La réunion débute à 16 heures 35.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.
La Commission auditionne Mme Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.
Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.
Vous présidez depuis un peu plus de trois ans, madame, cette autorité administrative indépendante, chargée, selon les termes de la loi, de « contrôler les conditions de prise en charge des personnes privées de liberté, afin de s'assurer du respect de leurs droits fondamentaux ». À ce titre, vous pouvez visiter les établissements pénitentiaires, certains établissements de santé, les locaux de garde à vue, les zones d'attente et les centres de rétention.
La commission des Lois vous a auditionnée deux fois au cours de la XlVe législature, pour la dernière fois en juin 2016. Nous avons souhaité vous entendre à l'occasion du dixième anniversaire de la loi du 30 octobre 2007 qui a institué le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. De surcroît, cette réunion s'intègre dans une séquence de travail de notre Commission : nous souhaitons poursuivre avec vous les échanges que nous avons engagés la semaine dernière à la suite des visites d'établissements pénitentiaires auxquelles nous avons procédé le lundi 6 novembre.
Ce sujet doit pouvoir nous rassembler au-delà des clivages politiques. L'enjeu est considérable pour les dizaines de milliers de personnes qui sont incarcérées dans les établissements pénitentiaires comme pour ceux qui y travaillent et, au-delà, pour notre société. Nous devons porter collectivement cette cause d'intérêt public.
Nous souhaitons limiter votre audition à la question de la détention pénitentiaire, sans que l'on traite aujourd'hui de la rétention administrative, des locaux de garde à vue ni des hôpitaux psychiatriques. Ensuite, nous entendrons ceux de nos collègues que l'horaire a empêchés de s'exprimer à ce sujet lors de notre réunion de mercredi dernier, puis les autres commissaires qui voudront vous interroger. Conformément à une orientation approuvée par le bureau de notre Commission, cette audition est thématisée ; les questions porteront successivement sur les conditions de détention, les conditions de travail des personnels pénitentiaires et les perspectives d'évolution du parc pénitentiaire et du droit des peines.
Je félicite la commission des Lois et sa présidente d'avoir organisé la visite des prisons situées dans les ressorts des circonscriptions des commissaires. Cette initiative est doublement salutaire : parce que tous les parlementaires ne connaissent pas les prisons, et aussi parce qu'il y a une différence considérable entre lire des rapports sur les lieux de privation de liberté, singulièrement les établissements pénitentiaires, d'une part, s'y trouver plongé, s'entretenir avec les détenus et le personnel et constater l'état de certaines prisons, d'autre part. Ces visites ne peuvent que provoquer un enrichissement constructif de la réflexion.
Je souhaite comme vous, madame la présidente, que le sujet dont vous débattez rassemble, car l'état des prisons dans notre pays est l'un des aspects du mal français. La France ne peut continuer de laisser ses prisons dans l'état où elles sont ni s'accommoder d'une telle surpopulation carcérale dans ses maisons d'arrêt. En ce début de législature, il vous appartient de faire que les choses changent. Je suis donc heureuse d'être parmi vous et d'entendre la fin de vos réflexions. En en écoutant la première partie sur La Chaîne parlementaire, j'ai pris la mesure du choc que ces visites ont été pour vous. J'espère que ce choc sera salutaire.
L'initiative était effectivement bénéfique mais, au risque d'être rabat-joie, j'appellerai à la retenue : n'en faisons pas uniquement une action de communication et soyons très prudents dans nos jugements. Or, j'ai eu un doute sur ce point en entendant certains comptes rendus de ces visites lors de la dernière réunion de notre Commission. Il ne me paraît pas judicieux qu'un élu de la République ayant visité pour la première fois un lieu de privation de liberté s'autorise en en sortant, fort d'une expertise soudaine, à porter des jugements définitifs. J'ai jugé hâtives, déplacées et malvenues certaines réactions médiatisées immédiates : ce n'est pas parce que l'on visite une prison pendant deux heures que l'on peut s'improviser spécialiste.
Sur le fond, j'aimerais, madame, en savoir un peu plus sur la manière dont vous appréhendez votre fonction et quel est à votre sens le coeur de votre mission. Vous devez vous assurer que les conditions de détention respectent la dignité de chacun, mais quelle est votre opinion sur le rôle des prisons ? Avez-vous pour unique rôle d'examiner les lieux de privation de liberté ? Sur quels principes fondez-vous l'exercice de votre fonction ?
Je n'ai pas à réagir à la première partie de votre intervention, mais je répondrai volontiers à vos questions portant sur mon rôle de Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Nous allons célébrer cette semaine, par un colloque, le dixième anniversaire de la création de l'autorité indépendante que je préside. Sa mission, définie par la loi du 30 octobre 2007, consiste à s'assurer que les droits fondamentaux des personnes privées de liberté par une décision de l'autorité publique sont respectés, en détectant tout dysfonctionnement éventuel dans un lieu de privation de liberté qui causerait une atteinte aux droits fondamentaux des personnes qui s'y trouvent.
Il n'existe pas de liste de droits fondamentaux, mais une conjonction de droits résultant de plusieurs textes, qu'ils soient nationaux, telle la Déclaration des droits de l'homme, ou internationaux, telle la Convention européenne des droits de l'homme. Notre rôle est donc de repérer les dysfonctionnements éventuels et, surtout, d'empêcher qu'ils ne se reproduisent. Pour cette raison, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est un « mécanisme national de prévention », instrument dont chaque pays membre de l'Organisation des Nations Unies doit se doter. Cet intitulé signifie que notre rôle n'est pas tant de régler la situation entre un détenu et la prison – nous le ferons par notre action – que de prévenir la répétition des dysfonctionnements détectés. Les droits fondamentaux des détenus sont légion, à commencer, bien sûr, par le droit à la vie et à l'intégrité physique, mais aussi le droit au maintien des liens familiaux, le droit à la santé, le droit à l'éducation, le droit à l'activité, tous droits consacrés par l'ensemble des textes auxquels je faisais référence.
Les prisons ont évidemment pour rôle de garder les détenus qui ont été condamnés par la justice, mais aussi, conformément aux dispositions de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, de préparer leur sortie et leur réinsertion. Or, le fonctionnement actuel des prisons françaises est tel que la mission de réinsertion assignée aux prisons par la loi ne peut plus être remplie ; la surpopulation carcérale et l'état des prisons l'empêchent. Il en résulte que les détenus n'ont pas seulement payé leur dette à la société : malheureusement, ils sortent de prison encore plus désocialisés qu'ils y sont entrés. C'est le noeud du problème.
Au centre pénitentiaire des Baumettes, où je me suis rendue, la situation est particulière puisqu'un couloir relie, au sein du même établissement, le XIXe au XXIe siècle : un bâtiment historique et un bâtiment flambant neuf, inauguré en mai dernier. Dans le bâtiment ancien, comme vous le savez, les conditions de détention sont difficiles pour les détenus comme pour le personnel de l'administration pénitentiaire. Quant au nouveau bâtiment, il est encore en période de rodage, et l'on s'efforce de remédier aux petits problèmes qui subsistent. Ainsi, quand j'étais sur place, il n'y avait pas d'eau chaude, ce qui n'est pas anodin au mois de novembre…
Je tiens en premier lieu à appeler l'attention sur l'accès des détenus aux soins. Je me suis entretenue avec un médecin et avec le personnel de l'administration pénitentiaire à ce sujet. Il existe bien, dans le nouveau bâtiment, un service médical mais il m'a été dit que, cet été, le taux de réponse aux convocations du médecin a été de 30 % seulement. La proportion est passée à 50 % après que l'administration pénitentiaire a pris ce problème en charge et un contrôle est en cours pour déterminer si le blocage est dû à ce que les détenus ne veulent pas se rendre à la consultation ou s'il y a un problème dans la communication. L'enjeu est déterminant : le soir même de ma visite, une jeune femme s'est suicidée dans cette prison. Je sais qu'un suivi médical est progressivement mis en place, mais le suivi des troubles psychiatriques dans les centres pénitentiaires est impératif à tous égards : pour la sécurité du personnel et des autres détenus et aussi pour la sécurité personnelle des détenus souffrant de ces pathologies. Selon vous, madame, la prise en charge actuelle est-elle satisfaisante, eu égard à l'obligation de soins des détenus ? Je n'ai pas eu de réponse à cette question cruciale, et je pense que le problème ne se pose pas seulement aux Baumettes.
D'autre part, ayant déjà eu l'occasion, dans ma vie professionnelle antérieure, de me rendre aux Baumettes, je puis confirmer que, comme vous l'avez indiqué, le volet « réinsertion » du passage en prison, indispensable tant pour que le détenu parvienne à reprendre sa place dans la société que pour lutter contre la récidive, est compromis. De nombreux détenus, parce qu'ils n'ont rien à faire, vivent dans un état d'inertie et d'attente permanent qui les déresponsabilise. Cela tient à ce qu'il est très difficile pour l'administration pénitentiaire de leur proposer du travail, les entreprises donneuses d'ordres étant en nombre extrêmement réduit. Il faut aussi s'interroger sur l'offre de formation et l'accès à l'éducation et à la culture. Pour ne donner qu'un exemple, l'offre de la bibliothèque que j'ai visitée n'est pas satisfaisante. Or, l'accès à la culture, à l'éducation et à la formation est capital pour la réinsertion des anciens détenus. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Ce que vous décrivez au sujet de la maison d'arrêt des Baumettes est malheureusement représentatif de l'ensemble des prisons françaises. Bien que la loi pénitentiaire de 2009 dispose que l'accès aux soins doit être exactement le même pour les détenus et pour les personnes vivant à l'extérieur des établissements pénitentiaires, on en est extrêmement loin, même si des progrès ont eu lieu par rapport à la période précédant 1994, date à laquelle la médecine pénitentiaire a été supprimée : désormais, tout ce qui concerne la santé dans les prisons relève du ministère de la santé et non plus du ministère de la justice, ce qui est un progrès en soi. Malgré cela, on est loin d'un accès aux soins satisfaisant puisque la proportion de réponse aux demandes de soins que vous avez indiquée – 30 % puis 50 % parce qu'un effort a eu lieu – est hélas constatée régulièrement.
