Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du mardi 2 février 2021 à 15h00
Prorogation de l'État d'urgence sanitaire — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

Il aura fallu saisir le Conseil d'État simplement pour se faire entendre et pour connaître les raisons sanitaires factuelles de vos décisions.

Même quand les choix du roi vont, me semble-t-il, dans le bon sens, j'éprouve le même malaise. Il y a deux semaines, en déplacement dans une fac, Emmanuel Macron déclarait : « S'il en a besoin, un étudiant doit pouvoir revenir à l'université un jour par semaine. » Cette clémence, je l'ai reçue comme un soulagement pour les étudiants, comme une première sortie de l'horreur du tout-distanciel. Mais comment est-elle venue ? Sa femme, Brigitte Macron, déclarait la veille sur une antenne : « Le Président est excessivement sensibilisé à la question étudiante. » En sommes-nous réduits à cela ? À devoir toucher le bon coeur du monarque ou celui de son épouse, à obtenir pour des pans entiers du pays comme un droit de grâce ?

De quoi parle-t-on aujourd'hui ? Du re-reconfinement. Je viens d'en entendre parler comme d'un robinet que l'on pourrait ouvrir ou fermer, mais ce dont on parle, c'est d'enfermer un peuple, un peuple libre, un grand peuple même, le peuple de France, sans aucunement y associer les Français ; ni directement, ni par le biais de leurs représentants. « Le Président réfléchit », lis-je dans la presse. Mais pourquoi Emmanuel Macron réfléchit-il tout seul, sans nous ? « Deux camps s'opposent au sein du Gouvernement », nous dit-on encore. Mais pourquoi ces deux camps n'échangent-ils pas leurs arguments en public ? Car ces deux camps traversent aussi la société ; ces deux camps, en vérité, traversent chacun de nous, partagés et incertains que nous sommes. Comment arbitrer entre vie biologique et vie sociale ? À quoi sommes-nous prêts à renoncer ? Mais il n'y a aucun lieu, aucune institution pour échanger ces arguments, ces statistiques, ces études ; aucun lieu, aucune institution pour se forger une conviction ; aucun lieu, aucune institution pour accoucher ensemble de décisions. Notre sort se décide derrière des portes closes. En sortira-t-il de la fumée blanche ? Pourrons-nous partir en vacances ? Serons-nous punis à la nuit tombée ? Nous sommes dépossédés.

Des idées, nous en avons ; vous en avez, chers collègues ; les Français en ont, des bonnes et des mauvaises. Mais où peut-on faire le tri ? Où peut-on réfléchir ensemble ? Le confinement par roulement ou par âge, la priorité aux blouses blanches pour la vaccination, le traitement par la vitamine D, par l'hydroxychloroquine ou par le Regeneron, un grand appel aux infirmières qui ont quitté le métier, la licence d'office pour les vaccins, la réanimation à domicile, la réquisition de l'industrie pharmaceutique… Toutes ces idées, où pouvons-nous en discuter ? Où peut-on discuter avec les restaurateurs, avec les étudiants, avec les soignants, avec les scientifiques ? Comment envisageraient-ils, eux, de s'organiser ? Que voudraient-ils apporter au pays pour se sentir utiles ? Comment renforcer les solidarités ?

Ce lieu d'échanges, d'émulation, de débat, n'existe pas ; il n'est pas ici, en tout cas. La France traverse une crise incroyable, une crise formidable, une crise multiforme – sanitaire, sociale, morale, économique – , et notre Assemblée regarde ailleurs, notre Assemblée se démet, notre Assemblée ne s'en saisit pas, notre Assemblée met comme priorité le séparatisme à l'ordre du jour, notre Assemblée supprime même – ça, c'est un exploit – la modeste voire insignifiante mission qui était dédiée au covid-19, notre Assemblée de larbins

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