Nous comprenons parfaitement l'intention du Gouvernement avec cet article après l'assassinat de Samuel Paty. Vous ne nous en voudrez pas, néanmoins, de chercher à comprendre dans le détail les dispositions que nous votons et leurs implications.
Je salue les améliorations apportées à la rédaction initiale de l'article lors des travaux de la commission spéciale, qui ont permis de préciser les notions d'intentionnalité, de risque, désormais qualifié de « direct », et d'atteinte à la personne – plutôt que d'atteinte à l'intégrité physique ou psychique. Certaines difficultés subsistent néanmoins lorsque l'on examine le texte dans le détail ; elles appellent des éclaircissements de votre part.
Tout d'abord, vous créez une nouvelle infraction d'intention, qui vise non pas des faits commis, mais une intention prêtée aux fins d'exposer une personne à un risque. Vous conviendrez avec moi que l'intention délictuelle peut faire l'objet de larges marges d'interprétation. De quelle manière la chancellerie entend-elle qualifier l'intention délictuelle dans l'instruction de politique pénale qu'elle adressera aux procureurs généraux ? La précaution à laquelle j'appelle ici est légitime, me semble-t-il, puisqu'il s'agit d'éviter le risque d'une justice prédictive. Il n'est pas nécessaire, en effet, que le risque ait été vérifié pour que l'intention soit jugée délictuelle.
Vous ne hiérarchisez pas les risques auxquels serait exposée une personne dont on révélerait les informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle. Dans ces conditions, le juge ne sera-t-il pas tenté de toujours s'aligner sur le risque maximum ? Il s'agit, selon moi, d'une question importante. Pourquoi, en outre, n'avez-vous pas distingué les atteintes aux personnes et les atteintes aux biens ? Comment justifiez-vous ce choix ? Nous pourrions désormais nous retrouver dans une situation dans laquelle l'intention délictuelle serait plus sévèrement punie que le délit s'il était commis.
Prenons un exemple. Dans le code pénal, la destruction, la dégradation et la détérioration d'un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, sauf s'il n'en est résulté qu'un dommage léger. Il existe une possibilité que le risque le plus grave ne soit pas accompli – au lieu d'un meurtre, seule une boîte aux lettres a été brûlée. Dès lors, il y a une disproportion entre l'intention et le risque réalisé. Je vous remercie de bien vouloir m'apporter des précisions à ce sujet.
Enfin, chacun est ici attaché – vous l'avez souligné, monsieur le garde des sceaux – à la liberté de la presse. Vous nous avez fait part, en commission spéciale, des précautions dont vous avez souhaité entourer l'article 18, mais nous avons tous besoin d'être certains que la liberté de la presse ne sera pas d'une manière ou d'une autre atteinte.
La question de la flagrance risque de poser problème, par exemple quand des captations d'images seront réalisées au moment d'une manifestation. Il nous semble donc nécessaire de reprendre à notre compte ce qui a été suggéré par le Conseil d'État dans son avis – ce sera l'objet d'un de nos amendements : « la caractérisation de l'infraction [… ] n'a pas pour objet et ne peut avoir pour effet de réprimer la révélation ou la diffusion de faits, de messages, de données, de sons ou d'images qui ont pour but d'informer le public alors même que ces informations pourraient ensuite être reprises et retransmises par des tiers dans le but de nuire à la personne qu'elles permettent d'identifier ou de localiser. »
Ces quelques questions précises visent à mieux comprendre les dispositions que vous soumettez à notre vote, car nous voulons être certains qu'elles sont bien proportionnées au but recherché.