C'est que les médecins voulant travailler en prison sont très peu nombreux. La carence est avérée, et le manque de psychiatres est encore plus criant. Surtout, la surpopulation carcérale est telle, notamment aux Baumettes, qu'il faut attendre des mois et des mois pour obtenir un rendez-vous avec un généraliste, sauf urgence – et encore ! Pour ce qui est d'un rendez-vous avec un psychiatre, un autre spécialiste ou un dentiste, c'est encore pire. J'ai vu récemment un détenu, entré en prison avec un cancer, qui a dû attendre six mois un rendez-vous pour passer un examen nécessaire à sa survie. C'est une atteinte patente au droit fondamental qu'est le droit à la santé.
Le constat de la déresponsabilisation, de l'inertie, de l'attente est tout aussi récurrent, malheureusement. Il y a trop peu d'activités en prison et surtout trop peu de travail. Seuls 30 % des détenus travaillent ; ils sont répartis entre le service général – la blanchisserie, la cantine, etc. – et des ateliers de production, mais cela suppose que des entreprises fournissent du travail, et trop peu le font. Elles pensent souvent que cela nuirait à leur réputation auprès de leur clientèle, mais c'est aussi, et sur ce point l'administration pénitentiaire pourrait faire des progrès, parce qu'elles considèrent que la lourdeur administrative relative aux horaires d'entrée et à la logistique créeront des contraintes supplémentaires. Aussi, elles abandonnent l'idée, bien que la main d'oeuvre des détenus soit plus que bon marché : légalement, ils sont payés 45 % du SMIC horaire, mais, en pratique, leur rémunération est bien moindre.
J'approuve ce que vous dites au sujet de la culture. Même si l'ensemble est relativement préoccupant, tout n'est pas entièrement noir. Ici et là – mais cela dépend entièrement du dynamisme des directeurs d'établissement – des actions culturelles très intéressantes sont menées : des ateliers vidéo, des ateliers d'écriture, des ateliers de parole… et l'on voit avec quel enthousiasme les détenus se rendent à ces activités, combien elles les font sortir de leur inertie. Il faut savoir que si un détenu ne travaille pas et qu'il y a peu d'activités dans la maison d'arrêt, ce qui est fréquemment le cas, il passe vingt-deux heures sur vingt-quatre dans une cellule de 9 mètres carrés qu'il partage souvent avec deux autres personnes. Imaginez ce que cela induit comme souffrance, détresse, violences entre détenus et violence entre détenus et surveillants ! Tout ce qui permettra le développement des activités en prison sera évidemment bienvenu, non seulement pour la période d'incarcération, mais aussi, comme vous le disiez, pour préparer la sortie.
J'approuve sans réserve vos propos liminaires, madame, sur l'état de nos établissements pénitentiaires et la surpopulation carcérale. Je souhaite mettre l'accent sur la fermeture de nombreux établissements spécialisés dans les troubles mentaux, alors que de nombreux détenus souffrent de troubles psychiatriques, parfois très lourds, qui les poussent à un comportement violent. Cela provoque des difficultés dans les relations avec les autres détenus et des difficultés pour les agents, appelés à faire face à des situations qu'ils n'ont pas appris à maîtriser car ce n'est pas leur métier. Bien entendu, les moindres des difficultés ne sont pas pour les détenus qui souffrent de ces troubles et qui, au lieu d'être dans un établissement pénitentiaire ordinaire, devraient être dans un établissement de soins, ce qui aurait sûrement des effets bien meilleurs. Quel est votre avis sur ce point ? Quelles sont les perspectives envisageables ?
La question n'est pas tant la fermeture d'établissements spécialisés en matière de troubles mentaux – il n'en existe quasiment pas – que la proportion extrêmement élevée de personnes souffrant de maladies mentales parmi les détenus. Les statistiques de l'administration pénitentiaire à ce sujet sont malheureusement rares : la dernière étude épidémiologique date d'une douzaine d'années. On évalue empiriquement à plus de 30 % le nombre de détenus présentant des pathologies mentales, au nombre desquels des troubles anxio-dépressifs qui peuvent d'ailleurs être déclenchés par l'incarcération, mais aussi des psychoses.
Ces détenus malades ne seraient-ils pas plus à leur place en hôpital psychiatrique ? Il faudrait réfléchir à des suspensions de peine pour les soigner, le temps qu'au moins elles soient dans un meilleur état. Il faudrait aussi améliorer le système des expertises psychiatriques. Au moment de commettre un crime ou un délit, son auteur peut ne pas avoir toutes ses facultés mentales et être, par la suite, déclaré irresponsable. Mais, avant que des expertises aient lieu, que ces personnes soient jugées et que l'irresponsabilité soit prononcée, le délai qui s'écoule est extrêmement long et, pendant ce temps-là, elles sont incarcérées. C'est plutôt vers ces solutions que la réflexion doit s'orienter. Les unités hospitalières spécialement aménagées créés dans les années 2000 permettent d'héberger quelques jours ou quelques mois des personnes atteintes de pathologies mentales, mais leur nombre est insuffisant, si bien que, trop souvent, des personnes qui devraient y être accueillies ne peuvent l'être, ou le sont pendant un temps trop court.
La France est assez régulièrement montrée du doigt, notamment par le Conseil de l'Europe, pour l'état de ses prisons, les violences policières ou le non-respect de ses minorités.
Quel est, selon vous, l'effet de la création de nouvelles places de prison sur la surpopulation carcérale ? Contribuent-elles à désengorger les prisons ou ne servent-elles qu'à reporter le problème, compte tenu du flot des nouveaux arrivants ?
Quel est, par ailleurs, votre avis sur la situation des prisonniers basques et corses ? Ces gens sont répartis dans toutes les prisons françaises, en général très loin de leurs familles, qui subissent une double peine compte tenu de la durée et du coût des transports pour aller au parloir à Fresnes ou à Fleury-Mérogis. Cette situation ne contribue pas à la réinsertion de ces détenus. Quand ils sont classés comme détenus particulièrement signalés (DPS), ils ne peuvent pas revenir dans les prisons corses ou basques, alors qu'ils ont parfois déjà purgé des peines considérables, pouvant aller au-delà de vingt ans. Certains d'entre eux, en outre, ne peuvent pas facilement être changés de prison, ne serait-ce que pour leur propre sécurité. Dans les processus d'abandon de la violence au Pays basque ou en Corse, le problème de ceux que leurs compagnons qualifient de « prisonniers politiques » est posé, ainsi que celui de la réinsertion de certains d'entre eux qui sont tout à fait réinsérables.
En Europe, la France n'est pas le seul pays où les prisons sont surpeuplées, mais elle est le seul où le nombre de détenus continue à augmenter. À cet égard, nous sommes vraiment la lanterne rouge du Conseil de l'Europe.
Dans les maisons d'arrêt, le taux d'occupation moyen se situe à 140 %, ce qui veut dire qu'il peut atteindre 200 % ou 210 % comme c'est le cas dans les prisons d'Île-de-France ou d'outre-mer. Construire des places est une bonne idée dans la mesure où il en faut un certain nombre car on ne peut pas se résoudre à laisser les prisons dans l'état où elles sont. En revanche, la course à l'inflation carcérale à laquelle nous assistons depuis des années est une fausse bonne idée.
À chaque fois que l'on construit des places de prison, elles sont remplies. Les chiffres montrent que ce n'est pas une vue de l'esprit : le nombre de places a doublé en vingt-cinq ans, passant de 30 000 à 60 000, et le nombre de détenus a évolué en parallèle puisque nous comptons actuellement plus de 70 000 détenus, alors que la délinquance grave n'a pas augmenté. Plus il y a de places de prison, plus les magistrats incarcèrent. La tendance n'est hélas pas aussi nette dans l'autre sens, même si, en raison d'une sorte d'autocensure, les magistrats trouvent des alternatives à l'incarcération quand le seuil de surpopulation devient absolument intolérable.
Tout cela obéit à une sorte de réflexe. Malheureusement, le magistrat se dit que la personne n'est pas sanctionnée s'il ne la met pas en prison, un peu comme l'opinion publique pense qu'une libération vaut absolution alors qu'il peut y avoir un contrôle judiciaire, un sursis avec mise à l'épreuve, un travail d'intérêt général, une libération conditionnelle. Si nous voulons combattre le phénomène de surpopulation carcérale, nous devons intégrer l'esprit de la loi de 2009 : la prison doit être le dernier recours, celui que l'on utilise en l'absence d'autre solution. Pour adopter ce véritable changement de paradigme, il faut qu'une impulsion vienne du plus haut niveau, c'est-à-dire du Gouvernement et du Parlement. Il va de soi que le garde des Sceaux ne doit pas donner d'instruction aux parquets dans des affaires précises. En revanche, dans le cadre de l'application de la politique pénale, il peut indiquer clairement aux parquets que l'incarcération doit être le dernier recours. Au cours des dix dernières années, le législateur a créé diverses mesures alternatives à l'incarcération ; ce n'est pas la peine d'en inventer d'autres. Elles sont sur la table, elles existent, mais elles ne sont pas suffisamment utilisées. Il faut changer la façon d'appréhender le recours à la prison.
La construction de places de prison est une fausse bonne idée, dites-vous, madame la Contrôleure générale. Je partage votre avis. En tant que parlementaires, nous devons faire de la pédagogie pour que la peine prononcée – quand il n'y a pas d'emprisonnement – soit comprise par les victimes.
À la suite de la très bonne initiative de la commission des Lois, nous sommes tous allés visiter des prisons, où nous avons pu identifier nombre de problèmes. Pour ma part, je voudrais apporter un éclairage sur deux points positifs que j'ai relevés : l'engagement remarquable des personnels et le développement d'activités socioculturelles. L'accent doit être mis sur ces activités car, comme vous l'avez rappelé, certains détenus passent vingt-deux heures sur vingt-quatre dans leur cellule.
