Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du mercredi 10 février 2021 à 15h00
Respect des principes de la république — Article 18

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

L'article 18 est présenté comme une réponse à l'assassinat de Samuel Paty et aux actes qui l'ont précédé. S'agissant de la nécessité d'anticiper un processus meurtrier tel que celui qui a été à l'oeuvre ici, nous l'approuvons bien évidemment. Nous contestons, en revanche, la manière dont le Gouvernement entend y répondre. Pardonnez-moi de le formuler ainsi, mais l'article 18 s'appuie sur une seule étude d'impact, le meurtre de Samuel Paty, et résulte d'une réaction à chaud. Nous craignons, dans ces conditions, qu'il ait des conséquences négatives non anticipées.

En réalité, l'article 18, qui vise à prévenir la localisation d'un enseignant sur les réseaux sociaux et sa mise en danger, a les mêmes défauts, du point de vue du droit d'information, que l'article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale. Nous avons bien noté que cet article vise à modifier le code pénal et non la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, comme l'article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale, mais nous craignons, à la lecture de l'exposé des motifs du projet de loi, que l'application de cet article ait des conséquences plus importantes.

Tout d'abord, l'article 18 ne concerne pas seulement les personnes, mais également les biens. En outre, il ne s'agit pas seulement ici de diffuser, mais également de révéler et de transmettre. Certes, la commission spéciale a adopté un amendement supprimant la caractérisation psychique, trop large, mais certaines formules restent floues, s'agissant notamment de l'intention de nuire ou de la vie professionnelle.

Dans sa rédaction actuelle, l'article punit la diffusion « d'informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d'une personne permettant de l'identifier ou de la localiser ». Par conséquent, la diffusion en direct sur internet d'une vidéo d'un policier ou d'un gendarmé filmé dans la rue pourrait être sanctionnée. L'article 18 aurait donc les mêmes conséquences que l'article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale.

Pour le groupe La France insoumise, il aurait été préférable, avant d'envisager une modification du code pénal, d'examiner si ses dispositions actuelles auraient permis d'agir dans le cas de Samuel Paty. Je n'entrerai pas dans des considérations juridiques trop approfondies, car je ne les maîtrise pas entièrement, mais on aurait ainsi pu recourir aux articles 222-33-2-2 et 226-4-1 du code pénal. L'article 226-4-1 est ainsi rédigé : « Le fait d'usurper l'identité d'un tiers ou de faire usage d'une ou plusieurs données de toute nature permettant de l'identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d'autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. »

J'ajoute que si la justice et la police manquent de moyens en matière de renseignement, à la plateforme PHAROS ou à la direction générale de la sécurité intérieure – DGSI – , pour qualifier des faits, ce n'est pas en additionnant les réponses pénales que l'on réglera le problème. Si ma mémoire est bonne, l'assassin de Samuel Paty avait proféré des menaces claires, qui auraient dû appeler l'attention des forces de l'ordre et conduire à protéger l'enseignant, ce qui n'a pas été fait, par manque de moyens. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle cet événement a eu pour première conséquence de nouvelles embauches à la plateforme PHAROS.

Nous proposons de supprimer l'article 18 et de réfléchir à un nouvel article répondant à la même ambition, mais sans nuire au droit d'information. À tout le moins, nous appelons l'Assemblée à soutenir l'amendement no 1007 déposé par le groupe Socialistes et apparentés, qui reprend la réserve du Conseil d'État dans son avis sur le texte et propose de modifier l'article afin d'éviter que le nouveau délit qu'il crée ne porte atteinte à la liberté d'informer. En soutenant l'amendement de nos collègues socialistes, qui constituerait un moindre mal, le Gouvernement nous démontrerait que sa volonté est uniquement de prévenir des événements tels que l'assassinat de Samuel Paty, et non de reproduire les dispositions de l'article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale.

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