Vous avez tout à fait raison de citer comme un élément positif l'engagement des personnels, qui travaillent pourtant dans des conditions indignes. Il y a quelques mois, nous avons publié un rapport sur les personnels des lieux de privation de liberté, intégrant évidemment ceux des prisons.
Tandis que le nombre de détenus augmentait, le nombre des personnels diminuait. À ce stade, les surveillants ne peuvent plus faire un vrai travail de réinsertion vis-à-vis des détenus. À Nanterre ou à Fresnes, il n'y a qu'un surveillant par coursive, pour cent détenus. Le surveillant ouvre et ferme des portes toute la journée ; il n'a le temps de rien faire d'autre, pas même de parler aux détenus. Comment avoir un rôle un tant soit peu humain et éducatif dans ces conditions ? Ce n'est pas possible.
De plus, dans des établissements comme Fresnes ou Nanterre – et dans d'autres établissements franciliens – 70 % des surveillants ne sont pas encore titularisés ; ce sont des fonctionnaires stagiaires qui sortent tout juste de l'École nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP). Ils sont très jeunes, habitent à l'autre bout de la France, sont logés un peu n'importe comment. Les syndicats nous disent même que certains jeunes surveillants dorment dans leur voiture car ils n'ont pas les moyens de se loger en région parisienne. Tout cela est absolument inadmissible.
Dans le rapport, nous préconisons un recrutement déconcentré pour que les personnes qui le souhaitent puissent rester dans leur région d'origine. Les enseignants en réseau d'éducation prioritaire (REP), qui sont aussi souvent de jeunes recrues travaillant dans des établissements difficiles, ont au moins une compensation en matière financière et en termes d'évolution de carrière. Pour légère qu'elle soit, cette compensation existe. Les surveillants, eux, n'ont absolument rien.
Ces conditions de vie et de travail auxquelles ils sont condamnés se répercutent forcément sur la prise en charge des détenus et peuvent se traduire par des atteintes aux droits fondamentaux. L'administration pénitentiaire se doit d'en prendre conscience. Elle rencontre d'ailleurs un problème de recrutement massif : plus personne ne veut devenir surveillant pénitentiaire. N'arrivent en prison que les jeunes qui ont raté tous les autres concours qu'ils ont passés, ce qui conduit à un abaissement du niveau. Loin d'avoir la vocation, ces jeunes surveillants arrivent à reculons.
Depuis les attentats de 2015, nous nous sommes penchés de façon extrêmement précise sur la radicalisation. À la différence d'autres pays, la France avait un peu mis le mouchoir sur ce phénomène pendant de nombreuses années, alors que l'administration et les syndicats pénitentiaires lançaient des alertes depuis un certain temps. Cette problématique n'a pas été prise à bras-le-corps, loin s'en faut, jusqu'au moment des attentats de 2015.
La création des unités dédiées a été lancée un peu à la va-vite, alors que tout le monde jugeait de manière assez négative l'expérience empirique qui était développée à Fresnes depuis quelques mois. Le gouvernement de l'époque a lancé une expérimentation dans cinq établissements. Au terme d'une mission menée dans ces cinq établissements, j'ai rendu un avis puis un rapport que vous trouverez sur notre site. Cet avis, rendu en juin 2015, était négatif car l'expérience n'avait pas été véritablement réfléchie. Parmi la vingtaine de détenus radicalisés de l'unité dédiée de Fresnes, il y avait de très jeunes gens qui, à l'époque, étaient peut-être partis avec un idéal humanitaire et pas forcément avec d'autres intentions. Or, ils étaient mélangés à des personnes complètement radicalisées. Il m'est tout de suite apparu que ce mélange de personnes – qui n'en étaient pas du tout au même niveau de radicalisation – était une bombe à retardement.
Un an plus tard, nous sommes allés étudier les programmes dits de déradicalisation mis en place à la maison d'arrêt d'Osny et dans d'autres établissements. Au départ, nous avons jugé que ces programmes pouvaient être utiles pour un certain type de détenus, en suscitant des prises de conscience grâce à une forme de ce que je qualifierais de « contre-discours », même si je n'aime pas tellement le terme. En septembre 2016, un incident gravissime s'est produit à la prison d'Osny. Le garde des Sceaux de l'époque, M. Jean-Jacques Urvoas, a annoncé la fin de ces unités dédiées. En réalité, cet incident a marqué le début des unités dédiées de deuxième génération.
Nous n'avons pas encore visité ces nouvelles unités mais nous le ferons certainement au début de l'année 2018. Contrairement à ce qui se passait auparavant, les personnes sont évaluées pendant quatre mois avant d'être orientées en fonction de leur profil. D'abord, cette évaluation est importante. Ensuite, il faut se demander s'il y a des atteintes aux droits fondamentaux de ces personnes. Le coeur de notre métier est de vérifier que l'équilibre entre les impératifs de sécurité et les droits fondamentaux est bien respecté. Tel est l'objectif de cette troisième mission que nous allons lancer dans les mois à venir.