Les points négatifs sont bien connus : surpopulation, insuffisance des soins médicaux, failles de sécurité. L'introduction de stupéfiants et de téléphones portables est source de crispations, voire de violences au sein des établissements. Les surveillants s'estiment aussi démunis face au phénomène de radicalisation. Même lorsqu'ils sont isolés, les prisonniers radicalisés se retrouvent au contact d'autres détenus lorsqu'ils sortent de leur cellule. Que préconisez-vous pour la gestion de ces détenus radicalisés ?
Vous avez tout à fait raison de citer comme un élément positif l'engagement des personnels, qui travaillent pourtant dans des conditions indignes. Il y a quelques mois, nous avons publié un rapport sur les personnels des lieux de privation de liberté, intégrant évidemment ceux des prisons.
Tandis que le nombre de détenus augmentait, le nombre des personnels diminuait. À ce stade, les surveillants ne peuvent plus faire un vrai travail de réinsertion vis-à-vis des détenus. À Nanterre ou à Fresnes, il n'y a qu'un surveillant par coursive, pour cent détenus. Le surveillant ouvre et ferme des portes toute la journée ; il n'a le temps de rien faire d'autre, pas même de parler aux détenus. Comment avoir un rôle un tant soit peu humain et éducatif dans ces conditions ? Ce n'est pas possible.
De plus, dans des établissements comme Fresnes ou Nanterre – et dans d'autres établissements franciliens – 70 % des surveillants ne sont pas encore titularisés ; ce sont des fonctionnaires stagiaires qui sortent tout juste de l'École nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP). Ils sont très jeunes, habitent à l'autre bout de la France, sont logés un peu n'importe comment. Les syndicats nous disent même que certains jeunes surveillants dorment dans leur voiture car ils n'ont pas les moyens de se loger en région parisienne. Tout cela est absolument inadmissible.
Dans le rapport, nous préconisons un recrutement déconcentré pour que les personnes qui le souhaitent puissent rester dans leur région d'origine. Les enseignants en réseau d'éducation prioritaire (REP), qui sont aussi souvent de jeunes recrues travaillant dans des établissements difficiles, ont au moins une compensation en matière financière et en termes d'évolution de carrière. Pour légère qu'elle soit, cette compensation existe. Les surveillants, eux, n'ont absolument rien.
Ces conditions de vie et de travail auxquelles ils sont condamnés se répercutent forcément sur la prise en charge des détenus et peuvent se traduire par des atteintes aux droits fondamentaux. L'administration pénitentiaire se doit d'en prendre conscience. Elle rencontre d'ailleurs un problème de recrutement massif : plus personne ne veut devenir surveillant pénitentiaire. N'arrivent en prison que les jeunes qui ont raté tous les autres concours qu'ils ont passés, ce qui conduit à un abaissement du niveau. Loin d'avoir la vocation, ces jeunes surveillants arrivent à reculons.
Depuis les attentats de 2015, nous nous sommes penchés de façon extrêmement précise sur la radicalisation. À la différence d'autres pays, la France avait un peu mis le mouchoir sur ce phénomène pendant de nombreuses années, alors que l'administration et les syndicats pénitentiaires lançaient des alertes depuis un certain temps. Cette problématique n'a pas été prise à bras-le-corps, loin s'en faut, jusqu'au moment des attentats de 2015.
La création des unités dédiées a été lancée un peu à la va-vite, alors que tout le monde jugeait de manière assez négative l'expérience empirique qui était développée à Fresnes depuis quelques mois. Le gouvernement de l'époque a lancé une expérimentation dans cinq établissements. Au terme d'une mission menée dans ces cinq établissements, j'ai rendu un avis puis un rapport que vous trouverez sur notre site. Cet avis, rendu en juin 2015, était négatif car l'expérience n'avait pas été véritablement réfléchie. Parmi la vingtaine de détenus radicalisés de l'unité dédiée de Fresnes, il y avait de très jeunes gens qui, à l'époque, étaient peut-être partis avec un idéal humanitaire et pas forcément avec d'autres intentions. Or, ils étaient mélangés à des personnes complètement radicalisées. Il m'est tout de suite apparu que ce mélange de personnes – qui n'en étaient pas du tout au même niveau de radicalisation – était une bombe à retardement.
Un an plus tard, nous sommes allés étudier les programmes dits de déradicalisation mis en place à la maison d'arrêt d'Osny et dans d'autres établissements. Au départ, nous avons jugé que ces programmes pouvaient être utiles pour un certain type de détenus, en suscitant des prises de conscience grâce à une forme de ce que je qualifierais de « contre-discours », même si je n'aime pas tellement le terme. En septembre 2016, un incident gravissime s'est produit à la prison d'Osny. Le garde des Sceaux de l'époque, M. Jean-Jacques Urvoas, a annoncé la fin de ces unités dédiées. En réalité, cet incident a marqué le début des unités dédiées de deuxième génération.
Nous n'avons pas encore visité ces nouvelles unités mais nous le ferons certainement au début de l'année 2018. Contrairement à ce qui se passait auparavant, les personnes sont évaluées pendant quatre mois avant d'être orientées en fonction de leur profil. D'abord, cette évaluation est importante. Ensuite, il faut se demander s'il y a des atteintes aux droits fondamentaux de ces personnes. Le coeur de notre métier est de vérifier que l'équilibre entre les impératifs de sécurité et les droits fondamentaux est bien respecté. Tel est l'objectif de cette troisième mission que nous allons lancer dans les mois à venir.
Nous allons maintenant prendre des questions groupées sur notre premier thème : les conditions de détention.
Avec M. Stéphane Mazars, j'ai visité hier la prison de Druelle, l'unique maison d'arrêt du département de l'Aveyron. Nous n'avions pas pu le faire au moment où les visites coordonnées avaient été organisées. Comparée à la moyenne du parc pénitentiaire français, la prison de Druelle détonne. C'est un établissement de petite taille où, de l'avis de tous ceux que nous avons rencontrés – détenus, surveillants, représentants du personnel, membres de la direction –, les conditions de travail et de détention sont bonnes, voire très bonnes. Ce constat, qui fait plaisir à entendre, ne nous a pas empêchés d'aborder les problématiques qui se posent ailleurs.
Ma question est à cheval sur les deux premiers thèmes. Sa première partie porte sur l'encellulement individuel prévu par la loi de 2009. Jugez-vous cette disposition réaliste à une échéance elle-même réaliste ? Pensez-vous, au contraire, qu'il faut revenir sur cette mesure législative parce que nous ne pourrons jamais l'appliquer, eu égard à votre réflexion précédente sur le nombre de places ?
Le deuxième volet de ma question a trait aux conditions d'exercice du métier de surveillant. Les recrues ne peuvent être nommées où elles le souhaitent, et leurs conditions de rémunération ne leur permettent pas de se loger correctement, comme vous l'avez souligné. Ce métier souffre d'un manque d'attractivité très fort qui ne s'explique pas seulement par ces raisons matérielles. Si nous n'y remédions pas, nous courons le risque de ne plus avoir de candidats au concours, ni de gens qui restent suffisamment longtemps dans cette profession pour assurer un suivi.
On nous a aussi signalé que les problèmes les plus aigus surviennent en dehors de l'établissement pénitentiaire, lors de l'accompagnement de détenus au tribunal ou à l'hôpital – ce que l'on appelle les extractions. Quelles mesures particulières peuvent être envisagées pour garantir la sécurité des personnels lors de ces extractions ?
Enfin, le niveau de recrutement n'a pas évolué depuis plusieurs années, indépendamment de l'évolution de ces métiers, des situations auxquelles ces personnels sont exposés et des risques qu'ils encourent. Que pensez-vous de leur formation ?
Madame la Contrôleure générale, je vous propose de retenir les questions relatives à notre deuxième thème pour que nous puissions nous concentrer sur le premier pendant une petite vingtaine de minutes encore.
Avant tout, madame la Contrôleure générale, je veux vous remercier du travail que vous menez, de votre souci de préserver un équilibre entre les droits fondamentaux et la sécurité. Nous avons besoin d'une telle voix dans les moments extrêmement difficiles que nous avons rencontrés, notamment après les attentats de Paris.
Ma première question est relative à la surpopulation carcérale, dont nous avons déjà beaucoup parlé. L'objectif de l'encellulement individuel était affiché dès 1875, puis inscrit dans une loi de 2009 qui prévoyait un moratoire jusqu'en 2014, reporté ensuite à 2019. À votre avis, comment cet objectif affiché peut-il se réaliser et à quel terme ?
La surpopulation carcérale est très inégale, ce qui provoque une vraie rupture d'égalité entre les personnes selon qu'elles sont incarcérées en Île-de-France ou ailleurs. La surpopulation carcérale aggrave la sanction, qui n'est d'ailleurs pas le but exclusif de la peine. Il faut penser à la nécessaire réinsertion des détenus, dans laquelle les surveillants jouent un rôle essentiel quand ils sont en nombre suffisant pour ne pas être transformés en simples porteurs de clés.
Que pensez-vous de la régulation carcérale ? Pourquoi échoue-t-elle au point que la surpopulation atteigne des niveaux aussi inquiétants ? Pourquoi les secteurs de semi-liberté restent-ils vides ? J'ai écrit au procureur et à la présidente du tribunal pour m'inquiéter de cette situation. Qu'en pensez-vous et quelle action pouvez-vous mener dans ce domaine ?
Les unités de vie familiale, qui ont été créées et installées, ne fonctionnent pas non plus, faute d'effectifs. Qu'en pensez-vous ?
À ma grande surprise, j'ai appris que plus de 800 téléphones portables ont été confisqués en une seule année dans un seul centre pénitentiaire. Dans ces conditions, ne vaut-il pas mieux assurer une utilisation encadrée des téléphones portables que d'en interdire l'usage ?
