Intervention de Marie-France Lorho

Séance en hémicycle du mercredi 3 février 2021 à 15h00
Respect des principes de la république — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-France Lorho :

Encore une fois, le temps législatif programmé prive ce sujet du débat qu'il mérite. Se pose donc tout d'abord un problème de méthode, et ensuite, un problème de courage : le courage de nommer l'islamisme, que ce texte devrait avoir pour objet de combattre. Pourtant, plutôt que de le faire, il s'attaque à nombre de libertés fondamentales : certaines activités, certains acteurs seront soumis à un contrôle accru de l'État, contrôle qui s'appliquera à tous, alors que les risques qu'il a pour objet de prévenir ne concernent que les agissements d'une faible minorité, pour reprendre les mots du Conseil d'État.

Ce texte participe d'une politique globale de lutte contre l'islamisme qui s'avère défaillante. La charte des principes pour l'Islam de France aura-t-elle un impact véritable ? En effet, le principe même de ce type de charte n'est pas nouveau : des propositions, émanant des musulmans eux-mêmes ou des pouvoirs publics, ont déjà été adoptées sans empêcher pour autant la situation que nous connaissons aujourd'hui. Plus que des menaces de contrôle, de réelles mesures vont-elles être prises contre les fédérations qui ont refusé de signer ? Ou cette charte ne restera-t-elle qu'un effet d'annonce ?

D'autre part, ce texte est complété par un décret autorisant le fichage des personnes en fonction de leurs convictions religieuses et politiques, et non plus seulement en fonction de leur action. Il est plus que temps de cesser d'être fort avec les faibles, et faible avec les forts. La République se voilait la face ; elle se voile désormais la tête.

L'islamisme aura finalement triomphé, en nous forçant à changer nos modes de vie, à adapter notre droit et nos services publics, à renoncer à certaines libertés, comme l'instruction en famille, auxquelles les Français sont pourtant très attachés. La liberté de religion, la liberté d'association, la liberté d'expression, le droit éducatif des parents sont autant de droits et libertés qui vont être restreints. Aujourd'hui, par peur de l'islamisme, la critique se dissipe, les dessins s'effacent, les propos s'adoucissent, les symboles disparaissent. Les valeurs républicaines, dont on ignore toujours la définition précise, suscitent un tel enthousiasme qu'il vous faut les faire aimer à coup de sanctions, d'engagements et de contraintes.

Notre idéal doit être la France. La République est un cadre que vous êtes en train de transformer en cage. Notre civilisation ne s'est pas bâtie sur les principes de la République mais elle est le fruit d'un roman national qu'il est de votre responsabilité de faire partager par le plus grand nombre.

Ce texte se calque sur la politique de moralisation permanente du Gouvernement, qui se ferme au pluralisme. Il marque un tournant dans notre conception de la séparation des Églises et de l'État. Comment cette séparation peut-elle aujourd'hui perdurer alors que, selon les mots de l'historien spécialiste des religions Philippe Portier, la laïcité « se voit transformée en instrument de contrôle des conduites et des croyances religieuses », lesquelles devraient pourtant pouvoir s'exprimer et se pratiquer librement en vertu du principe de laïcité ?

L'État s'élève au-dessus des convictions personnelles pour les encadrer, ce qui témoigne d'une dérive inquiétante. Même le secteur du sport, qui est l'une des sphères les plus préservées et l'un des rares endroits pour se retrouver, quelle que soit sa religion ou son origine, autour d'une passion commune, se voit empêtré dans des procédures d'agrément et de contrat d'engagement républicain parce que l'État a failli à préserver son intégrité en amont.

Les ingérences de l'État se multiplient au sein de la famille, dans le sport et au sein des associations. Dans le même temps, il délaisse des problématiques qui entrent pourtant dans son champ de compétences. Comment accorder une once de crédibilité à un texte qui veut lutter contre le séparatisme mais n'aborde pas une seule fois le problème de l'immigration ? Il a pourtant été démontré à maintes reprises que les deux problématiques étaient liées.

La culpabilisation permanente, le déracinement, le communautarisme, l'absence de véritables repères sont autant de terreaux de l'islamisme qui ne sont pas davantage cités dans le texte. Ce projet de loi commet l'erreur de ne pas faire de distinction entre les religions au nom du principe de laïcité : celui-ci devrait pourtant être adapté car les différences fondamentales entre les religions justifient qu'elles ne soient pas traitées de la même façon.

En effet, les principes républicains derrière lesquels vous vous abritez n'interdisent aucunement que soient adoptés des moyens différents pour traiter des situations différentes. Ce texte refuse, par principe, de distinguer entre l'islamisme et les autres religions, entraînant une punition collective pour les méfaits de quelques-uns. Est-ce conforme aux valeurs de la République ?

Les religions ne sont pas les ennemies de la République. Seul l'islamisme l'est. Je le redis : le courage vous manque pour le reconnaître. Non, décidément, le compte n'y est pas. Ce texte, comme beaucoup d'autres, donnera un vernis positif à votre bilan, mais il ne fera rien d'autre aussi longtemps que vous chérirez les causes dont vous déplorez les effets.

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