Je disais tout à l'heure à monsieur le député Acquaviva qu'on pouvait distinguer nature et droit, comme on distingue droit et morale : c'est ce qu'on apprend à la faculté.
Sur le fond, je n'ai aucun problème avec l'amendement de la rapporteure. Je comprends ses intentions et elles sont éminemment louables. Mais, voyez-vous, ces murs ont des oreilles et ils ont parfois une mémoire : j'ai soutenu la proposition de loi de Mme Braun-Pivet, je me suis battu pour dire que le bracelet électronique n'était pas une mesure privative de liberté, mais qu'il s'agissait d'une mesure de sûreté. Vous savez cependant que le Conseil constitutionnel a été d'une extrême vigilance sur la question de la proportionnalité.
Clairement, si vous votez l'amendement de la rapporteure, nous allons vers une possible déclaration d'inconstitutionnalité qui fera tomber l'article 3. Pardon de le dire : en tant que garde des sceaux, c'est un risque que je ne veux pas assumer. Permettez-moi de développer mon propos. Ce qui m'oppose à la rapporteure, c'est une analyse juridique et rien d'autre car, sur le fond, je pourrais être mille fois d'accord avec elle.
À l'origine, la loi du 24 juillet 2015 créant le FIJAIT a exclu les infractions d'apologie et de provocation au terrorisme. Deux autres rappels sont indispensables. Tout d'abord, le Conseil d'État, pour apprécier le caractère nécessaire, adapté et proportionné du dispositif alors mis en place, a constaté qu'il était réservé aux infractions d'une particulière gravité que constituent les actes de terrorisme. Ensuite, le Conseil constitutionnel n'a jamais considéré que les délits d'apologie d'actes de terrorisme constituaient des infractions d'une « particulière gravité », expression qu'il réserve aux actes de terrorisme.
Le Gouvernement, prenant acte de l'évolution de notre société, souhaite revenir sur ces équilibres, mais de façon mesurée. Il s'agit donc d'intégrer ces délits au FIJAIT, mais sans y adjoindre de mesures de sûreté. Voilà le point d'équilibre auquel nous tenons beaucoup. Ceux qui ont commis des actes de terrorisme se sont réunis pour préparer et organiser matériellement un attentat : ils méritent d'être l'objet de mesures de sûreté. En revanche, ceux qui abusent, de façon odieuse, je le concède, de leur liberté d'expression, peuvent-ils faire l'objet du même traitement ? Quel serait l'objectif ?
Ce qui nous importe, c'est que ces derniers soient inscrits au FIJAIT, donc visibles pour les employeurs publics au moment d'une embauche. Ces auteurs d'apologie d'actes de terrorisme doivent par conséquent être inscrits au FIJAIT mais exclus des mesures de sûreté. Sinon, compte tenu du risque, que personne ne peut ignorer, de contamination à l'ensemble de l'article d'une éventuelle décision d'inconstitutionnalité, le législateur que vous êtes prendrait alors un risque qui, pardon de vous le dire ainsi, n'en vaut franchement pas la peine.