Dès l'âge de treize ans, des mineurs sont susceptibles de séjourner en maison d'arrêt. Lors de la visite que j'ai effectuée à l'établissement de Varces, dans l'Isère, il m'a été indiqué que les mineurs sont de plus en plus violents et incontrôlables et que les surveillants sont désemparés devant le jeune âge et l'attitude des intéressés.
Je souhaite encore appeler votre attention sur une forme de dérive qui consiste à placer beaucoup de ces jeunes en foyers, structures qui ne sont pas conçues pour les recevoir.
Il est de notre devoir d'imaginer un mode de détention qui permette à ces jeunes, âgés de treize à dix-sept ans, de retrouver le chemin d'une vie normale.
Vous avez évoqué, madame la Contrôleure générale, la question de la radicalisation, ce dont je vous remercie.
En tant que rapporteur spécial du budget de la justice, j'ai noté que la garde des Sceaux projetait d'annoncer prochainement un plan national de lutte contre la radicalisation. Dans mon rapport, je faisais état du fait que, pour le moment, rien n'était prévu à cet effet dans le budget pour 2018. Disposez-vous, de votre côté, d'informations relatives au financement de ce dispositif de lutte contre la radicalisation en milieu carcéral ainsi que de sa mise en oeuvre ? En d'autres termes : savez-vous quels moyens financiers et humains il est prévu d'affecter à cette politique ?
J'ai été choquée de constater que les moyens budgétaires alloués à la maintenance des prisons pour 2018 diminuent de 30 %, ce qui est très inquiétant. J'ai déjà eu l'occasion de dire qu'il ne sert à rien, lorsqu'on connaît l'état de délabrement, que vous avez souligné, des prisons françaises, de libérer des crédits pour la construction de nouveaux établissements au cours des prochaines années tout en réduisant les sommes consacrées à leur entretien.
Deux d'entre vous m'ont demandé si le moratoire qui doit expirer en 2019 est réaliste : la réponse est évidemment négative, ce qui est bien malheureux. Le législateur l'a d'ailleurs pensé bien avant moi, qui a posé le principe selon lequel une cellule individuelle doit être proposée à chacun, jugeant que cela était préférable pour les intéressés. Comme l'un de vous l'a rappelé, ce moratoire a été prolongé de cinq ans en cinq ans : la dernière prolongation a été décidée en 2014 parce que, quelques mois avant l'expiration, on a réalisé que rien n'avait été fait. Ce délai expire à nouveau en 2019, or nous sommes extrêmement loin d'être en mesure de garantir un encellulement individuel à chaque détenu.
Je ne pense pas du tout qu'il faille renoncer à cet objectif, mais je considère, hélas, qu'il n'est pas réaliste de penser qu'il sera atteint en 2019. Il ne pourra l'être, ultérieurement, que si sont adoptées des mesures permettant de faire baisser sensiblement le nombre des détenus.
J'ai déploré cette année, comme je l'avais fait en 2007 et 2012, qu'il n'ait pas été prévu de loi d'amnistie. Autant je considère que les grâces collectives peuvent être critiquées comme relevant du fait du prince, autant une loi d'amnistie votée par le législateur – qui s'applique, l'expérience le montre, à des quantums de peine relativement modestes et à des délits de moindre gravité – permet en quelque sorte de « remettre les compteurs à zéro » et de repartir sur de meilleures bases. Il se trouve que cela n'a pas été le cas à partir de 2007, au nom d'un raisonnement fondé sur l'égalité devant la loi, et qui peut d'ailleurs s'entendre ; je n'en pense pas moins que cette solution aurait été préférable.
S'agissant du niveau de recrutement du personnel pénitentiaire, l'administration mène des actions de communication, mais qui ne portent guère leurs fruits. Il faut également améliorer la formation et l'encadrement des jeunes surveillants afin qu'ils ne soient pas amenés à démissionner dès leurs premières années de fonction. Le taux de démission, en effet, est extrêmement important, les intéressés préférant souvent rejoindre les polices municipales, qui recrutent beaucoup et dont les effectifs sont en forte augmentation. La profession doit être rendue plus attractive et mieux rémunérée : même si la différence de rémunération par rapport à d'autres emplois n'est guère significative et si la question est plus celle de l'attractivité que celle du traitement, un agent dont le premier poste est en région parisienne ne peut y vivre avec un traitement de surveillant débutant.
Depuis trois ans que j'exerce mes fonctions, je m'attache à expliquer que tant qu'il n'existera pas un système de régulation carcérale – notion qu'il convient de préciser –, nous ne parviendrons pas à faire baisser le nombre des détenus en maison d'arrêt ou en établissement pénitentiaire. La régulation carcérale se différencie de ce qu'à d'autres époques on a appelé le numerus clausus, et qui consistait à libérer automatiquement le détenu le plus proche de sa date de sortie avant d'en faire entrer un autre ; le caractère mécanique de cette pratique était assez choquant.
La régulation carcérale est toute autre ; je l'ai vue appliquer dans un certain nombre de ressorts. Elle signifie qu'au-delà d'un certain taux d'occupation – qui, idéalement, devrait être de 100 % –, les magistrats, le directeur de la prison, le parquet, le juge d'instruction et le juge d'application des peines se réunissent, prennent acte d'une population excessive dans un lieu de détention donné, et examinent la situation de détenus proches du terme de leur peine, pouvant être libérés sans risque une semaine ou un mois avant celui-ci de façon à permettre l'entrée de nouveaux individus.
Tous les gardes des Sceaux que j'ai rencontrés depuis que j'occupe ce poste se sont montrés attentifs à cette proposition. L'un d'entre eux, dont je tairai le nom, a considéré l'idée très bonne et m'a dit qu'il fallait « le faire sans le dire ». J'ai au contraire défendu le principe de l'institutionnalisation de cette pratique, car je l'ai vue appliquer à Dijon, mais elle reposait sur la procureure en poste à l'époque ; le dispositif est fatalement fragile s'il repose sur la bonne volonté de personnes isolées. Au-delà de son institutionnalisation, il faudrait surtout faire en sorte que les magistrats l'adoptent ; et en tant que magistrat, je parle en connaissance de cause. J'ai évoqué le sujet devant des organisations professionnelles : certains m'ont répondu qu'il n'était pas question d'y recourir, car à leurs yeux le fait de prendre l'état de surpopulation carcérale comme critère constituerait une atteinte à leur indépendance.
Je suis en total désaccord avec cette vision des choses ; au contraire, le fait pour un magistrat de prononcer des peines sans se soucier de la façon dont elles seront exécutées n'est pas recevable. C'est la raison pour laquelle je milite en faveur de l'institution de la régulation carcérale, ce qui suppose le vote d'une loi. Comme pour d'autres propositions, que moi-même ou d'autres personnes formulons, il me semble qu'il faut avoir le courage d'aller à l'encontre de ce que veut l'opinion publique ; si ce courage devait faire défaut, nous n'arriverions à rien.
La question des mineurs constitue un réel problème. Je m'inquiète de constater qu'il n'y a jamais eu autant de mineurs emprisonnés, puisque l'on en compte 850 aujourd'hui, et qu'ils sont, de surcroît, de plus en plus jeunes. Plus encore que pour les majeurs, l'incarcération des mineurs doit être le dernier recours : il faut prendre conscience de ce que représente pour eux le choc carcéral. Nous devons donc trouver pour eux d'autres mesures. Toutefois, ainsi que vous l'avez dit, il ne saurait s'agir de placer le mineur difficile et multirécidiviste dans un foyer de l'enfance « lambda », car ce n'est pas la solution.
D'autres moyens existent, comme les centres éducatifs fermés (CEF) : que l'on soit pour ou contre n'est plus le débat, le problème est qu'ils fonctionnent globalement mal, ce que reconnaît la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) elle-même. Heureusement, certains de ces centres – trop peu, hélas – donnent satisfaction ; il faut donc parvenir à ce qu'ils soient plus nombreux, voire tous, dans ce cas.
Il existe aussi les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), au sein desquels, précisément, la coopération entre l'administration pénitentiaire et la PJJ devait garantir une meilleure prise en charge de ces jeunes, conformément à l'esprit de la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice. Or il s'avère que cette collaboration est source de frictions et de paralysies, et que les choses se passent mal. Il n'en demeure pas moins que ces institutions existent et qu'il importe de faire en sorte qu'elles fonctionnent mieux.
S'agissant des unités de vie familiale (UVF), la loi prévoit qu'elles soient présentes dans tous les lieux de privation de liberté. Nous sommes très loin du compte, alors même qu'il s'agit d'un dispositif capital pour la réinsertion des détenus. L'administration pénitentiaire devrait être plus vigilante à la présence d'UVF au sein de tous les établissements de réclusion.
Par ailleurs, au risque de choquer un certain nombre d'entre vous – mais la démocratie n'existerait pas sans le débat – je vous signale, alors que l'un d'entre vous a évoqué la présence de 800 téléphones portables dans l'établissement qu'il a visité, que l'administration en a recensé environ 30 000 – pour quelque 70 000 détenus, ce qui donne une idée de l'ampleur du phénomène.
On peut juger cette situation scandaleuse, car ces téléphones sont interdits et n'ont pas à entrer dans les prisons. Mais la réalité est que, qu'on le veuille ou non, ces appareils entrent : ils rentrent par les parloirs, par des projections depuis l'extérieur par-dessus les murs, mais aussi – et ce n'est pas leur faire injure, car leurs propres organisations représentatives le reconnaissent – par les surveillants eux-mêmes. À cet égard, j'observe que plus les gardiens sont jeunes, plus ils exercent dans des conditions difficiles, et plus ils sont susceptibles d'être corrompus, même si ce n'est pas, bien entendu, la règle.
