Intervention de Adeline Hazan

Réunion du mardi 14 novembre 2017 à 16h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté :

J'ai été choquée de constater que les moyens budgétaires alloués à la maintenance des prisons pour 2018 diminuent de 30 %, ce qui est très inquiétant. J'ai déjà eu l'occasion de dire qu'il ne sert à rien, lorsqu'on connaît l'état de délabrement, que vous avez souligné, des prisons françaises, de libérer des crédits pour la construction de nouveaux établissements au cours des prochaines années tout en réduisant les sommes consacrées à leur entretien.

Deux d'entre vous m'ont demandé si le moratoire qui doit expirer en 2019 est réaliste : la réponse est évidemment négative, ce qui est bien malheureux. Le législateur l'a d'ailleurs pensé bien avant moi, qui a posé le principe selon lequel une cellule individuelle doit être proposée à chacun, jugeant que cela était préférable pour les intéressés. Comme l'un de vous l'a rappelé, ce moratoire a été prolongé de cinq ans en cinq ans : la dernière prolongation a été décidée en 2014 parce que, quelques mois avant l'expiration, on a réalisé que rien n'avait été fait. Ce délai expire à nouveau en 2019, or nous sommes extrêmement loin d'être en mesure de garantir un encellulement individuel à chaque détenu.

Je ne pense pas du tout qu'il faille renoncer à cet objectif, mais je considère, hélas, qu'il n'est pas réaliste de penser qu'il sera atteint en 2019. Il ne pourra l'être, ultérieurement, que si sont adoptées des mesures permettant de faire baisser sensiblement le nombre des détenus.

J'ai déploré cette année, comme je l'avais fait en 2007 et 2012, qu'il n'ait pas été prévu de loi d'amnistie. Autant je considère que les grâces collectives peuvent être critiquées comme relevant du fait du prince, autant une loi d'amnistie votée par le législateur – qui s'applique, l'expérience le montre, à des quantums de peine relativement modestes et à des délits de moindre gravité – permet en quelque sorte de « remettre les compteurs à zéro » et de repartir sur de meilleures bases. Il se trouve que cela n'a pas été le cas à partir de 2007, au nom d'un raisonnement fondé sur l'égalité devant la loi, et qui peut d'ailleurs s'entendre ; je n'en pense pas moins que cette solution aurait été préférable.

S'agissant du niveau de recrutement du personnel pénitentiaire, l'administration mène des actions de communication, mais qui ne portent guère leurs fruits. Il faut également améliorer la formation et l'encadrement des jeunes surveillants afin qu'ils ne soient pas amenés à démissionner dès leurs premières années de fonction. Le taux de démission, en effet, est extrêmement important, les intéressés préférant souvent rejoindre les polices municipales, qui recrutent beaucoup et dont les effectifs sont en forte augmentation. La profession doit être rendue plus attractive et mieux rémunérée : même si la différence de rémunération par rapport à d'autres emplois n'est guère significative et si la question est plus celle de l'attractivité que celle du traitement, un agent dont le premier poste est en région parisienne ne peut y vivre avec un traitement de surveillant débutant.

Depuis trois ans que j'exerce mes fonctions, je m'attache à expliquer que tant qu'il n'existera pas un système de régulation carcérale – notion qu'il convient de préciser –, nous ne parviendrons pas à faire baisser le nombre des détenus en maison d'arrêt ou en établissement pénitentiaire. La régulation carcérale se différencie de ce qu'à d'autres époques on a appelé le numerus clausus, et qui consistait à libérer automatiquement le détenu le plus proche de sa date de sortie avant d'en faire entrer un autre ; le caractère mécanique de cette pratique était assez choquant.

La régulation carcérale est toute autre ; je l'ai vue appliquer dans un certain nombre de ressorts. Elle signifie qu'au-delà d'un certain taux d'occupation – qui, idéalement, devrait être de 100 % –, les magistrats, le directeur de la prison, le parquet, le juge d'instruction et le juge d'application des peines se réunissent, prennent acte d'une population excessive dans un lieu de détention donné, et examinent la situation de détenus proches du terme de leur peine, pouvant être libérés sans risque une semaine ou un mois avant celui-ci de façon à permettre l'entrée de nouveaux individus.

