Intervention de Alain Tourret

Réunion du mardi 14 novembre 2017 à 16h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Tourret :

Je vous remercie, madame, de nous avoir présenté de très intéressantes propositions qui ont aussi pour mérite de poser les problèmes. Les députés, parfois, parviennent à faire bouger les montagnes. En 1998, nous avions décidé que nous fermerions la prison que nous jugerions de toutes la plus inhumaine. Cela nous a amenés, Mme Catherine Tasca et moi-même, à nous rendre à La Réunion, où nous avons vu deux prisons : une prison pour les Noirs et une prison pour les Blancs, une prison pour ceux qui avaient des moyens et une prison pour ceux qui n'en avaient pas, avec, parfois, dix-huit personnes dans une même cellule. Nous sommes parvenus à la faire fermer et à la faire reconstruire. C'est peut-être l'une des solutions que l'on pourrait reprendre : faire raser, parmi toutes les prisons, celle dans laquelle la dignité des détenus est le plus insupportablement mise à mal.

Je suis membre d'un cabinet d'avocats qui avait attaqué l'État en raison des conditions indignes dans lesquelles se trouvait la prison de Caen. Nous avons fait condamner l'État, mais nous n'avons pas réussi à obtenir la fermeture de la prison. Cela aurait été possible si le ministère de la justice avait été condamné sous astreinte à remettre le bâtiment en état, faute de quoi le juge administratif aurait dû prononcer la fermeture. Envisageriez-vous, quand les conditions de détention sont absolument indignes et que le délai fixé pour y porter remède n'est pas respecté, d'exiger que le juge prononce la fermeture de l'établissement considéré ? C'est bien ce qui s'applique aux hôtels et aux restaurants ! (Sourires.)

Surpopulation carcérale et conditions de détention sont intimement liées. J'ai été rapporteur de la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence. Notre but était que le placement en détention provisoire ne puisse être ordonné ou prolongé que si la personne mise en examen encourt une peine d'une durée égale ou supérieure à cinq ans d'emprisonnement. Il faut maintenant aller plus loin. Je suis persuadé qu'il faudrait supprimer la détention provisoire pour tout ce qui n'est pas un crime, sauf si les conditions de représentation ne sont pas respectées. C'est ce qui se fait aux États-Unis et c'est ce que nous avions fait en 1998 avec Mme Elisabeth Guigou, et plus de 10 000 places de prison se sont ainsi libérées.

Je rappelle que la détention provisoire s'applique à des individus présumés innocents ; il est insupportable qu'ils soient emprisonnés. Il faut reprendre ce combat et vous pouvez en être l'une des chevilles ouvrières, madame.

Les petites peines sont tout aussi insupportables. Il ne faut pas emprisonner des condamnés et ensuite chercher à aménager la peine ! Je ne suis pas parvenu à en convaincre le Président de la République, mais je considère qu'il faut commencer par trouver une possibilité d'aménagement et n'emprisonner que si on n'en a pas trouvée. Emprisonner d'abord puis chercher à aménager la peine, c'est impossible. Combien de peines de prison prononcées ne sont pas effectuées ? 10 000 ? 20 000 ? 30 000 ? Et si elles l'étaient, où mettrait-on tous ces gens ?

Enfin, combien de détenus couchent encore sur des matelas par terre, faute de lit ?

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