On constate donc la présence d'un nombre considérable de téléphones portables, et les surveillants, qui sont opposés à la légalisation de leur possession par les détenus, nous disent qu'environ 80 % des appareils saisis servent à contacter la famille et les proches. Dès lors, pourquoi ne pas faire ce que je propose depuis trois ans : autoriser des téléphones portables conçus spécialement pour le séjour en prison, permettant d'appeler un nombre limité de numéros, pouvant être écoutés par l'administration, et susceptibles d'être achetés en « cantine » ? Il n'est évidemment pas question, j'y insiste, d'autoriser la possession d'appareils connectés à internet comme ceux disponibles à l'extérieur dans le commerce.
Aujourd'hui, pour pouvoir téléphoner, les détenus doivent communiquer la liste des numéros qu'ils souhaitent joindre, et qui sont à la fois vérifiés et susceptibles d'être écoutés. Il se trouve que les « points phone » sont placés dans les coursives ou dans les cours : aucune intimité, aucune confidentialité n'est donc permise, et il n'est plus possible d'appeler après dix-sept heures trente !
Ces téléphones bridés, faisant l'objet du même contrôle que les « points phone », régleraient une partie de la question, car la situation actuelle est absurde : les gardiens passent leur temps à chercher les téléphones, et les policiers qui les récupèrent ne les examinent même pas, faute de temps. L'hypocrisie est donc totale ; il serait préférable pour les surveillants comme pour les détenus qu'une autorisation soit décidée. J'ai l'intime conviction qu'à l'horizon de cinq, dix ou quinze ans, les téléphones portables seront répandus en milieu carcéral, comme l'ont été, au prix de bien des polémiques à l'époque, les téléviseurs dans les années 1980 – téléviseurs dont la suppression ne manquerait pas de provoquer des émeutes.
Il s'agit là encore d'une question de courage politique ; Mme Taubira, alors garde des Sceaux, avait pris la mesure, juste selon moi, d'autoriser ces téléphones dans les centres de semi-liberté (CSL). Les détenus auraient eu ces appareils à disposition dans la journée et les auraient déposés le soir venu. La publication de la circulaire a provoqué une levée de boucliers de la part des organisations professionnelles représentatives des surveillants, au point que Mme Taubira a dû la retirer.
Quelques expérimentations sont en cours dans des centres de semi-liberté, pour lesquels l'interdiction mériterait d'être levée ; il faudra ensuite poursuivre la réflexion. Une expérience intéressante de mise à disposition de téléphones muraux est conduite, qui à mes yeux gagnerait à être généralisée ; à Montmédy par exemple, le nombre des saisies de téléphones portables à ainsi chuté dans des proportions remarquables.
Ce système est compatible avec les établissements pour peines, où les détenus sont seuls en cellule ; il l'est moins pour les maisons d'arrêt, où ils sont couramment trois ou quatre. Ces expériences n'en constituent pas moins un progrès, s'il faut commencer par là, faisons-le, mais nous ne pouvons pas rester dans la situation actuelle, qui est ubuesque.
Si les CSL sont en partie vides, c'est parce qu'ils sont souvent en très mauvais état ; de plus les magistrats sont rétifs au placement en semi-liberté. Par ailleurs, les horaires de travail des détenus concernés ne correspondent pas à ceux des centres de détention ; toutefois, des expériences sont conduites ici ou là, et certains centres se sont mis au diapason. Ainsi, si un détenu à besoin de sortir à six heures du matin, la porte lui sera ouverte à cette heure-là ; cela n'est hélas pas le cas partout, ce qui empêche certains détenus d'accepter des offres d'emploi et donc de connaître le régime de la semi-liberté.
Enfin, la question des extractions judiciaires est délicate, car elles sont progressivement reprises par l'administration pénitentiaire et le processus touche à sa fin. Nous constatons toutefois qu'il est renoncé à beaucoup de ces extractions, ce qui est problématique pour les questions de santé et d'hospitalisation. Un nombre considérable de détenus ne sont pas extraits pour des consultations médicales, pas même pour des opérations chirurgicales, parce qu'il manque des personnels disponibles.
Je souhaiterais évoquer la situation du Camp-Est, centre pénitentiaire de la Nouvelle-Calédonie. Ainsi que vous l'avez considéré, cette prison n'est pas épargnée par la surpopulation, avec un taux d'occupation colossal culminant à 136 % sur l'ensemble de l'établissement, à 196 % dans la maison d'arrêt des hommes – et une belle égalité des sexes puisque ce taux atteint 200 % chez les femmes.
Les agents de l'administration pénitentiaire nous ont indiqué que la situation ne faisait que s'aggraver, car ce taux d'occupation était de 168 % en 2016 : un cap inquiétant a donc été franchi. Une corrélation avec la proximité de la prochaine consultation référendaire et une exacerbation des tensions susceptibles d'en résulter n'est certes pas à exclure.
À ce constat vient malheureusement s'ajouter celui d'un sous-effectif chronique de personnels : les détenus ne sont surveillés que par 140 personnes, toutes catégories confondues, soit 25 le jour et 10 la nuit. Il n'y a ni équipes de fouille ni équipe de transfèrement ; quant aux extractions, elles sont compliquées par des contraintes matérielles caractéristiques des outre-mer. Il n'y a pas non plus d'équipes d'intervention et de sécurité, ce qui provoque un profond sentiment d'insécurité chez les personnels. Le Camp-Est détient d'ailleurs de sombres records en matière de mutineries et d'évasions.
Toutefois, la perspective de la construction d'un centre pénitentiaire dans le Nord apporte quelque espoir, car la Nouvelle-Calédonie est longue de 400 kilomètres, soit la moitié de l'Hexagone, et, comme pour la Corse ou le Pays basque, l'éloignement rend plus difficile la visite des familles. Or il est notoire que le rapprochement familial contribue largement à faciliter la réinsertion après l'incarcération.
Nous pouvons enfin espérer une augmentation des personnels.
Par ailleurs, notre environnement n'est pas seulement particulier sur le plan géographique, il l'est aussi sur le plan juridique, de nombreuses compétences étant exercées par le territoire ou par les collectivités locales. De son côté, l'État détient la compétence régalienne sans pour autant disposer des moyens législatifs et financiers propres à améliorer la préparation à la réinsertion, ce qui se traduit par un taux de récidive de 70 % à 75 %.
Conduisez-vous, madame la Contrôleure générale, une réflexion particulière sur le contexte ultramarin, la Nouvelle-Calédonie n'étant pas seule concernée par ces tropismes locaux ? Singulièrement pour la Nouvelle-Calédonie, et bien que l'État ne soit pas compétent dans l'ensemble du procès, ne pourrait-il pas proposer des mécanismes d'accompagnement ? Sans aller jusqu'à l'imposer, ne pourrait-il pas, en s'exonérant du contexte réglementaire en vigueur, suggérer aux collectivités territoriales néocalédoniennes l'institution de travaux d'intérêt général, qui font défaut, ou de soutenir financièrement à cet effet des entreprises locales ?
Nous faisons évidemment des missions outre-mer, à raison d'une par an depuis la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Nous sommes récemment allés en Guadeloupe, à la Martinique et à Mayotte. Ayant visité Camp-Est, à Nouméa, en 2011, nous y avons constaté des atteintes si graves aux droits fondamentaux que nous avons fait, comme la loi nous y autorise, une recommandation en urgence. Nous en avions fait aussi pour les Baumettes il y a quelques années et plus récemment pour Fresnes. Nous avons constaté à l'époque que la prison de Camp-Est était dans un état déplorable, que les détenus étaient entassés et qu'aucune activité ne leur était proposée mais je n'ai pas d'information nouvelle depuis 2011 car nous n'y sommes pas retournés depuis lors. Nous menons effectivement une réflexion sur l'outre-mer, mais chacun des établissements ultramarins a ses spécificités. J'entends vos propositions, mais elles sortent un peu de notre champ de compétences, qui se limite aux conditions de détention. Nous serons évidemment amenés à retourner en Nouvelle Calédonie dans les années qui viennent pour vérifier si notre recommandation en urgence a été suivie d'effets, mais ce que vous nous dites aujourd'hui, monsieur le député, montre qu'elles ne l'ont pas été.
L'amélioration des conditions de détention est vraiment un serpent de mer de la République. Simone Veil, lorsqu'elle était à la tête de l'administration pénitentiaire au début des années 1970, parlait déjà du mauvais état des prisons, des problèmes que posent la détention provisoire et la surpopulation carcérale, ainsi que des alternatives à la prison. Depuis, beaucoup de choses ont été faites. On a créé de nouvelles places de prison et de nouvelles alternatives à l'emprisonnement, et je vous rejoins lorsque vous dites que tous les leviers d'action existent déjà. Le problème, c'est que la magistrature ne se sert pas forcément de l'ensemble des outils à sa disposition.
La diminution de la surpopulation carcérale n'est pas la seule solution, mais elle améliorerait de manière significative la vie en prison et l'on pourrait envisager la détention et l'insertion dans d'autres conditions. À votre avis, comment faire évoluer dans notre pays cette culture de la prison, notamment chez les magistrats ? Y a-t-il chez ces derniers – je vais en faire hurler certains – une forme de paresse professionnelle qui les pousserait à prononcer des peines d'emprisonnement pour éviter d'avoir à se poser trop de questions et à utiliser des outils alternatifs correspondant mieux aux besoins des condamnés, mais beaucoup plus complexes à mettre en oeuvre ? Ou bien les magistrats cèdent-ils simplement à la pression sociale, tout en connaissant les limites de l'emprisonnement, en matière d'apprentissage et de réinsertion ? Serait-il nécessaire, pour sortir de cette culture de la prison, de faire de la pédagogie et de mettre cette question au centre des débats de société ? Je pose la question, car pendant longtemps les décès sur la route ont été considérés comme une fatalité, jusqu'à ce qu'un beau jour on prenne les choses en main. Comment éviter que l'emprisonnement soit, lui aussi, une fatalité ?