Tous les gardes des Sceaux que j'ai rencontrés depuis que j'occupe ce poste se sont montrés attentifs à cette proposition. L'un d'entre eux, dont je tairai le nom, a considéré l'idée très bonne et m'a dit qu'il fallait « le faire sans le dire ». J'ai au contraire défendu le principe de l'institutionnalisation de cette pratique, car je l'ai vue appliquer à Dijon, mais elle reposait sur la procureure en poste à l'époque ; le dispositif est fatalement fragile s'il repose sur la bonne volonté de personnes isolées. Au-delà de son institutionnalisation, il faudrait surtout faire en sorte que les magistrats l'adoptent ; et en tant que magistrat, je parle en connaissance de cause. J'ai évoqué le sujet devant des organisations professionnelles : certains m'ont répondu qu'il n'était pas question d'y recourir, car à leurs yeux le fait de prendre l'état de surpopulation carcérale comme critère constituerait une atteinte à leur indépendance.

Je suis en total désaccord avec cette vision des choses ; au contraire, le fait pour un magistrat de prononcer des peines sans se soucier de la façon dont elles seront exécutées n'est pas recevable. C'est la raison pour laquelle je milite en faveur de l'institution de la régulation carcérale, ce qui suppose le vote d'une loi. Comme pour d'autres propositions, que moi-même ou d'autres personnes formulons, il me semble qu'il faut avoir le courage d'aller à l'encontre de ce que veut l'opinion publique ; si ce courage devait faire défaut, nous n'arriverions à rien.

La question des mineurs constitue un réel problème. Je m'inquiète de constater qu'il n'y a jamais eu autant de mineurs emprisonnés, puisque l'on en compte 850 aujourd'hui, et qu'ils sont, de surcroît, de plus en plus jeunes. Plus encore que pour les majeurs, l'incarcération des mineurs doit être le dernier recours : il faut prendre conscience de ce que représente pour eux le choc carcéral. Nous devons donc trouver pour eux d'autres mesures. Toutefois, ainsi que vous l'avez dit, il ne saurait s'agir de placer le mineur difficile et multirécidiviste dans un foyer de l'enfance « lambda », car ce n'est pas la solution.

D'autres moyens existent, comme les centres éducatifs fermés (CEF) : que l'on soit pour ou contre n'est plus le débat, le problème est qu'ils fonctionnent globalement mal, ce que reconnaît la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) elle-même. Heureusement, certains de ces centres – trop peu, hélas – donnent satisfaction ; il faut donc parvenir à ce qu'ils soient plus nombreux, voire tous, dans ce cas.

Il existe aussi les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), au sein desquels, précisément, la coopération entre l'administration pénitentiaire et la PJJ devait garantir une meilleure prise en charge de ces jeunes, conformément à l'esprit de la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice. Or il s'avère que cette collaboration est source de frictions et de paralysies, et que les choses se passent mal. Il n'en demeure pas moins que ces institutions existent et qu'il importe de faire en sorte qu'elles fonctionnent mieux.

S'agissant des unités de vie familiale (UVF), la loi prévoit qu'elles soient présentes dans tous les lieux de privation de liberté. Nous sommes très loin du compte, alors même qu'il s'agit d'un dispositif capital pour la réinsertion des détenus. L'administration pénitentiaire devrait être plus vigilante à la présence d'UVF au sein de tous les établissements de réclusion.

Par ailleurs, au risque de choquer un certain nombre d'entre vous – mais la démocratie n'existerait pas sans le débat – je vous signale, alors que l'un d'entre vous a évoqué la présence de 800 téléphones portables dans l'établissement qu'il a visité, que l'administration en a recensé environ 30 000 – pour quelque 70 000 détenus, ce qui donne une idée de l'ampleur du phénomène.

On peut juger cette situation scandaleuse, car ces téléphones sont interdits et n'ont pas à entrer dans les prisons. Mais la réalité est que, qu'on le veuille ou non, ces appareils entrent : ils rentrent par les parloirs, par des projections depuis l'extérieur par-dessus les murs, mais aussi – et ce n'est pas leur faire injure, car leurs propres organisations représentatives le reconnaissent – par les surveillants eux-mêmes. À cet égard, j'observe que plus les gardiens sont jeunes, plus ils exercent dans des conditions difficiles, et plus ils sont susceptibles d'être corrompus, même si ce n'est pas, bien entendu, la règle.

