Vous le savez, dans sa première mouture, évoquée par le ministre de l'intérieur il y a quelques mois, le texte que nous étudions devait initialement s'intituler « projet de loi de lutte contre les séparatismes ». Il a, depuis, été habilement renommé « projet de loi confortant le respect des principes de la République ». Mais personne, ici, n'est dupe : derrière l'affichage d'une unité et de valeurs communes, que reflète ce nouveau titre ? Les dispositions du texte traduisent bien la volonté de stigmatiser une population, et l'on peut effectivement craindre que cette loi ne divise les Français sur ce qui devrait pourtant fonder notre socle commun – et c'est bien là tout le problème.
S'il faut lutter contre les phénomènes de radicalisation qui gangrènent une partie de notre société et terrifient certains de nos concitoyens, je fais partie de ceux qui considèrent que ce n'est nullement par une voie purement répressive, en contrôlant les activités des uns et des autres, que l'on redonnera corps au lien social qui unit les Français. Le débat qui nous anime aujourd'hui et l'application qui sera faite des dispositions de ce texte à l'avenir ne feront, au contraire, que renforcer la division, la méfiance, peut-être même la défiance à l'égard des services de l'État.
Car, au fond, quel est l'enjeu ici ? Quel est notre rôle, à nous, parlementaires, dans notre fonction non seulement de législateurs, mais aussi de contrôle de l'exécutif ? Il est en premier lieu de construire un avenir durable dans une société apaisée pour tous, et non de diviser. L'exclusion d'une catégorie de la population, source de frustration et de colère, ne sera jamais le bon remède pour que des individus se sentent intégrés, qu'ils se sentent pleinement membres de ce qui constitue le corps social – certains diront « la nation ».
D'ailleurs, le problème de notre société ne viendrait-il pas de notre conception de la nation ? De savoir quels individus peuvent s'y identifier ou non ? À la différence d'un État, qui comprend en son sein des sujets de droit dotés d'une citoyenneté qu'ils acquièrent par divers moyens, le concept de nation est sociologique : que faut-il pour constituer une nation ? Un peuple, un territoire, une histoire, une langue communes ? Pas forcément : il faut surtout la volonté de se reconnaître et de vouloir vivre ensemble. Voilà ce qui fait la nation.
Par exemple, qu'est-ce qui fait un Breton, cher François de Rugy ? Peut-être est-ce le territoire, et encore ; ce n'est même pas la culture. Ce n'est pas non plus la langue, puisque nous en avons deux, voire trois – c'est vous dire si la pluralité, nous connaissons. Alors, qu'est-ce qui fait la volonté d'être breton ? Pour en avoir discuté avec un certain nombre d'entre eux, je peux vous dire que c'est simplement le fait de se reconnaître breton. Et n'allez pas leur demander pourquoi ils se reconnaissent bretons, ils ne le savent pas eux-mêmes ! Pourtant, ne vous avisez pas de leur dire qu'ils ne le sont pas, car ils vous enverraient sur les roses.
Finalement, c'est bien le vivre ensemble qui est important. Pour moi, nous faisons fausse route avec l'idée que la France serait une nation unique et que, par essence, ses valeurs universelles suffiraient à la bonne intégration de l'ensemble de la population. La question est plutôt de savoir pourquoi certaines personnes ne s'y reconnaissent tellement pas qu'elles vont jusqu'à nourrir les pires barbaries à son encontre. Elles refusent même l'accès à la citoyenneté française que nous leur offrons en leur proposant de participer à la chose commune, notamment à travers le vote.
Pour répondre à une telle question, il est parfois opportun de se reporter aux travaux des grands philosophes. Ainsi, Jean-Jacques Rousseau a théorisé le contrat social comme le principe de souveraineté du peuple, lequel s'appuie sur les notions de liberté, égalité et volonté générale : chaque individu aliène sa liberté au nom du vivre ensemble. Or ce sont bien ces individus aliénant leur liberté qui constituent le bien commun et l'État, et non l'inverse. Cette affirmation constitue certainement une différence essentielle avec les partisans de l'étatisme.
Or notre Gouvernement préfère accentuer la touche sécuritaire, en optant pour des restrictions de liberté qui portent davantage encore atteinte à l'égalité. Quelle est la lame de fond qui guide ce projet de loi prétendant lutter contre toutes les formes de séparatismes ? L'analyse du terme même de « séparatismes », employé au pluriel au début de l'exposé des motifs du texte, est intéressante pour y voir plus clair. Le Président de la République affirmait : « Je ne suis pas à l'aise avec le terme " communautarisme " [… ] on peut se sentir des identités multiples si on respecte les lois de la République. » Jusque-là, nous sommes d'accord. Selon lui, « la République, parce qu'elle est indivisible, n'admet aucune aventure séparatiste » : je ne sais pas trop ce que cela signifie. Le Premier ministre expliquait, quant à lui, que le projet de loi viserait à « éviter que certains groupes ne se referment autour d'appartenances ethniques ou religieuses. » Seulement, qui en jugera ? Et que signifie « se refermer » ?
Pour le sociologue et enseignant-chercheur à l'université Paris-Diderot Fabrice Dhume, « les termes de séparatisme et de communautarisme sont assez significatifs de la manière dont le débat est posé dans le contexte français. Ils sont très liés à la manière dont le nationalisme français organise sa conception du monde et est adossé à une lecture particulièrement crispée de la nation, une nation que l'on considère comme devant être absolument unitaire, et au fond, une conception complètement ethnique de la nation. » L'indivisibilité de la République est donc un prélude à ce fameux projet de loi contre les séparatismes. Mais comment comprendre l'usage du pluriel ?
Selon le ministère de l'intérieur, le séparatisme recouvre toute action visant à « constituer un groupe qui a pour but de s'organiser en marge de la République, de manière hostile ». Aux termes de cette définition stricte, la future loi sera bien loin de cibler uniquement le séparatisme islamiste. En effet, que signifie « être en marge de la République » dans le régime politique régi par la Constitution de 1958, qui n'accepte qu'une définition ultra-stricte du concept de République ? Est-on considéré républicain si l'on se définit régionaliste, autonomiste ou indépendantiste ? Est-on républicain lorsque l'on parle corse ou breton dans une assemblée élue
Le 06/03/2021 à 09:56, Laïc1 a dit :
Pourquoi le passage en breton n'a pas été reproduit dans le compte rendu écrit de la séance ? Quand un député fait une citation en anglais, elle est reproduite, c'est de la pure discrimination linguistique.
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