Madame la Contrôleure générale, vous disiez tout à l'heure que le recours à la peine d'emprisonnement était une solution trop souvent adoptée par les magistrats. Nos anciennes professions respectives nous ont appris que, pour qu'un magistrat puisse prononcer une peine alternative, encore faut-il que certaines conditions matérielles soient réunies. Ainsi, beaucoup de condamnations pénales sont prononcées par défaut, en l'absence de l'intéressé même si celui-ci a eu connaissance de la convocation qui lui a été remise. Or, on ne peut pas prononcer de peine d'intérêt général en l'absence du prévenu. Il y a sûrement des magistrats paresseux, comme il y a des gens paresseux dans toutes les professions. Mais, encore une fois, les conditions requises pour prononcer une peine alternative ne sont pas toujours réunies. Un magistrat ne peut décider de la pose d'un bracelet électronique, qui implique des contrôles au domicile de l'intéressé, que s'il dispose de quittances de loyer ou de factures d'électricité du condamné. J'ajoute que les peines de prison, si elles sont inférieures à deux ans, sont aménageables. Elles sont souvent aménagées lorsque le magistrat a la possibilité d'éviter l'incarcération. Elles ne le sont pas lorsque les intéressés ne répondent pas à leur convocation : le problème est le délai qui sépare une condamnation de son exécution. Pourrait-on envisager des dispositions procédurales plus performantes pour que les conditions requises pour prononcer une alternative soient plus faciles à réunir ? D'autre part, ne pourrait-on entourer la juridiction de jugement de services qui lui permettraient de disposer des informations nécessaires pour prononcer ces alternatives ?
Je constate, moi aussi, avec regret, l'inflation de la population carcérale, mais elle s'explique plutôt par les évolutions de notre société que par l'attitude de la magistrature. C'est donc un débat qui nous dépasse.
Enfin, les alternatives à l'incarcération soulèvent d'autres problèmes pratiques. Il n'y a notamment pas suffisamment de services qui proposent des travaux d'intérêt général. L'État est donc le premier mauvais élève.
Je ne partage pas totalement le point de vue de Mme la Contrôleure générale concernant les téléphones portables. Les détenus ont sans doute besoin de garder un lien avec leur famille, mais ces téléphones donnent quand même lieu à bien des dérapages et des difficultés.
Je souhaiterais revenir sur les conditions de détention et sur l'encellulement individuel. La loi pénitentiaire de 2009 a déjà été évoquée et nous sommes bien d'accord sur le fait que la prorogation, de 2014 à 2019, de la dérogation au principe d'encellulement individuel ne tient pas. Je ne conteste nullement l'objectif, mais les gardiens et les détenus, quand on les interroge, semblent ne pas faire de l'encellulement individuel l'alpha et l'oméga. Certains détenus ne souhaitent pas être seuls dans une cellule, peut-être par peur de se retrouver seuls avec eux-mêmes. Or, nous faisons très souvent de ce principe un dogme, au point que si quelqu'un est contre, il est considéré comme un odieux tortionnaire.
S'agissant des perspectives d'évolution du parc pénitentiaire, quelle serait selon vous la taille d'établissement pénitentiaire la plus adaptée ? À politique pénale constante, combien de places nouvelles faudrait-il construire pour assurer la modernisation des établissements existants ? Il est tout à fait indigne d'avoir aujourd'hui encore dans notre pays des dortoirs – je ne parle même pas des matelas au sol – dans certains établissements.
Je vous remercie de votre présence et souscris à 99 % de vos propos, madame la Contrôleure générale.
Que pensez-vous du module « Respecto », que j'ai pu découvrir au centre pénitentiaire que j'ai visité ? Nous dressons un tableau assez noir de la situation, mais je voudrais aussi que nous discutions de ce qui fonctionne.
Sommes-nous très en deçà de nos besoins de recrutement de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) ? Les conditions offertes à ces conseillers en milieu carcéral – qu'il soit ouvert ou fermé – vous paraissent-elles bonnes ?
Que pensez-vous du placement sous surveillance électronique ? Cette option vous paraît-elle intéressante pour gérer la population carcérale ?
Enfin, quelles mesures seraient efficaces pour assurer une véritable individualisation de la peine et élaborer des parcours d'exécution de la peine ?
Madame la Contrôleure générale, je vous remercie de votre travail. Vous avez la lourde tâche d'assurer le respect des droits fondamentaux des détenus, mais aussi celui des droits du personnel pénitentiaire, donc de faire en sorte que ce personnel ait des conditions de travail dignes et que sa sécurité soit assurée. Cette sécurité est perpétuellement mise en cause et, la semaine dernière encore, dans un établissement pénitentiaire, un bouton de talkie-walkie n'a pas fonctionné alors qu'il y avait une urgence. S'il est désormais difficile non seulement de recruter, mais aussi de garder ce personnel pénitentiaire, c'est notamment à cause de cette insécurité généralisée. Le personnel pénitentiaire doit être à mon sens la clef de voûte de la refondation de notre système pénitentiaire afin d'assurer les droits des détenus. Quelles sont vos recommandations pour assurer la sécurité effective de ce personnel ?
Vous me demandez, monsieur Rebeyrotte, si les magistrats sont paresseux : j'ai du mal à vous répondre, mais je constate quand même que lorsqu'il y a des mesures nouvelles, comme le sursis avec mise à l'épreuve ou le travail d'intérêt général, ils mettent un certain temps à se les approprier, indépendamment des difficultés, bien réelles, qu'ils rencontrent et que Mme Vichnievsky a énoncées. Après avoir baissé pendant un certain nombre d'années, le nombre de peines de détention prononcées remonte. Je dirais donc plutôt que les magistrats sont très perméables au nouveau contexte sécuritaire dans lequel nous sommes, en particulier depuis les attentats de janvier 2015. Nous le sentons dans tous les domaines que nous contrôlons, jusqu'à la psychiatrie, et nous entendons ce que dit l'opinion publique : cet impératif de sécurité infuse partout, au point que l'opinion considère le respect des droits fondamentaux comme un luxe qu'on ne peut plus se permettre. C'est contre cela que je m'inscris. Nous devons tous, aux places que nous occupons, veiller à ce que, quelques épreuves que nous traversions, l'équilibre entre la sécurité et les droits fondamentaux soit toujours recherché.
On ne peut se permettre à la fois de vouloir plus de sécurité au motif que le danger est là et, dans le même temps, de se dire que si les droits fondamentaux sont bafoués, ce n'est pas si grave que cela. Or, c'est un peu ce qu'on a entendu lors du débat relatif à la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Ce texte accroît, par exemple, les possibilités de contrôle d'identité, et j'entends beaucoup de gens dire que cela ne les gêne pas car ils n'ont « rien à se reprocher ». Ce n'est pas comme cela qu'il faut raisonner, et il est inquiétant que nous dérivions vers une société du contrôle et de la surveillance, qui nous éloigne de l'État de droit.
Je crois effectivement que tout le monde doit faire de la pédagogie pour sortir de cette dérive, mais il faut aussi que le pouvoir politique ait le courage d'aller, si besoin est, à l'encontre de ce que demande l'opinion publique en ordonnant que l'emprisonnement ne soit requis qu'en dernier recours.
Vous avez raison, madame Vichnievsky, de souligner que pour prononcer des peines alternatives, les magistrats ont besoin de certains éléments. Ce fut l'un des arguments avancés par les magistrats et les CPIP pour ne pas prononcer la contrainte pénale pendant les deux premières années ayant suivi son entrée en vigueur. Des efforts ont été faits pour créer de nombreux postes de magistrat et de CPIP et, pourtant, ces alternatives ne sont pas prononcées. C'est donc surtout une question de culture des magistrats.
Il faut absolument mener une réflexion non seulement sur le sens de la peine, comme l'a annoncé la garde des Sceaux, mais surtout sur le sens des courtes peines, car les prisons débordent de personnes incarcérées pour quelques mois et ces courtes peines n'ont pour effet que d'exclure davantage encore des personnes qui ne sont guère insérées dans la société. Il faudrait aussi se demander si certaines infractions ne devraient pas cesser d'en être : la délinquance routière doit-elle passer devant les tribunaux et être sanctionnée par de la prison ? Loin de moi l'idée de dire que cette délinquance n'est pas grave, mais peut-être y a-t-il d'autres solutions pour la traiter. Ne serait-il pas plus productif, par exemple, d'imposer aux personnes conduisant en état d'ivresse des travaux d'intérêt général dans un hôpital pour qu'elles voient des amputés de la route ? L'opinion croit souvent que la possibilité d'aménager les peines jusqu'à deux ans signifie qu'aucune peine de prison ferme de deux ans ou moins n'est exécutée. C'est, évidemment, complètement faux. Les peines prononcées à l'issue d'une comparution immédiate, même si elles sont de courte durée, sont toutes assorties d'un mandat de dépôt. Or, si une peine de trois ou quatre mois suffit pour désocialiser un détenu, elle est aussi de trop courte durée pour être aménagée ou donner lieu à un parcours d'exécution. On perd sur les deux tableaux.
Monsieur Gosselin, la loi qui énonce le principe de l'encellulement individuel précise bien qu'il ne s'applique qu'à ceux qui le souhaitent. Vous avez raison de souligner que ce n'est pas le cas de tous les détenus. Mais j'ai reçu ce matin encore, comme tout le reste de l'année, le courrier d'un détenu m'expliquant que, bien que non-fumeur et asthmatique, il devait partager sa cellule avec deux fumeurs, contre l'avis explicite de son médecin, parce qu'il n'y avait pas de place ailleurs : c'est inacceptable.
Je suis assez contre les très grands établissements. Tout le monde l'est, d'ailleurs, mais personne ne s'y oppose de fait, car les programmes de construction sont déjà lancés. Certes, les très grands établissements sont plus propres et les détenus y ont leur cellule individuelle. Mais détenus et surveillants sont nombreux à nous dire qu'ils préfèrent encore être à Fresnes. On imagine bien que c'est parce qu'il n'y a pas de contacts humains dans ces très grands établissements et que tout y est électronique – ce dont souffrent beaucoup les détenus.