On constate donc la présence d'un nombre considérable de téléphones portables, et les surveillants, qui sont opposés à la légalisation de leur possession par les détenus, nous disent qu'environ 80 % des appareils saisis servent à contacter la famille et les proches. Dès lors, pourquoi ne pas faire ce que je propose depuis trois ans : autoriser des téléphones portables conçus spécialement pour le séjour en prison, permettant d'appeler un nombre limité de numéros, pouvant être écoutés par l'administration, et susceptibles d'être achetés en « cantine » ? Il n'est évidemment pas question, j'y insiste, d'autoriser la possession d'appareils connectés à internet comme ceux disponibles à l'extérieur dans le commerce.

Aujourd'hui, pour pouvoir téléphoner, les détenus doivent communiquer la liste des numéros qu'ils souhaitent joindre, et qui sont à la fois vérifiés et susceptibles d'être écoutés. Il se trouve que les « points phone » sont placés dans les coursives ou dans les cours : aucune intimité, aucune confidentialité n'est donc permise, et il n'est plus possible d'appeler après dix-sept heures trente !

Ces téléphones bridés, faisant l'objet du même contrôle que les « points phone », régleraient une partie de la question, car la situation actuelle est absurde : les gardiens passent leur temps à chercher les téléphones, et les policiers qui les récupèrent ne les examinent même pas, faute de temps. L'hypocrisie est donc totale ; il serait préférable pour les surveillants comme pour les détenus qu'une autorisation soit décidée. J'ai l'intime conviction qu'à l'horizon de cinq, dix ou quinze ans, les téléphones portables seront répandus en milieu carcéral, comme l'ont été, au prix de bien des polémiques à l'époque, les téléviseurs dans les années 1980 – téléviseurs dont la suppression ne manquerait pas de provoquer des émeutes.

Il s'agit là encore d'une question de courage politique ; Mme Taubira, alors garde des Sceaux, avait pris la mesure, juste selon moi, d'autoriser ces téléphones dans les centres de semi-liberté (CSL). Les détenus auraient eu ces appareils à disposition dans la journée et les auraient déposés le soir venu. La publication de la circulaire a provoqué une levée de boucliers de la part des organisations professionnelles représentatives des surveillants, au point que Mme Taubira a dû la retirer.

Quelques expérimentations sont en cours dans des centres de semi-liberté, pour lesquels l'interdiction mériterait d'être levée ; il faudra ensuite poursuivre la réflexion. Une expérience intéressante de mise à disposition de téléphones muraux est conduite, qui à mes yeux gagnerait à être généralisée ; à Montmédy par exemple, le nombre des saisies de téléphones portables à ainsi chuté dans des proportions remarquables.

Ce système est compatible avec les établissements pour peines, où les détenus sont seuls en cellule ; il l'est moins pour les maisons d'arrêt, où ils sont couramment trois ou quatre. Ces expériences n'en constituent pas moins un progrès, s'il faut commencer par là, faisons-le, mais nous ne pouvons pas rester dans la situation actuelle, qui est ubuesque.

Si les CSL sont en partie vides, c'est parce qu'ils sont souvent en très mauvais état ; de plus les magistrats sont rétifs au placement en semi-liberté. Par ailleurs, les horaires de travail des détenus concernés ne correspondent pas à ceux des centres de détention ; toutefois, des expériences sont conduites ici ou là, et certains centres se sont mis au diapason. Ainsi, si un détenu à besoin de sortir à six heures du matin, la porte lui sera ouverte à cette heure-là ; cela n'est hélas pas le cas partout, ce qui empêche certains détenus d'accepter des offres d'emploi et donc de connaître le régime de la semi-liberté.

Enfin, la question des extractions judiciaires est délicate, car elles sont progressivement reprises par l'administration pénitentiaire et le processus touche à sa fin. Nous constatons toutefois qu'il est renoncé à beaucoup de ces extractions, ce qui est problématique pour les questions de santé et d'hospitalisation. Un nombre considérable de détenus ne sont pas extraits pour des consultations médicales, pas même pour des opérations chirurgicales, parce qu'il manque des personnels disponibles.

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