La France vit, depuis le 17 mars 2020, sur une ligne de crête, pour faire face à la crise sanitaire mondiale. Elle cherche un équilibre entre des mesures trop strictes, qui porteraient atteinte aux capacités de résilience des Français, et des mesures trop souples, qui mettraient en péril la vie et la santé des plus fragiles d'entre nous.
Or, on juge précisément une société à l'attention qu'elle porte aux plus fragiles : aux personnes âgées, aux personnes souffrant d'un handicap ou d'une immunodéficience, mais également à la jeunesse, aux personnes en situation de précarité, fragilisées non pas par la maladie, mais par les conséquences des mesures de privation de liberté – conséquences sociales et économiques, conséquences sur la santé physique et mentale.
Il s'agit du sixième projet de loi instaurant ou prolongeant un état d'urgence sanitaire que nous examinons. Les débats permettent à la chambre haute comme à la chambre basse de s'exprimer sur la stratégie sanitaire du Gouvernement, et c'est heureux, tant les débats parlementaires sont actuellement éloignés des principales préoccupations des Français : quand nos proches pourront-ils être vaccinés et quand pourrons-nous les prendre dans nos bras ? Quand nos filles et nos fils pourront-ils retrouver un emploi, le chemin de l'université ? Quand retrouverons-nous une vie culturelle, une vie de convivialité, une vie tout simplement ?
D'autres l'ont dit avant moi mais c'est un point primordial sur lequel il faut insister : l'absence de débat et d'une évaluation approfondie, par le Parlement, de l'action du Gouvernement constitue un problème majeur. Il n'est pas possible de limiter aussi longtemps nos prérogatives. En agissant seul, le pouvoir exécutif limite lui-même la légitimité des décisions qu'il doit prendre. Il n'est pas possible que, chaque semaine, la vie d'un pays soit suspendue à l'issue d'une réunion tenue à huis clos.
C'est la représentation nationale, élue au suffrage universel direct, qui doit attester de la nécessité d'agir et de mettre en oeuvre des mesures exceptionnelles. Le Gouvernement ne peut être fort que si le Parlement est à ses côtés, et s'il accepte de l'écouter. Comment les soignants des services de soins infirmiers à domicile – SSIAD – peuvent-ils comprendre que, lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, les propositions de revalorisation salariale aient toutes été rejetées ? Il a finalement fallu attendre la conclusion des travaux pilotés par un haut fonctionnaire, pour prendre la même décision… Où se situent la légitimité et la crédibilité de l'action publique ? Comment compter sur le même dévouement de la part des professionnels de santé, qui ont obtenu, fin janvier, de haute lutte, une revalorisation qui leur était due, alors qu'une décision juste aurait pu être prise, ici même, dès le mois d'octobre ?
Depuis les premières mesures d'urgence, nous alertons le Gouvernement sur les conséquences des mesures restrictives, qui engendrent encore plus de précarité et encore plus de souffrance parmi les étudiants. Ces jeunes, stigmatisés, furent d'abord accusés d'inconséquence ; ils menaçaient leurs aînés, leur disait-on. On semble aujourd'hui découvrir qu'ils garderont des plaies durables.
Dans les circonstances exceptionnelles que nous traversons, les débats, la controverse, les objections sont tous nécessaires, même si cela est difficile pour le Gouvernement, parce que nous traversons, justement, un moment difficile. L'acceptabilité des mesures de restriction sociale ne se décrète pas. Elle est légitime lorsqu'elle est issue d'un processus démocratique.
Recentrer l'action du Parlement sur les préoccupations quotidiennes et immédiates des Français est d'autant plus essentiel qu'à ce jour, une question, qui nous taraude tous, n'a pas encore été abordée : comment vivre avec le virus, si la situation se prolonge deux, trois, quatre ans ? Peut-on continuer à voir se gonfler les files d'attente devant les associations d'aide alimentaire ? Peut-on continuer à perdre notre art de vivre, pour reprendre votre expression, madame la ministre déléguée ? Jusqu'à quand pouvons-nous mettre en péril les acteurs culturels, nous mettant ainsi tous en danger ?
Il nous faut désormais des perspectives. Nous ne pourrons pas échapper à ce débat. Il est nécessaire de se mettre, dès maintenant, à l'ouvrage. Telle est la véritable urgence, qui n'est pas celle de prolonger encore un état qui vise à destituer les parlementaires de leur pouvoir de proposition et d'action.