Il ne me revient pas de dire quel est le nombre de places souhaitable mais je me souviens qu'il y a quelques années un plan prévoyant la création de 6 000 places en quelques années permettait de reconstruire complètement des prisons qui sont dans un état absolument inacceptable ; 6 000 ou 7 000 places devraient convenir, si tant est que, dans le même temps, on mène la politique dite.
On a parlé de prison ouverte. Certains directeurs d'établissement très actifs ont installé des quartiers de préparation à la sortie, dits aussi quartiers de peine aménagée. Il faut les développer car ils fonctionnent bien. Là, les détenus dont la sortie est proche réapprennent ce qu'est la vie à l'extérieur, ce qui est très important. Or, 80 % des sorties sont des sorties « sèches », alors que toutes les études démontrent que moins les sorties sont préparées et plus élevé est le risque de récidive. On est loin de la fonction de réinsertion assignée à la prison.
Nous publierons, au début de l'année prochaine, un avis sur le module « Respecto ». Je ne puis donc vous donner pour l'instant qu'une réponse partielle. Là où j'ai vu ce programme mis en oeuvre, notamment à Villepinte où je l'ai étudié de près, je l'ai trouvé intéressant car il permet d'envisager la détention autrement, avec plus d'activités et en donnant plus de responsabilités aux détenus. Je sais que certains observateurs le jugent infantilisant parce qu'il est fondé sur un système de points – si on est gentil, on a un point, si on n'est pas gentil, on n'en a pas… Peut-être y a-t-il effectivement des choses à revoir ou peut-être simplement un habillage à repenser mais je vois là une manière intéressante de responsabiliser les détenus.
Il n'y a pas assez de CPIP, c'est exact, mais ils sont plus nombreux qu'ils ne l'étaient. Des postes en nombre important ont été créés à partir de 2014, même s'ils restent en deçà des besoins, étant donné qu'il est impossible à un conseiller chargé de cent dossiers d'exercer son travail dans de bonnes conditions.
Je pense que le placement sous surveillance électronique est une excellente mesure, qui permet de garder un semblant de vie sociale tout en purgeant sa peine. Mais il faut prendre garde à limiter la durée pendant laquelle le dispositif est imposé ; condamnés et professionnels interrogés disent tous qu'au-delà de six mois cela n'est plus supportable pour les intéressés. Il faut donc développer cette alternative à l'emprisonnement, mais pour des périodes limitées.
L'individualisation de la peine doit bien entendu être développée, mais cela suppose que les surveillants et les cadres de l'administration pénitentiaire aient le temps de penser un parcours d'exécution de la peine – et pour cela la prison ne doit pas être occupée à 200 %.
En résumé, des mesures intéressantes sont, pour certaines, annihilées par la surpopulation carcérale.
Je vous remercie, madame, de nous avoir présenté de très intéressantes propositions qui ont aussi pour mérite de poser les problèmes. Les députés, parfois, parviennent à faire bouger les montagnes. En 1998, nous avions décidé que nous fermerions la prison que nous jugerions de toutes la plus inhumaine. Cela nous a amenés, Mme Catherine Tasca et moi-même, à nous rendre à La Réunion, où nous avons vu deux prisons : une prison pour les Noirs et une prison pour les Blancs, une prison pour ceux qui avaient des moyens et une prison pour ceux qui n'en avaient pas, avec, parfois, dix-huit personnes dans une même cellule. Nous sommes parvenus à la faire fermer et à la faire reconstruire. C'est peut-être l'une des solutions que l'on pourrait reprendre : faire raser, parmi toutes les prisons, celle dans laquelle la dignité des détenus est le plus insupportablement mise à mal.
Je suis membre d'un cabinet d'avocats qui avait attaqué l'État en raison des conditions indignes dans lesquelles se trouvait la prison de Caen. Nous avons fait condamner l'État, mais nous n'avons pas réussi à obtenir la fermeture de la prison. Cela aurait été possible si le ministère de la justice avait été condamné sous astreinte à remettre le bâtiment en état, faute de quoi le juge administratif aurait dû prononcer la fermeture. Envisageriez-vous, quand les conditions de détention sont absolument indignes et que le délai fixé pour y porter remède n'est pas respecté, d'exiger que le juge prononce la fermeture de l'établissement considéré ? C'est bien ce qui s'applique aux hôtels et aux restaurants ! (Sourires.)
Surpopulation carcérale et conditions de détention sont intimement liées. J'ai été rapporteur de la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence. Notre but était que le placement en détention provisoire ne puisse être ordonné ou prolongé que si la personne mise en examen encourt une peine d'une durée égale ou supérieure à cinq ans d'emprisonnement. Il faut maintenant aller plus loin. Je suis persuadé qu'il faudrait supprimer la détention provisoire pour tout ce qui n'est pas un crime, sauf si les conditions de représentation ne sont pas respectées. C'est ce qui se fait aux États-Unis et c'est ce que nous avions fait en 1998 avec Mme Elisabeth Guigou, et plus de 10 000 places de prison se sont ainsi libérées.
Je rappelle que la détention provisoire s'applique à des individus présumés innocents ; il est insupportable qu'ils soient emprisonnés. Il faut reprendre ce combat et vous pouvez en être l'une des chevilles ouvrières, madame.
Les petites peines sont tout aussi insupportables. Il ne faut pas emprisonner des condamnés et ensuite chercher à aménager la peine ! Je ne suis pas parvenu à en convaincre le Président de la République, mais je considère qu'il faut commencer par trouver une possibilité d'aménagement et n'emprisonner que si on n'en a pas trouvée. Emprisonner d'abord puis chercher à aménager la peine, c'est impossible. Combien de peines de prison prononcées ne sont pas effectuées ? 10 000 ? 20 000 ? 30 000 ? Et si elles l'étaient, où mettrait-on tous ces gens ?
Enfin, combien de détenus couchent encore sur des matelas par terre, faute de lit ?
Quelques mots sur les téléphones portables. J'ai évoqué le sujet lorsque je me suis rendu à la maison d'arrêt de Lyon-Corbas et je partage votre avis, madame. Il faudra étudier les pistes que vous avez indiquées car la doctrine devra évoluer, par humanité envers les prisonniers condamnés à de longues peines. Il me paraît indispensable qu'ils aient accès à des téléphones portables mais, évidemment, avec des systèmes de contrôle et de bridage, comme vous l'avez mentionné.
J'ai appris, lors de ma visite dans cette maison d'arrêt, qu'une femme accouchant en prison pouvait garder son enfant auprès d'elle jusqu'à ce qu'il soit âgé de dix-huit mois, et de deux ans par dérogation. J'ai été saisi d'apprendre qu'un très jeune enfant pouvait vivre en prison pendant deux ans. Ce n'est pas souhaitable pour lui et l'on peut imaginer les dommages que cela peut entraîner, mais l'on comprend aussi qu'il doit pouvoir rester avec sa mère. Quelles sont vos réflexions à ce sujet ?
Avant tout, je tenais à vous remercier, madame la présidente, de m'accueillir dans votre Commission, et vous, madame Hazan, pour la qualité de vos interventions.
Au cours des échanges précédents, le problème de la santé – notamment psychologique – a été évoqué à plusieurs reprises. Cette préoccupation vaut pour les détenus, mais aussi pour le personnel. Avez-vous des éléments statistiques sur la santé psychologique des personnels ? On peut craindre que l'administration pénitentiaire soit affectée par un phénomène similaire à celui dont on entend parler dans la gendarmerie. Des actions de prévention et d'accompagnement du personnel sont-elles prévues quand les situations sont difficiles ?
J'ai rencontré des personnels de l'administration pénitentiaire qui souhaitaient changer de métier parce qu'ils le trouvaient trop difficile : vous savez ce que sont leurs conditions de travail ; ils peuvent être victimes d'agression ; ils subissent à leur niveau les conséquences de la surpopulation. Quoi qu'il en soit, certains souhaiteraient changer d'air et de métier. Existe-t-il des passerelles avec d'autres administrations pour faciliter leur reconversion ? Le fait de savoir qu'il y a une sortie si ça se passe mal peut encourager des gens à se présenter à l'entrée, ce qui permettrait de répondre au problème du recrutement. Est-ce que des dispositifs spécifiques sont mis en place ?
Tout d'abord, je tiens à saluer le caractère rigoureux et minutieux de nos discussions.
Ma question s'adresse au pouvoir politique et je ne suis pas sûr que ce soit à vous d'y répondre, madame la Contrôleure générale. Il est important de rappeler que vous n'êtes pas le pouvoir politique.
Dans plusieurs de vos remarques, vous tendez à dire que l'incapacité à gérer toutes les peines d'incarcération devrait commander de facto l'adaptation de la politique pénale. La question que je me pose, sans y avoir seulement réfléchi et sans avoir de réponse, est la suivante : est-ce l'incapacité à gérer les incarcérations sur le plan matériel qui doit nous pousser à revoir la politique pénale ? N'est-ce pas plutôt la politique pénale qui doit imposer en l'occurrence le stock, passez-moi l'expression, de places de prison et les conditions d'emprisonnement ? La réponse n'est sûrement pas toute blanche ou toute noire, mais il ne faut tout de même pas perdre de vue que la contingence matérielle ne doit pas exclusivement commander l'adaptation de la politique pénale.
Or, dans votre réflexion, il y a trois points qui me poussent à dire que vous avez peut-être cette tendance-là, que nous avons peut-être collectivement cette tendance-là.
Prenons le cas des troubles mentaux. Vous dites en substance que, puisque nous sommes incapables de bien gérer les troubles mentaux en prison, il faut faire sortir ceux qui en sont atteints. Ne devrions-nous pas réfléchir aussi à la manière de mieux prendre en charge les troubles mentaux dans ces lieux de privation de liberté que sont les prisons et ne pas sortir le problème pour le mettre ailleurs ? L'hôpital psychiatrique n'est pas une prison.
