de ses combats, bien sûr, n'étaient pas les miens. Lui-même a d'ailleurs reconnu s'être parfois fourvoyé. Pour le reste, je crois que ce ne serait pas lui faire honneur que de chercher aujourd'hui à estomper les lignes de clivage qu'il considérait comme l'oxygène de la démocratie. Continuer à respecter nos différends et nos oppositions c'est, je crois, la meilleure manière de respecter la mémoire d'un homme pour qui la politique comptait au plus haut point. Claude était de ces orateurs qui stimulent, qui provoquent, qui aiguillonnent le débat démocratique. C'est qu'il mettait à défendre les causes qu'il croyait justes tant de conviction sincère et si peu de dogmatisme qu'avec lui la discussion, fût-elle contradictoire, restait toujours possible, voire encouragée. Encore fallait-il accepter d'en courir les risques. Il avait en effet, pour désarmer ses contradicteurs, des saillies pleines de panache et, pour convaincre son auditoire, des arguments plein de brio qui, s'ils n'emportaient pas toujours l'adhésion, ne manquaient pas du moins de retenir l'attention.

Outre la rigueur du juriste, outre l'élégance de l'avocat, il n'hésitait pas, pour gagner la partie, à déployer une redoutable combinaison de faconde méditerranéenne et d'obstination bretonne. Mélange rare. Mélange détonant, que ce natif de Toulon au nom cependant peu méridional, devait à sa mère d'origine piémontaise et à son père finistérien, ce « kermoco » comme on appelait alors les marins bretons installés à Toulon. Jusque dans ses excès savamment dosés, il y avait en lui une forme de virtuosité politique qui impressionnait de part et d'autre de cet hémicycle, comme sur les bancs du Gouvernement.

Mais cette verve et ce talent n'étaient pas tout. Claude, incontestablement, était un homme qui gagnait à être connu. Sur le pourpoint de Cyrano, on découvrait un coeur loyal, un tempérament artiste, une très riche personnalité qui nous manque désormais cruellement.

Ce qui impressionnait chez lui, c'était aussi la profondeur de son engagement diplomatique. Je ne recule pas devant ce terme car, trente ans durant, le souci de faire le lien entre les questions nationales et les questions internationales fut au coeur de son action d'élu parisien puis de parlementaire. C'était pour lui une affaire de cohérence et de conviction, une affaire de cohérence, parce que cet amoureux de la France et de Paris savait qu'il n'y a qu'à l'horizon des échanges internationaux que notre pays, sa capitale et notre langue montrent leur vrai visage. Sa curiosité à l'égard du monde était donc à la mesure de son patriotisme et ce n'est pas le moindre des paradoxes qui l'entouraient. Adjoint aux affaires étrangères de son mentor Jacques Chirac à la mairie de Paris de 1989 à 1995, il semblait avoir parcouru la terre entière à ses côtés et ne manquait jamais une occasion d'évoquer les péripéties de ses voyages mémorables au Japon, bien sûr, mais aussi en Afrique, en Europe ou en Amérique du Nord. Il le faisait avec une drôlerie qui n'appartenait qu'à lui.

L'engagement diplomatique, c'était aussi une affaire de conviction. Ses engagements internationaux étaient solidement ancrés dans les valeurs qui étaient les siennes. Je pense, bien sûr, à son implication au sein du groupe d'amitié France-Israël, dont il fut le président. Je pense aux liens si puissants qu'il entretenait avec ce pays. Je pense à sa mobilisation en faveur des chrétiens d'Orient à la tête du groupe d'études qu'il coprésidait aux côtés de M. Rouillard. Je pense à son attachement au destin méditerranéen de la France et au destin méditerranéen de l'Europe.

Cette diplomatie d'élu qu'il pratiquait, c'était une diplomatie du coeur, nourrie d'expériences humaines accumulées au fil de ses nombreux déplacements et de visites de terrain, parfois même dans des zones dangereuses.

C'était aussi, bien sûr, une diplomatie de la raison. Ce qui faisait de lui l'un des piliers de la commission des affaires étrangères, c'était en effet la hauteur de vue que son immense culture historique donnait à ses analyses des bouleversements qui redessinent le monde d'aujourd'hui, et particulièrement de ceux qui affectent le Moyen-Orient, dont il était un excellent connaisseur et auquel je me souviens qu'il avait, avec Bruno Joncour, consacré il y a tout juste un an un rapport d'information d'une très grande qualité.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, vous le savez, la vie politique est faite de ces rencontres qui, dans une autre vie, n'auraient peut-être pas lieu. C'est ce qui en fait la densité et l'épaisseur, mais aussi, parfois, la saveur amère, comme nous l'a rappelé l'immense tristesse que nous avons ressentie en apprenant le départ de Claude – cette immense tristesse qu'est venue raviver la disparition mercredi d'une autre battante, Marielle de Sarnez, l'admirable présidente de cette commission des affaires étrangères à laquelle Claude Goasguen tenait tant.

Souvenons-nous aujourd'hui de la force des convictions qui les animaient, de la fierté et de la joie républicaines qu'ils portaient dans cette enceinte et saluons ensemble ces existences d'engagement passionné au service de la France et des Français.

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