Votre réflexion sur les téléphones portables relève de la même logique. Vous dites que nous sommes incapables d'empêcher que les téléphones portables ne pénètrent dans les prisons en empruntant trois voies : ils sont jetés par-dessus les murs ou passés par l'intermédiaire de surveillants ou de visiteurs au moment des parloirs. Sans être un expert, il me semble que la résolution de ces trois problèmes purement matériels n'est probablement pas hors de portée du législateur et des centres pénitenciers. Or, partant du constat que l'on n'arrive pas à empêcher la pénétration des téléphones portables, vous auriez tendance à étudier la manière de les autoriser. C'est une erreur. Il faut faire en sorte qu'il n'y ait pas de téléphones portables dans les prisons. Ce sont des lieux restreints. Peut-être n'avons-nous pas mobilisé toutes les énergies et tous les moyens pour y parvenir ?
Ces deux exemples sont assez caractéristiques de ma difficulté personnelle à entendre totalement votre discours. Il y en a un troisième. Vous parliez de courage politique. Sincèrement, je ne suis pas sûr que le courage politique consiste à aller systématiquement contre l'opinion publique, ce qui sous-entendrait que celle-ci a toujours tort. N'oublions pas que la peine d'enfermement, prononcée dans des circonstances très particulières et limitée en temps, est un impératif de société. Elle sert aussi à adresser un message à la société. Prenons un exemple qui ne peut pas faire véritablement polémique et que vous avez évoqué : les violences routières. Quand elle sanctionne une atteinte extrême au droit routier, la peine d'emprisonnement est aussi un message adressé à toute la société.
Voyez-vous encore des situations, madame, dans lesquelles la prison est salutaire ? Pensez-vous, au contraire, qu'il n'y a plus de situations dans lesquelles la prison ait encore un sens ?
Je vais commencer par répondre à cette question parce que j'ai peur que nous nous soyons mal compris. Je n'ai absolument pas dit qu'il fallait légaliser les téléphones portables parce que l'on n'arrivait pas à juguler ce problème. Je n'ai pas dit non plus qu'il fallait faire diminuer la population pénale parce que l'on n'arrivait pas à la gérer.
En ce qui concerne les téléphones portables, j'ai pris le problème à l'envers : ce sont des outils de communication dont, à notre époque, nous ne pourrons pas continuer à priver les détenus. Ma réflexion est aussi valable pour internet. Je ne reviens pas sur les conditions que j'ai émises : ces portables doivent être bridés, etc. Comme argument subsidiaire, j'ai ajouté que tout cela était grotesque, puisque les portables entrent de toute façon en prison, qu'un détenu sur deux en a un, que les surveillants passent leur temps à les chercher et que, lorsqu'ils les trouvent, la police n'en fait rien. Mon argument principal est d'une autre nature : pour élargir le droit au contact et au maintien des liens familiaux, il faut que, sous certaines conditions, les détenus aient des portables.
Partant du constat qu'il y a beaucoup de malades mentaux en prison, je n'ai pas dit non plus qu'il fallait les faire sortir. Parlant de ceux qui sont incarcérés en détention provisoire, j'ai indiqué que la procédure se terminerait par une déclaration d'irresponsabilité et qu'il faudrait renforcer le nombre d'experts pour accélérer le processus. J'ai dit également qu'il fallait renforcer les structures comme les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), faites pour soigner – pendant un temps et dans l'hôpital – les détenus qui présentent des troubles mentaux.
Quant au courage politique, il ne consiste pas à aller systématiquement contre l'opinion publique, dites-vous. Certes, mais quand on considère qu'une mesure est bonne et inévitable mais qu'elle va être difficile à faire passer parce qu'elle ne va pas dans le sens de l'opinion publique du moment, à mon avis, l'honneur des décideurs politiques est de le faire quand même. Vous m'excuserez de reprendre un exemple assez éculé : l'abolition de la peine de mort défendue par M. Robert Badinter. S'il avait écouté l'opinion publique, il ne l'aurait pas fait voter.
C'est un peu la même chose. Si l'on pense qu'une mesure est bonne et inévitable mais qu'elle sera clivante, à mon avis, l'honneur des décideurs politiques et des législateurs est de se battre pour qu'elle soit adoptée, et de faire de la pédagogie pour qu'elle soit comprise. Je ne dis pas que l'opinion publique a toujours tort ; je dis que, pour des raisons compréhensibles, l'opinion publique est traumatisée et exprime une demande de sécurité. Je dis qu'aller sans cesse dans le sens de cette demande ne me semble pas être une bonne solution.
J'en viens aux interrogations de M. Alain Tourret. Combien y a-t-il de matelas par terre ? Au 1er octobre 2017, il y en avait très exactement 1 363, contre 500 il y a environ deux ans. C'est absolument énorme.
Faut-il supprimer la détention provisoire ? Je sortirais de ma compétence en le proposant… Je ne suis pas sûre, au demeurant, que ce soit la solution, notamment lorsqu'il y a absence de représentation, ou risque de pression sur les témoins – auquel cas c'est même dangereux. En revanche, il faudrait respecter ces critères de placement en détention provisoire, car on voit bien que ce n'est pas le cas, et que les prisons sont remplies de personnes qui ont des garanties de représentation et qui n'ont pas exercé de pression sur les témoins. On est passé, en quelques années, d'un quart de prévenus à un tiers, et la durée de la détention provisoire augmente constamment.
Il ne faut rien laisser aux magistrats ! Il ne faut pas leur faire confiance. Nous ferions baisser de 10 000 le nombre des détenus en France en cessant d'abuser de cette pratique !
Je pense, en tout cas, que les critères de placement en détention provisoire doivent être mieux respectés.
S'agissant des mères détenues, je confirme qu'elles peuvent garder leurs enfants avec elles dans le lieu de détention jusqu'à l'âge de dix-huit mois, exceptionnellement jusqu'à deux ans. Ce débat est très complexe, car il confronte deux injonctions contradictoires : est-il plus dramatique de séparer un bébé de quelques jours de sa mère, ou de le faire vivre dans une prison avec sa mère ?
Je n'ai pas la réponse à cette question ; il me semble simplement que, lorsque les nurseries sont bien organisées, ce qui est le cas à Fleury-Mérogis – comme, généralement, dans les nurseries de quelque importance, les petites nurseries posant plus de problèmes –, cela se passe plutôt bien. Reste qu'il n'est jamais bon pour un enfant de passer les premiers mois de sa vie dans une prison. Si la famille peut prendre l'enfant en charge, cela peut-être préférable, mais, hélas, c'est rarement le cas. À l'occasion d'un colloque auquel j'ai participé, j'ai entendu des spécialistes considérer qu'en tout état de cause, à partir du moment où l'enfant commence à marcher, c'est-à-dire vers un an, il n'est pas souhaitable qu'il vive dans l'univers carcéral.
Nous ne disposons pas d'études statistiques relatives aux problèmes psychologiques des personnels pénitentiaires. Toutefois, dans le rapport que nous avons consacré à ces agents il y a quelques mois, nous avons proposé la mise en place de pratiques de supervision. Nous l'avons proposée pour tous les traumatismes auxquels les surveillants sont susceptibles d'être confrontés, notamment lors de situations de violences ou de suicides – on se suicide sept fois plus en prison qu'à l'extérieur, proportion considérable –, car si le suicide est dramatique pour le détenu et sa famille, il l'est aussi pour le gardien qui découvre un corps pendu dans une cellule.
Cette pratique peut recevoir plusieurs appellations, comme « groupe de parole », par exemple. Malheureusement, les surveillants n'y recourent que très peu, comme si rencontrer le psychologue de l'établissement ou un interlocuteur extérieur constituait une preuve de faiblesse, ce qui est d'ailleurs emblématique de l'image du gardien de prison véhiculée dans l'imaginaire collectif. Il est donc souhaitable que l'administration pénitentiaire s'emploie à généraliser cette pratique.
Enfin, la prison peut-elle être salutaire ? Vaste question… C'est parfois le cas, lorsqu'une première peine d'emprisonnement a été prononcée et que l'intéressé ne récidive pas. Mais je ne suis pas en mesure de vous répondre sur le plan général. En revanche, les conditions actuelles de la détention causent beaucoup plus de dégâts qu'elles n'apportent d'éléments positifs ; c'est une certitude.
Nous vous remercions, Madame la contrôleure générale, pour vos propos.
Je signale aux députés présents que nous poursuivrons cette réflexion en auditionnant, la semaine prochaine, le directeur de l'administration pénitentiaire. Nous débattrons ensuite au sein du bureau de la Commission des axes de travail que nous pourrions retenir.
La réunion s'achève à 18 heures 40.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Jean-Michel Clément, Mme Typhanie Degois, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Philippe Dunoyer, M. Olivier Dussopt, M. Christophe Euzet, Mme Élise Fajgeles, Mme Isabelle Florennes, M. Raphaël Gauvain, M. Philippe Gosselin, M. David Habib, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Huyghe, Mme Catherine Kamowski, Mme Marietta Karamanli, Mme Alexandra Louis, M. Jean-Louis Masson, M. Stéphane Mazars, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, Mme Naïma Moutchou, M. Didier Paris, M. Jean-Pierre Pont, M. Éric Poulliat, M. Aurélien Pradié, M. Bruno Questel, M. Rémy Rebeyrotte, M. Thomas Rudigoz, M. Pacôme Rupin, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Arnaud Viala, Mme Laurence Vichnievsky
Excusés. - Mme Huguette Bello, M. Gilbert Collard, Mme Paula Forteza, Mme Marie Guévenoux, M. Mansour Kamardine, M. François de Rugy, Mme Maina Sage, M. Guillaume Vuilletet
Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Louis Bricout, M. Fabien Gouttefarde, M. Patrick Hetzel